L’Allemand qui a sauvé Bordeaux
Par Daniel Laurent

Henri Salmide

 

 

Heinz Stahlschmidt est né le 13 novembre 1919 au 39 de la Wielandstrasse à Dortmund. Il grandit au milieu d’une famille unie, protestante, mais faisant face aux terribles difficultés économiques de l’époque de la République de Weimar. Il suit une formation pour devenir installateur en sanitaires afin de prendre la suite de son père.
En 1937, il perd son père dans un accident de la route et décide peu après de devancer l’appel de 6 mois pour pouvoir choisir l’arme et donner ainsi une suite à sa formation en évitant l’infanterie et l’aviation. La guerre ne l’intéresse pas. Il veut se perfectionner en mécanique, maîtriser l’électricité et retourner en Westphalie.
Il se retrouve donc dans la Kriegsmarine où il est toujours quand la guerre éclate. Le 9 avril 1940, il coule avec le cuirasse Blucher dans le fjord. Puis, le 21 juin 1940, il coule de nouveau sur un petit bateau de pêche reconverti dans la Flak. Et enfin, le 2 septembre 1940, entre le Danemark et la Norvège, une torpille coule un transporteur de troupe dans lequel il se trouve. Il parvient à nager jusqu’à la cote. 560 de ses camarades y laisseront leur vie.

En 1944, Heinz est à Bordeaux au sein du Marine-Regiment Kühnemann de la Marine-Brigade Weber qui dépends organiquement de la 159ème Division d’Infanterie du Leutnant-Général Nake.
Le 19 août 1944, Nake reçoit l’ordre du QG de la 64ème Armée de retraiter non sans avoir au préalable détruit les infrastructures du port. La date est fixée au 26 août.
Heinz Stahlschmidt, qui était en charge des explosifs, reçoit l’ordre de Kühnemann qui le charge de préparer le plan d’explosion du port (dix kilomètres de quai entre le cours du Médoc et les abattoirs).
Heinz sentait bien qu’il serait tenu pour responsable de l’exécution de ce projet et il ne voulait pas " être le destructeur " du port de Bordeaux.
Le matin du 22 août 1944 à 11h, Heinz Stahlschmidt rend une dernière visite à Dupuy, un instituteur résistant avec qui il était en contact, pour savoir s'il a trouvé quelqu'un pour empêcher l'explosion du port de Bordeaux.
Mais Dupuy lui annonce, embarrassé, qu'il n'y a "ni hommes, ni armes" pour cela. Malgré tout, Dupuy lui propose de le cacher quand il aura réalisé l’opération. A 18h, il se rend au blockhaus de la rue Raze où étaient entreposés les explosifs et détonateurs destinés à la destruction du port pour libérer les dockers et éloigner les sentinelles qui se trouvaient sous son autorité.
A 20h, il pénètre dans le bunker. Il déclenche toutes les amorces, il ne lui reste que quatre minutes pour fuir.
Il est au Jardin Public lorsqu'il entend la terrible explosion du blockhaus.
Dans sa fuite, il arrive à la Place de Longchamp, la chaîne de son vélo saute ; l'angoisse d'être arrêté le tenaille, pourtant il est encore loin du Bouscat où habite son ami Dupuy. Ses efforts pour acheter un autre vélo à des Français échouent. Il n'a donc pas le choix et c'est à pied qu'il poursuit sa fuite. La chance est avec lui : il arrive sain et sauf.
Il a été estimé à environ 3000 le nombre de personnes qui auraient été tuées ou blessées si l’opération de destruction avait été menée à bien, aucune alerte d’évacuation n’ayant été prévue par les Allemands.
En allumant les détonateurs, Heinz était parfaitement conscient des risques qu'il prenait : il pouvait être rattrapé par la Gestapo et exécuté sur place.
Sans moyens matériels de remplacement, Nake est oblige de retraiter après avoir négocié avec la résistance un "droit de passage" en échange de l’absence de représailles. Le mardi 29 août, 1944, les unités de la Résistance entrent triomphalement dans une ville non détruite, entièrement évacuée par l'ennemi.
Caché par le réseau de résistance de Dupuy, Heinz Stahlschmidt reste en France, épouse Henriette avec qui il vit toujours. En 1947, il est naturalisé français sous le nom d’Henri Salmide. Le 1er avril 1947, il intègre le corps des sapeurs-pompiers forestiers.
Par la suite, il occupera le poste de démineur dans l’armée, avant d’être muté le 1er août 1952 au bateau-pompe de la ville de Bordeaux.
Depuis le 22 août 1944, la feuille de route du soldat Heinz mentionne un long silence. Heinz Stahlschmidt devenu le citoyen français Henri Salmide en 1947, a échappé à la Gestapo, mais pas à l’ignorance de ses nouveaux concitoyens. Longtemps, on a cru que c’était la Résistance française qui avait fait sauter le fameux blockhaus.
Certains se sont cependant activés pour qu’il soit enfin honoré pour son geste. Dans la majorité des cas, la demande est adressée à la préfecture ou au ministère par une autorité publique ou privée. Adrien Claude Tisné a joué ce rôle. Le président de l’Union française des associations de combattants et victimes de guerre de la Gironde a entrepris d’expédier le dossier en 1994 à la préfecture, avec son avis. "J’ai pensé que c’était une honte, dit-il, qu’on n’ait pas eu un geste pour cet homme. Il mérite largement l’insigne".

Cinquante ans après les faits, le dossier, à l’évidence, a progressé lentement. Henri n’a jamais oublié Heinz. "J’ai vu trop de gâchis dans ma vie. Avant d’avaler mon bulletin de naissance, je suis heureux que l’on admette qu’un Boche ait eu un jour un problème de conscience et se soit opposé seul à la bêtise".
Henri Salmide recevra, enfin, la croix de chevalier de la légion d’honneur le 6 décembre 2000 après avoir été nommé par le président Jacques Chirac le 19 avril. Mais le décret ne parle pas de sa bravoure en 1944 :
"Par décret du Président de la République en date du 19 avril 2000, pris sur le rapport du Premier ministre et des ministres et visé pour son exécution par le grand chancelier de la Légion d'honneur, vu les déclarations du conseil de l'ordre portant que les présentes promotions et nominations sont faites en conformité des lois, décrets et règlements en vigueur, sont promus ou nommés, pour prendre rang à compter de la date de réception dans leur grade :
Grande chancellerie de la Légion d'honneur.
Au grade de chevalier : M. Salmide (Henri), adjudant-chef (er) du corps des sapeurs-pompiers de la ville de Bordeaux ; 23 ans de services civils."
Le facteur, depuis quelques années, apporte à Henri Salmide des nouvelles qu’il n’attendait plus. Ce sont des lettres de remerciements. Tous semblent connaître intimement celui qui fut un soldat sans convictions guerrières, un jeune homme comme tant d’autres, en deuil de sa jeunesse. Ils savent que sa vie a basculé en 1944, le 22 août, le jour où il n’a pas accepté la destruction programmée du port de Bordeaux. Le jour où il s’est retrouvé seul sur les quais, malgré ses demandes réitérées à la Résistance, pour faire sauter le blockhaus de la rue Raze où étaient entreposées les amorces, les munitions, les mèches et les détonateurs sans lesquels l’exécution du plan était impossible. Le jour où il a perdu son identité allemande, sa famille, ses rêves de devenir installateur en sanitaire chez lui, à Dortmund, comme il l’avait toujours prévu si la mort l’épargnait.
Si vous pensez qu’il le mérite, vous pouvez lui écrire : Son adresse est dans les pages blanches de France-Telecom et, il y a 3 mois, une association d’anciens combattants du Bordelais m’a confirmé qu’il était toujours en vie.
Sources : Internet.
Notamment les pages mises en ligne par les élèves des classes d’allemand du Lycée Saint Exupery de Bordeaux, les registres de la Grande chancellerie de la Légion d'honneur, le blog du Port de Bordeaux et le lexicon-der-whermacht.
Je n’ai pas trouvé d’écrits, livres ou articles, mais cela ne veut pas dire qu’il n’en existe pas.
J’ai par contre tenté un contact avec lui en 2006 et ai reçu une réponse d’une amie de la famille. Monsieur Salmide a pu lire mon projet d’article mais n’a pas pu y répondre, la maladie l’ayant atteint.

Henri Salmide décoré de la Légion d'Honneur

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