Son
régiment :
Mon père avait 26 ans. Le 30 août 1939, son premier fils
venait de naître et le 3 septembre déjà, il était
rappelé sous les drapeaux. Mobilisé au 97ème Régiment
d’Infanterie Alpine (97ème RIA) reconstitué à
partir d’un noyau actif du 99ème RIA.
En
1939 la 28ème Division dont le 97ème faisait parti était
initialement affectée à la défense du secteur fortifié
de Savoie en cas de conflit avec l’Italie, à la mobilisation
la division a donc pris position sur les cols des Alpes et dans les
vallées de la Maurienne et de la Tarentaise.
Fin
octobre 1939, elle a été transportée en Alsace,
dans les basses Vosges où la moitié de ses bataillons
d’infanterie ont pris position sur la frontière en avant
de la ligne Maginot dont les ouvrages constituaient la ligne de résistance,
elle est restée dans ce secteur jusqu’en avril 1940, ses
bataillons se relayant aux avant postes et restant en réserve
par intermittences.
Les opérations consistaient en coups de main de part et d’autre,
en combats de patrouilles et parfois en bombardements d’artillerie.
A
la mi-avril, la division a été relevée et envoyée
en réserve stratégique aux confins des départements
du Jura et de la Saône et Loire...
Dès
l’attaque allemande du 10 mai 1940, elle a été embarquée
et 2 jours après a débarqué dans la région
comprise entre le Chemin des Dames et le canal de l’Ailette, la
compagnie de commandement à laquelle mon Père appartenait
était cantonnée dans des grottes sur la commune de Jouy
( maintenant Azay-jouy), grottes toutes proches du Chemin des Dames
côté route de Soissons.
Le
gros de l’armée allemande était occupé dans
le Nord à encercler et repousser à la mer l’armée
anglaise et le groupe d’armée du Nord. Ayant réussi
cette opération à partir du 16 mai, les troupes allemandes
sont arrivées au contact de la position que la division avait
sommairement organisée et ont tenté, sans succès
de franchir le canal de l’Ailette.
L’axe principal de leur efforts était la direction : Laon-Soissons-Paris.
Le 5 juin 1940 à l’aube après un terrible bombardement
d’artillerie et d’aviation, ils attaquèrent la ligne
de défense improvisée sur la Somme et l’Aisne. Les
morts et les blessés furent très nombreux car l’effort
principal se porta sur la Cie de commandement qui était la moins
armée et la moins "combattante", parce que composée
de plusieurs sections formées de groupes de soldats spécialistes
dans différents secteurs : chauffeurs pionniers, cuisiniers,
motocyclistes, plantons, secrétaires.
La Cie de commandement faisait partie des éléments régimentaires
c'est à dire qu’elle n’était pas incluse dans
les 3 bataillons du régiment. C’était une Cie régimentaire
comme la Cie régimentaire d’engins (canons anti-chars,
mortiers) et la Cie hors rang (service de santé, ravitaillement,
approvisionnement) ces compagnies étaient au service de tout
le régiment.
Les
sections les plus éprouvées furent la 3ème et la
4ème (celle de mon Père).
Mon
père faisait partie de la 4ème section, celle des Pionniers,
il était sergent donc responsable d’un groupe.
Les pionniers étaient tous des hommes spécialistes de
métiers divers et étaient chargés des travaux de
campagne, installation des postes d’observation, fabrication d’abris,
aménagements divers et d’encadrer les autres soldats lors
de ces travaux, ils répondaient aux différentes demandes
provenant des autres Cies du régiment. Mon père était
menuisier de métier.
Le
Capitaine Dain était le commandant de la Cie de commandement,
le lieutenant Guillain était le chef de la section des pionniers.
Il assuma par la suite les fonctions de commandant de la Cie. Le 5 juin
lors de l’attaque ils furent tous deux tués.
Le
6 juin la section de pionniers n’avait plus de gradés,
lieutenant tué, adjudant tué, tous les sergents tués
ou gravement blessés, "Nous nous sommes retrouvés
comme un troupeau de moutons égarés" m’écrivait
30 ans après Armand Wargnier un lyonnais de la même section,
bon copain de mon Père.
Le
6 juin au matin Maurice Lescure qui était de Bizonnes, le pays
de mon père, est passé avec son char, qui avait eu la
tourelle arrachée par un obus au Chemin des Dames et racontait
que les fossés, les prés étaient jonchés
de cadavres que personne n’avait encore eu le temps d’enterrer.
C’était disait-il la désolation. Il savait que mon
Père était dans le coin et se faisait beaucoup de soucis.
Claude Paillet de Bizonnes était dans le même régiment
que mon Père mais l’attaque les avait épargnés
elle avait eu lieu sur le secteur le plus proche de la route de Soissons,
le secteur où se trouvait la Cie de commandement sans doute positionnée
près des voies de communication elle aussi pour pouvoir se déplacer
rapidement vers les autres Cies du régiment.
Le
plateau du Chemin des Dames est traversé par une seule petite
route qui relie la Route Laon-Soissons d’un côté
et la route Reims-Laon de l’autre en passant par le célèbre
plateau de Craonne (Haut lieu de la guerre 1914/1918) jusqu’au
carrefour de Corbeny. Ce plateau domine une vallée où
coule le canal de l’Ailette qui était la première
ligne de défense où se trouvait le front et les bataillons.
Le but de l’armée Allemande étant Paris c’est
la route de Soissons qu'elle voulait.
Les
tués de la Cie trouvèrent une sépulture provisoire
dans le cimetière de Jouy où ils furent enterrés
dans des fosses communes de 3 rangées de 7 soldats sur chaque
rangée on étalait un lit de chaux vive. Les autorités
militaires à la fin de la guerre proposaient aux familles qui
le voulaient le rapatriement des corps. Seule la plaque matricule indiquait
qui était dans cette rangée, et les ossements rendus aux
familles pouvaient être ceux d’un des 7 soldats de la rangée
mais pas forcément votre parent. C’est pour cela que ma
Mère refusa et qu’elle laissa mon Père sur les lieux
de sa mort dans une sépulture nationale près de ses compagnons
d’infortune. Elle avait droit à une visite gratuite payée
par l’autorité militaire mais c’était un déplacement
en chemin de fer et l’accès de la nécropole de Soupir
n’était pas facile. Les déplacements à l’époque
ne se faisaient pas comme maintenant elle ne pu jamais se rendre sur
la tombe de mon Père et mon 1er voyage en champagne se fit avec
mon épouse et ma fille seulement en 1986. Ma Mère était
morte depuis 1977. Si Elle avait été encore là
nous aurions pu l’emmener avec nous elle n’aurait eu que
70 ans…hélas !!!!
Recréé
en septembre 1939 à Chambéry, le régiment des Chamois
est affecté à la 28ème division d’infanterie
alpine. Cette division compte le 97ème RIA, le 99ème Ria,
le 25ème DBCA, le 2ème RAM, le 202ème RALD, le
22ème GRDI notamment. Elle est sous les ordres du général
Lestien. C’est une unité de réserve de série
A. Le 97ème RIA fait parti de ces régiments qui appartiennent
à la réserve du GQG dirigée par le général
Gamelin. Situé en arrière de la Ligne Maginot, il n’en
fait cependant pas parti.
Le régiment se bat notamment sur l’Ailette en juin 1940.
L’insigne régimentaire du 97ème RIA est de forme
ovale. Elle représente un chamois dressé sur un rocher
avec pour fond les armes de Savoie. Le fabricant est Augis.
Voila ce que j’ai pu trouver en première approche, je vais
continuer mes recherches...
Il est parfois question du 22ème RIC qui occupe un village voisin.
Appartenant à la 5ème DIC, c’est également
une unité de réserve de série A.
Roger
Alfred Guinet
Recherches
:
En
1968 j’entrepris des recherches auprès des amicales régimentaires
sans grands succès pendant 2 ans.
Je voulais, maintenant que mon Père commençait à
me manquer, en savoir un peu plus sur lui, sur sa guerre, j’avais
lu toutes les lettres qu’il envoyait chaque jour à ma mère
elles étaient censurées et il ne lui racontait pas tout
et dans chaque lettre il lui disait que tout allait bien et qu’il
serait bientôt de retour, certaines lettres du texte étaient
soulignées en les mettant bout à bout on pouvait savoir
le lieu exact où il se trouvait ceci, avant d’être
monté au front. La dernière lettre est datée du
4 juin1940.
C’est
ainsi par ce système que ma mère pu reconstituer et suivre
sur une carte son itinéraire.
Le
3/9/39 Chambéry, moutier, le 10/9/39, Brides les Bains puis Gundershoffen
en Alsace à 30km de la frontière allemande, ST Dié,
Bannstein, Petite suisse, Saverne, Chaumergy, mis en réserve
à Dole puis Poligny. Départ le 15/5/1940 pour le front.
Arrivée à Soissons le 18/5/1940, rejoint le secteur de
la Malmaison le 19 /05/1940 (commune de Jouy) sont cantonnés
dans un ravin et une ancienne carrière où des grottes
leur servent d’abris.
Le
20 mai 1970, 30 ans après, le colonel de réserve Louis
Brunet de Lyon, président de l’amicale des anciens du 97ème
RIA m’écrivait pour m’annoncer qu’il lançait
des recherches et me donnait en attendant les renseignements concernant
le régiment de mon Père et de la tâche de sa section
au front.
Ma
persévérance allait peut être payer :
Le
27 /11/1970, le colonel reprenait contact et m’annonçait
qu’il avait retrouvé deux personnes ayant connu mon Père,
un de ses bons copains Armand Wargnier et un autre qui ne le connaissait
pas mais dans les bras de qui il expira. C’est avec beaucoup d’émotion
que je pris contact avec ces deux personnes et je me repens maintenant
de ne pas avoir eu le courage d’être aller les voir. Je
me suis contenté à l’époque de leurs courriers
dont je vous livre la teneur. J’avais posé beaucoup de
questions sur mon Père à Mr Wargnier qui le connaissait
bien, voici son courrier.
Vous
pourrez constater que nos pauvres soldats n’avaient pas grand
chose pour se battre. Ce témoignage d’un homme acteur de
cette page d’histoire à une grande valeur...Pour ceux qui
comme moi attachent beaucoup de valeur à ces choses du passé.
"Villeurbanne
le 14/12 1970
Monsieur
Guinet,
J’ai
reçu votre lettre du 6 courant et je m’excuse du retard
à faire la réponse, mais votre lettre ma trouvé
en plaine crise de rhumatismes
Aujourd’hui
encore j’ai beaucoup de peine pour écrire !
Oui
j’ai bien connu votre Père, bien que ne faisant pas partie
du même groupe j’appartenais à la même section.
Ce
qu’il était ? C’était un très bon copain,
doux, jamais un mot plus haut que l’autre, il faisait partie des
hommes qui passent inaperçus, pas bruyant plutôt taciturne,
pas bavard, vivant un peu replié sur lui même. On avait
l’impression que cette guerre l’avait désemparé,
de ce fait on pensait qu’il devait souvent penser à son
foyer qu’il avait abandonné comme tant d’autres,
mais n’ayant pas les mêmes réactions que beaucoup
d’entre nous.
Avait-il
peur ? Je ne pense pas d’ailleurs ce sont des discussions que
nous n’osions pas aborder chacun ayant sa fierté personnelle.
Quant
à sa mort je pense que c’est une rafale de mitraillette
mais ne puis l’affirmer n’étant pas à ses
côtés à ce moment là.
D’ailleurs
le 5 juin, lorsque les Allemands ont attaqué je me trouvais avec
mon groupe au bout du Chemin des Dames, par la suite nous nous sommes
repliés sur le ravin de la mort, et je crois que c’est
à ce moment là que votre Père a été
touché.
Il faut dire qu’à ce moment précis c’était
la débandade, nous étions au corps à corps et comme
nous n’avions pratiquement rien pour nous défendre, à
part nos armes individuelles . Etant dans les travailleurs et non dans
les combattants nous n’avions pas d’armes lourdes automatiques,
c’est pour cette raison que nous avons tant eu de morts et blessés.
Dès
le 6 juin nous n’avions à la section des pionniers plus
de lieutenant, tué, plus d’adjudant, tué plus aucun
sergents tous tués ou gravement blessés. Par conséquent
nous nous sommes retrouvés comme un troupeau de moutons égarés
dans la nature. Il faut dire que notre Compagnie de commandement a été
très éprouvée du fait comme je vous le dit plus
haut nous n’avions pas assez d’armes automatiques pour pouvoir
nous défendre énergiquement, voilà la raison pour
laquelle nous avons eu tant de morts.
Je
crois pouvoir assurer que la 3ème section et la 4ème section
celle de votre Père et de moi même sont celles qui ont
été le plus touchées
Voici
quelques détails que je fais de tête n’ayant pas
tenu de journal Néanmoins lorsque nous serons en présence
l’un de l’autre il y aura des détails qui me reviendront.
Pour
en revenir au sujet qui vous intéresse je puis vous dire que
votre Père était un brave homme sur tous les rapports
et que nous l’aimions tous les uns et les autres. Je joins une
photo elle m’est chère aussi retournez la moi lorsque vous
l’aurez fait refaire. Celui qui est sur la droite de la photo
s‘appelait aussi Guinet. Il était de St Genis sur Guiers
il est mort sur mon épaule en bordure d’un bois près
de Chateau Tierry .
Voici
tout ce que je pouvais vous dire au sujet de vos questions. Si vous
en avez d’autres ne vous gênez pas !
En
attendant le plaisir de vous voir... Je vous présente mes sincères
amitiés.
N’oubliez
pas la photo de Wargnier"
Mon père
tient le cheval, Armand Wargnier est au milieu
La
2ème lettre est celle de Mr Terras de Veyrins dans l’Isére,
il était adjudant chef d’une section motocycliste et c’est
lui qui est allé au devant de mon Père qui arrivait en
courant mortellement blessé. C’est grâce à
son plan que 46 ans après en 1986 j’ai pu, avec mon épouse
et ma Fille, retrouver à 50 mètres près le lieu
où mon Père a rendu son dernier soupir.
C’est encore avec plus d’émotion que j’ai lu
et relu cette lettre que je vous livre.
"Veyrins le 9 JUIN 1970
Monsieur
Guinet
Bien
reçu votre lettre mais depuis 30 ans on a oublié un peu
ce qui s’est passé le 5 juin 1940 mais dans la mesure du
possible je vous donne les renseignements dont je me souviens.
Votre
Père est mort le 5 juin 1940 blessé vers le Chemin des
Dames lors de l’attaque allemande, il est revenu en courant, sac
au dos avec son fusil à la main dans la direction de ma section,
le voyant venir j’ai tout de suite pensé qu’il était
blessé et avec un camarade dont je ne me souviens plus du nom
nous sommes partis en courant à sa rencontre et en arrivant dans
nos bras il est mort sans pouvoir nous dire un mot. Nous l’avons
porté vers une maison près de l’emplacement de ma
section, il était environ 8h du matin, j’ai donné
l’ordre à deux soldats de le porter au poste de secours
et j’ai rejoint ma section car l’ennemi n’était
pas loin.
Il
a été blessé mortellement par balles à la
poitrine et quand il est arrivé vers nous il devait avoir perdu
tout son sang.
Je
ne pourrais pas vous dire qui a récupéré ses papiers.
Il a du avoir une sépulture provisoire comme un de mes hommes.
Sa compagnie s’est retirée le soir dans le bois ainsi que
le régiment. Nous, à notre compagnie nous avons eu le
commandant et son chef de section l’adjudant Thomas de tués
ainsi que 4 soldats. Le 6 juin la bataille à continué
et dans la nuit le régiment s’est replié à
l’arrière jusqu’à l’Aisne qu’il
a traversé ainsi que l’Aube où ensuite pour la plupart
nous avons été fait prisonniers.
Je
vais en vacances dans l’Isére vous pourrez venir me voir
quand vous voudrez, vous m’avertirez avant ça sera un plaisir
de vous recevoir.
Veuillez
recevoir mes respectueuses salutations
Signé : TERRAS"
Grâce
à ce Monsieur j’ai pu retrouvé à l’aide
du croquis qu’il m’a fait avec une précision remarquable
les emplacements et le lieu où mon Père est mort.
Avec
l’aide d’un gros fermier du plateau nous avons pu retrouver
les lieux sur une carte d’état major nous avons eu un peu
de chance car après le monument de la guerre de 1914 il n’y
a qu’un chemin avec deux maisons et qui plus est ces maisons étaient
là pendant la guerre. D’autre part les grottes et le ravin
étaient en 1986 encore visitables ce n’est plus le cas
de nos jours.
Je
remercie ici plus particulièrement le Colonel Brunet pour son
aide car sans lui je n’aurais jamais pu aboutir.
LETTRES
ECRITES CHAQUE FIN DE JOURNEE Du 4 septembre 1939 Au 4 juin 1940
4
septembre 1939
''Je
suis à Chambéry cantonné au palais de justice pour
un certain temps c'est ici qu'on nous regroupe.
C'est le centre mobilisateur
Je suis sergent à la 4ème section de commandement au 97ème
R I A, j'espère qu'à la maternité tout se passe
bien.''
8
septembre 1939
''Nous
venons de quitter Chambéry pour Moutiers, je garde le même
secteur postal 127. Il faudra toujours mettre ce secteur, les lettres
suivront. Va voir le maire pour qu'il t'aide pour les papiers des assurances
sociales dès que tu seras rentrée de la maternité.
S'il faut un papier du régiment dis le moi."
Mercredi
13 septembre 1939
''Quelle
joie enfin les lettres arrivent.2 aujourd'hui les premières depuis
mon départ. J'ai reçu ta deuxième lettre mais pas
la première. Enfin des lettres ! je suis content d'avoir de vos
nouvelles et de celles de mon Bébé. Cela me manquait depuis
que je vous ai abandonnés.
Est ce que mon frère a pu faire marcher ma moto?
Quant au billet de la loterie nationale garde le bien on ne sait jamais,
le tirage n'a pas encore eu lieu.''
Dimanche
17 septembre 1939
''Aujourd'hui
je suis de garde de ce soir 5h à demain soir 5h, j'aurais le
temps de penser à vous.
C'est dur d'être à la fois si prés et si loin de
vous. Vivement une perme pour faire le Baptême.
J'ai reçu 4 lettres à la suite c'est bon pour le moral.''
Lundi
19 septembre 1939
''Ce
matin marche de 15 km en montagne pour nous mettre en forme et ici ça
monte aussi on mouille la chemise. Pour les permissions rien de nouveau
j'espère que jeune père de famille je serai prioritaire
!!
Notre travail consiste à couper des arbres et à apprendre
à faire des tranchées. Tu me dis que ma moto a un piston
de cassé si mon frère ne veut pas la faire réparer
dis lui de la vendre en l'état pas moins de 5OOfr et de te donner
l'argent. La loterie se tire le 5 octobre peut être aurons nous
la chance de gagner ça nous arrangerait bien, car maintenant
qu'il n'y plus de salaire ça va être dur.''
Samedi
24 septembre 1939
''Aujourd'hui
j'avais envie de partir en fausse perme pour vous voir, mais les copains
se sont fait refoulés à la gare par la police militaire
qui surveille tous les trains, alors je ne prends pas le risque car
ceux qui se sont fait prendre auront leur tour de perme reporté
à la fin après tous les autres.''
Vendredi
30 septembre 1939
''Je
suis de service au casernement, c'est moi qui commande les corvées
et qui assure la paie des soldats et la distribution du courrier.
J'ai eu aussi à distribuer le tabac et les cigarettes. Cela occupe
et le temps passe plus vite, autrement ici on s'embête à
ne rien faire ou du moins à ne faire pas grand chose."
Le 8 octobre 1939
Retour
de permission
''J'ai
trouvé 3 copains en gare de St André le Gaz, ils allaient
à St Michel de Maurienne. A Chambéry ils ont voulu qu'on
aille manger ensemble, il y en avait un qui avait sa pleine valise de
victuailles y compris champagne il venait de baptiser son fils.
Quelle joie cette permission d'avoir pu serrer dans mes bras mon fils
pour la premiére fois depuis sa naissance.
Nous allons quitter les lieux pour une destination inconnue qui ne doit
pas être trés éloignée d'où nous sommes
car le déplacement va se faire à pieds."
Le
13 octobre 1939
'"Cette
nuit nous avons eu un exercice d'alerte et aujourd'hui je suis de service
à la Cie : surveillance des corvées et distribution du
courrier. Cela compte beaucoup pour nous. Il parait qu'il y a un wagon
postal en gare ça va être la joie !!
Demain je suis de corvée en gare c'est à dire faire la
police pour empêcher aux soldats de faire le mur, je n'aime vraiment
pas ça mais je ne peux pas y déroger, enfin tant pis.
Cet après midi nous avons fini de construire un abri sous terrain
ensuite corvée de lessive."
Le
17 octobre 1939
''On
a déménagé depuis lundi tous les jours on est sur
la route, on se "tape’’ 20 Km On doit en faire environ
100 en direction de Chapareillan.
Tu vois que tu as bien fait de garder le billet de la loterie nationale/22F
c'est toujours ça de pris.''
Du
18/10 au 22/10 : Permission
Le
23 octobre1939
''Le
retour de permission s'est bien passé, j'ai transité par
Grenoble, puis à Montmélian on a fait du Stop, nous étions
6 aussi nous avons arrêté 3 voitures mais les gens étaient
heureux de nous rendre service, ils nous ont emmenés jusqu'au
cantonnement. Cette perme m'a fait beaucoup de bien me voila regonflé
en attendant la prochaine.''
Le
25 octobre 1939
''Ce
soir à 18h30 on part pour aller prendre le train 12km plus loin.
On embarque à minuit je ne sais pas encore la destination mais
se que je sais c'est que nous allons nous tremper car il pleut à
seau. Je ne pense pas que la guerre durera longtemps compte tenu de
ce qu'on entend dire de l'Allemagne çà va mal chez eux
il y a une mauvaise entente du fait de leurs problèmes avec les
communistes allemands. Pour m'écrire ne change pas d'adresse
toujours secteur postal 127.''
Le
28 octobre 1939
''C'est
d'une maison d'Alsace que je t'écris, on est parti jeudi et on
à fait 30 heures de train. Ici il fait un bien mauvais temps
et il pleut sans discontinuer avec du froid. On est à une douzaine
de kilomètres de la ligne Maginot. Ici les gens sont très
gentils dommage qu'avec leur drôle de parler on arrive pas à
les comprendre.
Pour boire du vin ici il ne faut pas y compter 7 Fr le litre alors on
est obligés de se mettre à la bière qui coûte
32 sous la bouteille. Nous sommes cantonnés dans une grange et
bien enfoncés dans le foin on a pas froid. Il y a le 22ème
RIC dans le village d'à côté mais je n'ai pas encore
vu Jallud je ne sais pas si il est là.
Des copains qui descendaient au repos depuis 3 semaines qu'ils étaient
sur la ligne n'avaient pas tiré un coup de fusil ni de canon.
Tu vois le secteur est calme."
30
octobre 1939
''Toujours
pas grand chose à faire. Ce matin nous sommes allés jouer
au foot ça fait tout drôle et c'est bizarre on joue à
12 Km des boches et au son du canon qui tonne de temps en temps. Cet
après midi j'ai fait ma lessive, puis je suis allé toucher
des souliers car il en faut deux paires.
On a été survolé un bon bout de temps par des avions
boches puis notre DCA en a eu marre et les a canardés ils ont
fait vite pour filer, on ne les a pas revus de la journée.''
Le
31 octobre 1939
''Toujours
le calme nous sommes quelques uns à profiter de la paix pour
jouer à notre sport favori : le foot, et cela au son du canon
lointain.
Les avions continuent à nous survoler, mais ça va sûrement
être de moins en moins souvent car aujourd'hui deux ont été
descendus en flamme.
Il a du te manquer une lettre car l'enveloppe m'a été
renvoyée vide avec une note de la censure, (je te la joint) elle
a été ouverte et dedans je te disais où on est
cantonnés, c'est défendu aussi je n'ai eu qu'un avertissement
mais le lieutenant m'a fait appeler pour me dire de ne pas recommencer
car maintenant la sécurité militaire va avoir mon courrier
à l'oeil et il vont sûrement contrôler plus souvent
mes lettres. Alors tu sauras où on est lorsque j'irai en perme
d'ici là on aura peut être changé plusieurs fois
d'endroit.''
Le
1er novembre 1939
''Aujourd'hui jour de Toussaint avec ma section on est parti à
la chasse aux lapins de garenne qui sont en très grande quantité,
je n'ai jamais vu cela ils se touchent tous. c'est un défilé
permanent de jour comme de nuit. Pas besoin de fusill. Un bâton
suffit pour les avoir. Ils se mettent aussi dans des trous peu profonds
et sont faciles à choper. On est revenu à 16 h avec 18
lapins que nous avons pris à la main.
Demain
on va manger tout cela ça changera de l'ordinaire. Le bataillon
en 2 jours en a pris plus de 150.
C'est une distraction comme une autre, si tu nous voyais fouiller dans
les trous pour les prendre par les oreilles tu ne nous croirais pas
à la guerre !!!
Il
ne fait toujours pas chaud mais les fourneaux Alsaciens marchent bien.
Les gens nous reçoivent chaleureusement chez eux,on se réchauffe
en discutant et en buvant de la bière qu’ils offrent sans
mesure par contre c'est toujours aussi difficile de les comprendre ce
qui parfois amène des situations ''rigolotes''.
On
doit changer de secteur et le capitaine nous a dit que l'on serait encore
mieux qu'ici,alors ne t'en fait pas ceux qui sont en Norvège
ne sont pas aussi bien que nous,et puis tu sais la ligne Maginot n'est
pas près d'être franchie par les boches, faut voir ça
c'est un sacré ouvrage de défense je ne voudrais pas avoir
à m'y frotter.''
Le 2 novembre 1939
''La
pluie continue à tomber et il ne fait toujours pas chaud.
Aujourd'hui
on a fait un banquet avec le lieutenant et l'adjudant. On a mangé
8 lapins de garennes rôtis, des nouilles au jus, de la salades
et bu quelques bonnes bouteilles, tout cela préparé chez
une femme d'ici qui est très chic.
Cela nous a coûté 2 francs chacun mais on a profité
de pouvoir fournir le gibier pour le faire ce ne sera pas tous les jours
possible. Cela nous à fait passer un bon moment car dans ces
cas il y a toujours une paire de ''rigolos'' pour nous distraire, je
t'assure qu'ils y en a qui ont un sacré moral, surtout s'ils
sont célibataires. Pendant ce temps on a moins le cafard.
Ce
matin on nous a annoncé qu'il y aurait des permes de détente
à partir du 11 novembre et on partira à tour de rôle.''
Le 3 novembre 1939
''Nous
faisons nos préparatifs de départ car le bataillon monte
en ligne et nous le suivons à une douzaine de Kilomètres,
il faut aller préparer le PC du colonel pour qu'il soit en sureté.
Ne te fait pas de soucis avec le colonel nous sommes toujours en retrait
des lignes.
A
par cela toujours pas grand chose à faire, on va devenir paresseux.
Enfin ça ne devrait pas durer, de l'avis de pas mal de monde
la guerre devrait être finie pour le jour de l'an.''
Hier
on s'est tapé 22Km à pieds en arrivant j'en avais marre
on avait tout notre barda et j'avais mis mes souliers neufs pour les
casser, ça a été une réussite, pour être
cassés il ont été cassés,
mais mes ''pinceaux'' aussi !!!! Heureusement qu'aujourd'hui je suis
de service, je vais pouvoir me reposer un peu, je n'aurais pas envie
d'aller jouer au foot avec les pieds que j'ai !!!"
Cantonné
à Gundeshoffen le régiment est monté au front prés
de Rothbach
Le
4 novembre 1939
''Ici
bien qu'on soit plus prés des lignes on est mieux qu'avant, on
ne se croirait pas à la guerre.
Ecrivez
moi souvent car ici tout est évacué et on ne voit personne,
il n'y a plus rien, plus de bistrot, plus de journaux pas trop de nouvelles,
que celles que nos lettres nous apportent et qu'on se transmet entre
nous."
Nota: j'ai su après que le cantonnement se trouvait tout près
d'Haguenau,mais je ne connais pas lieu exact.
Le
reste du régiment est cantonné aux alentours une partie
se trouve à Rothbach.
Le 5 novembre 1939
''Aujourd'hui
on a recommencé à travailler. On est entrain de faire
une route en rondins de bois pour permettre de circuler malgré
la pluie et la boue. Le temps passe plus vite en travaillant qu'en ne
faisant rien.
On
est entrain de s'installer, on a nos chambres dans un grenier et on
couche sur la paille, on a une pièce ou il y a un poêle
et on passe de bonnes soirées avec les copains a la lumière
de bougies. En ce moment un copain est entrain de faire des frites et
une bonne soupe pour ce soir.
Pour
la boisson il n'y a plus rien il faut se contenter d'eau. Il faut se
débrouiller ''comme à la guerre'' ce matin 4 gars sont
allés chercher des pommes de terre que les évacués
avaient laissées.
Toute
la nuit d'hier on a entendu le canon qui tirait à une dizaine
de kilomètres de chez nous.''
Le
6 novembre 1939
''Aujourd'hui
il fait un temps magnifique, avec un beau soleil cela nous change du
temps pouri que nous avons eu jusqu'à maintenant.
On
ne voit plus ici aucun civil notre univers n'est fait que de soldats.
Envoie
moi un rasoir de sureté avec des lames et une lampe électrique.
J'ai reçu ce matin une lettre d'un copain, elle était
partie le 20 septembre tu parles d'un périple pour arriver jusqu'à
moi !!!
On
est toujours bien tranquilles bien qu'on entende plus souvent le canon.
On assiste par contre souvent à des duels aériens. Demain
nous allons démonter des baraquements pour ensuite les remonter
ici. Nous partons pour la journée."
Le
8 novembre 1939
''Toujours
un calme relatif ponctué par des coups de canon et des duels
d'aviation. Nous on est entrain d'installer l'électricité
dans nos chambres,on pourra taper la belotte sans avoir à s'occuper
des bougies qui risquent à tout moment de mettre le feu à
la paille.
Dans la journée on s'occupe de l'entretien des baraquements et
des routes, cela nous occupe bien, tant mieux ça fait passer
le temps mais il vaudrait mieux la classe.''
Le
9 novembre 1939
''La
pluie s'est remise à tomber et on est entrain de faire des abris
souterrains on en a au moins pour 40 jours alors nous allons être
tranquilles pendant ce temps là, je suis chef d'équipe,
alors tu me vois commander? il a des moments
ou je ne dois pas être commode car certains ne veulent vraiment
rien faire et laissent le boulot aux copains.
Hier on a vu une bataille d'avions 6 français contre 2 boches
en 5 minutes les deux boches sont allés au tapis, ils étaient
2 par avions deux ont sautés en parachute et ont été
faits prisonniers les deux autres sont morts carbonisés.
De temps en temps on entends le canon, mais tant qu'il ne nous tire
pas dessus c'est pas grave. C'est la guerre hélas, pourvu que
ça ne dure pas encore trop longtemps!!!''
Le
11 novembre 1939
''Hier
au soir nous n'avons rien dormi tant le canon se faisait entendre je
ne sais pas si cela était en l'honneur du 11 novembre mais les
vitres tremblaient toute la nuit. Nous allons coller des bandes de papier
pour réduire les vibrations.
Nous sommes dans un petit pays près d'haguenau, il n'est pas
sur la carte. En ce moment on coupe du bois tous les jours pour consolider
un abri souterrain, on a 500 arbres à couper. Le matin j'embarque
mes hommes avec mon caporal, je distribue le boulot pour la journée
; et en cours de journée je viens faire des tournées d'inspection
pour voir si tout se passe sans problème aussi bien humains que
matériels.
Je n'ai toujours pas reçu la paire de gants et le rasoir.''
Le
12 novembre 1939
''Aujourd'hui
dimanche nous sommes de repos avec un repas spécial en l'honneur
du 11 novembre qui était en semaine, et à la fin du repas
champagne, café, cigares.
Cet après midi comme il fait un temps magnifique nous faisons
un match de foot contre le 4 ème Génie. On entend moins
le canon et les avions se font plus rares je ne sais pas ce que cela
veut dire. Voilà 2 jours que nous sommes au calme.
Je reprends ma lettre ce soir, cet après midi nous avons battu
le Génie 3 buts à 1. Il y avait de la joie et dans ces
moments là on ne pense plus à la guerre et ça nous
fait du bien, on rit de courts instants, puis après on songe
à ceux qu'on a laissés avec un peu de remord d'être
tout de même joyeux en cette péroide difficile pour tous.
On passe nos soirées à jouer aux cartes, à graver
nos gobelets ou à construire de petits cadeau je suis entrain
de te faire une paire de skis miniature.''
Le
15 novembre 1939
''Vous
ne pouvez pas savoir lorsqu'on est comme nous loin de vous combien vos
lettres ont une influence importante sur notre moral. Elles nous tiennent
près de vous près de notre village et pendant leur lecture
nous ne sommes plus à la guerre.
Aujourd'hui on a eu une triste besogne, nous avons du construire un
cercueil pour un sergent du 2 ème bataillon du 97ème qui
a été tué, il était de patrouille de reconnaissance
et il a sauté sur une mine allemande. Il devait descendre demain
au repos, il était père de trois enfants. Tu sais cela
file un mauvais coup au moral, enfin le hasard l'a voulu ainsi.
On continue notre abattage d'arbres ,nous en avons déjà
tombés 155. Demain on va passer la visite d'incorporation, on
va encore se mettre une fois de plus à ''poil'', on commence
à être habitué cela se passe chaque fois que nous
changeons de lieu...les réformés sont rares, même
très rares !!!"
Le
16 novembre 1939
''Le
secteur commence à être plus mouvementé et au moment
ou j'écris le canon tonne assez fort bien que se soit encore
lointain,ne te donne pas peur tant que ça ne nous tombe pas sur
la figure ce que j'espère n'arrivera jamais. y a pas de mal.
Ici on parle toujours de permissions, mais c'est comme l'Arlésienne
on en voit venir aucune. Le jour où elles arriveront je ne partirai
sûrement pas dans les premiers, car je suis un des plus jeunes,
notre régiment étant fait de beaucoup de rappelés
les pères de famille ayant plusieurs enfants sont nombreux et
passent avant, ce qui est normal. En plus, dans les sergents on est
pas nombreux et il faut toujours qu'ils en restent un certain nombre
ici. Une fois notre travail terminé on doit descendre au repos.
Ici à tous moments il y a des gars qui sont rappelés pour
aller travailler dans leur usine, si cela pouvait m'arriver je serais
heureux mais il ne faut pas trop y compter car ce sont tous des gars
d'usines de mécanique qui travaillent pour l'armée. Il
y en a un qui repart ce soir il y avait deux jours seulement qu'il était
rentré, il était parti baptiser son fils.'’
Le vendredi 17 novembre 1939
''Je
n'ai toujours pas reçu le rasoir ni le savon à barbe,
et le blaireau. Ici il n'y a plus de coiffeur donc de barbier pour nous
raser et si ça continue je pourrais faire le père Noël
d'ici un mois !!!!
En ce moment il ne fait pas trop beau et il commence à faire
froid, passes-montagne et gants sont sortis du paquetage. Le canon se
fait toujours entendre,mais les avions ne viennent plus guère
chez nous.
On parle toujours de permes pour se donner de l'espoir et du courage
mais elles n'arrivent pas. La nourriture n'est pas trop mauvaise,avec
notre seconde cuisine on se charge de l'améliorer. Actuellement
les meilleurs moments sont la ''bouffe'' et la réception de vos
lettres qui sont une bonne nourriture pour le Moral !!!
On a ramené un chat dans notre grenier car il y a des rats qui
se chargent de nos paquetages, nous pensons qu'il s'en occupera et en
fera disparaître quelques uns.
Enfin vivement le retour à la maison.''
Le
18 novembre 1939
''Enfin
des photos de mon fils qu'elle joie d'avoir ce courrier, ces photos
vont m'aider à combattre le cafard lorsqu'il sera là.
Aujourd'hui 3 régiments sont passés ils allaient remplacer
au front les collègues qui vont descendre au repos. J'espère
que se sera bientôt notre tour.
Le temps passe un peu plus vite actuellement car on commence à
avoir le ravitaillement en bière ,vin, journaux. Une camionnette
passe et vend différents objets dont on a besoin dans la vie
courante.
Inutile de m'envoyer de l'eau de Cologne c'est superflu ici. Aujourd'hui
j'ai reçu mon colis je te remercie pour toutes les bonnes choses
qu'il y avait . On partage avec les copains qui font pareil lorsque
leurs colis arrivent.
Pour ma lampe électrique je pense qu'elle finira la guerre."
Le
19 novembre 1939
''On
est dimanche et il fait un temps épouvantable, pluie et grand
vent toute la nuit, le toit de notre habitation craquait de tous côtés.
Comme il n'y a pas de travail aujourd'hui nous n'allons pas quitter
le coin du feu.
Malgré un froid de chien ce matin nous sommes allés à
la chasse au chevreuil on en a tué un, cela va arranger l'ordinaire.
Voila bientôt trois mois que je suis parti et c'est dur de se
trouver si loin de ceux qu'on aime.''
Le
20 novembre 1939
''Aujourd'hui
en allant en forêt j'ai désigné deux gars pour aller
aux champignons, ils en ont trouvés pas mal aussi ce soir on
a fait une bonne ''bouffe''. On avait acheté des côtelettes
de cochons et comme un copain avait reçu du beurre cela n'a rien
gâté pour la cuisson. Les champignons étaient supers.
Ces petites réunions entre copains autour d'un casse croûte
nous redonnent le moral et nous font oublier un instant que nous sommes
à la guerre.
Les premiers permissionnaires sont partis ce matin, ce n'est pas encore
mon tour. Encore du canon aujourd'hui mais rien de grave.''
Le
22 novembre 1939
''J'écris
beaucoup car en retour je reçois beaucoup de courrier,c'est bon
pour le moral.
Pour le moment le travail que nous avons à faire se continue
tous les jours,nous avons coupé aujourd'hui notre 250ème
arbres. Ils sont tous ''billonnés' en morceaux de 5m,ce sont
de très beaux arbres certains font 20 m de hauteur. Faire du
bois ça réchauffe tout le monde. On a déjà
un sacré tas de rondins.
Ici c'est toujours le calme ,ceux qui descendent des lignes n'ont pas
tirés un seul coup de fusil durant tout le temps ou ils étaient
en position. C'est seulement les artilleurs qui s'envoient de temps
en temps quelques obus pour faire savoir qu'on est bien là. Les
avions sont rares maintenant.
On doit descendre au repos d'ici 10 à 15 jours. Les permissions
iront sans doute plus vites."
Le 23 novembre 1939
''Il
fait de plus en plus froid et les gants sont de rigueur. On a installés
dans nos ''piaules'' des poêles récupérés
dans des habitations abandonnées et ils ne sont pas de trop,tout
les jours en nous levant nous sommes blanc de givre.
Aujourd'hui les avions sont venus nous voir mais la DCA s'est chargé
de les faire filer.
Avec ce froid on fait peu de lessive, car il faut faire sécher
notre ''lavée'' au tour du poêle et il n'y a pas de place
pour tout le monde. Je pense aller en perm pour Noël ou le jour
de l'an mais rien de certain.’’
Le
25 novembre 1939
''Ce
matin il faisait -15 °c,même en travaillant dur on avait peine
à se réchauffer. Le soir on trouve la paille de la ''piaule''
glacée.
Le pull envoyé dans le colis ainsi que passe montagne et gants
sont les bien venus. Certains dans les granges n'ont pas de chauffage
et je t'assure qu'ils n'ont pas chaud.
Je vais être de garde aussi en temps que chef de poste je suis
à l'intérieur, mais les sentinelles dehors ne sont pas
à la fête, même en faisant les cent pas, tout cela
pour garder le PC du Colonel. Enfin espérons que nos misères
ne seront pas plus graves que de monter la garde dans le froid !!! Vivement
que tout cela soit fini.''
Le
26 novembre 1939
''Cette
nuit nous venons d'avoir les premiers flocons de neige, et le froid
est un peu moins vif.
Je te fais passer une feuille à faire signer au maire et à
renvoyer au Colonel, c'est une demande pour faire avancer ma perm afin
que je puisse aller faire un peu de bois pour ma Mère avant le
grand hiver.
Eh bien pour ma garde, j'ai été servi ! Le poste n'avait
pas de chauffage, ni tenant, plus je suis allé me réchauffer
au cuisine. Je ne sentais plus mes pieds, j'ai du les mettre dans le
four pour retrouver mes sensations.
Ce matin j’ai 5 lettres et 2 colis …ça me réchauffe
le cœur.’’
Le
27 novembre 1939
''Aujourd'hui
nous transportons à l'aide de nos mulets les arbres coupés.
Le temps s'est radouci j'ai peur que la pluie arrive. Enfin on prend
le temps comme il vient, que peut on faire d'autre ?
Cette nuit bonne récupération pour compenser ma nuit de
garde catastrophique d'hier. Les conscrits de Bizonnes vont partir,
dommage que je ne puisse pas aller leur faire l'instruction, car au
début ils n'iront pas très loin. Cette nuit un de nos
lieutenants est mort à l'hôpital d'une péritonite,
il était Papa d'une fillette de 4 mois. Etre à la guerre
et mourir aussi bêtement de maladie c'est un cruel destin, mais
c'est la vie.
Beaucoup de Sergents partent aux avant postes, comme je n'y vais pas
ainsi que 3 collègue nous allons être un jour de garde
puis un jour de service, c'est tout de même mieux que de monter
en ligne. Le poste de garde est maintenant chauffé.
Le secteur est encore plus calme qu'avant, on entend que très
rarement le canon et on peut dormir en paix, le temps s'est remis au
beau mais il ne fait toujours pas trés chaud.''
Le
30 novembre 1939
'’Ce
jour, j'ai le cafard à force de ne voir que des ''troufions''
avec cela comme je le prévoyais un temps épouvantable,pluie
sans discontinuer depuis le 28. On a de la boue jusqu'aux oreilles,
paille humide pour se coucher cela nous fait encore plus languir la
vie civile. Avec ce temps le secteur reste calme les ''boches '' comme
nous doivent se tenir à l'abri !!
Nous devrions descendre au repos vers le 6/12, je languis me tirer de
là pour une permission.
Malgré ce mauvais temps nous avons eu la visite d'un Général,
les ''huiles'' nous aiment bien car elles viennent souvent nous voir.
Le général est venu inspecter notre travail, il était
très satisfait tant mieux...autrement cela aurait été
pareil !!!!
Tu peux laisser venir le journal de chez nous car maintenant cela est
autorisé.''
Vendredi
1er décembre 1939
''Le
temps s'est remis au beau avec lui l'activité reprend et le secteur
redevient bruyant, hier le canon a recommencé à se faire
entendre,mais cette fois ce n'était pas de la rigolade mais du
sérieux. On a guère dormi de la nuit car les vitres tremblaient
à tout casser. Enfin on a rien eu pour nous.
Pour les permissions je ne risque pas de t'avertir de ma venue, les
permissionnaires sont avertis la veille.''
Le
2 décembre 1939
''Le
temps est acceptable, il pleut de temps en temps mais pour le moment
il ne fait pas très froid.
Ne t'occupe pas de ce que disent les journaux, ici ça ne barde
pas trop et les nuits comme hier sont tout de même rares.
Tu
me demandes si je vais à la messe. Il n'y en a pas souvent et
elles se font en plein air, alors d'où qu'on soit on y assiste
car elles se font près du bois, il n'y a seulement 4 maisons
au tour du cantonnement. Puis comme on a que le dimanche pour faire
notre lessive, entre ça et le service à assurer, le temps
manque. C'est aussi le jour où l'on fait un peu de toilette ,
en particulier le rasage.
Aujourd'hui,
j'ai voulu prendre mon pull Militaire dans mon paquetage, je l'ai trouvé
mangé par les rats. Il faut que j'aille en récupérer
un autre car c'est le pull réglementaire qui doit être
sur les pulls civils."
Dimanche
3 décembre 1939
’’Journée
de repos, donc lessive, je ne sais pas si les chemises seront bien propres
lavées à l'eau froide, enfin tant pis ''à la Guerre
comme à la Guerre'' c'est vraiment le cas de le dire en ces lieux
!!!
Cet après midi je suis allé voir jouer au foot notre équipe
contre celle du 4 éme Génie. On a gagné 7 buts
à 2, je n'ai pas joué ça ne me disait rien aujourd'hui.
Ce matin avant d'aller à la lessive avec trois copains sergents
comme moi, nous sommes allés à la chasse. On a tué
un beau chevreuil, demain, avec le cuistot on va lui rendre le Honneurs!!!!
Le lieutenant nous a donné 100Fr pour acheter du vin et tout
ce qu'il faut pour le faire cuire. Nous lui avons donné un morceau
comme de juste.
On est toujours dans un secteur calme, pour jouer au foot ou aller à
la chasse à 4 Km des boches il faut que se soit calme, non ?
Ne te fait donc pas de soucis.
J'ai reçu des nouvelles de Jallut, il ne va pas trop mal et son
secteur est calme aussi. On se demande ce que l'on fait là en
face les uns des autres à s'envoyer de temps en temps un obus
? On serait aussi bien les uns comme les autres chez nous au prés
de nos femmes et de nos enfants.
Ceux qui font la Guerre ne pensent sûrement pas pareil !!!''
Le
mardi 5 décembre 1939
''Hier
on a mangé le chevreuil et nous nous sommes bien régalés
ça changeait des patates et des fayots qui commence à
nous ''raser'';
Les sous officiers du régiment qui va nous relever sont venus
reconnaître les lieux et les différents emplacements,aussi
allons nous pas tarder de descendre au repos,ou que l'on aille ça
nous changera un peu de ce bled et cela nous fera le plus grand bien.
J'ai reçu ce jour 3 lettres et le journal de notre région,cela
fait très plaisir.
Le repos approche il parait qu'on descendrait de 150 km vers St Dié,
ce qui est moins intéressant c'est qu'il faudra les faire à
pieds,à moins d'un contre ordre ce qui arrive souvent !!
Une bonne nouvelle nous avons eu une augmentation de solde, le soldat
0,75 Fr. par jour au lieu de 0,50 et nous les sous off 2,75 Fr. à
la place des 1,95 tu parles d'un cadeau. Cela fera tout de même
à la fin de la quinzaine 41,25 Fr. Je vais pouvoir faire des
économies et prendre un livret à la caisse d'épargne
!!!
Dis à mon frère que je vais essayer de lui avoir du tabac
pour ma prochaine perme.''
Le
6 décembre 1939
''Ne
te fait pas de soucis pour moi, je n'ai pas froid, bien roulé
dans ma toile de tente avec deux couvertures, mon cache-nez, mon passe
montagne, je ne crains rien il ne me manque que toi et mon fils.
Avec le temps qui radoucit on ne s'en fait pas, et on a toujours espoir
que cette guerre finira vite, les espérances que tout soit fini
à la Noël ne se réaliseront certainement pas...sauf
un gros miracle. Si tu ne reçois pas de lettre durant quelques
jours c'est que nous serons en marche pour le repos.''
Le
8 décembre 1939
''On
devrait partir dans la nuit de dimanche pour le repos, on ne sait évidemment
pas où tant que nous ne serons pas arrivés.
Hier au soir ça faisait vilain ici, l'artillerie Française
s'est fâchée et il y a eu un bombardement terrible pour
détruire des travaux que les boches avaient faits. Il parait
que les tirs ont été une réussite totale. Les patrouilles
de reconnaissance avaient fait un relevé détaillé
des objectifs pour les artilleurs. Aujourd'hui par contre on est resté
sans lumière de la soirée pour ne pas se faire repérer,
aussi à 7h tout le monde était couché. Les beaux
jours que nous avons en ce moment sont parait-il rares pour l'époque.''
Le
samedi 9 décembre 1939
''Aujourd'hui ,c'était notre dernier jour de travail aussi
on en a fait guère. On doit partir lundi matin on ne sait pas
encore où? Je crois que pour le moment ce ne sera qu'à
25 Km, pour après je ne sais rien. J'espère que le temps
restera beau pour notre départ.
Ce
jour ce sont les Chasseurs du 13ème 67ème et 93ème
qui montaient faire la relève. Je n'ai vu personne de connu dans
tous ceux que j'ai vu passer.''
Le
12 décembre 1939
''Voilà,
nous nous sommes tapé hier 25Km à pieds. Nous sommes revenus
dans le pays où nous étions avant* et ou les gens sont
si gentils avec nous. Nous sommes toujours en Alsace. On est pas aussi
bien qu'avant mais moi j'ai déniché une chambre chez des
paysans qui sont très gentils et je reste au tour du poêle
à manger des pommes et boire de la bière en discutant
avec eux, les pauvres sont aux premières loges bien qu'on ne
les ai pas évacués.
J'ai vu Claude Paillet, il est dans le même patelin que moi, il
me dit en avoir bavé en ligne, avec tout les jours de la boue
jusqu'aux oreilles, j'ai failli ne pas le reconnaître car il a
la barbe on dirait un ours, mais tu sais les gars des bataillons qui
sont au front n'ont pas le temps de se raser.
Je
me rends compte combien dans mon malheur j'ai tout de même de
la chance.
Les paysans, mes logeurs m'ont donné un édredon et j'ai
très chaud la nuit . Demain nous défilons en ville pour
la remise de décorations à quelques soldats qui étaient
en ligne.''
*Gundershoffen
Le
14 décembre 1939
''Il
ne fait pas très chaud pour le moment mais comme j'ai un bon
lit cela peut aller.
Les gens chez qui je loge sont très gentils et me traitent comme
si j'étais leur fils. Hier comme il faisait un peu plus froid
la patronne m'avait mis une bouillotte dans mon lit. Je n'ai surtout
plus besoin de faire ma lessive, la Dame me lave pour pas cher, et c'est
surtout plus propre que ce que j'obtenais à l'eau froide !!
A par cela ici on peut à peine se faire comprendre les boches
se débrouilleraient mieux que nous. Les gens d'ici ont tellement
été ballottés d'un état à un autre
qu'ils ont pratiquement la double nationalité, pour la langue
il sont plus Allemands que Français, par contre pour le coeur
il n'y a pas de doute ils sont vraiment FRANCAIS.
Ici le vaguemestre ne vient pas chaque jour, c'est un peu le ''bordel'',
pour le courrier.
Aprés la prise d'armes j'ai trouvé Broquis du Grand- lemps
on a parlé un peu du pays et des connaissances communes suite
au foot-ball. Le mari de l'institutrice serait aussi dans les parages,
il y a vraiment beaucoup de monde de la région regroupé
sur cette frontière.''
Le
16 décembre 1939
''Les
deux sergents qui sont avec moi sont en perme, aussi je suis obligé,
étant tout seul de courir d'un côté et de l'autre.
Nous allons être vaccinés, mais je ne m'en fais pas car
les piqûres ne me font jamais malade ce n'est pas le cas pour
tout le monde et certains sont malades avant.
Hier les logeurs m'ont invité à manger un gâteau
Alsacien avec eux, c'est sympa de leur part. Aujourd'hui la femme m'a
lavé mon linge elle n'a pas voulu que je la paie, rassure toi
ce ne sera pas fait en nature...Elle pourrait être ma grand Mère
!!!!!
Les sergents de ma section qui sont en perme reviennent le 22 ou 23,
alors peut être qu'après ce sera mon tour, je languis de
plus en plus de vous deux.''
Le
17 décembre 1939
''Hier
il faisait froid, puis le redoux est arrivé subitement et cette
nuit il a neigé.
Aujourd'hui je suis allé au village voisin voir un copain de
Longechenal, j'ai mangé avec lui, puis on est allés dire
bonjour à son frère qui cantonne au patelin d'à
côté.
Je suis tombé sur Chaffard, tu sais celui qu'on appelle ''Le
diable'', il a avec lui plein de gars des villages proches du nôtre,
tu parles d'une chance qu'ils ont, le cafard est plus facile à
combattre avec plusieurs copains de chez soi, on peut partager peines
et bons souvenirs.''
Le
18 décembre 1939
''Nous
allons aménager un champ de tir, même au repos il faut
travailler un peu, cela chasse l'ennui et les journées sont moins
longues. Si on ne fait rien on se sent inutile et on préfèrerait
être au prés des nôtres et c'est à ce moment
là que le cafard est le plus fort.
Par contre à notre popote tout va bien, on mange bien, on a la
radio pour écouter les info et constater aussi qu'il ne faut
pas croire tout ce qui se raconte, surtout sur Stuttgar.
Je dois aller faire un stage de 8 jours comme spécialiste pontonnier,
mais je ne sais pas où j'espère avoir ma perme tout de
suite après, depuis le temps que je l'attends !!
Soignez vous bien et ne vous faites pas de soucis pour moi.''
Le
19 décembre 1939
''Ce
matin je suis allé me promener pour chercher un terrain convenable
pour installer un champ de tir, on en a trouvé un et on va commencer
le travail d'aménagement dans les prochains jours.
En chemin on a encore vu trois biches, un coq de bruyère, et
deux lièvres , il est certain que si on habitait là je
prendrais mon permis de chasse car c'est très giboyeux ici. Je
vais aller en stage dans la région de Saverne
La demande que tu as envoyée au colonel est arrivée chez
mon lieutenant qui m'a dit que j'aurais du lui en parler, il m'aurait
fait partir avant en perme. J'aurai ma perme après mon stage
alors que j'étais prévu seulement à la mi-février.''
Le
21 décembre 1939
''Je
vais rester en stage jusqu'au 29 décembre. Demain je suis de
service c'est moi qui vais distribuer le courrier, j'aurais donc mes
lettres en premier. Ici les gens du coin sont toujours trés gentils
avec nous, mais cela ne remplace pas nos familles que nous languissons
tous de plus en plus.
Je reçois le journal satirique de Lyon,''Guignol'' envoyé
par ta soeur Aimée, ça faire rire tous les copains.
Depuis que j'attends cette permission j'ai de plus en plus le cafard.''
Le
22 décembre 1939
''Je
suis parti ce matin à 10h de mon cantonnement et à 3H
de l'après midi j'étais arrivé. Moitié du
trajet en voiture le reste en train.
En arrivant nous sommes allés en reconnaissance au pays, ce n'est
pas mal et les gens parlent surtout mieux le Français que là
haut ou nous sommes au repos !!!
On couche dans une caserne, bien au chaud dans de bons lits. Demain
commencent les cours qui pour le début seront que de la théorie.
Avant de partir le Lieutenant m'a dit qu'il s'occuperait de ma perme.
J'ai dit aussi aux gens chez qui je logeais de bien me garder mon lit.''
Le 23 décembre 1939
''C'est un lieutenant qui nous fait les cours ça va bien
c'est intéressant, aujourd'hui on nous a appris à faire
des ponts sur une rivière avec pas grand chose, et à la
traverser. Cet après midi on a bien rigolé en se promenant
sur l'eau avec des radeaux fabriqués avec des sacs bourrés
de paille.
La
''bouffe'' est moins bonne que celle de notre cantonnement d'Alsace.
Ici
nous ne recevons pas de courrier, la Cie ne le faisant pas suivre pour
quelques jours, car il risquerait mieux de se perdre que d'arriver.
Il y en aura plus au retour !!!
J'ai
vu ici des soldats anglais, les premiers que je vois ils ne sont pas
nombreux et ne risquent pas de boucher les entrées !!
Je
suis allé au cinéma ça change les idées.''
Nota:
Stage ayant lieu à la ''Petite Suisse'',Ville de Wangenbourg-Engenthal.
C'est ici que de Sept 1939 à mai 1940 séjourna le colonel
de Gaulle. C'était le siége du QG de la 5ème Armée
du Gal Bourret.
Le
25 décembre 1939
''Jour
PARTICULIER pour moi : mon premier Noël à la guerre, je
n'avais jamais envisagé que cela puisse m'arriver un jour. C'est
vraiment une journée de cafard même si l'armée fait
tout pour nous rendre la séparation d'avec les nôtres moins
pesante.
Hier
au soir il y avait une petite séance récréative
donnée par les soldats à la caserne. Cela nous a diverti
un peu on s'est couché à 11h, c'était la veillée
de NOÊL loin de vous, elle n'a pas du être très gai
pour vous aussi.
Aujourd'hui
levé à 9h, Je suis allé me faire raser en ville,
et oui les coiffeurs sont ouverts même les dimanches et jour de
fête il faut profiter de la présence des soldats pour faire
un peu d'argent, ils ne savent pas le temps que cela peut durer !!!
j'ai
acheté le journal que j'ai lu dans la ''piaule''.
A midi on a eu un petit banquet de Noël : un gros morceau de jambon,
salade, rôti, petits pois, biscuits, confiture, cigare,et une
bouteille de champagne pour trois.
Tout
cela était très bien cuisiné on s'en contenterait
bien chaque jour. On sentait dans ce repas qu'un effort était
fait pour nous être agréable.
Il
se murmure que nous les sergents nous allons être payés
comme les sous officiers de carrière, 800 à 900Fr par
mois. mais tu sais il se murmure tellement de choses pour entretenir
le moral qu'il ne faut pas tout croire, attendons on verra bien...la
guerre devait finir à Noël ???''
Le
26 décembre 1939
''Mon
mal de dents dont je ne t'avais pas parlé s'est un avancé
aujourd'hui aussi je suis subitement trés enflé et je
ne suis pas allé au boulot ce matin car je rends visite à
l'infirmerie.
Je ne manque pas grand chose car se sera des révisions sur des
notions de menuiserie alors comme c'est mon métier mon absence
ne m'handicapera pas.''
Le
27 décembre 1939
''J'ai
repris le travail et je suis un peu moins enflé les cachets du
toubib sont vraiment trés efficaces, ce doit être des remèdes
pour les chevaux !!! Je t'assure que de construire des ponts sur la
rivière en ce moment ce n'est pas de la tarte, il ne fait pas
chaud et le brouillard ne se lève qu'en fin de matinée.
C'est
pas un temps pour le mal de dents, mais tu sais les épreuves
pratiques sont les plus importantes et je ne voulais pas les manquer,
c'est là qu'on apprend tous les coups de mains à avoir
et toutes les astuces à connaître.
Hier
au soir nous sommes allés au théâtre, il y avait
une séance réservée aux soldats, toutes les vedettes
du moment de Paris et Lyon étaient
là, je t'assure que nous avons eu un très beau spectacle
dommage que ça n'arrive pas plus souvent.
Tu me donnera des nouvelles de mon Fox j'espère qu'il n'est pas
jaloux de notre fils?''
Nota:
Spectacle à Saverne
Le
28 décembre 1939
Je t'envoie qu'une carte car le stage est fini il faut tout ranger et
préparer notre départ et on a beaucoup de boulot.
Heureusement que le stage est fini car il y a tombé un paquet
de neige cette nuit.''
Le
29 décembre 1939
‘’Quelle
chance en rentrant de stage un colis de Noêl et 8 lettres.
J'ai
eu la chance de trouver Maurice Lescure et le ''Gonne'', j'ai couché
8 jours dans la même caserne et je les ai vus seulement la veille
de mon départ. c'est vraiment dommage, ils m'ont donné
des nouvelles de toi et de mon Roger, car ils arrivaient tous les deux
de permission au pays. Tu as du les voir. On a bu un coup ensemble,
parlé un peu du pays avant de se séparer.
En
arrivant à mon cantonnement le clairon sonnait le feu aussi nous
sommes allés faire les pompiers pour des maisons qui brûlaient.
Deux bâtisses ont complètement brûlées.’’
Le
30 décembre 1939
"Ici
toujours froid et verglas,ce matin le thermomètre indiquait -20
.
Hier je suis resté de garde vers les maisons qui ont brûlé,
nous avons encore pompé toute la nuit pour finir d'éteindre,
mais l'eau manquait du fait du gel, je te prie de croire que nous nous
sommes bien gelés. Pour compenser nous allons rester au chaud
aujourd'hui, hélas les deux bistrots sont consignés 2
jours suite à des bagarres entre soldats.
On
a retrouvé une nourriture meilleure que celle servie pendant
le stage et tu sais combien la ''bouffe'' et le courrier sont important
pour notre moral.''
Le
1er janvier 1940
''Eh
oui voilà une nouvelle année de guerre qui commence on
ne peu plus espérer quoique se soit, ni croire qui que se soit,
tout devait être fini à Noël et après Noël
je vais passer le jour de l'an aussi ici. Je sais bien que ce n'est
pas plus gai pour vous, mais je comptais bien vous faire la surprise
d'être avec vous j'avais espéré que mon lieutenant
m'aurait fait ce plaisir. Je suis en rage.
Ici
les coutumes sont bizarres, toute la soirée les jeunes filles
chantent dans les rues devant les maisons des gens malades, puis à
minuit avec les garçons ils vont sonner les cloches. J'ai tout
de même réussi à m'endormir et ce matin je me suis
levé à 10H.
A midi comme pour Noël nous avons eu droit à un menu amélioré
:
Jambon, choucroute garnie, pommes de terre au jus, lapin,gâteau
de foie, biscuits, vin vieux, mousseux, cigare, café.
L'attente de ma perme commence sérieusement à m'énerver
mais hélas je ne peux rien faire d'autre que d'attendre.''
Les
3, 4, 5 janvier 1940
''Je
suis toujours chez les mêmes gens et j'ai tout les soirs une brique
chaude dans mon lit. Ils sont vraiment très gentils avec moi.
Hier
le colonel m'a fait appeler dans son bureau, il m'a serré la
main, m'a fait asseoir et m'a donné 300 Fr. pour t'aider à
vivre. Sans doute la lettre que tu lui avais envoyée pour demander
une permission pour que j'aille faire du bois avant l'hiver y est -elle
pour quelque chose. Je te porterais cela pour ma perme qui peut être
n'est pas loin !!!
Monsieur
Giroud mon ancien patron m'a fait parvenir un gros colis.
Ce
matin je surveillais la corvée, nous avons eu du travail, il
a fallu casser la glace qui était sur la route pour que les voitures
et les camions puissent passer à peu près normalement.
Il
fait toujours très froid, mais le canon ne tonne plus la nuit,
on peut dormir à peu près tranquille.
Tous les jours maintenant, avec mon équipe nous sommes chargés
de faire les cantonniers et d'aménager la route en enlevant la
glace, ça occupe et ça réchauffe au moins.''
Permission
du 6 au 21 Janvier 1940
Le
22 janvier 1940
"Me
voila de retour à mon cantonnement, ces 15 jours passés
parmi vous ont été des jours de bonheur encore plus merveilleux
que prévu, sans doute parce que attendus depuis si longtemps.
Le temps s'est remis au beau, et la perme plus le beau temps il n'en
faut pas plus pour avoir le moral lui aussi au beau.
Il gèle toujours la nuit mais il fait bon le jour. Maintenant
je fais équipe avec un autre sous-off, j'ai donc ainsi tous les
jours ma demi-journée. Par ce beau temps les avions boches sont
de nouveau de sortie et viennent nous rendre visite de temps en temps.
Il y avait longtemps que cela n'était pas arrivé, pour
le moment ils ne nous lancent rien sur la figure, c'est l'essentiel.''
Le
jeudi 25 janvier 1940
''Je
ne t'ai pas écrit avant car nous étions en mouvement pour
changer de cantonnement. Le régiment s'est déplacé
et nous avons couché en cours de route dans des lits bien chauffés.
Je suis toujours en très bonne santé
mon rhume va bien
mieux j'espère que le tien,
aussi soignes toi
bien ( les lettres soulignées
donnent BANNSTEIN)
Le régiment remonte en ligne mais pas pour longtemps je crois.
Après nous devons descendre en grand repos (régiment en
réserve).
On retournera sans doute à l'endroit ou on a coupé 500
arbres là nous étions très bien.
Je te dirais comment je suis logé ici'."
**Code
mis au point durant la dernière permission
NB : les
lettres mises en rouge étaient à l'origine simplement
soulignées d'un minuscule trait, presque un point, car en couleur
la censure n'aurait pas laissé passer le courrier. Beaucoup des
dernières lettres faites sur le terrain sont écrites au
crayon.
Le
26 janvier 1940
''J'ai
trouvé une ''piaule'' chauffée, ça va mieux. On
dormait jusqu'à présent sur la paille et avec ce temps
il ne faisait pas trop bon la nuit.
Le Capitaine m'a fait appeler et m'a donné 100 Fr offert par
le foyer du soldat aux jeunes pères de famille qui ont été
appelés sans avoir eu de permission de naissance. Je te les envoie
tu en auras plus besoin que moi.
Le temps radoucit mais nous avons toujours autant de neige.''
Le
28 janvier 1940
''J'ai
changé de pays pour quelque temps. On a été détachés
pour aller faire un petit boulot à 25 Km au sud de Saint AVOLD,
on construit un abri. On est en subsistance à la Compagnie d'engins
du 3ème bataillon, on est super bien. Nous sommes deux sergents
et nous mangeons au mess avec les autres sous officiers et officiers
de la Compagnie. Nous sommes très bien soignés.
A
la Cie d'engins ils ont deux vaches et tous les matins nous avons café
au lait !!!
Nous avons aussi un poste de radio nous permettant d'avoir des nouvelles
d'un peu partout, même si certaines doivent être prises
avec de la réserve car si les journalistes remplissent du papier,
les speaker de radio parlent eux beaucoup souvent pour dire n'importe
quoi !!!
A la fin des repas toujours copieux nous avons café et rhum.
L'ordinaire n'est vraiment pas de partout pareil, pourtant nous faisons
tous partie de l'armée Française !!
Nous
avons touché de grandes bottes pour avoir les pieds au sec dans
la neige. Pour ne pas avoir froid on met de la paille dedans, c'est
très efficace.
Aujourd'hui comme il fait trop mauvais nous n'avons pas de travail dehors,
comme je m'ennuyais à l'intérieur, j'ai fait un sommier
et une table pour le Capitaine.
Avec
ce temps je ne sais pas à quel moment nous aurons fini notre
travail et combien de jours nous allons rester, enfin ce n'est pas grave
car nous sommes je te le redis très, très bien.''
Le
30 janvier 1940
''Depuis
plusieurs jours nous n'avons pas de courrier le train postal est tombé
en panne et comme il y a des choses plus importantes à faire
que de le dépanner, il attendra.Nous espérons que cela
ne durera pas trop longtemps car le courrier est le cordon ombilical
qui nous relie à vous et qui nous donne le courage. En ce moment
nous nous fatiguons de ne pas faire grand chose et nous restons auprés
du feu à jouer à la belotte et aux dames.
Hier un bonhomme est venu nous jouer un air d'accordéon, ça
distrait mais ça ne vaut pas la vie civile !!!
Envoie moi une ampoule et une pile pour ma lampe de poche ici on ne
peut plus en trouver."
Le
31 janvier 1940
"En
ce moment mon travail consiste à faire des sommiers, tour en
bois et fond en grillage pour tenir le matelas.
On fait aussi des tables et des bancs pour aménager un foyer
du soldat. Nous les menuisiers nous sommes à notre affaire. On
est tout de même mieux à manier le rabot que dehors dans
la neige, puis en exerçant notre métier on se sent moins
à la guerre, moins inutile.''
Le
1er février 1940
''J'ai
vu BLANC hier il revenait de permission de chez nous et m'a donné
des nouvelles fraiches du pays.
Nous
sommes toujours détachés à la compagnie d'engins,on
est très bien et on ne prend ni garde ni service ce qui est agréable
avec ce temps et j'accepterais bien de rester là si c'était
toute la guerre comme cela.
Bonne
popote et chambre chaude il faut se contenter de ça d'autres
dans les bataillons, comme Claude Paillet voudraient bien être
à ma place, enfin on ne sait pas de quoi seront faits les jours
futurs, alors profitons de ceux du moment.
Ce
matin je suis allé en volontaire avec un lieutenant faire une
tournée d'inspection aux avants postes.
J'ai vu toutes les casemates qui servent à défendre la
frontière, nous étions à 200 mètres de la
frontière allemande
Il y a 3 jours il y avait eu un combat de patrouille, 2 boches ont été
tués, il y avait encore du sang dans la neige.''
Le
5 février 1940
''Il
se dit que nous allons aller au repos vers la Savoie, mais tu sais il
se dit tellement de choses incontrôlables ici. Les ''racontars''
de tous ordres font vivre d'espoirs certains, et chacun malgré
lui, se fait son cinéma et finit par croire ce qu'on lui dit.
Enfin on verra lorsque la destination sera connue. L'est-elle déjà
seulement ?
La
neige fond et maintenant nous avons la ''gabouille'' mais cela ne durera
pas et tout s'écoulera vite avec le temps est au redoux, heureusement
qu'on a nos bottes !!!!!
Pour
le moment nous sommes entrain de construire des WC pour les officiers,
aussi nous sommes après fabriquer un établi pour pouvoir
travailler dans de bonnes conditions. maintenant qu'on nous a acheté
du bon matériel, rabots, ciseaux à bois, vilebrequins.
On ne peut pas utiliser ce matériel sans un établi de
menuisier.
Il
aurait fallu acheter cette outil indispensable en premier, aurait -il
fallu encore qu'on nous demande notre avis, à nous menuisiers
de métier !!!
Enfin nous savons faire et c'est avec plaisir que nous le construisons.
Le ''Petit Parisien'' nous a envoyé des livres, des jeux de cartes,
des jeux de domino etc.. je leur avais écrit et ils m'ont répondu,
je vais les remercier.
Tu me dis qu'il y a des aviateurs japonais au camp de Chambarran. Tu
te trompes sûrement, ce sont des aviateurs Polonais car je sais
qu'ils viennent avec nous pour nous aider. Tant mieux car je suis presque
certain que dans quelques temps l'aviation va jouer un grand rôle.''
Les
9/10/11 février 1940
''Dès
la fin du mauvais temps on doit creuser un abri pour le bureau du Capitaine.
Mon patron m'a encore envoyé un mandat de 50 Fr. Je ne sais pas
si nous allons descendre au repos, les Chasseurs qui sont avec nous
doivent descendre aux environs de Chambéry mais n'y resteraient
pas ils devraient partir soit pour la Finlande, soit pour la Turquie,
ce n'est pas dans le même coin !!! Ces informations sont elles
fiables ??
Ici
on ne peut rien savoir d'exact, si c'est pour partir si loin il vaut
mieux encore rester ici.
Je
te fais passer par Claude Paillet qui va en permission, 100 Fr et 4
paquets de tabac pour mon frère , ça lui économisera
18 Fr. Je n'en ai pas plus car tu diras à Tonin que moi aussi
je fume !!!
J'ai reçu un colis de la tante, un cake, 3 boites de crème
de gruyère, un gros saucisson, 2 tablettes de chocolat et un
paquet de bonbons pour le rhume.
(pendant
la guerre ces colis aux soldats amenaient beaucoup de joie dès
leur réception, ils demandaient souvent à ceux qui les
envoyaient, beaucoup de privations car certaines denrées n’étaient
pas facile à trouver en temps de guerre)
Nous
allons recevoir le renfort de 10 pionniers pour nous aider à
faire notre travail qui a pris du retard faute au mauvais temps. Ils
viennent du 400 RP qui est dans la région.''
Le
13 février 1940
''Le
bois que nous mettons de côté lorsque nous abattons des
arbres pour construire les abris nous sert bien pour alimenter nos poêles,
il est vert mais une fois le feu en route avec la résine ça
brûle bien. On a bien fait d'être prévoyant.
En ce moment on travaille 3 heures le matin et 3 heures l'après
midi."
Le
14 février1940
''C'est
la Saint Valentin aujourd'hui, je pense à nous !!!
Le froid est revenu et notre premier travail lorsque nous sommes dehors
et d'allumer un grand feu, tu peux me croire on est souvent devant.
Je
suis très heureux d'apprendre que la demande de subvention pour
ma Mère suite à mon départ à la guerre,
a été acceptée car ces 5OOFr lui rendront bien
service.
Je suis libre tous les après midi , un autre sergent assure la
surveillance avec moi, nous nous sommes partagés la journée,
moi le matin, lui le soir.
Aujourd'hui
la neige a refait sérieusement son retour, 20 cm ce matin au
réveil.
Tu diras gentiment à ceux qui m'envoient des colis de ne pas
me mettre des tomes, tu sais que je ne mange comme fromage que les crèmes
de gruyère. Remarque les copains eux se régalent.
Je crois que nous allons nous enraciner ici, plus personne ne parle
de retour en arrière.''
Le
18 février 1940
''Un
copain de Chabons est venu me voir hier pour me parler d'une prime à
la natalité de 2000 Fr. Il faut faire la demande en mairie. Il
est dans le même cas que nous on devraient y avoir droit.
IL faut que tu demandes les imprimés en mairie et que tu déposes
une demande de prime , s'il y a besoin de certificats militaires dis
le moi je te les enverrais.
Avec
ce temps je ne peux pas profiter de mon temps libre les après
midi pour aller voir les copains qui sont dans d'autres sections, aussi
j'en profite pour écrire, remercier ceux qui m'envoie des colis,
répondre à ceux qui m'écrivent, je n'ai jamais
fait autant de correspondance que depuis que je suis à la guerre.
Les lettres appellent des réponses et ceux qui écrivent
peu reçoivent peu de courrier aussi.''
Le
23 février 1940
''Le
beau temps est revenu , il gèle toujours la nuit mais il fait
un grand soleil le jour et nous pouvons en mettre un coup lorsque nous
sommes dehors.
Le temps nous dure moins en travaillant qu'en restant cloîtrés
à l'intérieur.
Les copains Chasseurs embarquent demain, Finlande et Syrie je crois.''
Le
26 février 1940
''Aujourd'hui
nous avons eu la piqûre, j'ai le bras un peu raide mais c'est
question d'une journée. On reste donc au chaud et au repos.
Le beau temps semble définitivement revenu et tous les après
midi sont très beaux.
Les permissions elles aussi commencent à revenir et tombent régulièrement.
Alors peut être à bientôt...
J'ai
écrit à une annonce d'un journal qui envoie des postes
de radio aux soldats qui sont au front, on ne sait jamais !!!!
Pour
ce qui est de la permission agricole n'y comptez pas trop, il s'en donne
uniquement à ceux dont le régiment est au repos et pas
du tout pour les régiments qui sont au front."
Le
1er mars 1940
''La
maison Giroud n'arrête pas de m'envoyer des colis ou de l'argent,
ils sont vraiment de bons patrons. Aujourd'hui le colis contenait :3
tablettes de chocolat, 2 paquets de biscuits, 2 saucissons, 2 boites
de conserve et un bloc de papier à lettre.
Demain je suis de garde mais comme c'est un jour de repos il n'y a pas
grand chose à faire. J'ai deux soldats de garde aux avant postes
et je dois leur rendre visite quatre fois par jour pour faire la relève.
Pour les jours de perme supplémentaires pour la naissance de
Roger il ne faut plus compter dessus, ils sont donnés à
ceux qui ont eu une naissance après le 1er janvier ; tant pis
et dommage !!!.
J'espère aller vous voir courant avril.''
Le
5 mars 1940
''Il
fait toujours très beau et cela nous change des 3 mois de neige
et de froid que nous venons de passer. maintenant que le beau temps
est revenu nous sommes mieux pour faire nos travaux.Nous faisons toujours
nos constructions d'abris et baraques sous les rochers.
Depuis deux trois jours le canon s'est remis à tonner, heureusement
que nous sommes habitués car c'est autre chose que le tonnerre.''
Le
8 mars 1940
''Une
bonne nouvelle les sergents nous allons toucher 8 Fr par jour soit 240
FR** par mois, je vais pouvoir t'envoyer un peu d'argent car ici on
dépense peu. Heureusement qu'il y a toujours des ''rigolos''
dans l'équipe pour nous distraire, c'est un peu notre théâtre
aux armées !!
Le
beau temps revenu c'est même agréable les après-midi
d'aller couper des arbres pour nos constructions.''
**240
Fr 1940=82,68€ base 2004
Le
13 mars 1940
''Nous
venons de toucher du matériel de mineurs, une tariére
avec un moteur puissant pour percer les trous dans le rocher pour mettre
les pains de dynamite que l'on fait sauter pour briser la roche. On
avance beaucoup maintenant, avant on faisait les puits à la main.
Je suis chargé des mises à feu des charges posées
dans les rochers. Ce n'est pas trop dangereux mais il faut respecter
un certain nombres de consignes de sécurité. Ce serait
idiot de se faire tuer en travaillant.
Hier nous avons eu une véritable tornade avec arbres arrachés
et cheminées mises à terre.''
Le
15 mars 1940
''Il
pleut à torrent et je viens d'aller faire sauter les charges
de dynamite posées hier après midi avant quelles ne soient
mouillées, par contre moi je n'ai pas sauté mais je suis
trempé jusqu'aux os !!!
maintenant les jours de beau temps nous avons de nouveau la visite des
avions et nous avons droit à de beaux combats d'avions.
Je ne vais pas aller en permission pour le moment car je suis seul comme
sergent à la base, un est en ''perm'', l'autre part demain, aussi
je vais être seul et je ne pourrais plus faire équipe,
dommage car j'avais pris goût à être de repos les
après midi Je serais toute la journée de service.
Je pense bien qu'à leur retour ce sera mon tour de partir.''
17
mars 1940
''Toujours
beau temps et toujours des combats d'avions, ceci ne nous a pas empêché
de faire un match de foot contre l'équipe d'un régiment
d'artilleurs. Nous avons gagné 1à 0 je faisais l'arbitre
car personne ne voulait se dévouer...pour se faire ''engueuler''.
On parle de relève pour la fin du mois.''
Le
20 mars 1940
''Le
temps est moins calme, le canon tonne de plus en plus souvent et les
combats d'avions maintenant sont devenus réguliers. Les avions
viennent d'ailleurs plus souvent nous voir on dirait que le temps leur
dure de nous.
Il y a d'une manière générale une recrudescence
des actions,artillerie et aviation, je ne sais pas ce que cela veut
dire mais on dirait qu'il se passe quelque chose. Enfin tant que les
''zings'' ne nous envoient rien sur la figure c'est l'essentiel."
Le
21 mars 1940
''J'ai
vu Claude Paillet il était de corvée à côté
d'où l'on loge, il repart en permission dans 8 ou 10 jours. Il
n'y a pas longtemps qu'il y est allé, mais je ne peux pas l'envier
car il est dans les bataillons au front et là ils ne sont bien
comme nous sommes.
On doit partir mardi et se replier et aller au repos du côté
de Saverne. J'espère qu'aprés on descendra plus bas, loin
du front quoique finalement on est pas si mal ici.''
Le
25 mars 1940
''Hier
c'était Pâques, l'aprés midi pour nous distraire
nous avons fait un match de foot contre le Génie et nous les
avons battus 5 buts à 1. On a une très belle équipe
et je me régale de pouvoir pratiquer ce sport que j'aime tant.
Demain on part au repos, et comme j'étais patraque cette semaine
le lieutenant me prend dans sa voiture, je ne ferais donc pas le déplacement
à pieds avec tout le bardas. Je t'assure que ça ne me
gêne pas du tout !!!!
Je ne sais pas encore si nous resterons là où nous allons,
ou si par la suite nous descendrons plus bas.''
Le
26 mars 1940
''Nous sommes dans notre nouveau cantonnement les bataillons sont cantonnés
autour de nous dans les différents villages. Les gens n'ont pas
l'air mauvais mais
là encore on ne se sent
pas en France car c'est un autre parler. Chez
eux on ne sait jamais si l'on dit du bien ou du mal de toi,tu vois simplement
leur mimique et tu te poses chaque fois
des questions.
(lettres
rouges =Printzhein)
J'ai
eu de la chance d'avoir fait le déplacement avec le lieutenant
en voiture, les copains se sont tapés 18 Km avec tout le barda,
avec les poses ils ont mis plus de 16 heures pour faire le trajet.
Aujourd'hui je suis sergent de jour et j'ai beaucoup de travail car
je ne connais pas encore où sont tous les cantonnements qui dépendent
de notre Cie de commandement.
Nous
avons été une nouvelle fois vaccinés. A chaque
changement de cantonnement on prend une nouvelle piqûre, ils prennent
vraiment soin de nous !!!!''
Le
29 mars 1940
''On
s'embête toujours autant, vraiment les cantonnements en repos
provisoire ne sont pas gais.
On ne peut rien organiser du fait que nous n'allons pas rester et que
d'un jour à l'autre nous risquons de lever le camp, ce qui d'ailleurs
serait très bien pour le moral.
Tu sais je te l'ai déjà dit, au front tous les bruits
courent et chacun amène une nouvelle destination future : la
Savoie, l'Isère,Voiron, l'Ain, tu vas voir qu'au lieu de descendre
au Sud on va se retrouver en Bretagne !!!
Pour
nous occuper l'Adjudant vient de nous trouver un ''boulot'', on retape
une maison pour en faire un foyer du soldat.
Je
suis chef d'équipe , si tu voyais comme les maçons, les
menuisiers, les charpentiers s'en donnent à coeur joie de pratiquer
leur métier.
Tout le monde est content de travailler, le canon n'étant plus
là on oublie un peu la guerre , ça occupe et ça
brise l'ennui.''
Le
2 avril 1940
''Hier
1er avril, c'était de circonstance, nous sommes allés
à la pêche dans un étang. Nous avons pris 8 kg de
poissons que nous allons manger ce soir, cela changera un peu de l'ordinaire,
quoique en ce moment à la ''popote'' nous mangeons très
bien.
Cet
après midi nous faisons un match de foot que je dois arbitrer,
j'aurais préféré jouer, mais le Lieutenant dit
que je fais un ''excellent'' arbitre qui connaît bien les règles
et qui sait se faire respecter de tous, alors je ne peux pas lui refuser
ça.
J'ai reçu un nouveau colis d'Eydoche, il était le bien
venu, il y avait plein de bonnes choses que j'aime : saucisson, madeleines,
crèmes de gruyère, 3 tablettes de chocolat.
Les sections et Cies éparpillées se regroupent sur les
bataillons, cela veut peut être dire que le départ vers
l'arrière se précise, on verra bien''.
NB
: ces sections et cies rejoignent Obersoultzbach ou se trouve le 2ème
bataillons (voir carte antérieure)
Le
3 avril 1940
''Quelle
joie après le match d'hier, départ en permission pour
12 jours (3 au 15 avril).''
RETOUR
de PERMISSION
Lundi 15 avril 1940
''Je me croyais rendu ce soir à mon cantonnement mais en
cours de route on vient de nous prévenir que toute la Division
était descendue au repos. On attend un train qui doit nous permettre
de la rejoindre mais on ne sait pas encore où.''
Mardi
16 avril 1940
''Heureusement que j'ai eu ma perme, on est le 16 et je suis encore
dans une gare et je cours toujours après mon régiment
!! Nous n'arrivons pas à savoir où il est, et à
cette vitesse là j'ai bien peur d'être encore dans le train
dans deux jours !!!
Heureusement que nous arrivions de perme avec des victuailles car on
ne nous a rien donné durant tout le trajet.
De savoir que le régiment avait embarqué pour le repos
m'a bien évité le cafard du retour, car j'espère
être plus près de vous.''
Mercredi
17 avril 1940
''J'ai
passé la nuit couché sur une table dans un centre d'accueil
car nous n'avons toujours pas trouvé notre régiment.
Aucune
autorité est capable de nous renseigner, tu parles d'une pagaille!!
On fait tamponner notre perme de partout où l'on passe pour ne
pas être porté déserteur, il manquerait plus que
ça !!''
Le 17 avril 1940 à Midi
''Je continue ma lettre, aux dernières nouvelles le régiment
se trouverait dans le jura à Dôle ou Besançon. On
part dans cette direction, si c'est la bonne on est pas trop loin.''
Le
17 avril 1940 au soir
''Cette fois j'ai retrouvé mes Hommes
après avoir fait au
moins 1200km en train. Enfin
nous voilà au
repos et de gare
en gare nous y sommes tout de même
arrivés.''
Les
lettres en rouge donnent C H A U M E R G Y
Le
18 avril 1940
''Le
pays où nous sommes cantonnés n'a pas l'air mal, cela
me rapproche sérieusement de vous. Les trajets pour les permissions,
s'il y en, a seront moins longs et je gagnerais du temps sur ma perme.
Les
bataillons sont cantonnés dans un autre patelin à coté
d'où la Compagnie de commandement se trouve.
Ici
on entend au moins parler Français, car le jura c'est tout de
même en France !!!, et puis rien que le bruit du canon en moins
ça change tout.
Pour retrouver mon régiment j'ai voyagé de samedi 7H30
à mercredi 4h de l'après midi.
Heureusement
que le déplacement des régiments est mieux renseigné,
si non on perdrait la guerre avant de l'avoir commencée.
Cela
nous a évité l'embarquement et deux marches de plus de
15 Km chacune, par contre nous sommes restés plus longtemps dans
les gares et dans le train que le reste de la troupe!!!
On
est entrain d'installer le Mess où l'on va aller casser la croûte.
Nous couchons sur des couchettes qui ont des sommiers grillagés,
pas trop durs je crois que nous serons pas mal.''
Emplacement du QG à Chaumergy et des bataillons à Foulenay
Le
20 avril 1940
''J'ai
regardé la carte je suis environ à 250 Km de vous, une
perme même de 48h peut se prendre.
Bien
que nous soyons au repos nous faisons de petits travaux qui nous occupent,
car de ne rien faire amène vite l'ennui et le cafard. Nous en
avons profité pour bien nous installer.
Une
de mes lettres ne te parviendra pas (celle du 19) car la censure me
l'a retournée parce que je te disais avec un peu plus de précision,
où nous nous trouvons maintenant, tu parles au repos je ne vois
pas le secret qu'il y avait.
Ce
matin nous avons eu une prise d'armes et un défilé à
l'occasion de la remise d'un fanion à la Compagnie. A midi repas
amélioré pour la circonstance, avec mousseux pour finir.
L'après
midi comme nous avions quartier libre, avec des copains nous sommes
allés à la pêche dans un étang qui est proche
du cantonnement, nous avons pris quelques belles carpes."
Le
22 avril 1940
''Ici pour notre repos il fait un temps magnifique et l'après
midi nous faisons de bonnes siestes dans l'herbe. Les gens de la région
sont très gentils avec nous , comme les Alsaciens aussi, mais
ce n'est pas pareil les relations sont meilleures car on se comprend,
et là il n'y a pas de mal entendu.
En ce qui concerne la popotte , alors là, on mange comme des
rois, mieux que dans les restaurants en ville où on ne met plus
les pieds d'ailleurs. Les commerçants doivent se demander ce
qui se passe, pourquoi aller manger dehors alors qu'on a mieux dedans
??
J'ai
appris que Jean était en Norvège, alors lui les permes...
il ne doit sûrement pas les attendre, et ce n'est pas de si tôt
qu'il en aura le pauvre. Enfin il n'a tout de même pas la plus
mauvaise place car il est chauffeur du commandant, bien sûr ça
ne vaut pas la France.
Hier
nous avons joué au foot contre l'équipe d'une autre Cie
du 97ème et nous avons encore gagné 4 buts à 1,
j'ai mis 2 buts.
Notre
photo d'équipe doit paraître d'ici 3 semaines dans ''Le
petit Dauphinois'', gardes moi l'article.
J'ai
bien fait de prendre mes permes car provisoirement il n'y en a plus.''
Le
26 avril 1940
''Comme il a bien plu cette nuit ce matin nous sommes allés
aux escargots, avec la pêche cela nous fait un peu de distraction
et le cuisinier nous arrange cela au mess.
Au repos on s'ennuie presque autant qu'au front car on a moins de travail
pour nous occuper.''
Le 28 avril 1940
''Toujours un très beau pas de perme et pas beaucoup de boulot.
Cet après midi on doit faire un match de foot contre l'équipe
du 99ème RIA, on sera bientôt plus fort au foot qu'au tir
!!
A partir de lundi on ne devrait plus s'ennuyer car on doit monter des
baraques pour loger la troupe. Je vais être contremaître
pour cette opération.
Ne m'envoyez pas de colis pour le moment car la nourriture est très
bonne, inutile de vous priver pour moi.
Normalement
je devrai recevoir un poste de TSF un copain en perme à Paris
a vu mon nom au journal, tu sais j'avais écrit pour en demander
un. Ils font de la publicité avec cela en disant qu'ils envoient
des postes aux soldats et demandent au public de les aider en achetant
leur journal.''
Le
3 mai 1940
''La
semaine prochaine l'Adjudant, chef des sections de pionniers part en
stage avec 20 hommes . C'est moi et un autre sergent qui allons le remplacer
à la Cie , on va être quelques temps les grands chefs.
Le rôle d'Adjudant est très important c'est lui qui s'occupe
de beaucoup de choses aussi ça va ''barder'' car il va y avoir
du ''boulot''.
Il ya des sergents plus vieux que nous, aussi je vais m'appliquer car
je ne voudrais pas que cette responsabilité se retourne contre
moi à l'avenir.''
Permission
du 4 au 6 mai 1940 (la dernière, celle de la conception de Frédo)
Le
6 mai 1940
''Cette
permission inattendue m'a fait beaucoup de bien, sans doute l'avons
nous eue à cause du boulot qu'on va avoir à faire la semaine
prochaine.
Je suis rentré ce matin en bon port presque sans problème.
On a crevé avec la ''bagnole'' en allant à la gare , tu
peux me croire je te dis que j'en ai mis un coup pour changer la roue
afin de ne pas manquer le train.
Nous nous sommes retrouvés à la gare tout un paquet du
97 RIA qui rentrions de perme, chaque fois nous faisons de nouvelles
connaissances.''
Le
9 mai 1940
''Toujours
un excellent beau temps. Cet après midi nous avons repos car
il y a entraînement de foot. Au début il n'y avait que
ceux de l'équipe qui allaient à l'entraînement,mais
comme les autres ont rouspété, maintenant tout le monde
y va.
Demain
on a tout le jour pour nous préparer pour la revue militaire
de samedi. Ce jour là il y aura une collection de Colonels qui
vient et tous les anciens officiers du 97ème RIA. Un banquet
de 200 couverts est prévu ce jour là, mais pas pour nous
bien entendu quoique pour nous nous mangeons toujours très bien
tous les jours. Vivement que cette guerre soit finie.
Il
parait qu'il y a des Chasseurs Alpins qui reviennent de Norvège.
Si seulement tout s'arrêtait maintenant et que nous puissions
rentrer chez nous.
Enfin
!! ça s'arrêtera bien un jour.''
Le
10 mai 1940
''Cette nuit nous avons entendu un gros trafic d'avions. Il parait
que Bron aurait été bombardé,sans aucun doute c'est
le terrain d'aviation qui à du prendre.
Plus
vite cela bardera plus vite la guerre sera finie et nous nous retrouverons
tous ensemble.
Ne
vous faites pas trop d'illusion, je n'irai sûrement pas en perme
dimanche comme prévu car avec les évènements qui
ont l'air de se précipiter toutes les permissions vont être
suspendues pour un certain temps.''
Le
11 mai 1940
''Rien
de neuf ici si ce n'est des nouvelles pas très bonnes au front,
nouvelles que tu dois connaître au sujet des boches qui ont déclenchés
l'attaque.
Cela
ne nous arrange pas, le quartier est consigné.
Pour
le défilé de samedi passé j'étais chef du
peloton de garde au drapeau, présentation au colonel etc...enfin
tout c'est bien passé.
On
a eu un menu amélioré avec vin blanc et vin rouge plus
un cigare en fin de repas.''
Le
12 mai 1940
''Nous
avons installé un poste de radio et nous écoutons en permanence
les informations.
Nous espérons que les évènements tourneront en
notre faveur et que bientôt viendront des jours meilleurs et qu'enfin
nous seront heureux.’’
Le
13 mai 1940
''Nous
sommes tous consignés au quartier et nous attendons d'un instant
à l'autre l'ordre de mouvement. Cette fois je crois que c'est
la vraie guerre.
A partir du 20 mai mon secteur postal sera 14954, toutes vos lettres
devront avoir ce secteur postal pour me parvenir.''
Le
14 mai 1940
''On
est en état d'alerte, cette fois ce n'est plus de la rigolade,
nous pouvons partir d'un moment à l'autre, mais je ne sais pas
ou nous allons atterrir.
Enfin nous n'y pouvons rien, d'autres s'occupent de notre destin, il
faut laisser faire, cela ne peut pas durer longtemps.''
Le
15 mai 1940
"Ici
il fait toujours très beau et on ne s'en fait pas quand bien
même le régiment doit déménager cette nuit
sans que nous sachions où nous allons.
Enfin
il faut espérer qu'on ira dans un bon coin s'il y a un bon coin
avec cette guerre !! Je te dirais où l'on va ,comme d'habitude
!!
Aujourd’hui il y a un branle bas formidable vu notre départ,
je t'assure qu'il y a du mouvement et des ordres.
Ils y en a qui sont heureux de partir et vraiment gais, pourtant il
n'y a pas de quoi. Aujourd'hui nous n'avons pas eu de nouvelle car notre
vaguemestre a déjà rejoint notre nouvelle affectation.
Nous sommes déçus car tu sais bien combien les lettres
des familles sont importantes pour nous."
NB:
Le régiment était en réserve stratégique
au confins de la Saône et Loire et du Jura
18
mai 1940
Voilà
près de 3 jours
que je n'ai pas pu écrire puisque
nous étions en déplacement
et dans le train ce n'est pas facile. (les
lettres en rouge donnaient: SOISSONS)
Dans
notre nouveau pays ce n'est pas la même chose que l'endroit d'où
l'on vient, on est bombardé 3 à 4 fois par jour, je t'assure
que ce n'est pas du beau et ce qui est le plus triste c'est de voir
déménager les femmes et les enfants avec tout leur barda,
et je t'assure qu'il y a un paquet de monde sur les routes.
Ces
sales "boches" viennent bombarder la voie ferrée, il
y a déjà 6 ou 7 maisons en miettes, on ramasse des éclats
de bombes de partout et je ne voudrais pas en recevoir un.
Je
ne sais pas si on va rester longtemps ici , sûrement qu'on va
encore bouger. Où il y a une croix dans ma lettre c'est que j'ai
du m'arrêter pour aller me planquer car une dizaine de bombes
viennent de tomber tout près de nous. Je ne pense pas qu'il y
a eu des morts, je ne suis pas encore allé voir."
Dimanche
19 mai 1940
"On
a déménagé et maintenant on est dans L'Aisne, mais
là ça barde
encore plus qu'avant, le moral malgré
tout est assez bon. On est dans une ferme au milieu
des terres, mais comme les avions
bombardent tout on va déménager est allés dans
une carrière souterraine
où l'on sera plus en
sécurité. Il y a encore des trous d'obus de la dernière
guerre."
(Les
lettres en rouge donnaient: LA MALMAISON)
Nota:
lieu du chemin des Dames où se trouve le fort de la Malmaison
et actuellement le cimetière militaire allemand.
"On
va loger au moins 300 sous cette voûte. Comme tout le monde est
parti en abandonnant tout on trouve de tout pour la nourriture que nous
sommes chargés de récupérer, poulets,lapins, aujourd'hui
on a tué un veau ce qui nous permis d'améliorer l'ordinaire.
A
notre débarquement nous n'avons pas eu de perte,mais notre convoi
de voitures a été bombardé et nous avons eu 3 blessés
dont un grave qui a eu les deux jambes coupées
NB
: les carrières existent toujours elles sont sur la commune d'Azay-Jouy
à 400m du chemin des Dames, mais ne peuvent plus être visitées
à cause des éboulements. Tout le dessous du Chemin des
Dames est en carrières où l'on tirait avant 1914 des blocs
de pierre de taille dont certains servirent à la construction
des forts. Il reste une célèbre carrière celle
du Dragon près de Craonne dont la visite est trés intéressante."
Mercredi
22 mai 1940
"ça
va toujours du mieux possible bien que ces sales "boches"
ne nous laissent guère tranquille, heureusement que nous avons
de bons abris et que l'on ne craint pas grand chose, les copains des
bataillons sont bien plus à plaindre que nous alors ne nous plaignons
pas trop même si on serait mieux chez nous.
Question
nourriture ne te fait pas de soucis c'est un point qui est très
bon. Tous les jours il y a des menus variés lapins, poulets,
dindes, cochons, agneaux que l'on trouve dans les fermes abandonnées.
Vaches
et chevaux se promènent par cinquantaine attendant la mort soit
par les bombes soit pour nous nourrir, enfin c'est la guerre hélas
il faut prendre la vie comme elle vient."
Vendredi
24 mai 1940
"Toujours
dans notre caverne avec les avions qui viennent régulierement
nous rendre visite et nous bombarder. Tu peux croire qu'on se planque
et que le béret a été vite remplacé par
le casque.
Hier
nous sommes allés en reconnaissance dans un bois,mais on a rien
vu je t'assure qu'il ne faisait pas bon nous sommes passés dans
des marais où l'on enfonçait jusqu'aux genoux et nous
étions propres en arrivant il a fallu faire la lessive des hommes
et des vêtements, que veux tu c'est la guerre les copains des
bataillons auraient sans doute bien voulu être à notre
place car eux ils en bavent tous les jours."
jeudi
23 mai 1940
"ça va pas plus mal, nous sommes toujours dans notre
souterrain, mais il faut prendre patience en espérant que nos
misères s'arrêteront vite.
Il
fait toujours très beau et on casse toujours bien la croûte
arrosée de bonnes bouteilles trouvées dans les maisons
éventrées, on se demande comment elles ont pu résister
aux bombes ?
Tu
ne peux pas te rendre compte du nombre d'animaux qui traînent,
vaches, cochons, chevaux , moutons tout ce que ces pauvres gens ont
abandonné et qui vont servir en partie à faire des bouillons.
Ils auront eux aussi servi la France en améliorant l'ordinaire
des soldats à la guerre.
Certains
vieux avaient déjà connu l'exode et la destruction de
leurs biens en 14, c'est la guerre mais c'est bien triste.’’
Samedi
25 mai 1940
"Tout
va bien ça ne sert à rien de s'en faire.
Hier nous sommes allés dans un bois pour attendre les avions
et leur tirer dessus avec nos fusils. Nous n'avons fait qu'attendre
car aucun n'est passé assez bas pour qu'on puisse le tirer avec
nos fusils.
On
ne peut pas faire grand chose aussi il faut bien s'occuper en essayant
d'être utile. Il vaut mieux faire cela que d'aller dans les bataillons
car là bas ça barde assez.
Aujourd'hui
c'est la foire dans notre village de l'Isère et j'aurais préférer
y être plutôt qu'être ici, enfin cette guerre finira
bien un jour et on fera la foire l'année prochaine"
Dimanche
26 mai 1940
"Enfin
j'ai toujours beaucoup de chance,espérons que çà
durera car ceux des bataillons sont faces aux "boches" et
il y a chaque jours des blessés et des morts. Ils ne sont pas
à l'abri comme nous mais vivement la fin de cette guerre."
Lundi
27 mai 1940
"Toujours
la même vie de rats en attendant les évènements.
Aujourd'hui avec mes hommes nous avons été chargés
de changer la paille sur la quelle nous dormons depuis notre arrivée
dans notre caverne, comme il fait frais elle était toute mouillée.
Il a fallu aller chercher dans les fermes abandonnées qui n'avaient
pas brûlé de la paille, nous avons fait deux voyages.’’
Mardi
28 mai 1940
"Aujourd'hui
il fait un temps déplorable il a plu et il pleut toujours pas
question de sortir prendre l'air. On est resté cloîtré
dans notre grotte. Les avions "boches" eux aussi restent à
l'abri c'est toujours ça de bombes en moins.
Notre
paille ben sèche va en prendre un coup et sera de nouveau vite
humide avec ce temps!!!"
Mercredi
29 mai 1940
"Heureux
de recevoir aujourd'hui 5 lettres et une photo de mon petit bonhomme.
Vous ne pouvez pas savoir ce que le courrier compte pour nous à
la guerre.
Le beau temps est revenu aujourd'hui et cela est bien plus intéressant
pour nous on peut s'étendre à l'ombre et ça change
de notre paille mouillée. D'autres sont plus malheureux que moi
et voudraient bien avoir de la paille mouillée pour s'étendre.
Je n'ai pas besoin d'argent il me reste encore 100 francs et je vais
encore toucher deux quinzaines de solde à la fin du mois car
la 1ere quinzaine ne nous a pas encore été payée,
ce n'est pas grave vu que nous n'avons rien à dépenser
ici.
Claude Paillet doit être 3 ou 4 KM devant moi sûrement pas
autant à l'abri que nous."
Jeudi
30 mai 1940
"Hier
au soir je suis allé livrer du matériel aux bataillons
qui sont au front. Nous sommes partis à minuit et nous sommes
rentrés à 3heure du matin ceci pour éviter les
avions, tout c'est bien passé et ce matin à 9 heure je
dormais encore"
Vendredi
31 mai 1940
"Toujours
assez beau temps toujours dans notre cave.
Je
suis toujours aux pionniers et à l'Etat Major. Toujours pas grand
chose à faire, sauf les corvées et la garde du Colonel.
Hier
je suis allé de nouveau livrer du matériel aux bataillons
à 500m des lignes Allemandes, mais tout c'est bien passé
mes "visites" au front me font encore mieux apprécier
mon affectation, j'ai de la peine de voir mes collègues soldats
du front dans de si mauvaises conditions.
Dés qu'on descendra au repos je t'enverrais un peu d'argent car
avec les quinzaines de retard ça va faire un paquet de billets
lorsqu'on va toucher la solde."
Samedi
1er Juin 1940
"On attends tout de même la relève avec impatience,
maintenant çà fait déjà long.
En
plus de notre boulot habituel corvées et garde du Colonel on
vient de récupérer une corvée de la 3ème
section : on est chargés d'enterrer les morts.
*Ce
n'est pas gai mais il faut bien le faire par respect pour eux, on met
de la chaux vive, car avec la chaleur qu'il fait cela serait intenable.
Claude
Paillet est passé me voir il montait au front cette nuit, et
il n’avait pas le moral.’’
NB*
Fosse commune, 3 rangées de 7 corps chaque rangées séparées
par un lit de chaux vive
Dimanche
2 juin 1940
"Encore un temps superbe, pour tout le monde, car les "boches"
n'arrêtent pas de nous bombarder, heureusement qu'on est à
l'abri et qu'on leur en rend autant avec l'artillerie
On
continue notre vie de bohémiens dans notre grotte,avec gardes
et corvées pour nous occuper, nous estimant heureux de notre
sort comparés à ceux des bataillons qui ont un seul trou
pour abri.
Cela
nous renforce le moral de penser que d'autres sont plus malheureux que
nous.
Enfin un jour viendra ou nous retrouverons notre vie normale,espérons
que ce jour soit proche."
Lundi
3 juin 1940
"Hier j'étais à 20Kms de mon cantonnement pour
aller chercher du matériel, nous en avons profité au retour
pour ramener de la nourriture toujours en récupérant aux
abords de notre zone de cantonnement, les animaux qui sont à
la "baroule" sans plus aucune personne pour s'occuper d'eux.
Nous
avons ramené 50 poules et une dizaine de lapins qui se laissent
attraper sans problème comme terrorisés par le bruit des
bombes.
Nous
avons aussi
ramené un tonneau de vin resté lui aussi par miracle intact
ainsi qu'une cinquantaine de bouteilles de vin vieux que nous avons
ramenées comme prise de guerre d'une maison détruite depuis
plusieurs jours et qui a reçu hier une nouvelle bombe, sans doute
que les "boches" pensaient qu'on pouvait encore s'abriter
dedans.
Tout
cela allait être perdu car je t'assure chaque jour les maisons
éventrées sont de plus en plus des tas de ruines.
Cela
améliorera l'ordinaire,et le moral de tous les hommes.
Tu
vois les pionniers sont de toutes les corvées, enterrer les morts
,nourrir les vivants, ne t'en fait pas je ne suis pas bien malheureux
et bientôt il y aura la relève. Les
bombardements sont les seules choses embêtantes pour nous".
Mardi
4 juin 1940
"Il fait un temps superbe et avec cela les avions s'en donnent
à coeur joie et viennent nous voir plus souvent, hier des gars
de chez nous en ont descendu un à la mitrailleuse, c'est toujours
un de moins.
On fait toujours notre boulot dans notre section sans trop s'en faire
en attendant les évènements. Si vous avez du beau temps
comme ici vous avez du faire les foins et ils doivent bien sécher.
Je crois que notre division va avoir une citation pour avoir arrêté
les "Boches" sur l'Aisne, mais maintenant ce n'est pas les
médailles qu'il nous faudrait mais la relève. Cela fait
trois semaines que le régiment est là et ceux qui sont
en ligne souffrent beaucoup et n'en peuvent plus ils auraient surtout
eux, besoin de repos pour souffler et se refaire des forces."
Mercredi
5 juin 1940
Aujourd'hui
il n'y a pas eu de lettre...
Au matin de cette journée qui s'annonçait si belle, si
une journée de guerre peut être belle, le Chemin des Dames
fut une nouvelle fois le théâtre de combats sanglants entre
les mêmes antagonistes qui 25 ans plus tôt se déchiraient.
Comme les épis qui sont couchés par l'orage avant maturité,
le petit Sergent a été fauché par la mitraille...il
avait 26 ans et laissait une épouse enceinte avec un enfant de
10 mois sur les bras....
Son sang rejoignit celui de ses deux oncles qui, 25 ans avant, avaient
déjà abreuvé de leur sang cette terre de France.
En 1970, après 2 ans de recherches, 30 ans après, je retrouvais
la personne qui à l'époque était adjudant chef
d'une section motocycliste dans les bras duquel mon Père est
mort et qui me raconta... ce que la lettre du 5 juin n'a jamais pu nous
dire...
La boîte envoyée
par l'armée contenait les effets personnels de mon père
: un briquet en forme d'obus, un ouvre boite, un insigne des bataillons
de forteresse, 2 billets de 5 fr, 1 billet de 10 fr, quelques pièces
de monnaie, son porte-monnaie tâché de son sang et de boue
de champagne.
La médaille militaire et la croix de guerre que mon père
a eu à titre posthume m'ont été remise lorsque
j'étais enfant.
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