La comtesse Hélène de Portes...ou des ragots qui sévissent en histoire…
Par Daniel Laurent

Née Hélène Rebuffel en 1902, fille d’un polytechnicien patron de chantier naval marseillais, épouse séparée du comte Henri de Portes 1, la comtesse est généralement présentée comme la « maitresse » de Paul Reynaud et aurait été son « égérie » aux néfastes influences en particulier durant les heures difficiles de mai-juin 1940, le poussant au défaitisme..

On trouve ainsi, toujours de nos jours, ce genre de littérature :

« 16 juin 1940. La France est en guerre et la situation des armées, désespérée. Le gouvernement s'installe à Bordeaux. Paul Reynaud, président du Conseil, loge sa maîtresse, la comtesse Hélène de Portes, dans un somptueux appartement qu'elle entreprend de redécorer.
Paul Reynaud est veuf. On le dit très épris de Mme de Portes. Cependant, celle-ci souhaite l'armistice. Lui demeure, avec de Gaulle, qu'il a nommé sous-secrétaire d'Etat, favorable à la poursuite de la guerre, partisan d'une union franco-anglaise. Il prône en outre un regroupement provisoire de l'armée en Afrique du Nord. Rapidement, pourtant, Paul Reynaud changera d'avis. De Gaulle n'aura d'autre choix que l'envol vers Londres.

Beaucoup soupçonnent Paul Reynaud d'avoir cédé à l'influence de sa maîtresse. […] Certes, les 14 et 15 juin, alors que le gouvernement se trouvait encore à Tours, Reynaud et Churchill avaient déjà évoqué l'hypothèse d'une demande française d'armistice. C'est à Bordeaux que Paul Reynaud a fait véritablement volte-face. En accord avec l'opinion de Mme de Portes » 2

Même Charles de Gaulle abonde dans ce sens, déclarant : « C’était une dinde, comme toutes les femmes qui font de la politique ».3

Essayons de voir tout cela avec un peu d’objectivité et de recul.

Tout d’abord, dire d’Hélène de Portes qu’elle est la « maitresse » de Paul Reynaud est une muflerie. Elle est séparée de son premier mari, tout comme Paul Reynaud l’est de sa première épouse, et ils vivent une vie maritale sans tache dans un pays ou le divorce est légal depuis les années 1880. Tout porte à croire qu’ils se seraient mariés si la tourmente de 1939-40 puis le décès accidentel d’Hélène de Portes le 28 juin 1940 dans un accident de voiture ne l’avait retardé pour l’un puis empêché pour l’autre.

De plus, Mme de Portes n’avait pas du tout l’envergure nécessaire pour être une influente « égérie » :

« Cette dame était et reste victime, dans les gazettes, d’un fort préjugé sexiste. Il convient néanmoins de constater qu’elle était politiquement assez nulle, non seulement par son absence de formation, mais aussi de relations. Rien à voir avec l’égérie des salons, grande faiseuse et défaiseuse de carrières, qu’on nous présente » 4

Cette erreur qui consiste à attribuer à la comtesse un rôle supérieur à celui qu’elle a réellement exercé sur les décisions politiques de Reynaud tient à la fois des tendances misogynes qui prévalaient à l’époque et des tentatives d’expliquer l’inexplicable, à savoir l’irruption de Pétain et l’armistice de juin 1940.

En somme, dédouaner légèrement Reynaud en le présentant comme victime de la sinistre influence de son « égérie » vendue aux défaitistes, à Pétain, voire aux Allemands pour certains, pouvait présenter un intérêt.

Cependant, la logique interne des décisions que Paul Reynaud a pu prendre explique qu’il les a prises seul, comme le montrent ses carnets de captivité et François Delpla.5

S’il s’avère exact qu’elle est plus partisane de l’armistice que d’une solution de repli en Afrique, elle n’est pas liée à un quelconque clan, mais plutôt influencée par la délétère ambiance de mai-juin 1940. Quant à Paul Reynaud, ses réactions devant les interventions publiques de la comtesse montrent irritation et embarras plus qu’autre chose.

Une phrase d’un témoin oculaire, l’ambassadeur Jean Daridan, résume parfaitement la situation : Elle se comportait comme une « bonne de curé » ayant coutume de déclarer « Nous dirons la messe demain matin à 7 heures » 6

Quant à Charles de Gaulle, était-il bien placé pour en juger ?

Il avait surtout connu Reynaud en 1935-37, et pouvait prêter l’oreille aux ragots, en cette époque empreinte de machisme. De Gaulle a eu affaire dès mars 1940 au défaitisme des conseillers de Paul Reynaud et il pensait, comme beaucoup, que la comtesse Hélène de Portes avait sur sa politique une grande emprise. Mais dans les lettres écrites à l’époque à l’intéressé, c’est bien lui qui était pris à partie et que de Gaulle secoue avec vigueur en s’impatientant de ses hésitations.

Notons également que l’essentiel des ragots dont nous parlons n’ont été diffusés qu’après le décès de la comtesse. Les absents ont toujours tort.

De plus, rappelons que J.J. Servan Schreiber fut condamné en 1991 à payer des dommages et intérêts aux descendants d’Hélène de Portes et de Paul Reynaud pour avoir, dans son livre « Passions », affirmé que la comtesse était un agent nazi et que le couple, lors de l’accident qui couta la vie à la comtesse, tentait de quitter la France avec de l’or acquis illégalement.7

Tout ceci replace donc Hélène de Portes dans son réel contexte : Très amoureuse de Paul Reynaud, qui le lui rendait bien, elle n’a fait que ce que fait toute bonne épouse : Veiller sur son compagnon et espérer pour lui la plus belle carrière possible.

Sur le plan politique, sans la comparer à une « bonne de curé » comme M. Daridan ni à une « dinde » comme Charles de Gaulle, nous dirons cependant qu’elle fut une mouche du coche.

Notes :
1 - Sian Reynolds, France between the Wars, Editions Routledge, USA, 1996, p. 163
2 – Le Point N°1838, 06/12/2007, Bordeaux - amours historiques - Secrets d'alcôve
3 – Charles de Gaulle, au cours d’une interview donnée à Henri Amouroux en 1964.
4 – François Delpla, commentaires sur un forum historique.
5 - Francois Delpla, Churchill et les Français, 3éme édition en cours de publication sur le site de l’auteur
6 -
Francois Delpla, Churchill et les Français, Paris, Plon, 1993, p. 633
7  - The New York Times

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