Témoignages

 

 

Trois ponts

Jean Arasse raconte :

« Le mardi 19 décembre, vers 16 heures, je me trouvais dans les environs de l'hôtel Beau-Site. Nous avons vu déboucher du viaduc, une voiture semblable à une « Jeep », conduite par des allemands.
Le petit Michel Nicolay, que je connaissais fort bien, courait sur la route. Un soldat qui se trouvait dans l'auto, se leva et ouvrit le feu sur le gosse, avec une mitraillette. L'enfant poursuivit sa course. Sans doute n'était-il que blessé. L'Allemand furieux, sauta hors du véhicule et poursuivit le garçonnet en continuant à tirer. Je vis le petit Michel tomber. A mon tour, je me sauvai pour me mettre à l'abri. On retrouva plus tard le corps de la jeune victime. La tête ne tenait plus au tronc que par un lambeau de chair. On suppose que l'ignoble assassin acheva l'enfant en s'efforçant de lui trancher la tête .
Lorsque les Allemands entrèrent à Trois-Pont par le viaduc, au confluent de la Salm et de l'Amblève, ils se précipitèrent dans les maisons et en chassèrent tous les habitants. Ils les poussèrent sur la route et les mitraillèrent.
Un SS, qui s'exprimait assez correctement en français avoua qu'il était Gantois.
« On a dit », ajouta-t-il, « que nous étions des barbares. Maintenant vous allez vous en apercevoir. »
Comme pour justifier ces paroles, les S.S. allaient de maison en maison. Ils arrivèrent ainsi jusqu'à l'habitation de M. Habotte. Là, environ deux cents personnes furent groupées sur la route, prêtes pour le massacre. Mme Habotte qui possédait quelques rudiments de la langue germanique implora l'officier. Elle tenait dans ses bras un enfant de 5 ans. Elle pleura et parvint--l'exception doit être soulignée--à attendrir quelque peu le chef des bourreaux. « C'est bon, dit-il d'une voix rude, ce ne sera pas pour aujourd'hui. »
Le lendemain, heureusement les Américains refoulèrent les Allemands au-delà du viaduc et les deux cents personnes marquées pour l'abattoir purent se sauver.
Les Allemands n'occupèrent Trois-Ponts que pendant deux jours. La ville resta longtemps à la pointe extérieure du front dans le secteur nord. C'était en quelque sorte un « no man's land ». Les belligérants tenaient les hauteurs de part et d'autre de la ville. Les tirs d'artillerie occasionnèrent de graves dégâts aux habitations. Sur les 240 maisons de Trois-Ponts, 74 ont été détruites par les obus, 80 endommagées et 25 incendiées. »

 

Stavelot

Ce témoignage est dû à Mr Antoine Burniaux, secrétaire communal en 1945 et qui était présent sur place au moment des faits.

« Lorsque, le lundi 19 décembre, vers 7 heures du matin, ils sont arrivés au vieux Pont, jeté sur la rivière, ils furent reçus (les Allemands) par les Américains. On se battait dans la ville basse, mais les défenseurs ne devaient pas être très nombreux. Au contraire, les Allemands étaient vraiment en force. C'étaient des tanks lourds qui dévalaient la côte du vieux château.
S'ils étaient bloqués au pont, c'est que le tablier n'en était pas assez large. Certains, cependant, se hasardèrent à le traverser et pénétrèrent ainsi à Stavelot. Ils se dirigèrent alors vers Trois-Pont. Les ponts qui donnent leur nom à la localité étant détruits, ils rebroussèrent chemin et partirent vers Coo, qui est une dépendance de Stavelot, vers La Gleize et vers Stoumont, où, dès lundi après-midi, de sérieux combats étaient livrés. Je suppose, mais sans pouvoir l'affirmer, que les tanks allemands ont été attaqués dans cette région par l'artillerie alliée.
La nuit de lundi à Mardi, de nombreux chars ont encore pénétré dans Stavelot et se sont arrêtés rue Neuve, où j'habite. Ils ont mitraillé un certain nombre de maisons. En débouchant de cette dernière rue, un des chars allemands a été détruit et ses occupants tués par la décharge d'une pièce américaine installée rue Chaumont, juste contre l'habitation de Mr le Bourgmestre. Ce dernier a été témoin du fait. La bataille a causé à la ville de gros dégâts. Des quartiers entiers ont été détruits par l'incendie ou par les obus. Rares sont les immeubles qui n'ont point souffert.
Mais venons en aux atrocités, aux massacres, dont se rendirent coupables les nazis. Route de Trois-Pont, les allemands ont regroupé vingt personnes, hommes, femmes et enfants, et les ont froidement abattues.
Parmi les victimes de cette fureur, je puis vous citer les membres de la famille Legaye-Crismer, qui ont presque tous été exterminés; M. et Mme Prosper Legaye, leurs deux enfants et leur petite-fille; Mme Maurice Rouxhet-Vissers et ses quatre enfants; Mme Prince René et ses trois enfants.
Au hameau de Parfondruy, vingt-quatre personnes ont été tuées, dont deux femmes enceintes qui étaient près de s'accoucher. A Ster et Renardmont, des faits analogues se sont déroulés. A Renardmont par exemple, les Boches ont rassemblé une douzaine de personnes, les ont mitraillé et les ont brûlées. J'ai vu personnellement les restes informes de ces malheureux.
Sur la route de Coo, une quinzaine d'habitants ont été exterminés.
Plus de cent trente personnes ont été massacrées dans la région. »

Mr Antoine Burniaux cite au passage quelques actes de dévouement et de courage. Il parle, par exemple, de Mr Alfred Buche, qui fit baisser les eaux de l'Amblève en manœuvrant les vannes de la Centrale électrique. De cette façon, les habitants, qui étaient emprisonnés entre les Allemands et la rivière, purent traverser le cours d'eau à gué. Mais Mr Buche, tandis qu'il accomplissait son œuvre, était sous la surveillance des Allemands installés de l'autre côté de la rivière. Il lui fallut, pour réussir ainsi son assèchement partiel de l'Amblève, beaucoup de courage et de sang-froid.


D'autres témoins parlent aussi de la tuerie de Stavelot.
Le témoignage par exemple de Mme Maurice Grégoire, seule rescapée, avec ses enfants, de l'une des tueries :

« Nous nous étions réfugiés chez Mr Legaye car sa maison possède les meilleures caves du voisinage. La bataille faisait rage, les obus sifflaient au-dessus de la route. Les Allemands arrivaient. Nous étions vingt-trois cachés dans l'une des caves. Comme le chien de Mr Legaye aboyait, nous fûmes forcés, pour ne pas déceler notre présence aux envahisseurs, de sacrifier la pauvre bête.
Les Allemands passaient. Vers 19H30, un d'entre eux a lancé une grenade dans notre cave. Personne n'a été blessé, mais la fumée a failli nous asphyxier. Nous nous sommes alors sauvés dans les caves voisines, car ces sous-sols sont très vastes. Une deuxième grenade a été lancée, et j'ai été blessée à la jambe.
Les Allemands ont crié par le soupirail : « Heraus ! »
Comme je parle un peu l'allemand, mes compagnons m'ont alors prié d'intervenir pour avertir les envahisseurs que nous étions des civils. Je suis alors sortie avec mes deux enfants. L'un a cinq ans et l'autre un an et demi.
J'ai montré mes blessures aux soldats et leur ai dit qu'il n'y avait pas d'Américains dans la cave. Ils ont haussé les épaules.
- Ce sont des civils qui ont tiré.
J'ai répliqué que nous n'étions pas armés. Ils m'ont alors montré un soldat allemand blessé, couché dans la rue, et ont ordonné à tous le monde de sortir des caves, promettant de ne faire de mal à personne. Quand tous mes compagnons furent remontés, ils me commandèrent de visiter les sous-sols pour vérifier s'il n'y avait plus personne. Ce que je fis. J'ai juré au sous-officier allemand que les caves étaient vides.
Celui-ci s'est alors adressé à moi :
« Vous, la femme parlant allemand, partez avec vos enfants ! «
Mes compagnons étaient rassemblés à ce moment dans le jardin. Sous mes yeux, deux soldats les ont tués froidement à coup de revolver. Il faisait noir et je distinguais à peine, mais je percevais les coups de feu et le bruit des corps qui tombaient.
J'ai entendu Mme Prince, l'une des victimes, crier : « Mes petits enfants, vous n'avez plus de maman ! « J'ai oublié de vous dire que trois personnes s'étaient enfuies après le jet de la première grenade. Je l'ignorais à ce moment-là. Je m'en rendis compte quand les allemands, les ayant rattrapées, les ramenèrent sur le champ du supplice ou elles furent abattues à leur tour. Un soldat, voyant mon épouvante, dit en ricanant : « Un beau tas n'est-ce pas ? Demain, il sera encore plus grand. » Oui, ai-je fait remarquer, j'y serai sans doute.
Il a ri. Un de ses compagnons a constaté :
« Ils remuent encore »
A quoi l'autre répondit : « Ne vous en préoccupez pas. Quand ils auront fini de saigner, ils ne bougeront plus ».
La fusillade étant terminée, ils me bandèrent la jambe et me dirent : « Allez dans une autre cave, vous y serez mieux. »
Deux soldats qui semblaient moins cruels que les autres, ont conduit mes enfants dans la cave de Mr Dejardin. Je les ai suivis. Là, je fus questionnée à nouveau par un officier qui prétendait que des civils cachés dans la cave avaient tiré sur les troupes. J'ai continué à nier.
« Si vous ne dites pas la vérité, on va vous descendre »
« Même si un fusil était braqué sur moi, je ne pourrais que vous répéter la vérité : aucun civil n'a tiré sur les troupes. »
Il n'a pas insisté.
Comme les Allemands discutaient entre eux de mon attitude, je m'attendais à chaque instant à être abattue. Je me suis réfugiée dans la cave de Mr Demarteau jusqu'au vendredi, jour du départ des Allemands.

 

Rochefort

Après la bataille, Rochefort est devenue méconnaissable. Elle a rejoint tant d'autres cités et bourgades dans le sinistre anonymat de la mort. Auriez-vous encore vu des rues quand vous vous y seriez promené dans les premiers mois de l'année qui ont suivi l'offensive ? A peine, Ou tout au moins auriez-vous été dupés par les débris qui jonchaient le sol et confondaient les lieux ou s'élevaient des habitations et ceux qui n'en abritaient aucune. Partout, c'est la ruine, l'affreux visage de la mort, des pierres. Et quand vous ne verriez pas des pierres accumulées, vous vous heurterez aux débris d'un tank allemand qu'un obus bien placé a touché de plein fouet; à moins que ce ne soit un camion abandonné, qui gît là, après combien de courses et d'exodes. Squelettes de machines auprès des squelettes de pierre. Ici, on s'est battu avec âpreté. On a tué sans pitié.
La bataille est là, toute présente, dans les traces qu'elle a laissé partout.
Les Rochefortois, pourtant sont revenus. Ils cherchent leur maison dans cette confusion de débris. Il y en a un, posément assis sur une pierre, et qui dessine sur un bloc pointu, d'un charbon ramassé dans les restes de l'incendie, la bataille de Rochefort qu'il a vécue.
« Voici la ville », dit-il en traçant un cercle sinueux.
« Mon Dieu !le 23 décembre, on y vivait encore sans trop d'inquiétudes, malgré les bruits qui couraient. Or, à ce moment, les premiers Allemands s'infiltraient dans la ville.
Les Américains s'étaient retirés sur la rive droite de la Lhomme. Et là, le duel d'artillerie commença. Les Allemands avaient fait de Rochefort leur forteresse. On me dira que c'était la guerre. Mais était-ce encore la guerre que la razzia à laquelle ils se livrèrent ? Nous voyions passer dans la rue nos vêtements, nos lits, nos couvertures, nos postes de TSF, les vivres que nous avions cachés dans nos caves, dans nos greniers, et les plus modestes bibelots que nous avaient légués nos grands parents. Ah ! C'est beau à voir comment les Allemands conçoivent la guerre et ce qu'étaient vraiment ces « messieurs si corrects » que l'on nous avait tant loués en 1940.
Ils entassaient tout sur des camions. La nuit de Noël fut pour eux une nuit d'orgie. Toutes les bouteilles de vin découvertes dans les caves des hôtels y passèrent. Ils avaient un poulet par soldat. Toutes nos basses-cours furent vidées.
De Rochefort et d'ailleurs, nous étions plus de 3500 personnes. J'en ai dressé la liste. En plus, 250 réfugiés arrivèrent des environs. Tout le monde se réfugia dans les caves et dans les grottes. Pendant quatre jours, les Allemands furent les maîtres de la ville. Pas un jour de plus.
Les patrouilles américaines franchirent la Lhomme et les combats de rue commencèrent. Les chars furent mis en action et nombre d'immeubles furent frappés de coups directs. Les Rochefortois, abrités dans les caves, vécurent des heures de cauchemar. Car une centaine de celles-ci avaient été choisies pour abris, les unes par les Américains, les autres par les Allemands. On se battait donc de cave en cave et l'on n'était pas certain qu'une grenade lancée au hasard ne toucherait pas un des refuges civils. Quant aux occupants des grottes, ils demeurèrent quatre jours et quatre nuits sans vivres, les membres glacés par le froid intense qu'il faisait pendant ce dur hiver ardennais. Les obus et les bombes pleuvaient sur la ville; les mitrailleuses crépitaient.
Les Allemands furent contraints de battre en retraite. Le poids de la force américaine était tel qu'ils ne le purent supporter plus longtemps. Ils quittèrent Rochefort. Mais avant de partir, ils tinrent à incendier tout le centre de la cité avec des grenades au phosphore. Cette nuit là fut la plus épouvantable. Les Rochefortois, qui avaient pu quitter leur ville, la voyaient flamber, du creux de leur abri. D'immenses lueurs montaient vers le ciel. Partout se répandait lourdement une âcre fumée. C'était Rochefort que la Wehrmacht assassinait.

De la place de l'hôtel de ville, la femme du bourgmestre de Rochefort, M. Paul Barnich, a assisté à l'effroyable incendie de ce quartier. Elle en a été toute choquée tellement c'était hallucinant.

Un autre habitant de Rochefort, M. Émile Englebert a vécu toute la bataille et toutes les péripéties. Voici, heure par heure le récit qu'il en a fait.
« La bataille se déroula à La Roche du 22 au 28 décembre. Les bruits de canonnade étaient encore très lointains. Peu d'Américains étaient dans le coin, pourtant, on savait que de nombreux parachutistes ennemis en kaki rôdaient dans la région. Le 22 décembre, vers 18 heures, deux chars allemands, dont un lourd, furent signalés sur la route Marche-Rochefort, près du croisement de la route de Charneux. Le son du canon se rapprochait, on se battait dans les environs.
Une foule de réfugiés se pressaient dans les rues, venant de Bastogne et des environs.
Dans la nuit du 22 au 23 décembre, à 3 h. 30 du matin, des parachutistes allemands circulaient en « jeep » et équipés à l'américaine, firent sauter le pont de pierre. Ce pont était miné depuis deux jours.
Dans la matinée, je me trouvais à l'Hôtel du Centre. La 84 eme division américaine venait d'arriver à Rochefort par la route des Ardennes. Un officier m'expliquait brièvement la situation à l'aide de la carte : des chars allemands avaient traversé la route Marche-Rochefort, en direction du village d'Humain. Ils se heurtaient aux chars alliés sur le vaste plateau du Gerny, situé à l'ouest de cette route.
Le 329 eme régiment d'infanterie américaine, appuyé par des chars Sherman prenait position sur une ligne courant le long de la route Marche-Rochefort. Une escadrille de douze « Thunderbolt » mitraillait et bombardait l'ennemi sans répit. Des unités anglaises, venant à la rescousse, se déployaient dans les parages de la route de Ciney. La liaison eut lieu entre ces deux groupes par le chemin longeant la Lhomme. La bataille faisait rage dans tout le secteur. Cependant que sur la route de Wavreille, des parachutistes atterrissaient déjà et que les chars allemands s'approchaient.
Dans l'après-midi, des renforts avaient pu parvenir aux Allemands du Gerny; les Alliés se repliaient, dans la direction de Marche, élargissant ainsi, par ruse de guerre, sans doute, le canal par lequel allait pénétrer la 5 eme armée allemande de blindés (ndlr : dans le texte original, il est indiqué 6 eme Armée allemande). Cette fois, nos défenseurs se préparaient à une double attaque : l'une par la route de Jemelle, totalement libre, l'autre par celle de Saint-Hubert qui restait utilisable.
Des chars allemands étaient signalés, arrivant de ces deux directions. Quelques canons de 75 et quelques chars prirent aussitôt position. Le combat s'engagea en pleine ville. Deux voies de retraite restaient à la disposition des Alliés, dont les forces étaient inférieures à celles des Allemands. D'autre part, l'ennemi disposait à cet endroit de plus de chars que les Américains.
Ces deux chemins sont : le chemin de la Lhomme par lequel on peut gagner les routes de Dinant et Ciney, et la voie ferrée vers Eprave; il existait encore de petits chemins secondaires, mais ils étaient quasi impraticables.
Les Américains avaient posté des mitrailleuses lourdes sur la route de Han-sur-Lesse. L'ennemi, de son côté, avait installé des chars sur la hauteur de Lorette et du Carmel; de cet endroit, on craignait une infiltration à travers le bois, par le Thier des Falizes.
Vingt-deux heures de bataille ! On vous a certainement parlé déjà de la vie dans les caves. Il est impossible que je ne vous en parle pas à mon tour. Les conditions hygiéniques y étaient souvent déplorables. Les blessés ne pouvaient guère se faire soigner. L'air se raréfiait faute d'issues, tout en étant soigneusement fermé et barricadé. Certaines caves furent bientôt inondées par suite de la destruction des conduites d'eau.
Le combat s'est poursuivi durant la matinée du 24 décembre. Au début de l'après-midi, les dernières voitures américaines ont quitté Rochefort, soit en trombe par la route de Han-sur-Lesse, soit en combattant par le chemin de la Lhomme.
L'infanterie a disparu, en tiraillant toujours, par tous les petits chemins et la voie ferrée.
Il faut savoir que, au cours de la nuit, des chars Sherman montés par les Allemands, chars prélevés dans le butin de la compagnie F du 67 eme régiment blindé, étaient parvenus à contourner la ville, venant du Gerny, et à contraindre les Alliés à se replier. Ils vinrent se poster aux environs de la route de Dinant et tinrent sous leur feu les derniers quartiers de la ville. Les Américains avaient quitté le territoire de la commune. Quand donc les reverrions-nous ?
Une longue colonne allemande, dans laquelle s'entremêlaient des « jeep », de rares camions gris, des Panther, des Opel, des chars Sherman et des camions portant l'étoile, dévalaient des hauteurs de la route de Saint-Hubert et occupèrent toute la localité jusqu'au pont de pierre. Il était 15 heures. L'infanterie traversa la rivière, nettoyant les environs. Simultanément, une autre colonne ennemie s'engagea vers les villages de Havrenne et de Buissonville par le Gerny.
Des soudards hirsutes, déguenillés et fatigués, accoutrés tous de manière différente, souvent sans casque, s'affublant de tel ou tel vêtement kaki, se précipitèrent aussitôt dans les habitations pour les piller.
Il y avait parmi eux des Allemands, des Polonais, des Autrichiens, des SS français, et des SS wallons.
Les Américains abandonnaient une douzaine de cadavres dans la ville. Une vingtaine de prisonniers avaient été faits par l'ennemi.
Le pillage systématique commença alors. Afin de dégager le passage, les soldats repoussèrent contre un immeuble de la Place Albert un camion américain en flammes; il communiqua le feu à douze maisons de commerce. Quelques autres habitations flambaient également, dont le château Delafaille qui abritait, lors de l'attaque, une douzaine de défenseurs.
Pendant les journées du 25 au 26 décembre les hordes teutonnes poursuivirent péniblement leur avance au-delà de Rochefort; suivant l'ordre de Manteuffel, elles poussèrent vers la droite. Le gros de la colonne rejoint l'avant-garde.
Elle fonça vers Ciney et atteignit les hauteurs de Leignon, point extrême de sa progression. Une centaine de blindés, cependant, sur les 500 que comptaient cette armée, s'obstinèrent vers la Meuse et parvinrent jusqu'à Celles, après les coûteux combats de Verre et Custinne. Les convois de ravitaillement en carburant et en munitions vinrent à l'arrière se mêler à ceux de la 5 eme Armée blindée. Cela provoqua un joli embouteillage des routes. Il ne faut pas s'en plaindre, puisque les convois immobilisés devinrent une excellente cible pour l'artillerie et l'aviation alliée. Durant ces deux jours, on connut une accalmie relative dans la ville. Il faisait brumeux. Les Allemands s'étaient installés. Ils avaient garé leur matériel--quelques chars et une bonne centaine de chenillettes- partout ou ils les jugeaient à l'abri d'une éventuelle attaque aérienne. Ils se préoccupaient surtout de se rassasier et de voler ce que les premiers Allemands avaient bien voulu laisser. De nombreuses fenêtres avaient perdu leurs vitres; cependant, à part les quelques immeubles déjà incendiés, les dégâts étaient peu importants. La population s'occupa de réparer hâtivement les habitations. On circula librement dans les rues; on ne sortait néanmoins que quand il n'y avait pas moyen de faire autrement. Les Allemands laissaient sur le sol les corps des Américains tombés en combattant, mais ils eurent soin de les dépouiller de leurs chaussures et même d'autres vêtements.
Du côté de Wavreille, on affirme que des cadavres ont été minés avant leur retraite.
Dans la nuit du 26 au 27 décembre, les Allemands, au nombre d'une dizaine, pénétrèrent dans le bureau de Mr Guillite, garde général des Eaux et Forêts à Rochefort. Ce dernier se trouvait, à l'insu des Allemands, seul dans la pièce voisine. L'un des visiteurs, probablement un officier, excita les hommes pendant deux heures, à fusiller tous les habitants de sexe masculin jusque soixante-cinq ans, sauf ceux qui seraient animés de sentiments nazis ou fascistes; l'officier ajouta qu'il fallait également lancer des grenades dans les caves afin de faire disparaître les femmes et les enfants.
Le temps se montra plus favorable le 27 décembre et l'aviation alliée put intervenir. Des escadrilles de « Lightning » piquaient sans cesses sur Rochefort-Bourgade et surtout sur les villages environnants : Humain, Buissonville, Forzée. Les « Piper Cub » survolaient les lignes pour renseigner l'artillerie. Ils firent preuve d'une audace magnifique. Un seul d'entre eux s'abattit en flammes entre les villages de Buissonville et Humain.
Les Alliés tentèrent une triple contre-attaque; par l'Est de Dinant, par le Sud, de Ciney et le long de la route Marche-Ciney. Ils mirent en ligne environ 300 à 400 chars de type Sherman. Les Anglais s'installèrent à Sinsin et environs. Simultanément, les Américains perçaient les fronts sud, en direction de Montgauthier, et ils réussirent à couper les renforts allemands venant de Rochefort et se dirigeant vers Celles. Contrairement aux espoirs des Alliés, l'ennemi réussit à évacuer la moitié de son matériel, mais il abandonna un grand nombre de tués, de blessés et de prisonniers.
Rochefort était sous le feu des batteries alliées; on dénombrait déjà, dans la soirée, beaucoup de maisons entièrement détruites. Par contre, les villages de Buissonville, Humain et Havrenne étaient libérés. Vers 18 heures, quelques éclaireurs américains pénétraient jusque dans la ville par le côté ouest, puis se retiraient une heure après. Un grand nombre de civils profitèrent de l'accalmie pour se réfugier dans les grottes de Rochefort.
D'autres gagnèrent les villages voisins où la bataille ne sévissait pas; Eprave, Lessive, Villers-sur-Lesse.
Ces localités ont seulement reçu la visite momentanée de quelques soldats allemands au début de l'occupation. »

Les Révérendes Sœurs de Saint-Vincent de Paul furent admirables de dévouement. Elles abritèrent dans les caves de leur orphelinat environ trois cent personnes, qu'elles s'efforcèrent de ravitailler.

Les Allemands allaient-ils quitter la ville ?
Le 28 décembre, ils n'y paraissaient pas décidés. Leurs chars lourds, installés sur les hauteurs voisines, du côté de l'est, notamment à Lesterny, répondaient sans interruption aux batteries alliées. Les « Lightning » renouvelèrent leurs attaques en piqué. Dans l'après-midi, le quartier à l'ouest et au nord-ouest de la rivière fut enfin évacué par l'ennemi. Et le soir, à nouveau, les patrouilleurs américains pénétraient dans la ville. Leur reconnaissance effectuée, ils la quittèrent, mais se fixèrent sur l'autre rive, dans le quartier de Thier.
Rochefort a énormément souffert au cours de cette journée. Un incendie provoqué par une fusée américaine, dévora une dizaine de maisons ouvrières au quartier Dewoin. Dans le nord de la cité, tout flambait.
Pendant la matinée du 29 décembre, la bataille fit rage. Les obus pleuvaient sur la ville; les combats de rues avaient repris, mais plutôt entre fantassins. On se mitraillait d'un coin de rue à l'autre, de maison à maison. Des combats corps à corps eurent lieu un peu partout. On se tuait à bout portant, on s'égorgeait à la baïonnette ou au couteau.
La canonnade ennemie se tut vers 14 heures. Peu après, les derniers soudards allemands quittaient la ville pour se retrancher dans Jemelle et au hameau d'Hamerenne, au sud-est de Rochefort. Ces deux positions étaient très faibles et mal défendues par quelques chenillettes et par une poignée d'hommes seulement. Le reste de la colonne avait disparu en direction de Wavreille et de Nassogne.
L'artillerie alliée continua à pilonner Rochefort. C'est alors que, par deux fois, M. Auguste Pigeon, se dévoua pour se rendre au Gerny, où avaient pris position les canons alliés, afin d'annoncer que Rochefort était abandonné par les Allemands. L'infanterie américaine resta sur la défensive. La ville était d'ailleurs inaccessible aux véhicules car les ponts de Lessive, Eprave et Han-sur-Lesse, ainsi que celui de Rochefort donnant accès à la route de Jemelle, avaient sauté. Une seule passerelle, celle de l'Abattoir, en aval, tomba intacte aux mains des Américains. De rage, les Allemands arrosèrent Rochefort d'obus incendiaires, et, tandis qu'ils poursuivaient leur repli, les derniers incendies, très violents, illuminaient cette nuit de libération.

Le dernier obus tomba sur la ville à neuf heure et demie le 30 décembre. Peu à peu les gens se risquèrent dehors. On entendit chuchoter :
« Ils sont partis ? On le dirait… mais alors, où sont donc « les autres » ? »
Était-on vraiment libérés ? On pouvait en douter, car l'incendie faisait encore rage. Il ne s'éteignit que trois jours après, faute de combustible. Les pompiers étaient partis, et les conduites d'eau étaient détruites. Mais, tout comme en mai 1940, le bourgmestre était resté à son poste.
Pendant la journée, plusieurs soldats ennemis, Polonais et Autrichiens, sortirent on ne sait d'où et partirent, bras levés à la rencontre des Américains. La bataille de Rochefort se terminait par quelques redditions. Les Américains campaient sur l'autre rive de la Lhomme. Ils ne pénétrèrent guère en ville et furent remplacés, dès le lendemain, par des Anglais et des Canadiens. Une poignée d'Allemands tenaient encore Jemelle et Hamerenne.
Ce dernier hameau fut nettoyé le 3 janvier et Jemelle, le 7 janvier.
Les Frères des Écoles Chrétiennes, aidés de quelques hommes dévoués, ont veillé à donner une sépulture aux cadavres de soldats américains et allemands, ainsi qu'aux civils tués au cours des bombardements. Rochefort libérée avait un impressionnant bilan de morts et de blessés.
Les autorités communales transmirent le bilan de la bataille. Le voici :


Civils tués : 33

Civils gravement blessés : 5

Civils déportés : 2

Maisons incendiées ou détruites : 112

Maisons endommagées : 732 (dont l'église et le cimetière)

Militaires américains : 10

Militaires allemands : 30


A signaler que Rochefort comptait 940 maisons et que 844 ont donc été touchées ou détruites, soit 90 % des immeubles.

 

Jemelle

Rochefort délivrée, ce fut le tour de Jemelle. Trois semaines durant, les obus y étaient tombés en masse endommageant de nombreuses habitations. Jemelle compte deux mille cinq cents habitants. Deux mille d'entre eux s'enfuirent dans les bois à la recherche d'un abri contre la pluie d'obus. Ou se cacher, sinon dans les grottes.
Tout les y appelait, puisque la commune elle-même, redoutant les bombardements, les avait pourvues d'un éclairage électrique. Donc, tout le confort ! Oui, mais pas pour longtemps. Les premiers obus coupèrent le courant et l'on en fut réduit au pétrole, à l'acétylène et aux chandelles. On eut vite mangé les provisions qu'on avait emportées. Puis il fallut que, risquant la mort à tout instant, les volontaires s'efforçassent d'aller quérir quelque ravitaillement, maigre et parcimonieux, dans les fermes voisines. Quant aux conditions d'hygiène, dans les grottes, il est superflu d'en parler. La pénurie d'eau encouragea le développement des maladies. C'est dans les caves du pensionnat que, tandis que tombaient les obus et que pleuvaient les balles, furent transportés les blessés.
Là, les bonnes sœurs et le docteur Dubois de On, leur prodiguèrent des soins avec un dévouement inlassable.
Les Allemands n'ignoraient pas l'existence de cette colonie de modernes troglodytes; mais dans toute lâcheté se tapit la peur. Ils vinrent regarder l'entrée avec une craintive méfiance. Ces couloirs souterrains les terrorisaient. Lâches avec les autres, ils l'étaient avec eux-mêmes.
Quand on vit sortir, après vingt jours de réclusion, ces pauvres, enfermés des grottes de Jemelle, ils avaient l'air de fantômes. Mais malgré tout, ces fantômes souriaient aux alliés qui les avaient délivrés et auxquels ils devaient tout au moins le bonheur de pouvoir encore sourire.

 

Noville-lez-Bastogne

A mi-chemin entre Bastogne et Houffalize, Noville n'était occupé en 1944 que par environ 250 personnes. Avec ses hameaux, on en arrive à 1300 habitants, mais sa situation géographique, entre deux endroits ou la bataille fut assez violente lui valut d'être particulièrement éprouvé.
Sur 40 maisons, 30 furent détruites et 10 inhabitables. Là, furent également fusillés 7 habitants pris au hasard.

Aux premières heures du mercredi 20 décembre la bataille faisait rage aux abords du village. Les Allemands attaquaient sans répit. Une véritable pluie d'obus s'abattait sur les maisons au nord de la route.
Vers 16 heures, les Américains furent contraints de se replier. Dans la soirée, les Allemands pénétraient dans la localité parmi les ruines fumantes des fermes et des maisons. Les habitants qui n'avaient pas fui s'étaient réfugiés dans les caves.
A chaque explosion, ils croyaient que leur dernière heure était venue. Durant la nuit, plusieurs d'entre eux quittèrent Noville pour aller se cacher dans les bois voisins. Ce fut le cas de Mr Beaujean et de sa famille.
Le lendemain ils revinrent au village. Les Allemands en profitèrent pour faire une rafle, ramassant tous les hommes qu'ils trouvaient

Mr Fernand Beaujean raconte :
« Ils m'ont dit : montez là-haut, c'est à dire vers le centre du village. Un soldat alsacien m'accompagnait. Quand je suis arrivé près de la maison communale, on m'a poussé vers un groupe d'hommes qui y étaient déjà rassemblés, une vingtaine en tout. Puis, en rangs serrés, trois par trois, les soldats nous ont conduits devant la maison communale.
Là, ils ont choisi au hasard sept hommes : le curé, Louis Delvaux (45 ans); l'instituteur, Auguste Lutgen (45 ans); les deux frères François et Félix Deprez (30 et 35 ans); Joseph Rosière (35 ans) ; Romain Henquinet  (42 ans) et mon fils Roger Beaujean (21 ans).
D'une voix rude, l'un des Allemands se tournant vers nous, cria : « Vous autres, vous pouvez partir. »
Ils parlaient le français correctement, étant tous d'origine alsacienne.
J'ai entendu qu'ils disaient aux sept hommes : « croisez les mains derrière la tête et suivez-nous. »
J'entendis encore un soldat qui demandait à son chef : « Où est-ce que nous allons faire ça ? »
Et l'officier montrant du doigt un immeuble en ruines, voisin de l'église répondit : « Là, derrière. »
Je marchais lentement, anxieux, me dirigeant vers ma maison. Les sept hommes suivaient. Ils furent conduits derrière chez Jacoby. J'entendis soudain un coup de feu.
Je me retournai et je vis chanceler le curé qui venait d'être abattu par l'officier d'un coup de revolver. Puis, une fusillade éclata et je vis tomber les six autres victimes, dont mon fils. Je suis rentré chez moi atterré. »
Un détail a été fourni par d'autres témoins de Noville : Tous les soldats allemands portaient sur le casque un écusson aux couleurs françaises.

(ndlr : les casques allemands avaient également un écusson, dont les couleurs usées pourraient ressembler aux couleurs françaises. Il n'y a pas eu, à ma connaissance de casques spéciaux avec des écussons des nationalités ayant combattu sous les couleurs allemandes, ces écussons étant plutôt cousus sur les vareuses, comme la division « Charlemagne », ou la « Wallonien »)

Lorsque plus tard, lorsque le dégel fit fondre la couche de neige qui recouvrait les cadavres des suppliciés, on constata qu'un huitième corps se trouvait parmi ceux des sept victimes de Noville. On put l'identifier. Il s'agissait de Michel Stranen, de Troine (Grand Duché de Luxembourg). Rattrapé sans doute par les Allemands alors qu'il cherchait à se mettre à l'abri, il fut exécuté.

 

Bande

Bande se présente comme Marcour. Le village remonte un versant de la vallée; la chaussée de Marche à Bastogne court dans le fond, le long de la Wamme, avant de pénétrer dans les bois. Pareil endroit se prête parfaitement aux opérations des partisans : au cours de l'été 1944, deux scieries y ont été sabotées ainsi que la ligne du vicinal. Comme les Allemands y ont installé un camps de « noirs » flamands, ces miliciens exécrés, on en mitraille un groupe qui convoie un transport de bois et l'un d'eux est tué. Dans les premiers jours de septembre, un camp de l'Armée Secrète vient s'installer à son tour au-dessus du village.
Le 4, les embuscades commencent. Le 6, trois Allemands sont tués à proximité du village. Cette région se révèle vraiment peu commode. Aussi, les Allemands se fâchent-ils tout de bon : le même 6 septembre, revenant en force, ils incendient toutes les maisons de Bande qui bordent la grand-route.
« Vous partir, nous brûler » disent-ils aux habitants, en les forçant à sortir de chez eux sur le champ sans avoir la possibilité de rien emporter.
Trente cinq familles voient ainsi, sous leurs yeux, flamber leur demeure. Un seul homme est alors tué, en essayant de s'échapper par une issue de derrière.
Lorsque sans combats, les Allemands revinrent à Bande, le vendredi 22 décembre, les habitants eurent la surprise de retrouver parmi eux des éléments qui les avaient déjà « occupés ». Ceux qui furent cantonnés au village se comportèrent cependant correctement. Mais dans les ruines, sur la chaussée, un groupe s'installa à part. Le gros de la troupe ne fraternisait pas avec lui. C'est ce groupe qui, à peine arrivé, intime l'ordre aux habitants de livrer leurs drapeaux. Quelques-uns s'exécutent, d'autres les enterrent.
Le dimanche, à l'heure de la grand-messe, les mêmes soldats remontent au village; ils ramassent tous les hommes de 17 à 32 ans qu'ils peuvent trouver en rue et dans les maisons ? Où vont-ils ? « Au contrôle .»
On les emmène en effet vers le bas du village pour les rassembler, à l'angle de la chaussée, dans les vestiges de la scierie Rulkin-Tasiaux, brûlée en septembre. Combien sont-ils ? Environs 70 ; dans l'après-midi, d'autres hommes viendront les rejoindre, raflés dans le village voisin de Grune.
On se met à les interroger vers 13 heures. Il s'agit des embuscades du maquis; ce que les allemands cherchent avant tout, ce sont les « terroristes » dont le souvenir les hante. Ils paraissaient d'ailleurs bien renseignés, feuillettent des listes, nomment des dirigeants par leur sobriquet. Et comme, à leurs questions, certains se montrent peu empressés à répondre, on les y stimule à coups de bambou. Déjà les habitants avaient remarqué que, dans ce groupe, certains parlaient français vraiment trop bien pour des Allemands. On sut plus tard qu'il comprenait, entre autres, un Breton et un Niçois. A l'interrogatoire, l'un des chefs se distingue en outre par un ton gouailleur et un accent nettement faubourien. Aurait-il été de Paris ?
Mais l'interrogatoire se prolonge et les familles s'inquiètent. Craignant un départ pour l'Allemagne, on apporte aux prisonniers des vivres, des vêtements. Dans l'entre-temps, sous les yeux des villageois, les Allemands font un feu de joie du monceau de drapeaux qu'on leur a remis. L'anxiété grandit, d'aucuns intercèdent pour leurs proches.
Ce n'est pas toujours peine perdue. Se souvenant qu'on est à la veille de Noël, les Allemands libèrent un tenancier de café en échange d'une vingtaine de bouteilles. Mais quand l'abbé Musty, professeur au petit séminaire de Bastogne, cherche à dégager un groupe de ses élèves, réfugiés avec lui à Bande, on le reçoit par ces mots :
« Was Kommt Der Pfaffe Hier Tun ? » Que vient-il faire ici ce curé ?
« Und Du, Schwartze Seele, Los, Aber Schnell . » Et toi, âme noire, va t'en et rapidement.
L'après-midi avance et voici le crépuscule. Les hommes ne sont toujours pas relâchés. Vers cinq heures, cependant, il apparaît que les décisions sont prises. On retient les plus jeunes au nombre de trente-trois. Dans un baraquement, derrière la scierie, ils se voient dépouillés de tout ce qu'ils portaient sur eux : bijoux, argent, objets de piété. Quant aux habitants qui s'étaient rapprochés des lieux, ils furent eux-même refoulés vers le haut du village, avec défense stricte d'en descendre. Tout passant est dès ce moment écarté de la chaussée. Personne ne peut voir ce qui va s'accomplir.
Les prisonniers sont alors rangés par trois et des soldats les mènent, les mains sur la tête, un peu plus loin sur la grand' route. Le groupe s'arrête devant une maison incendiée à l'enseigne du café de la poste, et s'y adosse. L'officier à l'accent parisien commande le détachement. Il pénètre dans la maison voisine, en ruines aussi, celle de M. Bertrand.
Cela fait, un feldwebel s'avance, met sa main sur l'épaule d'un homme et le conduit jusque dans le vestibule de cette maison. On entend un coup de feu. Le soldat reparaît seul. Du même geste, il se saisit d'un autre homme, et la scène recommence. Elle se répète tant et si bien que la terreur s'empare de ceux qui restent. Ils ont compris … L'un d'eux, un jeune costaud, réagit cependant. A voix basse, il engage ses compagnons à se redresser, à bousculer leurs gardes, à jouer le tout pour le tout. Hélas ! Ils sont glacés d'effroi. Quand vient son tour, le vingtième, Léon Praile se laisse emmener, lui aussi, mais à peine a-t-il fait quelques pas qu'il assène au gardien, en pleine figure, un coup qui l'assomme. S'élançant dans l'obscurité, il traverse la route, franchit la Wamme, se faufile derrière les haies, gagne le bois. On le pourchasse, on tire, mais sans l'atteindre. Il y aura un rescapé, il y aura aussi un témoin.
Personne à Bande, ne sut en cette lugubre veillée de Noël quelle effroyable tragédie venait de s'accomplir. Tout le monde croyait à une déportation, sauf le bourgmestre, bientôt averti en grand secret par Léon Praile, qui se terrait dans une grange.
C'est le 11 janvier seulement, lorsque Bande fut délivré par des parachutistes anglais, que le dénouement du drame put-être éclairci. Le rescapé, le bourgmestre et un officier allèrent explorer la maison Bertrand. Au fond de la cave, béante depuis septembre, gisaient trente quatre corps, dissimulés sous un amoncellement de planches à demi brûlées, que la neige avait elle-même recouvertes. On comprit alors ce qui s'était passé. L'officier allemand se tenait dans l'étroit passage d'entrée de la maison; chaque fois qu'une de ses victimes y était introduite, il lui appliquait le revolver sur la nuque et, le coup parti, il faisait basculer le corps dans le trou.
Trente quatre tués, dont neuf seulement de Bande. Les autres étaient des réfugiés des villages de l'est, jusqu'à Vielsalm et Gouvy. Trois avaient été amenés de Grune. Le jour de Noël, on avait vu deux civils escortés de soldats, traverser Bande, venant de Roy. On les retrouva aussi dans la fosse.
Sur une porte de grange, on déchiffra alors une inscription : « Vengeance aux héros fusillés par les terroristes en septembre ». Rache, la vengeance en Allemand est sacré dans le vocabulaire hitlérien. Vengeance avait été faite, mais avec le bandeau sur les yeux. Des trente-quatre victimes, un bon nombre n'avait trempé en rien dans les affaires du maquis. Qu'importait ce détail ? Ces innocents devaient payer pour les coupables. Suivant des témoins, l'officier bourreau aurait déclaré que des ordres directs d'Himmler imposaient de tuer trente Belges dans le village de Bande, en représailles de la mort des soldats allemands tués par ceux du maquis.
Les gens de cette unité s'appelaient eux-même une « compagnie spéciale d'Himmler » et aussi un « Standgericht », c'est à dire un tribunal de campagne.
Les années ont passé. La justice a-t-elle voulu que par la suite, ces bourreaux ont payé à leur tour les exactions qu'ils ont commises à Bande !

Témoignage de Léon Praile (NDLR: Un autre témoignage de Léon Praile est donné ICI. Il y a 40 ans de différence entre les deux témoignages.)
« Nous avons été arrêtés vers 11 heures, l'interrogatoire a duré jusque quatre-cinq heures. Ils voulaient savoir le nom de certains maquisards qui avaient tué des officiers allemands sur la route Marche-Bastogne en septembre. Les hommes qui nous interrogeaient faisaient partie d'une troupe spéciale, ils n'avaient rien à voir avec la Wehrmacht et les SS. Ils parlaient couramment le Français. Il y avait, semble-t-il un Suisse, des Français et des Belges. Vers cinq heures, ils ont groupé les plus jeunes et renvoyé les plus vieux. Ils nous ont enlevé tout ce que nous possédions, montres, cartes d'identités, papiers, etc. Cela devenait grave. On nous a alors transférés le long de la route, à l'extérieur. On nous a rangé sur trois rangs, les mains en l'air. Alors, ils ont commencé à tuer les prisonniers un par un. Un soldat conduisait le premier homme vers la cave. On entendait le coup de revolver. C'était toujours le même soldat qui conduisait vers la cave, il y en avait donc un autre qui tuait dans la maison.
On entendait crier.
J'ai essayé au début d'exciter mes compagnons pour se sauver, pour provoquer une espèce de débandade, mais ils n'ont pas répondu. Ils étaient déjà plus morts que vifs, il n'y a pas eu de réaction.
J'étais le quinzième, je savais que j'allais faire quelque chose mais je ne savais pas encore quoi. Arrivé deux mètres avant l'entrée de la maison, j'ai frappé l'Allemand au visage. J'avais les mains en l'air, il m'a donc été facile de le frapper sur le nez. Il est tombé et j'ai commencé à courir le plus vite possible le long de la route.
J'ai aperçu deux officiers habillés en noir, ce qui m'a obligé de traverser la route. Là, j'ai sauté une barrière, et c'est à ce moment là que les Allemands ont tiré sur moi. Mais j'étais déjà dans les champs, j'étais pratiquement sauvé. J'étais alors déjà un peu plus calme, j'ai d'abord pensé traverser les lignes, j'ai essayé toute la nuit mais il y avait tellement d'Allemands dans tous les coins que j'ai dû rebrousser chemin vers le village. Le matin se levait quand je suis entré dans la maison de mon oncle où j'ai été me mettre au fenil, bien caché dans un coin. J'y suis resté jusqu'au 10 janvier, jusqu'au départ des Allemands. Le 11 janvier les Anglais arrivaient. Je leur ai signalé ce qui s'était passé et avec mon oncle qui était bourgmestre, nous avons découvert les 34 cadavres. »

Témoignage de Monseigneur Musty
« La plupart des élèves du Petit Séminaire de Bastogne sont partis le 18 décembre dans l'après-midi car il n'y avait plus de chauffage. Je me souviens que certains ont pris le dernier train qui partait pour Marche. Sont restés au séminaire les étudiants qui habitaient l'est du pays et les Luxembourgeois. On ne voulait pas les abandonner, ni les jeter dans la gueule du loup.
Mais le mercredi on a pris la décision de quitter la ville avec les derniers élèves qui restaient. On s'est réparti en trois groupes. Un groupe est allé se réfugier chez la Baronne Greindl, un autre chez les pères rédemptoristes au Beauplateau, et enfin le troisième est parti à pied vers l'intérieur du pays.
J'accompagnais ce groupe. Le premier soir nous avons logé à Baconfon, près de Tenneville. Toute la nuit on a entendu des coups de feu. Le lendemain matin, j'ai décidé de célébrer la messe à l'église de Tenneville. Mais en sortant pour aller vers l'église, je me suis retrouvé nez à nez avec un soldat américain qui semblait tout penaud ; il avait froid, il avait faim et il disait que les Allemands étaient à quelques centaines de mètres. Il avait perdu tous ses camarades.
Je me suis dit : il n'est pas question de rester ici. Nous avons donc repris immédiatement la route toujours vers l'intérieur du pays. Un peu plus tard on s'est arrêté à Bande; les gens nous invitaient à rester, disant qu'il n'y avait pas de danger. Les jeunes de Bande étaient prêt à partir avec leur bicyclette, ils attendaient. Nous sommes donc restés là tranquillement le jeudi après-midi. Le vendredi matin les garçons étaient encore assez fatigués.
On a encore reporté notre départ. Mais dans l'après-midi, on a entendu des bruits de tanks qui passaient sur la route. C'était des tanks allemands. Le samedi matin, le village était occupé par l 'armée allemande.
La journée s'est passée calmement. Le dimanche matin, je célébrais la grand-messe, et au moment de sortir de l'église on est venu me dire qu'on arrêtait les jeunes dans le village. Les gens qui étaient dans l'église hésitaient à sortir. Certains voulaient se cacher dans le clocher. J'ai conseillé aux gens de rentrer chez eux. En début d'après-midi j'ai fait le tour des maisons où étaient les élèves de Bastogne. Il y en a deux que je n'ai pas retrouvés. Ils s'étaient mis en route pour assister à la messe. Ils ont probablement été arrêtés sur le chemin les conduisant vers l'église.
Deux autres étaient dans la maison de Mr Gouverneur avec le fils de la maison, André Gouverneur. Dans cette maison, les Allemands s'étaient présentés dans la matinée, ils avaient demandé s'il y avait des hommes. Madame Gouverneur leur avait répondu de façon évasive, en disant qu'il n'y avait personne à la maison. Je leur ai alors recommandé de ne pas bouger, en me disant : si on est venu ici, on ne reviendra pas. Un quart d'heure plus tard, j'ai vu passer sur la route mes deux élèves, plus André Gouverneur, avec un Allemand. Je ne pouvais pas les laisser comme ça et j'ai décidé de les accompagner, d'autant plus que je parlais allemand. J'ai expliqué au soldat qui nous étions, pourquoi nous étions à Bande et il m'a rassuré en me disant : « Mais oui, c'est normal, vous expliquerez tout ça. » Nous sommes arrivés sur la nationale 4, près des ruines de la maison où étaient enfermés ceux qui avaient été arrêtés dans la matinée.
Un officier allemand très dur, m'a alors demandé l'âge des jeunes gens. Je lui ai répondu : « 18 ans, 17 ans, le plus jeune, André Gouverneur, 16 ans ». Mais immédiatement il m'a mis le revolver sur la poitrine en me disant en allemand : « Toi, le corbeau noir, fiche le camp. » J'essayais d'expliquer un petit peu, mais il n'y a rien eu à faire.
Je suis alors remonté au village, chez l'instituteur, et on a attendu, attendu. Le soir vers 7 heures ou 7 heures 30, un Allemand est venu chez l'instituteur. Il parlait parfaitement le français avec un accent qui n'avait rien de belge. « Ah ! C'est vous le curé. On aurait voulu avoir des bougies pour fêter la Noël. » Cher Monsieur, lui ais-je répondu, je suis réfugié ici et je n'en ai pas. « C'est dommage. » et il est reparti. Je suis convaincu que c'était un des soldats qui avait tué les jeunes gens et qui, mission accomplie, s'apprêtait à fêter la Noël. Alors, les journées se sont écoulées. On ne savait rien. On ne se doutait pas de ce qui s'était passé sur la Nationale 4. Tout ce que l'on craignait, c'était qu'ils aient été pris pour travailler pour l'armée allemande.
Le lendemain du nouvel an, des Allemands sont de nouveau passés dans les maisons, cherchant des hommes pour aller travailler sur les routes. On leur a dit de se munir de couvertures et de prendre du ravitaillement pour quarante-huit heures. Dans les caves, l'inquiétude augmentait, surtout quand les 48 heures ont été passées. Le mari de madame Gustin avait été emmené par les Allemands et tout à coup, n'y tenant plus, elle m'a dit : « M. L'Abbé, croyez-vous qu'il leur est arrivé la même chose qu'à ceux qui ont été arrêtés le 24 ? » Je ne comprenais pas. « Je ne devrais pas vous le dire, mais je n'en peux plus, il faut que je vous le dise. Ceux qui ont été arrêtés le 24 ont tous été fusillés. » Je ne pouvais pas le croire.
Le temps passait, on entendait d'autres échos, on disait par exemple qu'ils avaient été vus travaillant sur des routes. On s'accrochait à tout ce qui pouvait donner un peu d'espoir. Le 11 janvier au soir, les Allemands ont quitté le village et le 12 au matin, les Anglais étaient là. Quand j'ai vu le premier Anglais, je n'ai pu m'empêcher d'aller lui dire que les Allemands avaient tué des jeunes gens. Quarante ans après, je vois encore toute la surprise dans le regard de cette homme. « Why ? » m'a-t-il demandé. Ce n'était pas possible, il ne comprenait pas que ça puisse arriver.
Nous sommes alors descendu vers la Nationale 4 avec Léon Praile et Pierre Hannart, l'étudiant qui était avec moi. Léon Praile nous a indiqué l'endroit; c'était une maison qui avait brûlé au mois de septembre, la cave était béante. On avait déposé un plancher en oblique sur la cave, et il avait neigé sur ce plancher. Léon Praile a dit : « Ils sont là. » Les soldats anglais se sont laissés tomber dans la cave, ils ont soulevé le plancher et on a vu le tas de 34 cadavres qui étaient là depuis la veille de Noël. Ils étaient là dans le froid, blessés de tous côtés, gelés. C'était un spectacle atroce.
On est alors remonté au village pour le dire aux gens, aux parents. On a dit que ce massacre était une riposte à la mort d'officiers allemands abattus par la Résistance à Bande en septembre 44 lors de la retraite. En tout cas, je me souviens avoir vu inscrit, en allemand, sur un baraquement qui se trouvait à côté de la maison ou ont été abattus les jeunes gens : NOUS VOULONS LA VENGEANCE. Cette inscription était faite avec des boules de neige, et de ce fait, elle n'est pas restée très longtemps. Mais je l'ai lue de mes yeux.
Jusqu'au 18 janvier, jour des funérailles, j'ai passé presque toutes mes journées à recevoir des parents de victimes qui venaient reconnaître les corps. Et je me souviens d'un officier américain qui m'a dit : « M. L'Abbé, je vais obliger tous mes soldats à passer devant ces 34 cadavres. Je veux qu'ils se rendent compte que c'est vrai. Cela va paraître dans la presse américaine, les gens vont hausser les épaules et dire que c'est de la propagande, qu'il n'est pas possible que pareille chose arrive. Je veux qu'ils viennent voir que tout cela s'est bien passé. »

 

Parfondruy

Au hameau de Parfondruy, vingt-quatre personnes ont été mitraillées dans une remise. Un bébé de deux ans échappa par miracle à cette hécatombe. Il se trouvait sur les bras de sa mère. Au moment où les Allemands ouvrirent le feu, la femme parvint, dans un ultime geste de défense, à protéger son marmot. Elle se retourna, reçut la charge dans le dos et s'affaissa, mortellement atteinte, recouvrant le corps du bébé. On retrouvera le gosse deux jours plus tard, transi de froid et presque sans vie, sous le cadavre de sa mère; il était blessé.
Le père de l'enfant, Mr Thonon raconte :

« J'étais à Huy et je suis rentré le 30 décembre chez moi, pour retrouver ma jeune femme parmi les victimes.
Elle attendait un bébé pour la mi-janvier. Quand à ma gamine, âgée de deux ans, elle était restée durant deux jours parmi les cadavres. Découverte par Mme Hurlet, cette dame la confia à des Américains qui l'emmenèrent à Dison, où je l'ai retrouvée. »

Mr Jules Hurlet raconte aussi :

« Nous étions réunis dans la cuisine avec des voisins, quand un soldat allemand fit irruption. Il m'attira au dehors et m'ordonna de me placer devant le mur de ma ferme, dans le but, sans doute de me fusiller. Ma servante, qui parle l'allemand, car elle est luxembourgeoise, intervint en ma faveur. Tous deux parlementèrent assez longuement, puis, je fus relâché. Je rentrai dans la maison avec ma servante et le Boche s'en fut en maugréant. Un quart d'heure plus tard, deux autres Allemands arrivèrent, venant de la route de Coo. Ils nous firent sortir tous et nous poussèrent dans le garage. Nous étions quinze. Soudain, sans mot dire, un des Allemands braqua sa mitraillette dans notre direction et ouvrit le feu. Quatorze d'entre nous tombèrent. Neuf succombèrent sur le champ. Cinq furent gravement blessés. Un seul resta indemne.
Pour que l'on ne les oublie pas, voici les noms des morts :


Mme Thonon 31 ans

Mme Beauvois et son fils Paul âgé de 7 ans

Mme Lucien Hurlet-Nouprez et sa fille Christiane âgée de trois ans

José Mors 15 ans

Léon Grismer

Émile Colin âgé de 7 ans et demi

Léonie Angèle, 26 ans


Les blessés étaient :

Monique Thonon 2 ans

Yvan Beauvois

Irma Loffet

Ma femme et moi même, Jules Hurlet


Au moment ou les Allemands ont tiré sur ma femme, celle-ci portait dans les bras, le petit Yvan Beauvois. Elle est tombée, atteinte de plusieurs balles à l'épaule et à la jambe. Puis elle s'est sauvée derrière la maison, a emmené encore la petite Marcelle Beauvois, sœur d'Yvan. Elle s'est ensuite réfugiée, avec les deux enfants, dans les bois de Masure, ou elle a passé la nuit. Mme Hurlet s'est jetée sur eux pour les préserver des projectiles.
Le lendemain, la canonnade et le fracas ayant cessé, elle se sentit rassurée et abandonna quelques temps les petits, apaisés, pour regagner la ferme. Elle s'introduisit dans le garage et constata que je n'étais pas parmi les victimes. Elle en conçut un immense espoir. Elle m'avait cru mort. En réalité, je m'étais réfugié dans les caves de la maison Gillard, après que les balles allemandes m'eussent miraculeusement épargné.
Quand je dis épargné, j'exagère un peu. J'avais une balle dans le pied droit, des balles dans les mains, et de la mitraille aux genoux. De plus, j'étais devenu sourd.
Je dois la vie au fait que j'ai été atteint le premier. Les cadavres de mes compagnons étant tombés sur moi, les Allemands ne se sont pas souciés de m'achever. Ils me croyaient mort.
Malgré mon état grave et me rendant compte que ma retraite n'était pas sûre, je me traînait au prix de mille souffrances dans le bois. Mon domestique, Jules Blaise, qui se trouvait dans le fenil au moment de l'arrivée des Boches, s'était enfui. Il me retrouva dans une excavation pratiquée par des bûcherons. Il m'a tiré de mon trou et m'a conduit en lieu sûr. »

 

Saint-Vith

Prenez une carte de Belgique, et joignez, par une ligne, Stavelot à Bullange. Faites un trait de Bullange à Saint-Vith. Joignez enfin Saint-Vith à Vielsalm et Vielsalm à Stavelot. Vous obtiendrez approximativement un quadrilatère. Des quatre villes d'angle, deux sont totalement détruites : Bullange et Saint-Vith, et les deux autres sont fortement endommagées : Vielsalm et Stavelot.
Entre cette dernière ville et Bullange, se dressent les ruines de Malmédy. A l'intérieur du quadrilatère, c'est la désolation la plus complète. Tous les villages qui y sont inscrits, tels Faymonville, ont été ravagés.
Mais la cité sacrifiée entre toutes, celle qui mérite la palme de martyre, est incontestablement Saint-Vith. Nous y sommes venus au début de février. Deux mois plus tôt, nous nous y trouvions. La petite ville rustique s'était offerte alors à notre vue toute souriante, paisible et de charmant accueil; derrière un bouquet de sapins dont l'odeur venait à nous, comme un souhait de bienvenue. Arrivés au même endroit, nous avons cherché en vain la silhouette de ces habitations.
Après un moment de stupeur, nous avons bien dû nous rendre à l'évidence. Saint-Vith avait disparu. Elle a été rayée de la carte. Les maisons ont été écrasées sous les bombes. C'est une ville morte que nous traversions. On pouvait s'y croire transporté sur quelque champ de fouilles de Grèce ou d'Anatolie. Tout est rasé; tout est anéanti. Trois cents habitants environ -on ne savait au juste- gisaient toujours sous les décombres. Seules quelques autos américaines circulaient parmi les ruines dans un invraisemblable bourbier.
Le cimetière lui-même n'a pas été épargné : labouré par les bombes, de nombreuses tombes ont été détruites et maint cercueil y fut éventré. Des ossements furent projetés au loin.
Le bourgmestre (maire pour les Français), ainsi que l'abbé Bush, curé de Saint-Vith, qui venaient d'arriver de Bruxelles en même temps que nous, regardaient les vestiges de la cité, avec des larmes dans les yeux.
Le commissaire d'arrondissement, qui les accompagnait, ne détachait pas son regard de ces quelques monceaux de débris et de briques, sans lesquels on ne découvrirait même plus l'emplacement de la cité défunte. Il n'est pas superflu, pour mieux comprendre ce qui s'est passé ici, de reprendre un peu l'histoire militaire de la bataille de Saint-Vith.

 

Wanne

En 1946, monsieur Edmond Englebert, secrétaire communal, a fait le témoignage suivant :

« Les Allemands ont fait leur apparition à Wanne, le lundi 18 décembre un peu avant midi. Vingt-huit blindés arrivèrent par la route Henumont-Wanne et se dirigèrent vers Trois-Pont et Stavelot. Dans la soirée, une vingtaine de ceux-ci rebroussèrent chemin vers l'Allemagne, mais ce ne fut pas pour longtemps. Le lendemain, un nouveau contingent de blindés plus nombreux revint à Wanne, et y séjourna jusqu'au mardi après-midi. Jusque là, aucun incident n'avait eu lieu entre les Allemands et les habitants.
Tout se résumait à quelques têtes de bétail enlevées et aux réserves alimentaires volées. Mais cela changea avec l'arrivée de l'infanterie vers 15 heures. Elle apportait la terreur avec elle. Crevant de faim et tout dépenaillés, ces soldats sillonnèrent le villages, revolver et mitraillette en main, exigeant du pain, du beurre, des œufs et du lard.
Si un habitant ne donnait pas tout de suite les vivres exigés, la maison était mise à sac. En quelques instants, le pillage des fermes et des autres habitations fut complet. Vers 5 heures, des rafales de mitraillettes furent perçues. Un groupe de soldats, de leur seule initiative tuaient les hommes du village, près de l'église. Ils en abattirent cinq et ne furent arrêtés dans leur macabre besogne que par un ordre d'un chef annonçant le départ.
Le lendemain, chez un brave homme de cultivateur, les SS trouvèrent, cachées dans la grange, une sacoche et une cartouchière de soldat allemand. Ils arrêtèrent le cultivateur, le traînèrent de bureau en bureau et finalement le tuèrent dans un champ.
Au village d'Aisemont, les Nazis ont tiré sur un groupe de trois personnes qui se rendaient dans un abri chez leur voisin, tuant une jeune fille et blessant un jeune homme. Dans les autres villages des environs eut lieu un pillage en règle des habitations. »

En hommage, voici les noms des victimes de Wanne :


Counet Émile

Counet François

Hemroulle Émile

Hemroulle Léon

Milbers Louis

Maréchal Théophile

Manguette Denise, réfugiée de Liège et âgée de 18 ans

 

Renardmont

Madame Veuve Léon Hourand-Marcas de Ster témoigne :

« Le mardi 19 décembre, de nombreux habitants du hameau de Ster, situé à trois kilomètres de Stavelot, s'étaient réfugiés dans la cave-abri de Mme Veuve Jules Gaspar. Au début d'après-midi, fatigués de rester dans ce refuge, quelques hommes en sortirent pour aller « prendre l'air » sur le chemin voisin de la maison. Quelle ne fut pas leur stupéfaction quand, tout à coup, ils se trouvèrent en présence de soldats allemands camouflés en Américains.
C'étaient des S.S. Ils forcèrent les hommes à marcher devant eux. Passant devant la ferme Gaspard, les nazis firent sortir des caves les personnes qui s'y étaient cachées et les réunirent dans la cour. L'un des soldats allemands, ayant fait un signe de la main comme s'il voulait parler à quelqu'un, je m'approchai avec une autre jeune femme.
Il prétendit que l'on avait « lancé quelque chose ». Simple prétexte pour prendre les hommes et les joindre à ceux qu'ils avaient déjà enlevés de la maison Gaspard. A la ferme suivante, ils aperçurent M. Blaise qui ouvrait la barrière de sa cour. Ils l'arrêtèrent également.
Ils s'emparèrent aussi de M. André qui travaillait paisiblement derrière sa demeure. C'est avec ce contingent de pauvres hommes qu'ils arrivèrent à Renardmont, situé à dix minutes de Ster. Ils firent entrer tout le monde dans la cour d'une petite ferme, frappant de leur fusil ceux qui tentaient de se rebiffer. Ils allèrent encore chercher à leur domicile, à Renardmont, Jules Willem et son frère Léon. Ces deux nouvelles victimes vinrent donc s'ajouter aux dix-neuf autres qu'ils avaient déjà recueillis en cours de route. Et alors, ce fut l'horrible massacre qui commença dans le hangar de la ferme de Mme Legrand-Souveau.
Piétinant les corps effondrés, ils achevèrent au revolver ceux qui gémissaient encore. Et pour ne laisser sans doute aucune trace de leur cruauté, ils mirent le feu à des fougères dans le hangar et brûlèrent les cadavres. De cette horrible tragédie, deux hommes purent s'échapper sans blessures : Achille André, de Ster, et Henri Tombeux de Stavelot. »


Mr Achille André a confirmé ce récit :

«Ce mardi-là, 19 décembre, je me trouvais dans la ferme, occupé à donner à manger aux poules. Soudain, je vis arriver une quinzaine de soldats portant l'uniforme américain. Je constatai avec étonnement qu'ils étaient coiffés de casques allemands. Tous me considérèrent avec méfiance. Un second groupe passa, également vêtus de costumes américains. Ils m'appelèrent et, sans explication, me donnèrent de violents coups de pied dans le ventre.
A leur suite ils traînaient une douzaine d'hommes du village.
J'ai été poussé vers le groupe et on nous a tous conduits à Renardmont, hameau voisin, où ils ont encore ramassé six personnes, dont deux femmes. En tout, dix-neuf personnes qui furent poussées vers la ferme Goffin. Là, ils s'adressèrent à Marthe Goffin qui avait 23 ans et lui demandèrent à boire. Puis on nous dirigea vers la ferme Pirnay. Les Allemands découvrirent encore deux hommes cachés, ce qui porta notre nombre à 21. Nous fûmes alors entraînés vers la buanderie de la ferme Legrand. Deux soldats se tenaient à l'entrée, frappant à coups de crosse ceux qui passaient le seuil. On hurlait de douleur.
Un des soldats, mettant alors le genoux à terre, braqua son fusil-mitrailleur dans notre direction. Après nous avoir nargué pendant quelques instants, il ouvrit le feu. Quatre ou cinq rafales nous atteignirent. Je me suis laissé tomber. J'ai fait le mort. Un autre soldat, armé d'un revolver achevait les blessés. Il a marché dans ma direction pour abattre à bout portant l'homme qui était tombé à côté de moi : Léon Hourand. Puis, les plaintes cessèrent.
Le bourreau s'était éloigné un instant, je relevai la tête. Je m'aperçus alors qu'il revenait en portant des fagots.
Il plaça ceux-ci sur les cadavres et y mit le feu. Soudain, un coup de sifflet retentit et l'Allemand disparut en courant. Nous devions apprendre par la suite que deux jeunes gens s'étaient enfuis dans les bois. Ils furent rattrapés et exécutés sur place. Ce sont Raymond Desonnay, 17 ans et Joseph Drouget, 19 ans.
D'autres survivants s'aperçurent comme moi de la disparition de l'Allemand. Ils se relevèrent et portèrent aide et assistance. Nous rendant compte que les Allemands étaient partis, nous avons pris le large. Une jeune fille, Isabelle Jourdan, 20 ans, blessée à la jambe réclamait du secours.
Son fiancé, Armand de Potter, 20 ans, de Termonde, quoique blessé à la cuisse, réussit à la traîner dans une maison voisine ou il lui banda la jambe au moyen d'une écharpe. Une grave hémorragie s'était déclarée et l'infortunée fut transportée à l'hôpital de Verviers, puis à Bruxelles, où l'on dut amputer le membre blessé.
Treize malheureux restèrent dans les flammes. Ce sont MM. Louis Gaspard, beau-père d'Achille André ; Henri Dewalque; Émile Verdin; Alphonse Verdin; Léon Hourand; Albert Gaspard; Léon Blaise; Hubert Delcourt ; Joseph Vitrier; Frans Legrand ainsi que trois personnes de Stavelot : Jules Rousseaux et son épouse ainsi que le facteur Léon Willem. »


M. Marcel Legrand, 34 ans à l'époque, propriétaire de la ferme ou se déroula le drame raconte :

« Je me trouvais dans la salle à manger avec ma femme, ma belle-mère et mes deux enfants, Freddy, 7 ans et Roger, 4 ans lorsque j'ai vu passer les Allemands poussant à coups de crosse, un groupe d'hommes.
J'ai vu le soldat qui mitraillait au fur et à mesure ceux qui pénétraient dans la buanderie. J'ai vu le même homme mettre ensuite le feu aux fagots. Je suis monté au premier étage, laissant ma belle-mère, ma femme et mes enfants au rez-de-chaussée. Vers 8 heures du soir, n'entendant plus aucun bruit, je me suis penché sur la rampe d'escalier et j'ai appelé les miens. Personne ne répondant, je suis descendu et j'ai trouvé les corps de ma femme et de mes deux enfants devant le foyer. Le cadavre de ma belle-mère était étendu sur le seuil. A-t-elle voulu s'opposer à l'entrée des Allemands dans la maison en parlementant avec eux ? Je l'ignore, mais à présent, je suis tout seul ! »

 

La Roche

Mr Alfred Richelle se trouvait le 27 décembre, à l'école des sœurs, avec sa famille et des blessés que l'on était en train de soigner. A 15 heures, la ville fut bombardée. L'école fut atteinte en plein et s'effondra. C'est par miracle de M. Richelle put se sauver, mais sa femme et ses deux fils, âgés respectivement de dix-sept et sept ans, ainsi que sa nièce, furent ensevelis sous les décombres. La veille, la maison de M Richelle, un magasin d 'épicerie, avait été complètement détruite. Ainsi, ce malheureux avait tout perdu : sa famille, sa maison et tout ses biens. Il s'est inscrit pour les besognes les plus dures. Il a dégagé de ses propres mains les corps de sa femme et de ses enfants afin de leur donner au plus tôt une sépulture décente.

Mlle Gisèle Cuypers, nièce de M. Bihain, secrétaire communal à l'époque est une grande et forte jeune fille; c'est une vaillante. Elle est restée à La Roche durant toute la bagarre et elle a pu consigner sur un carnet les principaux évènements qui s'y déroulèrent du 19 décembre 1944 au 13 janvier 1945. C'est un témoignage sincère que je vais donc reproduire tel quel ci-dessous.

« Le 19 décembre, grand mouvement de troupes américaines en majeure partie, et quelques troupes anglaises. Accès au pont interdit aux civils : il est gardé par des sentinelles américaines. Suite à l'émission radiophonique, annonçant l'avance allemande, les hommes font leurs préparatifs de départ. Départ aussi des Américains des ateliers de réparation de la 1ere armée, installés ici depuis plus de deux mois. Ils disent adieu à tous leurs amis et à leur petite amie. L'après-midi, activité inhabituelle de l'aviation. Les appareils d'observation survolent les bois aux abords de La Roche. La journée se passe comme d'habitude, mais l'énervement croît parmi la population. Nuit calme. Le bruit du canon se rapproche d'heure en heure.

Sept heures et demie, le 20 décembre. De la direction de Nadrin, premières rafales d'obus allemands qui tombent sur divers quartiers de la ville, aux environs du terrain de football, de la tannerie de la route d'Houffalize, dans le Val de Bronze et sur l'hôtel Antwerpia. Les vitres de certaines maisons sont brisées. Plus tard, nous apprendrons que ce sont deux chars allemands qui ont fait incursion dans les bois voisins et qui ont tiré sur la ville. La population larochoise est désormais fixée sur le sort qui l'attend et sur l'apparition prochaine des Allemands. Les réfugiés du Grand-Duché de Luxembourg et des villages frontaliers arrivent nombreux. Les hommes, les jeunes surtout, quittèrent la localité. Vers 10 heures, nouveau tir d'artillerie plus nourri, cette fois aux environs du Chalet et de l'Église. Mort du R.P. oblat Benoît Liégeois, tué sur le seuil de sa porte. Il fut un des héros du maquis de Marcour, en septembre dernier. Plusieurs américains sont aussi victimes des premières attaques ennemies. Intense mouvement de troupes.

Le 21 décembre, les Américains de la 7 ème division arrivés la veille quittent la ville. Une colonne de chars venue d'Aix-la-Chapelle prend la direction d'Houffalize. Des obus allemands tombent de temps à autre sur la ville.
Détail spécial : les Américains se trouvent toujours à Villez. A La Roche, un officier réquisitionne des chambres pour la nuit à l'hôtel des Bruyères. « C'est pour 40 hommes » dit-il, et il paye en argent allemand. Peu après, la colonne blindée revient de la direction d'Houffalize. Elle quitte La Roche vers 15 heures.
Il n'y a bientôt plus un seul Américain dans la ville. A 17 heures des Allemands arrivent à Villez et s'installent dans les hôtels. L'officier qui effectue la réquisition était en réalité un allemand.
A 20 heures, deux voitures avec quelques officiers allemands entrent à La Roche, venant de Villez. Nuit calme.

Le 22 décembre, à 5 heures du matin, une patrouille allemande entre à La Roche, par la route d'Houffalize.
A 8 heures, des troupes arrivent plus nombreuses dans la cité. La population se tient dans les maisons et évite le contact avec l'ennemi. Ce n'est plus l'armée de 1940; les autos sont remorquées, la plupart sont équipées au gazogène. Il y a des hommes de tous âges. La tenue qu'ils portent est un mélange de vêtements civils et militaires. Ils sont mal armés. Vers 12 heures, les pillards font leur entrée dans la ville. Ils dévalisent les hôtels et les maisons. Ils entassent leur butin dans les voitures qui prennent le chemin de l'Allemagne.
L'artillerie arrive nombreuse et des postes de D.C.A. sont installés à Dester, Chession et le Paphy. Durant toute l'après-midi, passage de troupes et d'artillerie venant d'Houffalize. Il en vient également de Samrée et de Beausaint. Nuit calme.

Les Allemands arrivent de plus en plus nombreux, le 23 décembre. Paris, Cherbourg, Saint-Lô, sont leur lieu de destination; du moins, c'est ce qu'ils disent ou ce qu'ils croient. Au début de l'après-midi, des avions américains parviennent à repérer les postes de D.C.A. qui sont bombardés et mitraillés. Vers 17 heures, l'artillerie américaine bombarde la ville. Ce bombardement va durer toute la nuit.

Des blindés descendent de Samrée, le 24 décembre, et empruntent la vallée de l'Ourthe. On présume qu'ils avancent vers Marche. Des avions survolent la région durant toute la journée et attaquent les différents postes de D.C.A. L'artillerie continue son pilonnage jour et nuit.

Le lundi 25, journée calme. Arrivée, dans l'après-midi, de l'État-major allemand. Le général von Blomberg s'installe au château du baron Henri Orban de Xivry, tandis que ses officiers vont loger à l'hôtel des Buttes. A 17 heures, balles traçantes dans la direction des bois avoisinants.
La nuit, bombardement par l'artillerie. A trois heures du matin, des obus américains tombent dans la propriété occupée par le général allemand.

Le 26 décembre, à 8 heures du matin, le général von Blomberg rejoint ses officiers d'Etat-major à l'hôtel des Butes. A 9 heures, des avions survolent la ville. L'agonie de la petite cité va commencer. Les premières bombes tombent et c'est sur le pont jeté au-dessus de l'Ourthe en octobre dernier par les Américains que le premier coup est porté.
A 10 heures 20, une nouvelle vague détruit successivement le château des Agelires, les maisons du Faubourg comprises entre le pont et la ruelle de Pérovette, les tanneries Maurice Marquet, la gendarmerie et, aux environs de l'église, les maisons comprises entre la ruelle du Presbytère et la ruelle des Écoliers. Le chiffre des victimes civiles est déjà important. Au château des Agelires, quatorze personnes ont été ensevelies sous les ruines, dont la comtesse Ruffo di Calabria et sa fille Yolande, ainsi que le jeune Louis Orban de Xivry, âgé de dix ans, fils du sénateur Etienne Orban de Xivry. A la tannerie Marquet, vingt personnes ont trouvé la mort.
Tandis que les soldats continuent leur pillage, l'Etat-major du général von Blomberg décide de se replier sur Mont-le-Ban. Vers 17 heures, le général et sa suite quittent les « Buttes ». Toute la journée, les postes de D.C.A. ont été mitraillés et bombardés. La nuit, tir d'artillerie. Le Faubourg brûle jusqu'au matin.

Le 27 décembre, à 15 heures, bombardement par deux vagues d'avions. La première s'attaque à la Grand rue, la seconde aux maisons bordant l'Ourthe. De nombreuses demeures s'effondrent : trente-sept en une fois sur la place du Marché et Chantraîne. Plus de douze bombes tombent dans l'Ourthe, en face des « Buttes ». Les réfugiés arrivent nombreux à Villez, qui est occupé par les Allemands. Tir habituel d'artillerie jour et nuit. Les postes de D.C.A. subissent des attaques quotidiennes de chasseurs alliés.

Le régime d'occupation continue. Les agents de la Gestapo recherchent le lendemain, jeudi 28, les personnes dont les noms figurent sur leurs listes. Ils exigent les registres de la Maison Communale, ainsi que toute la correspondance se trouvant à la Poste. Les sacs postaux sont brûlés dans une cave de l'Hôtel de Ville avant que les Allemands puissent s'en emparer. Tir d'artillerie durant toute la journée. Tir plus nourri, la nuit.

Tir d'artillerie intense, le vendredi 29. La batterie de D.C.A. de Dester est réduite au silence, à la suite d'une attaque aérienne.

Tir d'artillerie ininterrompu le 30 décembre durant la journée, moins actif durant la nuit. Tir réduit des batteries de D.C.A.

Le dimanche 31 décembre, le tir d'artillerie se poursuit. Chute de neige dans la journée. Le soir, le ciel est très clair. Les canons de D.C.A. sont mitraillés dans la soirée.

Le 1er janvier, quelques obus tombent dans la matinée. Des dépôts de munition font explosion. A 11 heures, bombardement de la ville; 15 heures, nouveau bombardement. Cette fois, le Faubourg et le Chalet sont entièrement détruits. Le bombardement d'artillerie se poursuit toute la nuit.

Le mardi 2 janvier, activité des chasseurs alliés. A 10 heures, les avions bombardent à nouveau la ville. Le hameau de Villez subit un feu de mitrailleuses très nourri.

Le mercredi 3, sous le feu incessant de l'artillerie américaine, les Allemands procèdent à la construction d'un pont. Des travailleurs « Todt » participent au travail. Les pillages continuent.

La journée du 4 janvier est assez calme. Attaque contre les postes de D.C.A. Tir d'artillerie. Le quartier de Clairue, à proximité de l'Ourthe brûle.

Le 5 janvier, tir d'artillerie. Violents incendies dans le bas de la ville, du côté de la route de Cielle. L'Hôtel Royal est incendié par les nazis.

Le 7, le bourgmestre, Mr Jean Orban de Xivry, ainsi que ses nièces, Isabelle et Béatrice Orban de Xivry, sont sommés de prendre place dans une voiture qui les emporte vers Houffalize. Le motif de ces arrestations est inconnu. Dans le quartier de la route de Cielle, des hommes sont conduits au Moulin de Royen et soumis à un interrogatoire sévère, tandis que de jeunes femmes sont emmenées au même endroit pour y travailler.

Le 8 janvier, les Allemands se replient lentement vers Houffalize par la seule route dont ils disposent encore pour sortir de la ville. Les batteries de D.C.A. quittent La Roche. Des véhicules blindés s'établissent u Diable Château.
Tir d'artillerie plus proche. La nuit, un très grand mouvement de troupes dans la direction de Nadrin.

Le mardi 9, les Allemands se font plus rares. Des mines sont placées dans divers quartiers de la ville et sur les routes. L'après-midi, plus un Allemand ne se trouve à La Roche. Ceux qui occupent Villez partent également. Quelques obus tombent encore sur la ville durant la nuit. Plus aucun véhicule allemand ne circule. L'ennemi semble avoir fui.

Le 10, très violent tir d'artillerie sur le bas de la ville : rafales de mitrailleuses au cours de la journée. La nuit, feu roulant de chars et d'artillerie.

Le 11 à 9 heures et demie, entrée en ville d'une patrouille américaine venant de Cielle. Elle suit la rive droite de l'Ourthe et va en reconnaissance jusqu'à Villez. Une patrouille anglaise entre à La Roche par la route de Melreux et suit la rive gauche de l'Ourthe. L'après-midi, tir nourri de l'artillerie allemande, venant des hauteurs de Bérismenil. Le tir continue toute la nuit. Les maisons de l'Avenue des Bains sont atteintes par les obus allemands.

Le 12, libération totale de la ville. Les Américains longent la rive droite de l'Ourthe, tandis que les Anglais progressent rapidement sur la rive gauche. Douze heures : les fantassins britanniques montent la montagne de Soeret. Un combat à la mitrailleuse est engagé avec les Allemands qui résistent aux « Olivettes »; un quart d'heure plus tard, ils sont mis hors de combat et le bâtiment flambe. Les « Tommies » poursuivent leur marche vers Nisramont et Ortho. La nuit s'annonce calme. Le bruit du canon s'éloigne. Une heure du matin : des avions allemands font une incursion au-dessus de La Roche. Des bombes tombent sur Dester, Beausaint et aux environs de la Strument. C'est la dernière attaque contre la petite cité.

Le 13 janvier, des troupes américaines et anglaises arrivent en grand nombre. Les Américains attaquent les hauteurs de Nadrin, tandis que les britanniques se trouvent au-delà d'Ortho. La liaison de la 2 eme armée britannique et de la 3 eme armée américaine est imminente. »

Tel est le rapport que préparait froidement, au jour le jour, une jeune fille de La Roche.

 

Saint-Hubert

Les Allemands sont arrivés le vendredi 22 décembre dans l'après-midi, mais en réalité, ils n'occupèrent la ville que le lendemain. A peine installés, les « protecteurs » réquisitionnèrent les vivres et le pillage commença. Le dimanche 24 décembre à 17 heures, le chevalier Ernest Zoude, bourgmestre de Saint-Hubert, était appelé à la Kommandantur, installé dans les bureaux de l'hôtel de ville. Un officier lui tint à peu près ce langage :
« Notre Feldgendarmerie nous signale que les habitants écoutent la radio anglaise. Je me vois donc dans l'obligation de confisquer tous les appareils. Veuillez les faire déposer ici avant 19 heures. Faites en sorte qu'il y ait au-moins cinq postes capables de capter les ondes ultra-courtes et de « prendre » New York. »
Le bourgmestre répondit qu'il ne pensait pas pouvoir faire remettre les appareils de radio en un aussi court laps de temps. L'officier insista. Le maïeur qui cherchait un moyen d'enfreindre cet ordre, allait trouver auprès des soldats allemands d'excellents auxiliaires. En effet, lorsque les autorités belges se présentèrent dans les immeubles pour réclamer les postes de T.S.F. les soldats, qui s'étaient installés chez l'habitant refusèrent de les donner. En fait, ils s'étaient déjà appropriés la plupart des appareils.
« C'est un ordre de vos chefs », leur dit-on.
Ils firent alors une réponse qui en dit long sur la discipline de l'armée allemande à cette époque.
« Si ceux qui portent des épaulettes ont la faculté d'écouter les nouvelles, nous voulons aussi, jouir du même privilège. Les postes sont ici et y resteront. »
Le bourgmestre n'avait d'autre ressource que d'aller conter sa mésaventure à la Kommandantur.
L'officier furieux, déclara : « C'est bon, j'y vais moi-même ».
Il fut partout très mal reçu et il rentra en jurant et en tempêtant.

Le 20 décembre, la ville subit une violente attaque aérienne. Au nombre des immeubles détruits, se trouve une maison spécialement célèbre : celle ou naquit, en 1759, le peintre Pierre-Joseph Redouté qui eut le rare privilège d'être successivement le professeur de peinture de la reine Marie Antoinette et celui des impératrices Joséphine et Marie-Louise, de la reine Marie-Amélie, de la duchesse de Berry et de toute une pléiade de grandes dames qui touchaient de près à la cour de France.
L'artillerie ouvrit le feu sur Saint-Hubert pour la première fois le 2 janvier. Le tir fut poursuivi le 3 janvier et dans la nuit du 3 au 4. Au cours des nuits des 6 au 7 et des 7 au 8 janvier, qui furent des plus mauvaises, les habitants avaient cherché refuge dans les caves des immeubles. Heureusement, comme Saint-Hubert est une fort vieille ville, la plupart des caves y sont solides. Une centaine de réfugiés occupaient les sous-sols de l'hôtel de ville, tandis que 150 autres s'étaient installés auprès des 250 élèves de l'École de Bienfaisance. La vie était dure, le ravitaillement étant quasi nul, et les provisions s'épuisant vite. Le bourgmestre avait heureusement réussi à sauver une trentaine de têtes de bétail. On les tuait comme on pouvait en fraude, car si les Allemands s'en étaient aperçus, ils les auraient certainement enlevées. Ceci permit à la population d'obtenir de temps à autre un morceau de viande. Mais beaucoup de gens restèrent vingt jours sans pain. Une maternité avait été installée dans l'une des caves et on y procéda à un accouchement à la lueur d'une bougie.
Les derniers obus tombèrent sur la ville le 10 janvier. Dans la nuit du 11 au 12, les Allemands évacuèrent Saint-Hubert. Ils partirent dans la direction de la barrière de Champlon, la route de Lavacherie qu'ils utilisaient avant ayant été coupée par les Américains. Le 11 janvier, une patrouille de sept parachutistes français pénétra dans la ville et y fit trois prisonniers.
On vit alors apparaître trois cavaliers enveloppés dans des draps blancs et montant des chevaux de labour. C'était un officier sud-africain et deux parachutistes belges venant de Libin. Deux Belges ! Ils n'étaient pas les seuls.
La 6 eme division de parachutistes britannique qui opérait dans la région de Rochefort-Saint-Hubert comprenait une unité de parachutistes belges. Après nos hommes, nos couleurs : le drapeau national fut hissé à l'hôtel de ville. Tout de suite, les gens commencèrent à sortir des caves et abris. On respirait à nouveau. Un petit avion de reconnaissance allié survolait la ville en rasant les toits.

Le vendredi 12 janvier, à minuit, trente Américains venant de la direction de Recogne, entrèrent à Saint-Hubert. Deux officiers prirent contact avec le bourgmestre et l'un d'eux, prenant le maïeur à part, lui glissa à l'oreille :
« Nous comptons sur vous pour que vous donniez un certain relief à la cérémonie de demain. Le Général Culin, le vainqueur des îles Aléoutiennes, fera son entrée à Saint-Hubert. » Il ajouta avec un peu d'amère ironie : « La B.B.C. vient d'annoncer que les troupes anglaises ont repris Saint-Hubert. Or c'est nous qui l'avons libérée. La joyeuse entrée du Général sera une mise au point.. »

Le chevalier Ernest Zoude a signalé que, malgré les instructions reçues, la plupart des fonctionnaires quittèrent la ville au moment du danger. De toute l'organisation judiciaire, aucun fonctionnaire ne resta à son poste. Il y eut moins de défaillance dans le personnel communal.
« Et pourtant, ajouta M. Zoude, nous avons pu constater combien la présence de quelques fonctionnaires peut aider et réconforter la population dans les moments critiques. »
Ce que M. Zoude oublie de dire, c'est que grâce à son sang-froid et à sa sagesse, de nombreuses vies humaines furent sans doute épargnées.
Par exemple, les Allemands lui demandèrent un jour la liste complète de tous les hommes valides habitant la ville, celle des hommes de métier et des spécialistes. Ils exigèrent aussi la copie du plan cadastral de Saint-Hubert.
Le tout devait être fourni le plus rapidement possible. M. Zoude fit traîner la chose en longueur. Chaque fois qu'on lui réclamait les listes, il prétextait que, pour donner des renseignements très complets, il devait encore se livrer à diverses recherches. Et ainsi, le temps passa. Puis les Allemands partirent. Les hommes de Saint-Hubert avaient échappé à un travail forcé en déportation.
Un autre jour, un officier allemand en fureur pénétra dans le bureau du bourgmestre. D'une voix menaçante, il cria :
« On a coupé un de nos câbles téléphonique. C'est un acte de sabotage. Nous allons prendre des otages. »
Le chevalier Zoude le calma de son mieux, lui expliquant que la population de Saint-Hubert était composée de braves gens incapables de commettre un tel acte. Et, prenant les devants, le maïeur répliqua :
« C'est bon, je vais faire le nécessaire et veillerai personnellement à ce que de tels actes ne se reproduisent plus. »
L'officier, calmé, s'en alla. Il ne fut plus question d'otages.

Les Allemands ne commirent pas d'atrocités dans la région de Saint-Hubert. Par contre, ils pillèrent systématiquement toutes les habitations de la ville et ce qu'ils enlevèrent est impressionnant. D'autre part, à la poste, les Allemands fracturèrent le coffre et s'approprièrent une somme de 3.041.519 francs, comprenant environ trois millions d'anciens billets retirés de la circulation. Ils s'imaginaient faire un bon coup. Ils en furent pour leurs frais !

 

Marcourt

En septembre, à Marcour, les Allemands avaient fusillé des otages.
Le 23 décembre, les « Vert-de-gris » sont revenus.
Ils ont arrachés plusieurs jeunes filles à leur famille pour les outrager bestialement. La plus jeune n'avait pas quinze ans. Une autre s'était cachée chez son oncle, lorsque arrivèrent les tortionnaires. Ils découvrirent la jeune fille et l'emmenèrent de force à l'extérieur. Ils la conduisirent dans les caves d'une maison occupée uniquement par des Allemands et là, sauvagement, ils abusèrent d'elle.
Un père de deux jeunes filles, M. Piret, fut tué par les brutes alors qu'il voulait sauver ses enfants.
Marcour possède une jeune héroïne qui s'appelle Denise Baclin. Le jour de Noël, elle vit arriver chez elle, un soldat américain qui s'était égaré. Elle le ravitailla et le cacha. Mais elle voulut faire plus. Les Américains occupaient encore le hameau de Marcouray à 2 km de Marcour. Elle prit la décision de le conduire jusque là. Le risque était grand car déjà les troupes allemandes cantonnées à Marcour étaient nombreuses. Sur ces entrefaites d'ailleurs, et au moment ou le soldat américain se réchauffait, des soldats allemands entrèrent dans la maison. Il n'eut que le temps de se réfugier à nouveau dans la cave.
« Cachez-vous un Américain ? » Questionna le chef de la patrouille ?
« Non » répondit avec calme la jeune fille.
Le soir même, à travers les postes allemands, elle reconduisit son hôte imprévu dans les lignes américaines.
Pour son malheur, quelques prisonniers allemands la virent arriver accompagnée de son Américain. Aussi, deux jours plus tard, lorsqu'ils furent libérés, s'empressèrent-ils d'aller le raconter à Marcour.
Un soir que la jeune fille était déjà couchée, six Allemands pénétrèrent chez elle et l'interrogèrent.
« Nous sommes venus ici pour vous parler. Quand avez-vous été à Marcour pour la dernière fois ? »
Elle répondit : « Dimanche dernier ». Alors qu'en réalité, c'était le lendemain qu'elle s'y était rendue.
Et l'interrogatoire sévère se prolongea.
-Êtes-vous allez seule ?
-Oui.
-Pourquoi êtes-vous allé là-bas ?
-Pour chercher du ravitaillement. »
Soudain, furieux, celui qui paraissait le chef s'écria :
« Vous nous avez trahis. Votre compte est bon. Nous reviendrons demain. »
Heureusement, la jeune fille ne les a pas revus et pour cause, les Américains approchaient.

 

Celles

NDLR : habitant Celles, et ayant entendu quelques témoignages de personnes ayant vécu l'offensive sur place, je vous demanderai de bien vouloir prendre le récit qui suit avec toutes les réserves d'usage. En effet, Marthe Monrique, la femme qui arrêta les blindés allemands est un épisode de la légende de l'offensive des Ardennes.
Or, qui dit légende, dit également qu'il ne faut pas prendre tout au pied de la lettre … En effet, on sait que les blindés de la 2 eme Panzer Division ont été arrêtés dans un premier temps par manque de carburant, et ensuite, par l'aviation et l'artillerie alliées, dirigées grâce aux renseignements donnés par le baron Jacques de Villenfagne de Sorinnes qui avait fait une reconnaissance nocturne entre le 23 et le 24 décembre, accompagné de son cousin, Philippe le Hardy de Baulieu. Le mensonge de Marthe Monrique a-t-il été utile ou non, nous ne le saurons sans doute jamais, mais l'histoire mérite d'être racontée.


Celles est situé à environ 10 kilomètres de Dinant. On raconte que c'est grâce au courage de Marthe Monrique que les Allemands y ont été stoppés. En voici le récit !

Quelques années avant la guerre, Marthe Monrique vint s'installer à Celles en compagnie de son mari. Ils firent construire un coquet pavillon au carrefour des routes de Dinant-Rochefort-Ciney. Il l'appelèrent « Pavillon Ardennais » et y installèrent un café-restaurant.
Or, le 24 décembre, à 6 heures du matin, quelques chars « Panther », débouchant de la route de Ciney, s'engagent sur celle de Dinant. En moins d'une demie heure, les chars pouvaient atteindre leur objectif. Mais le char de tête sauta sur une mine, pratiquement en face du « Pavillon Ardennais ».
Voici le récit de Marthe Monrique.

« Au bruit de l'explosion, je fis de la lumière. Des officiers allemands firent irruption dans la maison. Leur char était démoli mais ils étaient indemnes. Ils m'interrogèrent et, comme je parle assez facilement l'allemand, je pus leur répondre.
-A combien de kilomètres sommes nous de Dinant ?
Il était inutile de mentir, le poteau indicateur se trouvait en face du pavillon.
-A dix kilomètres
-C'est bon, nous devons être à Dinant avant midi.
-Quel est l'état de la route ?
Ici, j'ai pu les tromper.
-La route vers Dinant a complètement été minée par les Américains. Ils ont travaillé nuit et jour, enterrant même les mines près des arbres. Ce serait folie que de prendre ce chemin.
-Et par Sorinne ?
-C'est également miné !
En réalité, il n'existait qu'un simple cordon de mines devant mon établissement. Si les Allemands avaient voulu, ils auraient atteint Dinant sans autres dommages que le char perdu à Celles.
Ils se consultèrent et décidèrent de placer les chars dans les bois de Mayenne et de Bry, en attendant que le jour se lève. Croyant que les routes étaient minées comme je le leur avait dit, ils voulurent s'infiltrer entre les routes et envoyèrent des patrouilles à Foy-Notre-Dame.
A l'aube, l'aviation alliée fit son apparition dans le ciel. Les appareils piquèrent et mitraillèrent presque à bout portant les chars et les véhicules disséminés un peu partout sur un plateau. Ce fut un véritable carnage.
L'état-major allemand s'était réfugié au « trou Méria »; c'est une grotte naturelle dans les bois, derrière Hubaille. Puis les Américains arrivèrent et l'affaire fut vite terminée. »
(NDLR : Quand on parle de grotte naturelle, n'allez pas imaginer une grotte du style Lascaux ou même une grotte avec des salles de 50 mètres carrés. Pour y avoir été quelques fois, c'est un creux dans la roche. On y fait trois à quatre mètres avant de se trouver devant une descente inclinée à 50 ou 60 ° et une ouverture de 50 à 60 cm qu'on ne peut réellement franchir qu'à moitié couché. Je me suis souvent demandé comment pouvait s'être agencé un PC dans ces conditions. Pourtant, l'histoire est vraie, et confirmée par Joseph Defossez ainsi que mes beaux-parents (Joseph et Domitille Léonard) qui racontent que des câbles téléphoniques avaient été tirés entre le trou Méria et Hubaille où se trouvait le gros du Kampfgruppe Von Cochenausen.)

Les Allemands, réfugiés dans les hameaux voisins, se rendirent les uns après les autres. Ils demandèrent même aux civils d'aller informer les Américains qu'ils désiraient se constituer prisonniers. Dès que les avions apparaissaient dans le ciel, ils s'engouffraient dans les caves.
A Ver-Custinne, un civil, dans la cave duquel les Allemands s'étaient réfugiés, fut prié par ceux-ci de les remettre aux Américains. Aussi, dès que ceux-ci arrivèrent dans le hameau, le villageois descendit quatre à quatre les marches de sa cave et, par signes, fit comprendre aux soldats que le moment était venu. Il ne fut pas peu fier de conduire vers un poste allié onze Allemands désarmés qui tenaient les mains en l'air.
A Hubaille, deux cent Allemands, abandonnés par leurs officiers prièrent un jeune homme de l'endroit (ndlr Joseph Defossez… mon voisin) d'aller prévenir les Américains qu'ils désiraient se rendre. Le jeune homme partit dans les lignes alliées et il fut autorisé à ramener sa capture. Une heure plus tard, il revenait tenant, avec son frère, un drap de lit en guise de drapeau blanc. Derrière les deux jeunes Belges, les deux cents Allemands, bras en l'air marchaient au pas.
Ailleurs, un Alsacien qui désirait se constituer prisonnier se présenta à un civil. Ouvrant sa vareuse, il lui montra, épinglé sur sa chemise, un portrait du Général de Gaulle et un petit drapeau français. Quelques instants plus tard, le souhait de l'Alsacien était exaucé.

Les Allemands étaient parvenus à amener de l'artillerie jusqu'à Celles. Trois grosses pièces et huit pièces moyennes avaient été mises en batterie sur le plateau qui domine la Meuse. Elles allaient ouvrir le feu sur Dinant quand les avions alliés arrivèrent. Les artilleurs n'eurent pas l'occasion de tirer un seul coup. Ils se sauvèrent à l'approche des appareils.

Le 27 décembre à 7 heures du matin, les derniers Allemands, cachés dans la région de Celles capitulèrent.

Le Baron Jacques de Villenfagne, décédé aujourd'hui, officier de réserve des Chasseurs Ardennais, passe la plus grande partie de la guerre dans l'Armée Secrète (AS). En décembre 44, il est au château familial de Sorinnes.

« Le samedi 22 décembre, un bataillon du 3eme Royal Tank Division venait de s'intaller au château.
Le lendemain, avec un sauf-conduit anglais, je suis parti pour Haversin. Au passage à niveau de Leignon, j'ai vu trois chars de reconnaissance américains qui m'ont suivi sur la route d'Haversin. Arrivé au village de Haid, une femme m'a signalé que des Allemands étaient en train de prendre position, avec des chars, dans les environs du village.
J'ai aussitôt fait demi-tour et je suis rentré au château. Après avoir expliqué tout cela aux Anglais, je leur ai dit « Vous n'allez tout de même pas laisser les Allemands s'installer ici dans le pays sans savoir où ils sont, ce serait une erreur militaire terrible. »
C'est alors que j'ai proposé d'effectuer une reconnaissance militaire avec mon cousin Philippe le Hardy de Beaulieu.
Nous sommes partis à neuf heures du soir dans la nuit du 23 au 24 décembre. Nous étions habillés tout en blanc, mis des essuies mains qutour de nos jambes et au-dessus de nos têtes et avions empruntés les gants blancs des domestiques.
Nous devions rentrer au château à quatre heure du matin.
Grâce à notre connaissance du terrain en tant que chasseur ainsi que notre expérience des combats comme Chasseur Ardennais, cette reconnaissance fut un succès.
En voici l'histoire.
Nous sommes partis par la plaine jusqu'au village de Taviet pour y prendre des renseignements. Là, nous avons vu des paysans qui nous ont dit qu'ils avaient vu une jeep avec des faux Américains; c'étaient en réalité des Allemands qui venaient chercher de l'essence.
Nous sommes repartis sur la route Achène-Celles. Là, nous avons observé pendant vingt minutes, à cent vingt mètres de nous, un char allemand qui pénétrait dans une prairie. Cinq hommes ont été chercher de la paille au hangar pour s'abriter un peu.
Puis on a entendu deux chars monter la côte vers Conjoux, près de la ferme de Bry . Ils sont passés à la crête sur un endroit où il y avait de la glace, cela fait beaucoup de bruit, et puis le terrain commence à descendre, on diminue les moteurs, on passe un talus, on vire, on entre dans les bois et on casse des branches. Voilà mes deux chars situés exactement. Alors, nous avons attendu, ils ont déchargé du matériel, peut-être des pièces antichars, et on creusé le sol pour les y installer. Nous nous sommes alors déplacés pour aller un peu plus au sud, car nous entendions des bruits dans le lointain. Des véhicules que l'on remue, ça fait un bruit formidable sur un sol gelé.
A quatre kilomètres on aurait pu entendre ce que les gens disaient.
Et là, nous avons vu deux halftracks qui venaient s'installer. Il en est descendu une patrouille de quatorze hommes qui sont passés à septante mètres de nous. Ils sont allés vers le nord. Nous avons été un peu plus à l'ouest, juste en face de la ferme de Mahenne. Nous y sommes resté un certain temps. Pendant que nous étions là, le groupe de reconnaissance Von Böhm est descendu vers Foy-Notre-Dame. Nous avons localisé deux chars lourds; le premier s'est mis au pied de la côte dans les prairies, le second a passé un caniveau à environ quatre cent mètres de Foy-Notre-Dame. Il a ensuite roulé sur un sol dur, puis a passé un deuxième caniveau qui se trouvait juste entre la ferme Calande et l'église de Foy-Notre-Dame. Il a continué à rouler un peu, a escaladé un talus, puis un autre talus et s'est arrêté. Il était dans l'angle nord-est du jardin du curé de Foy.
Au cours de l'opération de reconnaissance, nous avions pu repérer indépendamment de la lisière extérieure, en tout quatorze chars, cinq batteries d'artillerie, huit points de concentration.
Nous sommes alors retourné par la plaine. A quatre heures moins cinq, nous passions par les grilles du parc du château quand, tout à coup, nous avons entendu un coup de canon tiré des alentours de Celles. Ce coup de canon a été suivi d'une belle engueulade entre les servants du canon qu'on entendait malgré la distance, tellement longue que j'ai eu le temps de prendre ma carte, ma boussole et de repérer l'endroit ou se trouvait ce canon. C'était très précisément sur l'ancien chemin qui va de Celles à Trussogne. Là, dans un bois, il y avait une clairière que je connaissais et qui suivait ce chemin. Il était possible d'y placer de l'artillerie. Par après, j'ai demandé des tirs d'artillerie sur ce chemin. C'est là que se trouvait la colonne d'attaque allemande, avec un millier de Panzergrenadier ainsi que huit pièces d'artillerie.
L'artillerie alliée a fait un dégât monstre à cet endroit et a peut-être changé l'issue de la bataille.
Alors, nous sommes rentrés au château et avons réveillé les Anglais. Je leur ai donné tous les renseignements et nous avons tenu un briefing qui a duré une heure et demie. J'ai d'abord demandé le nombre de pièces d'artillerie dont ils disposaient. Il y avait deux pièces anglaises à Onhaye et quatorze pièces américaines entre Ciney et Leignon.
Je leur ai suggéré de concentrer un tir de harcèlement avec ces seize pièces. Grâce à cette concentration, il y avait moyen de mettre en pièces toutes les concentrations allemandes. Les Anglais se sont laissés convaincre.
A 08H20, les premiers tirs commençaient.
La bataille a duré cinq jours. La pointe avancée de la 2 eme Panzer Division était arrêtée.

 

Bourcy

Le lundi 18 décembre, on signalait les Allemands à six kilomètres du village; ils y entraient le lendemain matin. Les Allemands se signalèrent immédiatement par leur barbarie. Les premières victimes de leur férocité furent Mr et Mme Jules Maquet, tenanciers d'un café, place de la gare et qui furent abattus à coups de revolver, dans leur cuisine, sous le prétexte qu'ils avaient caché un soldat américain.
Le soir du même jour, une trentaine d'hommes furent conduits dans une maison du village où ils furent longuement interrogés par des membres de la Gestapo. On leur réclamait des renseignements sur l'armée de la Résistance.
A un moment donné, l'un des soldats demanda si quelqu'un pouvait lui procurer une bouteille d'eau-de-vie.
Le nommé Marcel Roland âgé de 47 ans, père de quatre enfants, s'offrit à fournir la bouteille, mais il n'avait pas prévu que des Allemands l'accompagneraient pour aller la chercher. Dans la cave, les Allemands découvrirent des drapeaux américains et alliés cachés dans une boîte; les brutes rouèrent Roland de coups ainsi que sa femme et sa fille aînée âgée de 15 ans. Roland fut ensuite emmené dehors. On le retrouva mort, méconnaissable, à 150 mètres de sa demeure; il avait succombé aux suites de mauvais traitements, car son corps ne portait aucune trace de balle.
Pendant ce temps, d'autres nazis pillaient la maison Roland en présence des trois autres enfants.
Toutes les maisons du village furent pillées, les mobiliers saccagés ou enlevés. L'église subit le même sort.
Les vandales enlevèrent le calice pour s'en servir dans leurs beuveries et volèrent les aubes et les chasubles du curé pour se camoufler dans la neige. Les bestiaux furent également volés.
Huit jours plus tard, Fernand Maquet, fils des époux Maquet cités plus haut fut arrêté à son tour par les S.S. et tué de cinq balles dans la tête. On l'accusait de faire partie de la résistance.
Pour échapper aux bombardements, les habitants de Bourcy ont vécu dans les caves ou dans les bois de sapins recouverts de givre et de neige. Ce cauchemar dura un mois.
Les Américains récupérèrent Bourcy le 19 janvier dans la matinée.

 

Bastogne

Sœur Raphaël, religieuse de l'école Normale de Bastogne nous donne son témoignage :

« Le dimanche 17 décembre, nous recueillîmes les premiers échos de l'attaque allemande. Le sermon d'un Père franciscain nous avait annoncé l'entrée de l'ennemi à Clervaux et la panique générale qui l'avait suivie.
Aucun renseignement officiel ne nous en était cependant parvenu. Pourtant certains indices nous plongeaient, lundi, dans l'inquiétude. Des unités américaines se repliaient; le bruit de la canonnade se rapprochait.
La population de l'école normale, de l'école ménagère et de l'école professionnelle était d'une centaine de jeunes filles. La menace était grave et notre responsabilité très lourde. Nous nous étions concertés avec le supérieur du séminaire sur les décisions à prendre.
Ce prêtre déclara : « Quant à moi, je ne licencie pas mes élèves. » Nous décidâmes de faire de même. Mais à son retour, le proviseur s'aperçut que la plupart de ses élèves étaient partis sur ordre du proviseur ! Nous avons alors envisagé le projet de renvoyer par chemin de fer les élèves dans leurs familles. Mais les trains ne fonctionnaient plus. Un groupe d'élève se rendit à pied, sous la conduite de deux religieuses, à Amberloup où elles prirent le tram pour Marche. Après leur départ, nous avons décidé de descendre toutes au rez-de-chaussée et de dormir sur des matelas.
« Dormir », ce n'est pas le mot, car nous n'avons pas fermé l'œil de toute la nuit du mardi 19 au mercredi 20.
A l'aube, le premier obus allemand est tombé à proximité de l'établissement. Nous nous sommes réfugiées alors dans les sous-sols où nous avons séjourné jusqu'au 1 er janvier. Un refuge assez spacieux était aménagé dans le bâtiment de l'école normale. Il abritait des habitants des environs auxquels nous servions du café.
Après le bombardement d'artillerie par les Allemands et les combats qui suivirent, la Croix-Rouge américaine qui se trouvait dans l'impossibilité d'évacuer ses grands blessés, demanda pour ceux-ci l'hospitalité de notre abri.
Pendant plusieurs jours, nous avons vécu en compagnie de ces malheureux dans les sous-sols glacés. Deux prêtres du séminaire partageaient avec nous notre réclusion volontaire : l'abbé Fécherolole et l'abbé Ciglia.
Leur abnégation, leur dévouement, leur douceur chrétienne nous furent d'un grand réconfort. Le moral était excellent. On chantait au son du canon et du tac tac des mitrailleuses. La nuit de Noël nous décorâmes de banderolles et de clinquants le sapin traditionnel.
Les grands gars américains, songeant sans doute aux Noëls de leur patrie lointaine, fixaient en riant et en pleurant l'arbre illuminé. Et quelle fut leur joie, quand on distribua aux blessés de modestes et naïfs cadeaux qui, auparavant, faisaient la joie des petits.. Ah, ce fut une belle soirée ! A minuit l'abbé Fécherolle accompagné par les sœurs et les élèves chanta la grand'messe avec tout son rituel. C'était la plus belle messe de minuit qu'il me fut donné d'entendre ! Dans nos âmes frémissaient un peu de cette ferveur qui devait animer les premiers chrétiens.
Puis nous nous sommes endormis. Mais à 5 heures nous avons été réveillés par le tonerre du bombardement aérien. Les portes et les fenêtres furent arrachées. Aucun affolement ne se produisit parmi les jeunes filles. L'abbé en souriant disait :
-Mais ce ne sont pas des femmes, ce sont des soldats !
Jusqu'au premier janvier, nous eûmes encore à subir trois bombardements nocturnes. Celui du 30 au 31 décembre fut particulièrement terrible. Du soupirail des caves on apercevait la lueur des incendies. Les maisons voisines brûlaient. Bientôt, les bâtiments de l'école brûlaient à leur tour. Nous sortîmes de notre abri pour combattre les flammes. Les sœurs, aidées par les élèves, prirent des seaux et dirent la chaîne. Pendant plusieurs heures, de frêles jeunes filles (qui en temps ordinaire eussent poussé des cris d'effroi à cette idée), hissées sur les toits, déversaient des seaux d'eau sur le brasier. Nous parvînmes à maîtriser le fléau. Le danger passé, nous regagnâmes nos abris.
Le 23 décembre, le colonel américain qui défendait la ville avait reçu de la part des Allemands des émissaires apportant des propositions de capitulation honorable.
C'est lors de cette demande que le fameux « Nuts » fut prononcé.
Dès que la situation fut jugée grave, une division aéroportée américaine, qui se trouvait au repos en France, fut dirigée sur Bastogne.
Lorsque les avions parachutaient des vivres pour les troupes assiégées, le spectacle était tellement émouvant que la population, malgré le danger, sortait et suivait les évolutions de ces hémisphères bleues, jaunes, rouge orangées.
Vers la fin de décembre, ce fut l'espoir. Le bruit courut d'abord que la route de Neufchâteau était ouverte. On parla d'évacuer les blessés; mais le chemin se trouvait encore sous le feu de l'ennemi. Dès que nous avons appris que la route était praticable, nous n'avons plus eu qu'un seul souci : évacuer les élèves.
Le samedi 30, on nous promit que nous pourrions partir le lendemain. Mais notre attente fut vaine. Ce n'est que le 31 décembre, vers 18 H 00, que des Américains accoururent. Ils nous criaient :
-Vite, il y a deux camions disponibles.
Nous devions partir par Neufchâteau, avec quarante élèves, sous la conduite de deux religieuses, dont moi-même.
Mais des avions apparurent dans le ciel. Le départ fut brusqué. Trente élèves seulement et une religieuse (c'est-à-dire moi) eurent le temps de prendre place. A Neufchâteau, ne parvenant pas à trouver de logement, nous avons été hébergés chez le doyen.
A ce moment, la population évacuait la ville par ses propres moyens. La route de Neufchâteau était encombrée de véhicules les plus hétéroclites : vieux vélos, charettes d'ancien modèle, brouette, etc.
Le lundi 1 er janvier, nous découvrîmes un camion dont le conductuer voulut bien nous conduire à Bertrix, puis à Paliseul. Quand je suis rentrée à l'établissement, je n'ai plus trouvé d'élèves. Les autres avaient été évacuées vers Arlon avec la Communauté, sauf huit religieuses volontaires décidées à rester. J'étais la neuvième. A ce moment, il n'y avait plus que des bombardements d'artillerie. Plusieurs officiers américains reçurent nos soins. Toutes nos caves étaient occupées par des unités américaines.
Notre supérieure, Sœur Emmanuel de Saint-Joseph, directrice de l'école normale, a été tuée le mercredi 20 décembre.
Elle était en prière dans la cave, devant le Saint-Sacrement. Des éclats d'obus on passé par le soupirail, la blessant mortellement. Elle est morte exsangue après un quart d'heure. Une autre religieuse a été blessée à la jambe.
L'église paroissiale ainsi que la chapelle du séminaire ont été endommagées. C'est ce qui a valu à notre chapelle l'honneur de devenir paroisse.
Il faut également parler du dévouement du jeune vicaire Detienne auprès de la population civile. »

 

On

Quelques jours avant l'Offensive, Odon Marlaire, domicilié à Anvers était évacué avec toute sa famille vers le petit village de On, situé à côté de Jemelle.
Un jour, rentrant à vélo de Marloie, il croisa des soldats américains en retraite qui l'avertirent de l'arrivée de formations allemande commettant des atrocités dans la région. Marlaire, impressionné par cette menace, n'hésita point. Il fallait à tout prix rejoindre et sauvegarder les siens. Il rencontra bientôt de petits groupes de parachutistes portant le costume anglais et auxquels il signala naïvement le passage d'éléments nazis. Quand, après bien des détours, il atteignit son village, celui-ci était déjà infesté d'Allemands. Les prétendus parachutistes anglais, étaient en fait des Allemands. Vers le soir, on entendit le grondement sourd des premiers chars allemands qui passaient dans le village.
Le lendemain, l'état-major allemand signifia aux autorités communales que tous les hommes du village devraient se rassembler devant l'église. Comme les autres, Marlaire se présenta. Lorsqu'ils eurent attendus plusieurs heures, on les dénombra. On permit à Marlaire de retourner chez lui à condition qu'il revienne le lendemain à la même heure sur la place de l'église. Méfiant, inquiet, il n'eut garde de se rendre à cette convocation. Et pour cause … Les appelés furent immédiatement expédiés en colonnes vers l'Allemagne. Il se félicitait en lui-même de s'être fié en sa bonne étoile, quand un groupe de soldats allemands firent irruption dans sa demeure, l'appréhenda et le conduisit devant le commandant de la place. Quatre autres réfractaires du village devaient bientôt les rejoindre. Interrogé avec l'aménité que l'on devine, on les condamna, en matière de répression, à porter des munitions vers le front de bataille. Par les routes enneigées, et sous la garde de soldats armés de mitraillettes, ils furent obligés de charrier de lourdes caisses de grenades anti-chars. Partis pendant la nuit, ils avancèrent jusqu'à Nassogne ou l'enfer se déchaînait.
On les transporta ensuite en camion, à Neuville-au-Bois, puis à Nadrin. Pendant toutes les stations de ce véritable calvaire ils ne reçurent ni nourriture, ni boisson. Par un froid cruel, souffrant de faim et de soif, sans abri d'aucune sorte, ils furent parqués comme des bêtes dans une cour étroite. C'est alors qu'on les remit à des officiers S.S.
On leur posa quelques questions, auxquelles on leur interdit d'un ton brutal de donner la moindre réponse. Puis, entourés de S.S. , ils furent chargés à bord d'un camion. Après dix minutes de trajet, le véhicule s'arrêta à l'orée d'un petit bois. Puis un ordre bref « Descendez ! »
Les captifs furent enchaînés deux à deux. Les officiers paraissaient hésitants, mais après un bref entretien, auquel prit part le chauffeur, celui-ci qui paraissait le plus décidé, armé d'un pistolet, saisit la chaîne qui retenait les deux premières victimes et les traîna à l'intérieur du bois. Soudain une détonation retentit. Puis un second coup de feu.
Quand ce fut le tour de Marlaire, on le vit s'avancer d'un pas ferme, entraînant son compagnon de chaîne. Le canon glacé du pistolet est posé derrière l'oreille droite. Un abîme s'ouvre devant lui, il y tombe après une chute vertigineuse. Aucune douleur ne le tenaille. Il revient à lui, se tâte. Serait-il vivant ?
Puis il entend un bruit familier, celui d'un moteur. Il est en vie. Il se relève, rampe lentement, rampe dans la neige qui se teinte de son sang et avance à l'aveuglette dans la nuit.
Soudain, il heurte une cloison. C'est le mur d'une maison. Il trouve la porte, la pousse et se retrouve dans un fenil rempli de foin. Il entend des voix. Malheureusement, le langage qu'il entend, il le reconnaît, ce sont des Allemands.
Il parvient à se cacher dans le foin et les solives de l'appentis et il y reste 5 jours. Pour tenir le coup, il mange de la neige qu'il recueille en passant la main par les orifices du toit. Ne voulant pas mourir de faim ou de soif, il se décide quand même à sortir pour chercher du secours. Il rampe sur la route pour parvenir finalement à la maison elle-même. Il frappe à la porte et entend parler, mais wallon cette fois. Une femme, des enfants s'interrogent. Qui peut bien avoir frappé ?
« Je suis blessé, ouvrez-moi, je m'expliquerai » parvient-il à crier !
L'appel est entendu. On lui fait un accueil apitoyé, on lui sert du café chaud, on l'étend dans un vrai lit.
Quelques heures après, le bruit du canon des Américains se rapproche. Ils sont revenus.
C'était la délivrance. Le lendemain, il était transporté au poste de secours le plus proche, puis à l'hôpital militaire de Huy ou l'on lui transfusa du sang. Ensuite à Schaerbeek. Après un assez long séjour, il put enfin regagner le village de On.

 

Saint Léger

C'est une action de représailles qui valut à Saint-Léger d'être incendié.
Saint-Léger est situé entre Arlon et Virton était resté indemne en 1940 et le serait peut-être resté à la retraite de 1944, si, le 5 septembre, une auto allemande n'avait été attaquée à quelque distance de cet endroit par un poste de l'armée blanche.
Quatre des occupants tués, un jeune Italien, seul épargné, courut donner plus loin l'alarme et les Allemands revinrent en force au village.
Ca commença par un pillage complet du village et de ses habitants. Puis ensuite, les allemands incendient 125 maisons, surtout dans le centre et les rues principales : église, écoles, maisons de culture ou de commerce, une usine de machines agricoles, tout ne fut bientôt qu'un brasier compact, du sein duquel s'élevaient dans la fumée noire les hurlements des bestiaux. Rien n'échappa à cette furie, sinon qu'un sourire d'ironie se mêle parfois aux plus affreuses choses. Dans une certaine maison, alors que les Allemands entraient en criant « Feuer », une bonne femme crut qu'il désirait fumer une cigarette et elle lui avança des allumettes. L'incendiaire en fut tellement décontenancé qu 'il en oublia de mettre le feu à la maison.
Egalement, les hommes de Saint-Léger ont vu la mort de près. Ceux qui n'avaient pas pu fuir furent rassemblés devant l'usine; les Allemands les avertirent d'ouvrir leurs vestes et de se préparer à mourir. Ils attendaient de sang-froid la mitraille, lorsqu'on leur dit de partir.
Saint-Léger fut quand même témoin de la barbarie allemande en laissant quatre morts et le tiers du village détruit.

 

Stoumont

En décembre 1944, Edith Grégoire avait 21 ans. Elle raconte :

« L'ambiance au village était assez particulière. Nous ne nous sentions pas en sécurité avec nos hommes qui étaient en captivité en Allemagne. En plus, des bruits alarmants parvenaient régulièrement des régions frontalières : les Allemands reviendront, ils l'ont promis, disait-on. Pourtant, aucun mouvement de troupes américaines ou anglaises ne venaient affirmer ces rumeurs… Par contre, le lundi soir, quand nous avons vu arriver les soldats américains, nous avons compris que Stoumont allait à nouveau connaître la guerre, et nous avons retrouvé ces gestes de toutes les populations victimes de conflits : nous avons descendu un maximum d'objets dans les caves, notamment des matelas et les quelques vivres que nous possédions. Bientôt, le bruit de la cannonade se fit entendre. De plus en plus près. Nous situions les combats dans la vallée, vers Cheneux. Les fantassins américains avaient pris position dans et autour de la maison, pour tenter de s'opposer à l'avancée allemande. Mais les assaillants, venus du bas du village, prirent assez rapidement le dessus et les GI's durent se rendre. Avant de les envoyer en colonne vers l'arrière du front, les SS dépouillèrent leurs prisonniers de tout ce qu'ils avaient : argent, montre, rations de survie, chocolat, chewing-gum … »

« Puis les Allemands se sont occupés de nous : Raus, nach Cathedrale, nous a hurlé un jeune officier. Nous avons vite compris que nous devions filer vers les caves de l'église où une bonne partie de la population de Stoumont était réunie. Je vous laisse deviner les conditions de vie : quatre jours et quatre nuits sans boire ni manger, sans aucune commodité, avec une ou deux bougies pour maintenir un semblant de lumière, sous la surveillance de deux ou trois Allemands et un Alsacien qui avait au moins l'avantage de parler français, le tout, au milieu d'une bataille apocalyptique. »

« Le mardi, l'Alsacien est descendu dans la cave de l'église et m'a désignée, avec deux compagnes, pour aller préparer le repas de ses officiers. Nous nous sommes retrouvées dans une cuisine-cave de Roua, le hameau sur la colline de Stoumont; un carré de lard et quelques œufs constituaient la base du repas, que les officiers voulaient accompagner de café. Au bout de bien des efforts, nous avons allumé un feu et préparé un café que nos visiteurs ont immédiatement recraché, avec force gestes suggestifs. Et pour cause, nous avions fait chauffer l'eau dans une boulloire où traînait un pain de savon. Avec mes deux compagnes, nous nous sommes empressées de préparer un breuvage convenable, car les SS n'étaient pas d'humeur à rire.
Le lendemain, nous avons été à nouveau convoquées dans la cuisine-cave et l'ordinaire a été amélioré avec du chou-fleur et des côtelettes. Mais durant le repas, nous avons été enfermées dans une pièce attenante car les officiers devaient établir leurs plans de bataille. En jetant un œil par une fente de la porte, j'ai vu les cartes déployées sur la table et j'ai compris à ce moment que les assaillants préparaient une attaque du préventorium de Saint-Edouard. »

« C'était complètement fou. On tirait de tous les côtés du village, partout des camions et des blindés brûlaient; en plus, on entendat des hurlements des bêtes prisonnières des étables en feu. »

« Le jeudi, je revins à Roua. La maison était vide, à l'exception de quelques blessés auxquels sont apportés les premiers soins. Accompagné d'une religieuse, mon beau-père a fait le tour des bâtiments de Saint-Edouard avec un drapeau blanc, espérant que les combattants observeraient une trêve afin que les civils terrés dans les caves puissent être évacués. Mais rapidement, il a fallu redescendre dans les abris car les troupes américaines entamaient leur contre-attaque en remontant de Targnon, dans la vallée. Partout on se battait. Dans leurs trous d'homme, les soldats tiraient comme des fous. Puis, peu à peu, les hommes de Peiper ont lâché prise … »

« Le vendredi, au petit matin, les gens de Stoumont sortent de leurs abris pour découvrir les restes de leur village. Les gens marchaient, hébétés, exténués par ces heures infernales, dans la poussière et dans le bruit, avec la peur comme première compagne. Je n'oublierai jamais le visage d'une jeune soldat américain, mort appuyé contre un tank; il était beau comme un dieu, mais la mort l'avait fauché là-bas, dans un village de l'Ardenne dont il ignorait tout. Le danger était permanent. Ainsi, je me suis retrouvée nez-à-nez avec un SS caché dans une cave derrière des casiers de bouteilles vides; sur le coup, je me suis évanouie, j'en avais assez encaissé depuis quatre jours. J'ai été réveillée par un sergent américain qui me tapotait le visage. Plus tard, je me suis rendue compte qu'il avait glissé un billet de 100 DM dans ma poche. … »

« Les gens sont rentrés chez eux à partir du 22 et on découvert dans les décombres, une impressionante panoplie de matériel militaire, tant américain, qu'allemand : vestes, capotes, fusils, coffrets de munitions… Il a fallu également récupérer de nombreux poëles que les combattants avainet emmenés dans leurs trous d'hommes pour tenter de se réchauffer. Je me souviens que mon père est revenu d'Esneux avec le premier camion chargé de pains; on a pu retraire les vaches, bref, la vie reprenait enfin. Mais il a fallu également faire la chasse aux pillards, venus souvent des villages voisins. Je peux vous dire qu'il ne restait rien sur les cadavres abandonnés dans les champs. Je me souviens d'un officier allemand dont j'avais remarqué la superbe bague; il a été retrouvé mort dans un champ près de Roua, mais il avait le doigt coupé et la bague avait disparu. »

 

Malmédy

Malmédy fut victime d'une tragédie, une erreur qui se résume en quelques mots. Pendant trois jours consécutivement, les samedi 23, dimanche 24 et lundi 25 décembre, l'aviation américaine a bombardé la cité qui était pourtant toujours occupée par des soldats américains et ou les Allemands n'avaient jamais pénétré.
Il y eu plus de 400 victimes, dont, à la mi-février, 200 seulement avaient été retrouvés sous les décombres.

Dès le début de leur offensive, les Allemands avaient percé les défenses extérieures américaines.
Le 16 décembre, à l'aube, leurs éléments avancés s'approchaient rapidement de Malmédy. Aux premières heures de la matinée, leur artillerie exécuta des tirs de harcèlement sur la ville et ceux-ci se poursuivirent jusque dans la soirée. Le dimanche 17 décembre, les troupes américaines, en retraite, traversèrent Malmédy. Les Allemands se trouvaient alors à proximité de la ville. On put croire à ce moment que Malmédy allait être occupée par l'ennemi. Mais il n'y avait là qu'une hypothèse et non un fait. Souvent, dans le désordre d'une bataille, il est malaisé de distinguer l'un de l'autre. C'est ce qui explique l'erreur de l'aviation américaine du 23 décembre.
Le pire, c'est que l'erreur se répéta le lendemain et le surlendemain. Les Américains reconnurent que le bombardement de Malmédy est le résultat d'une des plus grandes méprises de la guerre.

Voici quelques témoignages.

Le premier est celui de J. de Kerkhove, chef du poste de la croix rouge installé à Malmédy le 25 décembre.

« Le 17 décembre, l'ordre a été donné de quitter la ville. Un médecin volontaire, le docteur Van Ackere, fut autorisé à y rester. Le 21, le docteur Franeau retourna à Malmédy, où nous entrâmes à notre tour le 25. Dès ce moment, mon équipe s'est occupée du ravitaillement et du bien être de la population.
Pendant plusieurs jours encore, jusqu'au 15 janvier, des obus sont tombés régulièrement sur la ville. Les habitants qui avaient trop souffert des événements de fin décembre, et qui étaient énervés au suprême degré, n'osaient sortir, ni de leur cave ni des grands abris construits sous une colline surplombant Malmédy. Dans ces abris régnait une ambiance indescriptible.
Imaginez-vous des centaines de gens entassés les uns sur les autres, ne pouvant se coucher faute de place; femmes, enfants, vieillards, vivant dans une obscurité presque complète, sans nourriture, sans eau potable.
Des murs et du plafond, l'eau suintait. Une atmosphère presque irrespirable de chaleur et d'humidité vous prenait à la gorge.
Malgré le danger, malgré l'incertitude de chaque minute, mon personnel tout entier s'est immédiatement mis au travail. Il s'agissait d'abord de donner de la soupe et des biscuits à la population. Cette soupe et ces biscuits, c'est aux Américains que nous les devions. Jamais nous n'oublierons le travail remarquable et l'aide apportée par l'équipe des Affaires Civiles Américaines commandées par le capitaine Rodney Welsh et le lieutenant John Purdum, tant pour l'évacuation à l'intérieur du pays des nombreux « sans toit » que pour le ravitaillement des sinistrés. Sans eux, notre tâche n'aurait jamais pu être accomplie.
Peu à peu, toutefois, les gens reprirent confiance et courage et ils se présentèrent de plus en plus nombreux à nos cuisines, qui fonctionnèrent sans désemparer malgré la chute des obus et des bombes; ainsi, certains jours, nous eûmes à ravitailler jusqu'à 5.700 personnes.
Plus tard, nous dûmes nous efforcer de fournir des produits alimentaires à de nombreux villages environnants, notamment à Baugniez, Bellevaux, Bevercée et Ligneuville.
Au début, ce ravitaillement se fit grâce aux produits américains; on reçut plus tard des produits belges. Ce ne fut là que le commencement de l'œuvre que mon équipe a réalisée sous l'impulsion et la direction de Mme Detry, inspectrice de l'ONE (Œuvre Nationale de l'Enfance), détachée par elle à la Croix-Rouge. Bientôt, nous pûmes faire également des distributions de viande, de pain, de sucre, de savon, etc. Le 1er janvier, déjà, Mme Detry instaurait un système de cartes de ravitaillement qui assurait une répartition équitable à chaque habitant de la ville.
Elle organisa la distribution de lait aux enfants en dessous de seize mois. Deux cents bébés profitèrent de cette aubaine et reçurent trois quart de litre par jour. En plus de nos cuisines de campagne, notre grande cuisine distribua journellement un repas complet à tous les travailleurs de la commune : police, gendarmerie, personnel de la Maison Communale, terrassiers, fossoyeurs, etc. Certains jours, nous eûmes plus de deux cents convives.
Peu à peu, la ville repris son activité d'avant les jours sombres et le commerce fonctionna à nouveau, un mois à peine après les tragiques événements.
Ce résultat est remarquable lorsqu'on songe que 50 % de la ville est entièrement détruit et que 75 % des habitations sont inhabitables.
Depuis le 5 février nous avons aidé à organiser le Fond National de Secours aux Sinistrés, qui fait bénéficier ceux-ci d'un secours immédiat en argent et en vêtements.
En fin de ce bref aperçu, voici le nom des personnes qui nous aidèrent à réaliser et à mener à bien notre tâche.
Il s'agit principalement de mes collaborateurs directs et j'oublie certainement beaucoup de monde. M et Mme Detry, Mme Cumont, Mlle Dejongh, Mlle Verstraeten, Mlle Stronval, M Picard, le docteur Van Ackere et le docteur Franeau. »


Le Comte de Kerkhove a omis en tout cas un nom : le sien !

Voici ensuite le témoignage de Jean Rademacker qui prit en main, au moment le plus critique, les affaires communales.
« Le samedi 16 décembre, Malmédy fut mis en émoi par un tir d'artillerie ennemi qui endomagea fortement bon nombre de maisons, principalement dans les rues Derrière La Vaulx et Chemin-Rue. Il y eut 16 morts et des blessés.
Le dimanche 17 décembre, l'interdiction de circuler fut faite à la population entre 13 H 00 et 16 H 30. On disait que des parachutistes ennemis avaient atteris dans les environs de la ville. Déjà vers 16 H 00, la rumeur circulait que les autorités civiles et militaires avaient évacué et, en effet, vers 17H30, les derniers camions étaient partis. Ceux qui avaient la chance de disposer d'une voiture particulière disparurent également et c'est ainsi qu'une bonne poignée de patriotes restèrent abandonnés au milieu d'une majorité de gens qui se redressaient en attendant le retour des Allemands. L'argent de la Banque Nationale n'avait pas pu être mis en lieu sûr.
Au cours de cette journée, de nombreux tanks venus de la route d'Aix-La-Chapelle avaient traversé la ville, se dirigeant vers la route de Waimes. On passa la soirée dans l'incertitude, tout en s'encourageant l'un l'autre.
Au cours de la journée de lundi, l'artillerie alliée s'installa sur les hauteurs nord, nord-ouest et nord-est de Malmédy. Alors, les Allemands commencèrent à nous envoyer des obus. Les artilleurs américains les leur rendirent au centuple. Le bruit des canons alliés nous devint familier. L'ennemi tirait plusieurs fois jour et nuit, détruisant chaque fois quelques maisons et faisant plusieurs victimes.
Puisque personne n'avait pris l'initiative du ravitaillement de la ville, je fus sollicité de m'en occuper. Je m'en fus trouver les bouchers et les boulangers qui restaient à Malmédy en les priant de se remettre au travail.
Le mercredi 20 décembre, le capitaine Welsh rentra en ville. Aussitôt, il me fit quérir et m'ordonna de prendre les fonctions de bourgmestre.
Je m'entourai alors des rares hommes de confiance qui me restaient sous la main pour former un corps de police uaxiliaire. Comme les duels d'artillerie s'intensifiaient, la population ne quittait plus guère les abris et les caves, où elle s'était blottie.
Le 21, l'ennemi lança des parachutistes jusqu'en ville même, mais sans résultat parce qu'ils furent faits prisonniers aussitôt.
Le lendemain, 22 décembre, l'attaque allemande commença. Faisant pression au sud et à l'ouest, l'ennemi tenta vainement de forcer les lignes alliées à Falize et au Pont de Warche. Quinze tanks allemands portant l'étoile américaine furent détruits; les occupants portaient également l'uniforme américain.
Hélas, le lendemain, alors que le temps s'éclaircissait, se produisit pour Malmédy, l'un des plus tristes épisodes de la guerre. Dans l'après-midi, les aviateurs américains survolèrent la ville et y lachèrent des chapelets de bombes.
Ce fut le cœur même de notre vieille cité qui fut atteint en premier lieu. En un rien de temps, le Vieux Marché, l'âme de Malmédy, était démoli; une bonne partie du Chemin-Rue et l'ancienne impasse, la ruelle Grognet, subirent le même sort. Les incendies faisaient rage. On ne put empêcher les flammes de s'étendre, nous manquions d'eau.
Au cours de la nuit, les deux ailes nord et nord-ouest du Marché avaient disparu et l'incendie gagnait Place de Rome, après avoir ravagé tout Chemin-Rue. Le lendemain après-midi, les Alliés bombardèrent à nouveau la ville, détruisant entre autre l'hospice Sainte-Hélène, qui est celui des vieilles femmes, et la plus belle partie de l'ancienne Abbaye, dans les caves de laquelle se trouvaient beaucoup d'habitants. Un grand nombre d'entre eux y ont trouvé la mort.
Le jour de Noël, nous amena le troisième bombardement, qui fut moins violent et ne fit que quelques dégâts dans les parages des vieilles tanneries. Il est vrai que les drapeaux rouges des américains avaient été hissés aux clochers des églises et étalés sur le toit des maisons. Mais la terreur règnait dans les abris. On n'osait même plus sortir pour aller se ravitailler.
Le lendemain de la Noël, il y eut encore de très violents tirs d'artillerie pendant toute la journée. Ce fut ce jour-là qu'un avion allemand lança quelques bombes sur la route de Falize.
Le 27, on avait décidé d'évacuer la population.
Le 28 et les jours suivants, des camions américains transportèrent bon nombre de personnes vers les centres d'accueil à l'intérieur du pays. »

Il faut préciser qu'avant le 16 décembre, Malmédy comptait 1160 maisons habitables. Après les opérations, 250 maisons étaient complètement détruites et 351 endommagées.
Il restait donc environ 550 maisons qui, si elles n'étaient pas à l'état de ruines, étaient tout de même assez endommagées pour subir les effets des intempéries.
Parmi les beautés architecturales anciennes et typiques, dont il faut déplorer la disparition, il faut citer l'ancienne maison Beckmann sur la place Albert 1er, une aile de l'Abbaye avec sa magnifique salle du Chapitre et la destruction des beaux vitraux de l'église.

 

Renardmont

A Stavelot, il y eu ce que l'on peut qualifier de miracle.
En effet, le 18 décembre, peu après 9H00 du matin, Henri Delcourt se trouvait avec d'autres hommes devant l'entrée d'une ferme sur les hauteurs de Stavelot.
Ils regardaient des soldats qui remontaient la route de Wanne et avaient d'abord cru que c'était des Américains.
Malheureusement, c'était non-seulement des Alelmands, mais pire encore, c'était des SS.
Ils les ont vus et les ont arrêtés.
La plupart étaient des jeunes faisant preuve d'une incoyable agressivité. Ils les ont obligés à rejoindre un groupe d'autres civils à coups de crosse.
« C'est alors, dit-il, que nous avons entamé une marche forcée à travers les champs et les bois. Les SS emmenaient avec eux tous les Belges qu'ils rencontraient où alors, ils les exécutaient sans sommation. C'est malheureusement ce qui arriva à une dame qui voulait donner des papiers d'identité à son mari et ses deux fils qui venaient d'être arrêtés. Dans un premier temps, elle se vit répondre dans un français impeccable par l'un des gardes : « Ils n'en auront pas besoin, madame. Puis, sans discuter, le même homme l'abbatit d'une balle en pleine tête. Un peu plus loin, les Allemands abattent plusieurs hommes qui travaillaient dans un champ.
Finalement, nous fûmes une trentaine à arriver dans le village de Renardmont. Il était environ trois heures de l'après-midi. Nous étions devant un petit hangar en face de la ferme Legrand dans lequel les allemands nous demandirent de rentrer. Ils mirent une mitrailleuse en batterie et tirèrent sur nous.
Je me suis laissé tomber à la première détonation. Un autre homme est tombé sur moi. Je le connaissais bien puisque c'était un voisin. J'ai fait le mort. Je sentais le sang de ce voisin qui me coulait dans mon dos.
Après les rafales de mitrailleuses, tout le monde n'était pas mort. Je n'oublierai jamais les cris de détresse, les gémissements, les râles de tous ces gens qui agonisaient. Pour achever leur sale travail, les SS ont encore tiré sur tout ce qui bougeait dans la grange.
Ils sont passé tout près de moi. Ils achevaient leurs victime au revolver. J'ai cru que j'allais y passer, mais heureusement, ils ont cru que j'étais mort. Ils ont alors mis le feu à la grange. »
Henri Delcourt resta le plus longtemps possible sans bouger et dès qu'il sentit ses pieds qui commençaient à brûler, il décida de tenter le tout pour le tout. Il s'est levé et réussit à sortir par l'arrière du bâtiment. Les Allemands étaient partis, croyant que tout le monde était mort. Il était blessé à une jambe et en état de choc. Il ne se rendait même pas compte qu'il était blessé. « J'ai commencé, dit-il, à errer dans les bois environnants dans lesquels je me suis perdu, alors que je les connaissais très bien. Après plusieurs heures, j'aperçus enfin une ferme que je connaissais. »
Accueilli par les habitants de la ferme, Mr Delcourt sera conduit dans un hôpital américain à Vervier, puis transféré à Saint Pierre à Bruxelles.
« Ma femme ne savait toujours pas ce que j'étais devenu et elle n'apprendra seulement que trois mois plus tard que j'avais échappé au massacre. »

Témoignage de Frank Warner (Pennsylvanie)

The (Allentown, Pennsylvania) Morning Call
101 N. Sixth Street
Allentown, PA 18101
U.S.A.

7 janvier 2001

Sur les traces de son père

Le fils d'un soldat suit le chemin de son père en Belgique et dans l'offensive des Ardennes

Par FRANK WARNER
du journal « The Morning Call »

Au fin fond de la cour de ferme ensoleillée, je vis ce que je voulais le plus voir en Belgique.
C'était un endroit où mon père se tenait pendant la Bataille des Ardennes. Il semble ne pas avoir changé.

Grâce à la vieille photo, je reconnus la grande maison de l'autre côté de la cour.
« Est-ce la ferme que vous recherchez ? » demande mon guide Belge.
« C'est bien elle ! » répondis-je. J'avais un sourire jusqu'aux oreilles. Ma curiosité était grandement récompensée.
Je connaissais les histoires du sifflement des bombes, des tanks Tiger, de cadavres gelés et, à la fin, les Allemands qui se rendaient par milliers que me racontaient mon père. J'avais également vu les photos noir et blanc prises par son copain de l'armée, Ralph Salmon.

Mais les histoires et les photos n'étaient pas assez. Le territoire Belge libéré n'était pas ici. Je devais aller le voir par moi-même. L'été dernier, j'y suis allé.

Je vis le cimetière Américain des Ardennes à côté de Liège, en Belgique, où 5 300 américains sont enterrés sous des rangées et des rangées de croix et d'étoiles de David. La majorité d'entre eux sont morts dans la Bataille des Ardennes que Hitler commença le 16 décembre 1944. C'était sa dernière chance de renverser 6 mois d'avance Alliée depuis le D-Day en Normandie.

J'ai également visité Bastogne, l'endroit du sang et de la gloire dans le saillant des Ardennes.
Là, quand les Allemands demandèrent la reddition, le Général U.S. Anthony Mc Auliffe envoya une réponse en un seul mot, « Nuts. »

Mais la ferme de Harzé en Belgique avait une signification spéciale pour moi.

Thomas E. Warner, né à Easton, âgé maintenant de 78 ans était ici un peu plus de 50 ans plus tôt, dans le froid glaçant du dernier hiver de la seconde guerre mondiale.

Avant de faire mon voyage vers ce champ de bataille, ce soldat, mon père, me parla d'une certaine nuit bruyante, ici dans une grange couverte de neige.

Le jour de Noël 1944, un vieux fermier invita la compagnie du Sergent Warner qui était une partie du 54ème Bataillon de transmissions du 18 ème Corps Aéroporté, a rester dans sa ferme.

Ce soir là, les soldats s'installèrent dans leurs sacs de couchage, au dessus des vaches, pour se tenir au chaud. Comme ils dormaient dans le fenil, les fusées allemandes V-1 passaient au-dessus, la plupart dirigées vers les dépôts Alliés.

« C'était comique à entendre », disais mon père. « Au milieu de la nuit, on pouvait entendre tous ces types dans le fenil, en train de ronfler. Quand le V-1 passait, tranquille, ils arrêtaient tous de ronfler. Et quand la bombe explosait, ils recommençaient tous à ronfler comme si rien ne s'était passé. »

C'est de la poésie que de ronfler entre les sifflements des bombes qui tombent.et ça mériterait de se trouver dans la documentation. Je devais voir Harzé.

Mon père, qui habite à Stowe, Montgomery County avec ma Mère, Georgiana née Dorsey à Bangor, avait commencé dans la vie active par l'Armée.

En 24 ans de vie militaire, il alla à la guerre en Europe, se maria, pris part aux test atomiques dans le Nevada et partit faire la guerre du Vietnam. En 1966, il s'installa avec sa femme et ses quatre fils à Pottstown où il a fait carrière avec AT&T.

Il n'a pas pu faire le voyage en Belgique. Il dit que ses genoux ne lui appartenaient plus. Mais il était intéressé par ce que je trouverais.

Il se demandait à quoi ressemblait la Belgique aujourd'hui.Il se demandait également pourquoi j'étais si intéressé.

J'ai pris tout le fruit de mes recherches avec moi. Et merci à Annick Petit, une gentille habitante de Liège que je rencontrai grâce à Internet et je retrouvai beaucoup de points de passage durant la guerre de mon père.

Trouver Harzé allait être un problème. Toutes les cartes les plus détaillées de Belgique ignoraient le petit village.
Il y a seulement quelques mois, Harzé me semblait aussi inaccessible que Mars.

Mais Harzé était l'endroit où Salmont pris la seule photo jamais prise de mon père dans une zone de combat.

La photo que Sarah, la veuve de Salmon, m'envoya de Rockville en 1994, montre mon père, 22 ans, fatigué, mal rasé, le casque enlevé et une carabine suspendue à l'épaule droite. Dans le flou du second plan de la photo, on distingue un bâtiment de pierres avec des fenêtres et une chose bizarre, sombre sur le mur, impossible à déchiffrer.

Pendant 6 ans, j'ai étudié cette photo de 9 cm sur 9. Où a-t-elle été prise ? Qu'y avait-il à gauche et à droite de la photo ? Mon père n'était pas certain. Il n'avait pas vu cette photo depuis que Salmon l'avait prise 50 ans plus tôt, et Salmon était décédé en 1986.

Sur le dos de la photo, Salmon avait écrit le premier indice. « Sergent Tom Warner semble un peu défrâichi a Harzé, Belgique. » Aucune date n'est indiquée, mais le 54th Signal Battalion note que le bataillon est arrivé à Harzé le 25 décembre 1944 et quitta le 7 janvier 1945.

J'ai une douzaine d'autres photos de Salmon. Certaines m'aidèrent à me décider si je pouvais jamais trouver cet endroit à Harzé.

L'une d'entre elles montre un soldat américain et une jeune femme quittant un immeuble de pierres par un chemin neigeux. Au dos, salmon écrivit, « Spottiswoode et Angela à Harzé, Belgique. »

Mon père se rappela ce bon ami, le sergent Normand Spottiswoode d'Haverhill au Massashussets et se souvint vaguement d'une Angela qui était femme d'ouvrage à la ferme. Spottiswoode était mort après la guerre, mais je me demandais où pouvait être Angela.

Une autre photo montre une scène où l'on voit des soldats jouants dans la neige. En arrière plan, on voit un autre immeuble de pierres avec une ouverture arrondie assez large pour une voiture passer. Au dos, « Harzé, Belgique ». Mon père n'est pas certain de quel immeuble il s'agit, mais il est clair que l'immeuble est assez grand et robuste pour avoir tenu les 55 ans après la guerre.

Une autre photo montre un vieil homme, « M. Grodent, Harzé, Belgique », à côté d'un immeuble de pierre dans la neige. Il a l'air de quelqu'un à qui doit appartenir la ferme.

J'ai attentivement examiné les photos. Pour chacune, je demandais quelle était son histoire ? J'ai aggrandi les photos. J'ai examiné les expressions des personnages, les pierres de chaque immeuble, les panneaux sur les routes, la profondeur de la neige en Belgique.

Un agrandissement révèla, dans une rue, les visages anxieux des Belges regardant le ciel pendant que les chasseurs Allemands attaquaient les bombardiers Américains. Au dos de la photo originale, Salmon avait écrit « Des civils regardent le début d'une bataille aérienne à Aywaille, Belgique ». Sur une autre photo, Salmon photographia un éclair qu'il identifia comme un bombardier explosant dans le ciel. Il est difficile de dire ce qu'il y avait dans le panache de fumée.

Ce 15 mai dernier (2000), j'ai été sur Internet pour demander de l'aide.
Sur un bulletin d'information « soc.culture.belgium, »  je laissai un message intitulé « Est-ce que Harzé existe ? » Dans le message, j'expliquais ce que je recherchais, et, ce qui est courant sur Usenet, une étrangère me répondit.

Annick Petit me proposait son aide pour trouver les endroits sur les photos, donc, je lui envoyai par e-mail quelques vieilles photos de Harzé. Dans le même temps, je réservais un vol pour Paris, imaginant que j'allais prendre un train pour la Belgique et ensuite, prendre la route vers Harzé, Aywaille, Bastogne et les autres endroits de la bataille par moi-même.

Vint le 24 août, deux jours avant mon vol, Annick m'écrit pour me faire part d'une découverte importante. Elle a publié les photos d'Angela et de Mr Grodent » dans « Les annonces de l'Ourthe », une petite gazette des environs de Harzé, et trois personnes ont répondu à sa demande d'information.

Bonnes nouvelles pour vous avant votre voyage » m'écrit-elle. « La ferme est la ferme de Pironboeuf et la jeune femme sur la photo est Mme Wuidar. Elle a téléphoné au bureau du journal pour donner son numéro de téléphone. »

« C'est gentil, non ? » écrit-elle en pensant à ce qu'elle avait découvert pour moi.

C'était bien plus que gentil. C'était stupéfiant et dans un incroyablement bon timing. J'étais tellement excité que je le racontais à chaque personne que j'ai vu ce jour-là.

La ferme avait un nom. Angela avait un nom de famille et était en vie. J'étais bien parti.

Le 29 août, Annick m'accueillit à la gare de Liège. Immédiatement, elle m'emmena à la Cathédrale St Barthélemy pour me faire voir ses fonds baptismaux du 1é eme siècle. Elle me demanda d'écouter comment fut restaurée la Cathédrale. Je l'écoutais plus encore.

Après, Annick expliqua à un groupe de volontaires de la paroisse (?) pourquoi j'étais en Belgique, et l'une d'entre eux me prit à l'écart. Michelle Lewalle avait quelque chose d'important à me dire.
« En 1944, j'avais huit ans. Un jour, mon frêre ainé et moi étions devant la porte de la maison quand on vit arriver un tank par la route. Je dis à mon frêre, Est-ce un tank Allemand ou un Américain? » Et mon frêre répondit : « J'en sais rien ». Mais il dit alors : « Regarde, je vois un petit drapeau, des étoiles et des rayures ! C'est un tank Américain ! ».
« C'est à ce moment que j'ai su qu'on était libérés » me dit Michelle Lewalle.


L'histoire m'a remué, elle le racontait avec tellement d'émotion. A ce moment, elle aggripa mon bras et ajouta doucement « Vous direz à votre père, merci »

C'est un acceuil que je n'oublierai jamais, et ça se passa si vite.

J'ai embrassé très fort Michelle Lewalle. Je lui ai promis que mon père entendrait chaque mot qu'elle avait dit.

Le jour suivant, j'étais à Harzé. Annick avait arrangé une rencontre à la ferme de Pironboeuf et il semblait certain que c'était la ferme des photos. Mais je voulais m'en assurer moi-même.

Comme elle conduisait, je regardai en haut d'une bute sur le côté ouest du village. Sur les flancs d'un bois de sapins, des vaches et des chêvres broutaient à côté d'un ensemble de bâtiments.

Mes yeux s'équarquillaient et mon cœur battait de plus en plus vite quand je vis que les bâtiments avaient des murs de pierres fortifiés.

C'était la ferme, j'en étais sûr maintenant. Ca allait être la joie de la découverte et mes pensées se bousculaient.
Ou devais-je regarder en premier ? J'aurais tant voulu parler Français.

Et là, Angela (Dubar) Wuidar. Elle souriait. J'ai pensé qu'elle ne souriait pas sur la photo. Elle était là, en chair et en os, une vraie personne, en couleurs.

Il y avait le nouveau propriétaire de la ferme, Gustave Grenson. Il y avait ses fils, Philippe et Pierre, et la propriétaire précédente, la fille de Clement Grosdent. Il y avait également Renée Toussaint qui a connu d'autres GI's à Harzé.
Le journal qu'Annick avait contacté avait amené toutes ces personnes et quelques connaissances, pour parler de ce noble passé. Tout le monde souriait et était bouillonant de joie. Et tout le monde excepté moi, parlait Français tandis que nous marchions dans la cour de la ferme vers les lieux historiques ou la photo d'Angela avait été prise il y a si longtemps.

Le bâtiment avait une douzaine de fenêtres et chacune avait une jardinière remplie de superbes géraniums rouges. Je regardais la maison sous tous les angles et ce chapeau triangulaire surplombant les marches de la porte d'entrée.

Quand je me retournai pour regarder les trois autres bâtiments de la cours, je fus abasourdi.
Voici la photographie de Salmon représentant des soldats jouant dans la neige. Aucun soldat ou neige en août, naturellement,
mais c'était le même espace, le même coin, le même mur, le même passage arqué dans le mur.

Je venais juste de passer sous la voûte. Pendant six ans, je m'étais demandé à quoi cette ouverture menait. Maintenant je sais qu'elle mène à la route, et à un pré à travers la route.

J'ai également vu ce qui était à gauche et à droite de la vieille photo. Le long du bâtiment de laiterie sur la
gauche, un collie noir et blanc aboyait dans son chenil. Sur la droite, deux nouvelles voitures ont été garées, une dans une structure adossée, l'autre dans la grange en pierre.

L'air sentait le parfum des gaufres. l'épouse de Philippe Grenson en faisait cuire à l'intérieur.

Angela Wuidar a parlé des soldats Americains sortant en patrouille pendant la journée et revenant au repos la
nuit. Elle s'est également rappelé avoir fait des « french fried potatoes » - -sauf qu'elles étaient Belges les frites," Les frites Belges sont meilleures que les frites Françaises " -- pour le GI's ici le jour 1944 de Noël. Gustave Grenson, qui avait 7 ans et vivait dans une ferme voisine pendant la Bataille des Ardennes, s'est rappelé les tours de jeep et le chocolat des Americains.

Annick a indiqué que ses parents Français avaient vécu les atterrissages du D-Day -- son père dans la première vague le 6 juin 1944; sa mère le jour suivant, quand les plages ont été assurées. Les deux ne se sont pas retrouvés jusqu' à une réception alliée de victoire en Allemagne méridionale, le 4 juillet 1945.

Et Renée Toussaint nous a indiqué au sujet du soldat Americain avec qui elle s'était liée d'amitié dans Harze en décembre 1944 que son nom était Warner, aussi. Quand elle a vu l'avis de recherche du journal de Annick, elle a dit qu'elle avait pensé que j'étais le fils de ce GI's qui revenait. À ma stupéfaction, j'ai trouvé que ce Warner -- Charles L. Warner, maintenant de Lompoc, Calif. -- a également eu un fils nommé Frank.

J'ai demandé à Angela si je pouvais la prendre en photo. Elle s'est déplacée à la porte avant de la ferme. Elle était toujours aussi mince, comme elle était en 1944, mais elle paraît plus gaie. Elle n'a plus la coupe de cheveux avec de grandes boucles brunes. Ses cheveux étaient plus courts, soignés et gris-blonds. Elle a souri pour mon appareil-photo au même endroit que l'objectif de Salmon l'avait saisi..

Angela a tourné ses yeux vers la grange et ma dit quelque chose en Français. Annick a traduit. « Angela
dit que mon père aurait dormi dans cette grange. »

Dans le bâtiment Philippe m'a emmené, derrière la voiture garée et au delà des machines à traire en acier inoxydable. À l'arrière de la grange, il s'est dirigé vers une ouverture du deuxième-étage dans le mur en pierre, une ouverture sans porte.

" est ce le fenil ? " ais-je demandé.
" Oui, " me dit-il, et d'un geste du bras il m'a encouragé à monter l'échelle.

Mon genou gauche n'était pas vraiment en bonne forme pour cet exercice. J'avais dù le garder tendu deux semaines plus tôt en Pennsylvanie.

Allez, me dit Philippe. J'ai pris trois inspirations, et suis monté en pensant que si je le blessais en montant, comment allais-je faire pour redescendre ?

" Vous pouvez le faire, " a dit Philippe. " vous pouvez le faire. "

Alors il m'a poussé. Comment est-ce que je pourrais même hésiter? J'avais fait 6000 km pour voir cette ferme, et l'histoire du fenil était une des raisons.
Naturellement je montais.

Au dessus, je me suis penché par un passage dans le fenil. Sur cet étage, des ballots de foin ont été empilés sur trois ou quatre rangées, et huit de haut contre le mur. Deux ouvertures minuscules éclairaient faiblement la pièce.

J'ai essayé d'imaginer des soldats dormir ici sous les faisceaux de lumière et les combles d'un toit élancé. Il faisait trop calme pour imaginer maintenant des ronflements et des sifflements de bombes. Quelque part dehors, une vache meuglait.

Dans le silence du fenil, il me vint à l'esprit que mon père n'avait jamais parlé de la Bataille des Ardennes jusqu' à ce que je commence à l'ennuyer avec des questions il y a quelques années. Il a gardé ses guerres pour lui.

Il a risqué sa vie ici, combattant la machine de guerre la plus diabolique jamais construite. Il est rentré à la maison, a trouvé une gentille femme, et a élevé une famille heureuse avec elle.

C'est un homme, ai-je pensé. Et comme beaucoup d'autres de sa génération, il n'a jamais été remercié pour avoir fait son boulot ou avoir mené une vie honorable.
Je me suis demandé si je l'avais jamais remercié à la manière dont la femme à Liège a dit, « vous direz à votre père : merci ». Je devrais essayer.

Maintenant je pourrais décrire mon père dans le fenil. Il serait dans le coin au fond, bien emmitoufflé, ronflant avec les meilleurs.

Redescendre du fenil ne fut pas un souci. Mon genou était très bien.

Philippe et moi sommes retournés à la cour. Là, j'ai dit à Annick que les murs de pierres étaient si semblables sur tous les bâtiments de la ferme que je ne saurais probablement jamais exactement où la photo du temps de guerre de mon père a été prise.
Trop peu de murs sont montrés dans l'image, et en plus, l'arrière plan est flou.

Philippe a ouvert mon album-photos.

" Il était ici " dit-il, faisant des gestes vers la porte avant. " il était ici. "

Mon père était près de la porte avant? Philippe doit avoir mal compris, j'ai pensé. Il doit avoir regardé
la photo d'Angela. J'ai alors regardé. Il regardait la photo de mon père.

" Comment pouvez vous être certain qu'il se tenait ici? " ais-je demandé.

Philippe m'entraîna quelques pas en arrière, ainsi j'aurais la perspective appropriée. Il m'a montré les deux fenêtres et la ligne du toit sur la vieille photo. Alors il m'a montré du doigt, la tache noire. C'était cette tache noire sur le mur derrière la tête de mon père.
Cette tache floue foncée était exactement la même tache, c'était comme un fer forgé d'ornement qui était resté sur le mur de la ferme.

C'est un peu comme une fantaisie en forme de X, l'ornement est la partie visible d'un dispositif en fer ancrant un toit.

J'étais stupéfait.

C'était probablement là où mon père s'est tenu, fatigué et pas rasé, quand le cinquante-quatrième Signal Battalion est arrivé dans Harzé le jour de Noël 1944.

C'est pourquoi je suis venu ici et que j'ai voulu être avec précision à cet endroit, que j'ai voulu respirer le même air que lui pendant la bataille des Ardennes. que j'ai voulu entendre certains des mêmes bruits, sentir certaines des mêmes odeurs. J'ai voulu sentir une troisième dimension de la bataille.

Le fils d'un soldat Americain, j'ai été honoré pour être ici. Huit ans avant ma naissance, mon père était
ici dans la plus grande bataille où a jamais combattu l' U.S. Army. Dans cette campagne, 19 000 Américains sont morts, défendant la liberté dans ses heures les plus sombres. 600 000 GI's supplémentaires ont mis leurs vies en jeu ici, et il était un de ceux-là.

Il était ici.

Au même endroit que lui, sur le sol libre de Belgique, j'ai pris un souffle profond. J'ai regardé autour tout ce qu'il avait vu ici. La vieille photo avait une troisième dimension.

Après avoir mangé des gaufres et cent au-revoirs, Annick et moi sommes partis pour le village de Aywaille, quelques kilomètres au nord.

Dans le centre d'Aywaille, nous avons trouvé la rue où les civils étaient témoins de la bataille aérienne en décembre 1944. Les jardinières de fleurs décoraient les trottoirs. Les bâtiments au centre de la vieille photo de Salmon étaient maintenant un magasin de chaussure et un magasin de téléphones portables. Aywaille grouillait d'activité.

Le jour suivant, j'ai vu Francorchamps, où mon père a vu des cadavres gelés chargés sur des camions en route pour être enterrés et Malmedy, où les Allemands massacrèrent 100 prisonniers Americains au début de la bataille.
Et juste à l'intérieur de l'Allemagne, j'ai vu Mulartshutte, l'endroit où le cinquante-quatrième Signal Battalion a installé son premier QG sur le sol ennemi, le 7 fév. 1945. Ils étaient 500 km plus loin en Allemagne quand les Nazis se sont rendus trois mois plus tard.

Les Ardennes Belges était tranquilles maintenant que j'étais ici longtemps après la bataille, longtemps après les bruits mortels. Je pourrais marcher dans les traces de mon père, mais dans l'été de Belgique en 2000 je ne pourrais pas sentir la guerre, son incertitude de la vie et la mort. Je ne pourrais pas sentir l'inquiétude, la crainte, les maux et douleurs, et le froid de l'hiver de 1944-45.

Au lieu de cela, j'ai apprécié ce que les alliés ont gagné. Une Belgique amicale et libre.
En considérant le tout, le voyage valait la peine.

Quand je suis retourné en Pennsylvanie, j'ai montré à mon père les nouvelles photos de la Belgique et lui ai transmis les nombreux messages d'amitié.

Il a dit qu'il a été étonné de voir à quel point la Belgique semble ordonnée aujourd'hui. Ce n'était pas ce qu'il avait imaginé. Le pays congelé dans le chaos de la guerre. Il s'attendait à une Ardenne abandonnée de ses habitants au profit d'une population plus urbaine.

Alors il m'a demandé, " Qu'est ce que je te dois ?"

" Quoi ? " dis-je, embarrassé.

" Qu'est ce que je te dois pour le voyage ? " dit-il " il me semble que je te dois quelque chose. "

J'étais abasourdi. « C'était mes vacances » dis-je, « et tu ne me dois absolument rien. »

Je suis revenu avec une richesse qui ne peut pas être mesurée. J'ai des nouveaux amis dans un pays éloigné et des réponses à toutes les questions que je croyais irrésolvables par le passé.

Je suis dans la crainte du sacrifice donné pour gagner la seconde guerre mondiale. Et je suis plus fier que jamais de mon père.

Je suis libre, Papa. Tu m'as déjà payé il y a très longtemps.

 

Noël Long était sergent de la « Company F, 137th Infantry, 35th Division ». Il se battit à St Lô avant de servir sous les ordres de Patton. Son « Regimental History Bok » raconte également leur combat dans les Ardennes. Voici ce que Noël a eu la gentillesse de me faire parvenir… Lire

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