Eugène Kret, un « Malgré-nous » de la Kriegsmarine
Par son petit-fils Jordan, propos recueillis par Daniel Laurent

Eugène Kret

Juin 1940. L’Alsace et la Moselle sont envahies par la Wehrmacht et, en violation flagrante des accords d’Armistice signés avec le gouvernement du Maréchal Pétain, sont annexées de fait au Reich.

Très rapidement, les engagements de force commencent et le jeune alsacien Eugène est envoyé en Allemagne pour travailler dans un moulin.

Arrivé sur place, le meunier était malade. L'épouse de celui-ci a accueilli Eugène et lui a fait visiter le moulin.
Mais il avait un fils et ce dernier n'aimait pas les Français ! Eugène, inquiet, a pris la fuite de nuit et a rejoint un camarade deux village plus loin qui travaillait également comme meunier.

Il a été bien accueilli par les propriétaires du nouveau moulin, mais ces derniers ne pouvaient pas le garder plus de 8 jours. Il a donc décidé de rejoindre la France avec son camarade Raymond. Arrivé à la gare dans son village natal à Zillisheim, il a été accueilli par ses parents qui étaient gardes-barrières à l'écluse de Zillisheim.

 

Il a pu rester chez eux jusqu'en 1942 et a travaillé avec les ouvriers qui se sont occupé de la réfection des routes et du canal.
En 1943, il est parti à Helmack (SACM), une usine métallurgique à Mulhouse et a travaillé en tant que soudeur.
Il a fabriqué et soudé des pièces de Panzers.
L'usine était gardée par des soldats allemands. Eugène donnait de la nourriture à des prisonniers de guerre russes qui travaillaient comme manutentionnaires.

Cette nourriture, il l’emballait dans du journal et la déposait dans les poubelles. Mais un beau jour, Eugène s'est fait prendre par un garde allemand qui l'a emmené devant l'officier de service. Ce dernier lui a dit que pour le punir, il l'enverrait dans l'armée allemande. Eugène est
allé fumer aux toilettes avec un russe et le commandant a vu qu’il offrait des cigarettes à ce prisonnier…


Envoyé en Allemagne, Eugène a été incorporé de force dans la Wehrmacht.
Il y a reçu une formation, puis fut incorporé dans la Kriegsmarine sans que personne ne lui aie demandé son avis.

Il fut alors affecté à la 5. Marine-Ersatz-Abteilung, 7. Kompanie.
Cette unité était chargée de la surveillance des installations portuaires et fur renommée plus tard 5. Kriegsschiffneubauten, plus orientée vers la réparation des vaisseaux endommagés.

Tout d’abord affectée sur les ports de la mer Baltique le 8.12.43, elle fut ensuite envoyée en Grèce le 3.3.44 et enfin a Chania (La Canée en Crète ) le 12.4.44 et ce jusqu’à la fin de la guerre.

Eugène, qui y fut nommé Obergefreiter, un grade proche de celui de Quartier-maitre de deuxième classe (QM2), dans notre bonne vieille Royale, connut en Crète quelques mésaventures : Pris dans une attaque des troupes britanniques (28th Infantrybrigade) où néo-zélandaises (2nd New Zeland Division) qui commençaient à débarquer dans l’île, il y gagna une Croix de Fer de deuxième classe.




Deux jour plus tard, il reçut l’ordre de réquisitionner un bateau de pèche pour aller faire de « l'observation ». Assommé par le capitaine de ce bateau, il passa deux heures inconscient et, en se réveillant, ne dut son salut qu’aux fusées éclairantes qu’il tira pour que l’on vienne à son secours et fit un séjour à l'hôpital de campagne Kreta à La Canée.

Musicien passionné, Eugène, au cours d’une patrouille en ville, entendit un soir des sons connus et découvrit que des « Malgré-nous » alsaciens se réunissaient dans une cave pour jouer des airs du pays. Il rejoignit ce groupe clandestin et, tard dans la nuit, allait avec eux y jouer du saxophone.

Repérés par un soldat allemand et risquant d’être dénoncés, ils arrêtèrent et Eugène prit la décision qui probablement lui sauva la vie : Il déserta, se cachât et fut peu après fait prisonnier par les troupes américaines.

Heraklion fut libérée en juin 1944, mais il restait encore des troupes italo-allemandes dans l’île lors de la capitulation du 8 mai 1945 (11.828 de la Wehrmacht, 4.737 de l'armée italienne).

Eugène put enfin rentrer au pays après un an dans les camps de prisonniers de guerre. Eugène n’a jamais voulu vraiment parler de cette triste étape de sa vie et il a fallu tout l’enthousiasme de son petit-fils pour qu’il se décide à nous en dire un peu plus. Il s’agit la d’un trait commun à la quasi-totalité des « Malgré-nous ».


Mais il est bon que certaines de leurs mémoires soit connues. Des dizaines de milliers d’Alsaciens et de Mosellans furent enrôlés de force dans la Wehrmacht.
Ceux qui, comme Eugène, en sont revenus, se considéraient comme « chanceux » en pensant à leurs camarades tombés a l’Est ou ailleurs.
Ils n’en furent pas moins des victimes du nazisme et, à ce titre, méritent que l’on parle d’eux.
Eugène est décédé le 13 mars 2008 et repose en terre alsacienne, en terre de France, comme il se doit.

 

Eugène Kret


Remerciements :
Merci à un membre anonyme du forum « Croix de Fer» qui a aimablement traduit les mentions
importantes du Soldbuch d’Eugène
.
http://www.croixdefer.net/forum/index.php

Merci aux membres du forum «Axis History » qui nous ont aimablement fourni quelques
informations au sujet du 5. Marine-Ersatzabteilung dont Eugène faisait partie.
http://forum.axishistory.com/

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