Les Anglais à Bure

Piat

 

Cette évocation de la Bataille de Bure est en fait un témoignage du Major Jack Watson du 13 ème Bataillon Parachutiste (Lancashire) de l'Armée Anglaise.
Ce témoignage est extrait de l'ouvrage de Christian Louis « La Bataille de Bure », avec son aimable approbation.

« Le 13 ème Bataillon fit mouvement le 23 décembre 1944 de Larkhill Barracks dans la plaine de Salisbury, pour les Ardennes. Les Allemands avaient percé nos lignes, et Montgomery avait un besoin urgent de renforts. Nous dûmes nous rendre sur place très rapidement pour aider à combler le trou, arrêter l'avance allemande et aider les Américains.

Nous avons préparé rapidement notre équipement, puis nous avons embarqué sur le train à Salisbury la veille de Noël. Nous nous sommes rendus immédiatement à Douvres d'où nous avons fait la traversée en bateau vers Calais, où nous étions attendus par le transport du Royal Army Supply Corps.
Nous avons voyagé dans des camions ouverts, d'anciens camions à charbon, et il faisait terriblement froid. On nous conduisit vers les Ardennes à Namur. Nous n'avions pas pu annoncer notre départ à nos familles La femme de l'aumônier avait fait tout le chemin depuis Newcastle et elle débarqua à Salisbury alors que nous nous en allions sur l'autre quai. Un jeune officier qui était resté sur place dut lui dire que son mari était parti pour les Ardennes !

Nous avons eu notre repas de Noël au « Château des Ardennes », ce qui était une manière très agréable de fêter Noël.; il y avait beaucoup de neige autour de nous, ce qui créait une ambiance de fête.
Le 1er janvier, notre bataillon reçut l'ordre de partir pour Pondrôme, afin d'attaquer un village du nom de Bure, puis de nous emparer d'un autre village : Grupont.
Je fus envoyé par mon « Commanding Officier », Peter Luard, et briefé--j'étais le commandant de la Compagnie A.
Le plan était de passer une nuit à Pondrôme, puis de nous faire transporter jusque Resteigne. Là, nous devions débarquer et marcher jusque Tellin. Il y avait quinze centimètres de neige et il faisait froid, il gelait et il y avait du verglas sur les routes, mais les hommes avaient le moral. Nous avons marché jusqu'à un bois surplombant Bure, notre premier objectif. C'était l'endroit le plus avancé de l'offensive allemande jusqu'où les chars étaient parvenus. Notre tâche était de les chasser de Bure.

La mise en place était Compagnie A sur la gauche, Compagnie B sur la droite, et Compagnie C en réserve.
Ma tâche était d'attaquer Bure avec la Compagnie B pour nous emparer des hauteurs. Nous étions en place, prêts pour le départ à 13H00, le 3 janvier.
Il faisait toujours aussi froid et il neigeait encore abondamment. La marche dans les bois vers la ligne de départ était très difficile parce qu'il y avait par endroit plus d'un mètre de neige. Nous portions la tenue de combat normale, chemise en parachute et casque.

Nous nous sommes mis en place le long de la ligne de départ et nous avons regardé du haut le village silencieux et tranquille. Les Allemands savaient que nous étions là; ils nous attendaient et dès que nous avons quitté le couvert, j'ai regardé vers le haut et j'ai vu à environ trente centimètres de ma tête les branches des arbres qui volaient en éclats sous les coups des tirs de mitrailleuses et de mortiers intenses. Il était évident que leurs tirs étaient dirigés sur des lignes fixes, et ils nous avaient identifiés avant même que nous quittions la ligne de départ. C'était la première fois que je commandais l'attaque d'une compagnie, et en quelques minutes, j'avais perdu environ un tiers de mes hommes. Je pouvais entendre les hommes du peloton à ma gauche appeler les infirmiers. Nous fûmes cloués sur place environ 15 minutes à cause des blessés et des morts qui nous entouraient, mais nous devions avancer. Nous étions à environ 400 mètres de Bure, et dès que j'ai pu, j'ai rassemblé ma compagnie et j'ai donné l'ordre d'avancer. Nous devions nous mettre à l'abri du feu et pénétrer dans le village aussi vite que possible. En chemin, j'ai encore perdu des hommes dont mon ordonnance. Un homme avait été touché par une balle qui avait mis le feu aux bombes au phosphore qu'il transportait. Il me demandait en criant de l'abattre. Il mourut plus tard.

Nous nous sommes emparés des premières maisons, et j'ai pénétré dans l'une d'elles avec mon état-major de compagnie. Ce que je ne savais pas, c'est que la Compagnie B avait également fort souffert pendant l'attaque. Leur commandant de compagnie, le Major Bill Grantham avait été tué sur la ligne de départ avec un de ses chefs de peloton, le Lieutenant Tim Winser. Son Sergent major de compagnie Moss avait été blessé mortellement. Les autres officiers étaient blessés, à l'exception du Lieutenant Alf Largeren. Il dirigeat la compagnie fort affaiblie vers son objectif, et fut tué plus tard le premier jour, en essayant avec des grenades à main de dégager une maison tenue par un poste de mitrailleuse allemand.

Une fois que je fus entré dans le village, il était devenu difficile de savoir ce qui se passait. Je fis ranger mes chefs de peloton pour m'assurer qu'ils étaient en sécurité et pour entamer la marche vers l'avant. C'était inquiétant. Nous nous trouvions dans une maison, moi-même au rez-de-chaussée, et mon radio me signalant que des Allemands se trouvaient à l'étage, et une autre fois ils se trouvaient en basn, et nous en haut. C'était une bataille vraiment inhabituelle.

Nos rangs s'appauvrissaient fort lorsque nous avancions de maison en maison. J'arrivai finalement au carrefour du village près de la vieille église. Entre temps, j'avais informé exactement mon CO (Commanding Officer) de la situation, et il a décidé d'envoyer la Compagnie C, qui était en réserve, pour me venir en aide. Sur ces entrefaites, leurs chars Tigre de 60 tonnes (*) commançaient à se diriger vers nous. C'était la première fois que je voyais des Tigres, et ils tiraient sans viser en démolissant les maisons. Je me déplaçais d'un côté à l'autre de la rue attirant délibérément le feu. Un char fit feu sur moi, et la première chose que je remarquai fut le mur qui s'écroulait derrière moi. Mais une équipe de PIAT (**) arriva en courant, se mit en place à 50 mètres du char, ouvrit le feu et détruisit les chenilles du char. Ils étaient très courageux. Il en fut ainsi tout au long de la journée--ils contre-attaquaient mais nous parvenions à les arrêter. Ils nous repoussaient--nous avancions à nouveau.

Il était devenu difficile de tenir les hommes éveillés, et nous n'avions pas de nourriture chaude. Tout au long de la première nuit, les Allemands ont tiré sur nous et nous ont bombardés, et nous avons tiré sur eux.
Lorsque nous avons dit au QG que des chars allemands opéraient dans la zone, ils décidèrent de nous envoyer nos propres chars en renfort, mais ils ne faisaient pas le poids face aux Tigres. Nous avions des Sherman, et à la fin de la bataille, 16 d'entre eux avaient été détruits. Nous avons alors reçu le renfort des Oxford et Buckinghamshire, commandée par le Major Granville--entretemps, mes forces étaient réduites à l'effectif d'un peloton. Les Oxford and Buckinghamshire s'avancèrent, mais il ne fallut pas longtemps pour qu'ils soient obligés de se retirer sur nos positions.

Je me rappellerai toujours le Col. Sergent Harry Watkins. Je ne sais pas comment il est parvenu à nous trouver, mais il y est parvenu. Nous étions encore éparpillés dans les maisons le long de la route principale dans le centre du village. Il nous a apporté un ragoût qui était bon et chaud, et nous sommes parvenus à rassembler les hommes en petites équipes pour manger et puis reprendre leurs positions dans les maisons.

A un moment, au cours de la bataille, le Sergent Scott RAMC (Royal Army Medical Corps) s'avança en ambulance pour ramasser des blessés. Un Tigre allemand qui nous avait combattu toute la journée s'avança à ses côtés. Et le chef de char, le voyant sans crainte, lui dit « emportez les blessés cette fois-ci, mais ne revenez pas, c'est dangereux ».
Même le Sergent Scott comprit l'allusion.

Nous avons encore subit cinq contre-attaques supportées par des chars Tigre le jour suivant.
Entre-temps, nous disposions aussi de support d'artillerie, et nous avons enfin pu rendre la vie difficile aux Allemands. Une fois que nous commencions à tirer des obus, ils répondaient avec leur propre artillerie et essaiyaient de nous chasser du village. La majorité de ma compagnie avait heureusement fait l'expérience de tirs intensifs à Ranville, en Normandie, et ils savaient donc ce qui les attendaient. Je dis au Major Granville de se porter en avant de ma propre position pour voir ce qui se passait. Lorsqu'il s'exécuta, l'ennemi attaqua à nouveau avec deux Tigres. Nous avons repoussé cette attaque, et tout devint alors très calme, bien que les Allemands aient laissé derrière eux un char Tigre pour nous harceler. Il était enfin temps de s'emparer de la seconde moitié du village, avec la compagnie C et les Oxford and Buckinghamshire, allant de maison en maison pour les dénicher. Il y eut beaucoup de combats corps à corps.

Vers 19H00 le 5 janvier, nous tenions tout le village, et ma compagnie élimina le dernier poste ennemi.
Nous occupâmes des positions défensives, mais la même nuit on nous dit de nous retirer. Nous apprîmes plus tard que le 7eme ataillon était arrivé d'une autre direction, avait rencontré peu de résistance et avait pris Grupont. Ce qui signifiait que nous ne devions pas aller plus loin.

C'est ainsi que très tôt le 6 janvier, juste après minuit, je rassemblai toute ma compagnie et nous nous retirâmes sur Tellin très mouillés, très fatigués et non rasés. Le bataillon avait perdu environ 68 tués, dont la moitié appartenaient à ma compagnie. Ils furent enterrés dans un champ à Bure par notre padre, Whitfield Foy, quelques jours plus tard. »


* A signaler que tout au long de ce récit, il est fait mention de chars Tigre de 60 tonnes.
Or, même si le témoignage du Major Watson est sans conteste la pure vérité, il faut préciser que la Panzer Lehr Division qui était à Bure au moment des faits n'en possédaient pas. Les quelques dizaines de Tigre de la bataille des Ardennes étant versés au début de l'offensive à la 6eme SS Panzer Division et ensuite, lors de l'échec de celle-ci, quelques uns priprent part à l'encerclement de Bastogne. Il est plus que probable que ces chars dont parle le Major Watson étaient soit des Panther où même des Jagdpanther (dont la silhouette ressemble à un Tiger) , mais comprenons qu'à l'époque, n'ayant pas eu l'occasion de se frotter à des Tigres, tout gros char tel que ceux cités pouvait facilement y être assimilés

** Le PIAT (Projector Infantry Anti-Tank) était l'arme anti-char employée par les Anglais durant la seconde guerre mondiale. Il était en quelque sorte le pendant au Bazooka américain où au Panzerschreck allemand.

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