En
octobre 1940, devant la pénurie de produits alimentaires et d'objets
manufacturés, le Gouvernement de Vichy mit en place un système
de restrictions et de rationnement des denrées. Destiné
à la seule période l'Occupation, il perdura cependant
jusqu'à la fin de l'année 1949 pour la France. Pour toutes
les familles françaises commença alors une véritable
lutte quotidienne pour simplement trouver de quoi se nourrir. Pour compenser
les manques en aliments de base, les mères de famille mirent
en place, à plusieurs ou de façon isolée, un véritable
système D (comme Débrouille).
Voici l'histoire d'Antoinette, l'une de ces Mères Courage, illustration
tragique et emblématique de la difficulté de survivre
pendant la guerre et bien après.
Antoinette
en 1940
Ma Mère était le dixième enfant d’une famille
nombreuse et avait perdu sa mère à l’âge de
9 ans. Pour toute instruction, elle avait son certificat d’étude
et dès 14 ans, elle était allée travailler à
l’usine de tissage où elle nettoyait les métiers
à tisser.
A 18 ans, « pistonnée » par le curé du village,
elle entra au service d'une famille bourgeoise de tisseurs de St Clair
de la Tour, près de La Tour du Pin, pour y exercer la charge
de femme de ménage.
Elle eut la chance de travailler avec une vieille domestique qui la
prit sous son aile et lui enseigna la manière de faire une bonne
cuisine…
au beurre, de savoir faire le repassage, le raccommodage et tous les
travaux ménagers…ce qui lui servit bien plus tard.
Au premier plan, la tante Lène tient la main de Roco et son
petit frère est sur les genoux d'Antoinette.
Derrière, un jeune cousin de Lyon venu profiter du bon air de la
campagne et échapper aux restrictions alimentaires
A la veille de la guerre, elle avait 23 ans, et le 30 août 1939
elle me mit au monde.
Le 4 septembre, mon Père était mobilisé comme sergent
au 97 ème R I A.
Au sortir
de ses « couches », elle quitta sa maison et alla vivre
quelques mois chez ma grand-mère paternelle dans un petit village
distant de 5 km. Une fois rétablie, elle redescendit dans notre
maison où une vielle tante, sa marraine, occupait une pièce.
Là,
sans revenu, il lui fallut travailler pour subvenir aux besoins de la
petite famille car la pension d'Etat à laquelle elle avait droit,
en tant que mère d’un enfant et épouse d’un
mari à la guerre, était dérisoire - comme toutes
les pensions de l'Etat - et ne permettait pas même de survivre.
Les membres de la famille lui donnaient bien de temps en temps un billet,
mais cela ne remplaçait pas la paye du mari, qui bon menuisier
de son métier, gagnait à l’époque convenablement
sa vie et pouvait faire vivre une famille.
En juin
1940 eu lieu l’attaque allemande dans la région où
son mari était cantonné. Elle ne reçut plus de
nouvelles à partir du 4 juin et fut fort inquiète, supposant
le pire mais gardant toujours l'espoir de le savoir prisonnier.
Enceinte de mon frère, elle ne pouvait pas penser que la vie
de famille s’arrêterait si vite.
Elle travaillait dur pour élever deux enfants, car entre-temps,
mon frère était venu me rejoindre, le destin pensant sans
doute qu’il valait mieux être deux pour affronter une vie
d’orphelin !!!!
Antoinette
avec Brunette, l'une des deux chèvres de la maison. 1944
Désormais, elle ne pouvait compter que sur elle seule pour faire
« bouillir la marmite » et élever du mieux possible
les deux
« marmots » que nous étions.
Commença alors pour cette jeune femme une vie de calvaire, une
vie de forçat toute dédiée au travail.
Nous avions
une maison assez grande avec des dépendances granges, écurie
et remise. Ma mère entreprit de ses mains de transformer la grande
écurie en poulailler, en écurie à chèvres
et en une écurie à cochon. Un coin fut réservé
aux clapiers faits dans des caisses en bois dont une partie fut grillagée.
Elle acheta deux « cabris » (chevreaux), un petit cochon
et des poules, et mit à couver des œufs d’oies et
de canards si bien qu’en peu de temps, nous avions œufs,
volailles et lapins à consommer sans dépenser un sou.
«
Au dos d’un calendrier le menu de la semaine qui se répétait
d'une semaine à l'autre »
Quant à nous, malgré les temps durs nous avons, grâce
à notre Mère, toujours mangé à notre faim,
ce qui ne fut pas toujours le cas pour elle : lorsqu’il y avait
peu, elle prétendait qu’elle n’avait pas faim et
se privait pour nous.
J’ai
retrouvé au dos d’un calendrier le menu de la semaine qui
se répétait d’une semaine à l’autre
:
-Lundi
: Salade, viande en sauce, pâtes, fromage
-Mardi : Salade, gratin Dauphinois, légumes, fromage
-Mercredi : Salade, omelette, légumes, fromage
-Jeudi : Salade, pâtes, viande, fromage, flan
-Vendredi : Salade, gaufres, légumes, fromage
(les gaufres remplaçaient le poisson trop coûteux)
-Samedi : Salade, riz, saucisse, fromage
-Dimanche : Salade, purée, viande, légumes, fromage, gâteau
Le Maréchal
Pétain figure encore en bonne place sur l'Almanach des P &
T de 1941
Les canards
et les oies profitaient de la rivière qui passait le long du
jardin et engraissaient facilement. Les œufs des oies et de canards,
bien plus gros que ceux des poules, servaient à la consommation
et ma mère échangeait quelques œufs de poule contre
d’autres denrées ou les conservait dans des grands pots
de terre remplis de silicate de soude, en prévision de la période
où, chaque année, les poules s'arrêtent de pondre.
Il fallait anticiper sur le cours de la vie !!!
A l’époque
c’était encore les restrictions. Mises en place depuis
octobre 1940, elles durèrent jusqu'au début des années
50. Toutes les denrées courantes étaient délivrées
contre des tickets de rationnement qu’on obtenait après
avoir fait une déclaration officielle qui définissait
les droits d’attribution en fonction de la composition de la famille.
J’ouvre
ici une parenthèse dans mon récit pour que vous compreniez
ce qu’était la gestion de ces fameux tickets de restrictions
:
Chaque
famille possédait un carnet dans lequel on rangeait les tickets
de rationnement, ces carnets étaient aussi précieux qu’un
portefeuille, et tout le monde en prenait grand soin.
Les tickets
visaient à répartir d’une manière équitable
les produits de première nécessité entre tous,
bien entendu ils ne permettaient pas d’avoir les produits gratuitement,
il fallait chaque fois payer les denrées en monnaie sonnante
et trébuchante, et si on n’avait pas d’argent, il
fallait alors monnayer les tickets peu employés contre quelques
billets ou pièces de monnaie. Celui qui avait dans son jardin
des pommes de terre n’avait pas besoin de ses tickets et les vendait
ou les échangeait contre une autre denrée.
Les carnets
de tickets avaient une validité de six mois. Ils devaient obligatoirement
porter le tampon de la ville du domicile. Tous les achats particuliers
étaient notés au dos des carnets : textiles, charbon etc.
ainsi que le cachet de l'épicier attitré.
Les commerçants devaient chaque mois faire l'inventaire des tickets
reçus de leurs clients pour pouvoir se réapprovisionner
auprès de leurs fournisseurs. Des fermetures étaient imposées,
principalement aux bouchers charcutiers des villes dépassant
leur quota d'abattage, pour s'assurer que les quantités vendues
correspondent aux bons de réapprovisionnement.
Pour le
pain, le système des tickets perdura jusqu'en 1949. Ce pain était
constitué de farines de maïs, fève, seigle ou orge
auquel on ajoutait des brisures de riz.
La couleur des tickets variait en fonction du produit : violet pour
le beurre, rouge pour le sucre, brun pour la viande, vert pour le thé
ou le café.
Pendant cette période, certaines personnes firent fortune en
pratiquant le marché noir : plus le produit était rare,
plus le prix était élevé. (voir encadré
ci-dessous)
Ces tickets étaient distribués chaque mois dans les mairies
et certaines périodes, vu la pénurie des produits, les
attributions n’étaient pas honorées. Il fallait
alors se débrouiller autrement pour pouvoir manger, et c’est
là que troc et le marché noir battaient leur plein. Pour
notre Mère, la monnaie d’échange était son
Travail et Dieu sait si elle travaillait, ses semaines ne faisaient
pas 35 heures, car ses journées étaient toutes de 12 à
14 heures !!!
Des gens
du gouvernement de Vichy étaient venus voir ma Mère, lui
disant que le maréchal [Pétain] ne laisserait pas tomber
les femmes des soldats tués à la guerre si elles adhéraient,
moyennant une cotisation annuelle à la « Légion
Française des Combattants ». Cela pourrait lui permettre
d’être prioritaire pour l’obtention de tickets supplémentaires.
Ils lui présentèrent si bien les choses que, naïve
et crédule, ma Mère qui n’avait rien et avait besoin
de tout signa et paya.
Elle n’eut jamais autre chose que ses droits aussi l’année
suivante envoya-t-elle vertement courir ceux qui étaient chargés
de récupérer les cotisations.
«
… deux poêles à sciure faits dans deux bidons en tôle...»
La chaudière
Lorsqu’en
1945 les premiers prisonniers de guerre rentrèrent de captivité,
dès que l'un d'eux arrivait au village ou aux alentours, nous
leur rendions visite en quête de renseignements pour savoir s’ils
n’avaient pas entendu parler de mon Père.
Hélas la réponse était toujours négative.
… jusqu’aux derniers jours de 1945 où le Maire du
village la fit appeler pour lui annoncer ce dont elle se doutait mais
ne voulait pas croire : son mari avait été tué
le 5 juin 1940.
Il lui remit une petite boîte de bois blanc dans laquelle étaient
rassemblées ses affaires de poche.
Ma Mère
n’ouvrit pas tout de suite la boîte. Elle attendit d’être
dans l’intimité de notre maison. Elle pleura en découvrant
son porte-monnaie taché de son sang sec, son briquet, un peu
d’argent, son ouvre-boîte…
La boîte envoyée par l'armée contenait les effets
personnels de mon père : un briquet en forme d'obus, un ouvre boite,
un insigne des bataillons de forteresse, 2 billets de 5 fr, 1 billet de
10 fr, quelques pièces de monnaie,
son porte-monnaie tâché de son sang et de boue de champagne.
La médaille militaire et la croix de guerre que mon père
a eu à titre posthume m'ont été remise lorsque j'étais
enfant.
N’ayant
pas connu notre Père, donc n’ayant aucun souvenir de lui,
nous n’avions pas de peine, car lorsqu’on n'a pas ou peu
connu son Père, la peine est moins grande que celle des enfants
qui gardent des souvenirs des bons moments passés avec lui.
Notre peine était de voir pleurer notre Mère, chose que
nous n’avions jamais vue et qui nous marqua encore plus.
Tout était
bon pour que nous puissions vivre correctement. Le lait des deux chèvres
mélangé à du lait de vache, que ma mère
avait eu soin de laisser décanter une nuit dans une grande jatte
plate pour récupérer la crème et faire du beurre
au bout de quelques jours, cette crème servait à faire
des « tommes » ces fromages du Dauphiné.
Lessives, raccommodage, couture, ménage, nettoyage des écoles
en fin d’années, dîner de mariage, plumage des oies
et canards, ces corvées que les fermières ne voulaient
pas faire, ma Mère les prenaient et se faisait payer grassement
si l’on peut dire.
A la campagne,
durant cette période, repas de communion et de mariage se faisaient
à la maison. On embauchait pour ce faire de bonnes cuisinières
connues qui savaient faire à manger pour une trentaine de personnes
sans problème, la maison fournissant tous les ingrédients.
Ma mère faisait équipe avec une dame bien plus âgée
qu’elle qui avait, je crois, tenu dans le temps un « bistrot
» où elle servait quelques repas.
Les banquets campagnards tournaient à l’époque autour
de menus typiques que l’on retrouvait toujours d’une ferme
à l’autre et qui utilisaient charcuterie de la maison,
jambon chaud cuit au foin, volailles (canards, oies, poulets) qu’on
avait engraissées pour l’occasion, servis avec les légumes
du moment ou des portions de gratin dauphinois à la crème.
Au dessert, il y avait toujours la « pogne », une grosse
brioche ronde du pays, accompagnant des îles flottantes (aussi
appelées « œufs à la neige ») ou alors
d’immenses plats de mousse au chocolat. Les fruits de saison finissaient
le repas avant qu’on serve le café et les liqueurs.
Malgré les restrictions, la boisson était bien présente
et donnait de joyeuses fins de repas.
En plus
de leur rémunération, il y avait une quête pour
les cuisinières qui bien souvent permettait de doubler leur salaire.
C’est
ainsi qu’avec mon frère nous avons participé à
de nombreuses fêtes de famille où nous dégustions
dans un coin de la cuisine un bon repas et nous endormions dans une
pièce jusqu’à ce que notre mère nous récupère
tard le soir pour regagner notre maison.
Les lessives, le repassage et le raccommodage du linge des gens prenaient
deux à trois jours par semaine. Le jeudi, jour ou il n’y
avait pas école et où nous restions à la maison,
était jour de lessive : toute la journée les lessiveuses
étaient mises à bouillir sur deux poêles à
sciure faits dans deux bidons en tôle dans lesquels, autour d’un
rondin de bois central de 12 à 15 cm de diamètre, on bourrait
le plein bidon de sciure légèrement humide pour faciliter
la tenue de la cheminée et pour qu’elle ne se consume pas
trop vite, au fond du bidon, un autre rondin à l’horizontal
de même diamètre se raccordait à celui du centre.
Une fois la sciure bourrée, on enlevait les rondins et le vide
ainsi créé servait de cheminée. On enflammait alors
un journal dans le trou inférieur, activé par un coup
de soufflet et le tour était joué, la sciure se consumait
et donnait les calories nécessaires à la chauffe de l’eau
de la lessiveuse.
«
… nous nous sommes souvent endormis au son de la machine à
coudre
SINGER dont ma mère actionnait le mécanisme à pédale
avec ses pieds… »
Antoinette en 1945. Déjà
une vieille femme…
Par la
suite un cousin fit avoir à ma mère pour un prix raisonnable
une chaudière avec un bac à eau en fonte de 150 litres
incorporé à un foyer, le tout relié à une
cheminée. A partir de ce moment là, les lessives furent
beaucoup plus faciles. Le linge était descendu et rincé
à la rivière qui coulait au fond du jardin.
Le séchage
se faisait sur des fils de fer tendus dans la cour. Le linge des différentes
familles ne devait pas être mélangé et les zones
d’étendage étaient repérées par une
pince à linge de couleur. Une fois lavé, raccommodé
et repassé, le linge était remis dans la corbeille en
osier qui avait servi à l’amener à la maison, ma
mère joignait sa note et inscrivait sur un carnet la valeur de
son travail, indication qu'elle gardait jusqu’à ce qu’elle
soit payée.
Le repassage
et le raccommodage se faisaient tard le soir et nous nous sommes souvent
endormis au son de la machine à coudre SINGER dont ma mère
actionnait le mécanisme à pédale avec ses pieds.
L’été, elle la sortait sur le trottoir dehors devant
la porte de la salle, et piquait jusqu’à ce que la nuit
la fasse arrêter.
Roco et son frère en 1945
Les jours d’école, notre Mère profitait de notre
absence pour aller faire des ménages dans différentes
maisons, dans des fermes mais aussi dans les deux moulins à farine
du village. Nous aimions bien ces journées car nous mangions
dans ces maisons où rien ne manquait.
Souvent, chez les meuniers, ma Mère faisait des pâtes pour
leur famille, ils avaient tous des machines pour faire ce genre de produit.
Bien sûr, le soir en rentrant à la maison, ma Mère
ramenait des pâtes que les patrons lui donnaient.
Nous avons
toujours été - et je le suis toujours - reconnaissants
à l'égard de ces familles qui nous ont fait du bien lorsque
nous manquions de presque tout … sauf de l’amour de notre
Mère.
Les samedis
et dimanches étaient réservés à la vie de
famille. Nous allions tous les trois récupérer différents
produits, du bois mort pour la chaudière, des glands pour le
cochon, des épis que nous glanions après les moissons
ou alors nous allions à notre propre terrain récolter
quelques légumes pour nous ou des feuilles de betteraves pour
la pâtée du cochon et des oies. Nous avions pour cela une
petite carriole qu’un cousin charron avait confectionnée
gratuitement pour ma Mère.
Nous emmenions avec nous les deux chèvres attachées à
la voiture pour éviter qu’elles ne s’égarent.
Arrivé sur place nous les attachions à un buisson à
l’aide d’une grande corde et elles broutaient tout l’après
midi à s’éclater la panse !!!
Le samedi soir, été comme hiver, était la soirée
de la toilette. L’hiver, ma Mère « poussait »
le feu pour que nous n’ayons pas froid, et la cuisine devenait
une véritable étuve. Un grand baquet en bois servait de
baignoire et, nus comme des vers, mon frère et moi étions
décrassés de la tête aux pieds.
Une friction à l’eau de Cologne finissait la toilette et
en chemise de nuit nous allions nous coucher dans notre lit bien chaud
où deux grosses pierres sorties du four et pliées dans
de grands torchons avaient joué le rôle de bouillottes
!!!
Il faut
dire que le reste de la semaine nous n’avions droit le matin qu’à
un coup de gant de toilette sur le « museau » et un coup
de peigne dans les cheveux. Les maisons ayant une douche étaient
rares, même très très rares !!! Pour nous le problème
ne se serait pas posé étant donné que nous n’avions
pas l’eau courante. Elle coulait à la fontaine publique
qui se trouvait dans un angle de notre cour et nous pouvions également
tirer l’eau d’un puits équipé d’une
pompe manuelle. Ce puits appartenait à plusieurs personnes qui
avaient payé pour son installation. La vieille tante, qui nous
avait quittés en 1944 et dont ma Mère avait hérité
tous les biens et droits, faisait partie des gens qui avaient payé
cette installation.
Un petit
local que nous appelions l’évier avait une pierre d’évier
en ciment. Le tuyau d’évacuation traversait le mur et l’eau
coulait et se noyait entre les pierres d’un « puits perdu
». Ce puits n’était rien autre qu’un trou de
2m sur 2m également profond de 2m rempli de gros cailloux et
l’eau s’y perdait et, par infiltration, rejoignait la rivière.
Deux seaux pleins étaient en permanence en réserve et
une louche était accrochée au-dessus, ce qui nous permettait
de puiser dedans lorsque nous voulions boire.
Lorsque
ma Mère faisait la vaisselle, la première eau grasse n’était
pas jetée mais conservée pour préparer la pâtée
du cochon, laquelle, avec des pommes de terre et un peu de son, quelques
feuilles de betteraves ou une casserole de glands faisait grogner de
plaisir le goret qui chaque année autour du 15 décembre
finissait sa vie au saloir et en saucissons, en attendant la foire de
février où un autre pensionnaire prenait la place laissée
libre !!!
Ma Mère
étant très pieuse, la messe du dimanche était de
rigueur et avec nos chaussettes blanches, toujours très proprement
habillés, nous prenions notre mal en patience, trouvant le temps
bien long en ces lieux où il ne fallait pas bouger une «
oreille » au risque de prendre une paire de claques devant tout
le monde !!!
Le dimanche après-midi, suivant le temps, nous allions nous promener
ou rendre visite à la famille. L’hiver nous faisions d’interminables
parties de petits chevaux et jouions à Mistigri avec un vieux
jeu aux cartes délavées.
La semaine
venait de s’écouler et sur le même rythme une autre
allait se dérouler, usant les forces de notre Mère qui
se donnait à fond pour que nous ne nous sentions pas malheureux…
Nous étions au contraire heureux d’être avec Elle
et de bénéficier de tant d’amour.
Ma Mère
ayant souffert de plusieurs phlébites, le médecin de famille
- qui venait de perdre son employée de maison - lui proposa de
la prendre à son service.
Après bien des hésitations, elle accepta en pensant que
sa santé était primordiale pour ses enfants qui n’avaient
pas besoin d’être orphelins de père…et de Mère.
Les bêtes
furent vendues et loin de notre maison nous partîmes tous.
Elle faisait la cuisine, le ménage recevait les clients, et fut
considérée comme un membre à part entière
de la famille du Docteur. La vie changea beaucoup pour elle, bien plus
agréable, moins fatigante et plus sûre pécuniairement.
Pour mon
frère et moi, la vie changea aussi beaucoup… car nous partîmes
pour l’orphelinat de Thodure, une bâtisse tenue par des
religieuses, perdue dans les bois à la limite du terrain militaire
de Chambaran.
Là,
commença une vie pas comme les autres… j’avais 7
ans, mon frère 5…
Source documentation
: http://www.nithart.com/fr39-45.htm
REGRETS
J’aurais tant voulu
mon Père
Toi qui nous a fait naître
Comme l’aurait voulu mon frère
Un peu mieux te connaître
Quand tu es parti
Je n’ai pas pleuré
J’étais si petit
J’étais un Bébé
Plus tard tu m’as bien manqué
Et je t’ai cherché
J’aurais tant aimé
Aimé te trouver.
J’aurais tant aimé
Me souvenir des histoires
Que tu m’aurais dit les soirs
Pour m’endormir dans le noir
J’aurais tant voulu
Lors de promenades faites avec toi
Connaître la nature, découvrir les bois
J’aurais tant voulu
Que tu m’apprennes à faire du vélo
Puis par la suite cramponné à toi
Que tu me fasses faire un tour d’ta moto
J’aurais tant aimé
J’aurais tant voulu
Me souvenir de ton visage, de ton sourire
Du son de ta voix
De connaître tes choix
De partager tes joies
J’aurais tant voulu
Qu’une fois Grand-parent
Tu connaisses la joie
De profiter comme moi
De tes p’tits enfants
Tu aurais tant aimé.
Je n’ai presque rien hélas de toi
Des lettres à ma Mère, des photos de toi
Dans une boite de bois blanc
Les seuls souvenirs de toi me restant
Sont mes reliques, mon trésor à moi
Quelques billets et pièces de monnaies
Souillé de ton sang, ton porte-monnaie
Un ouvre boite rouillé et puis ton briquet
Deux médailles militaires
Dont ta croix de guerre
Cette guerre qui a tout gâché
Cette guerre qui a tout cassé
Qui a brisé ton cœur
Tué notre bonheur
J’aurais tant voulu
Comme tous mes copains
Me souvenir des p’tits câlins
Que font les Papa lorsqu’ils se reposent,
Avec leurs gamins les dimanches matins
J’aurais tant voulu…
Encore beaucoup de choses
J’aurais voulu contempler tes yeux
Le bleu de tes yeux, couleur des cieux
J’aurai voulu t’avoir vieux
A côté de moi
Pour parler de nous, pour parler de toi
Pourquoi le Bon Dieu
Ne l’a pas voulu ?
J’ai beaucoup de peine,
On n’a pas eu de veine
J’aurai tant voulu
Ma main dans ta main
Faire avec toi un bout du chemin
J’aurais tant aimé
Tu aurais tant voulu…..
Feurs, le 10 octobre 2002
ROCO (Né le 30/08/1939)
En mémoire de mon
Père parti à la guerre le 3 Septembre 1939 tué le
5 juin 1940 à 26 ans.
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