Bien
Hoa :
C'est un petit bourg, équivalent en importance à un chef
lieu de canton en France, peuplé d'Indochinois avec un marché
également assez important où venait se ravitailler la
population indochinoise de la région formée d'un assez
grand nombre de villages constitué de cabanes en bambou fin comme
du chaume et de murs en bambous également. Le lieu de couchage
était constitué de paillotes qui servait de lit. Lorsqu'on
arrivait dans ces villages, on pouvait voir tout ce qui se passait dans
ces habitations. La population résiduelle dans la journée
était surtout formée de quelques femmes, de vieillards
et d'enfants, mais à l'époque où nous sommes arrivés,
les militaires y étaient les bienvenus.
L'envahissement de l'Indochine et son occupation par les Japonais n'avait
pas laissé que de bons souvenirs. Les catholiques, qui étaient
nombreux dans certaines régions, avaient caché tout ce
qui pouvait être une trace de contact avec les français
avant leur invasion, particulièrement la croix du christ.
Il faut savoir qu'avant leurs départs, les Japonais avaient invité
tous les officiers d'une garnison française à un repas
en compagnie des officiers japonais, et qu'à la fin du repas
ceux ci leur avaient coupé la tête sans explications.
A propos de la colonisation française, il suffisait de se promener
dans Saigon pour se rendre compte qu'un certain nombre de chose y avait
été positive à commencer par l'Institut Pasteur.
Pour avoir vécu l'Indochine en compagnie d'officiers et sous
officiers de la "France Libre" qui l'avaient connue avant
la guerre, ils en avaient gardé le souvenir pour pouvoir aller
d'une province à l'autre sans craintes et sans armes. Mais ils
faisaient partie des privilégiés.
Par contre, elle n'avait pas fait que des adeptes, particulièrement
dans les secteurs industriels et dans les plantations, et en se promenant
dans les campagnes, on y voyait que la population était pauvre
et continuait de vivre dans les conditions du moyen âge. Il est
vrai que pour nous, nouveaux arrivants, nous ne savions pas grand chose
sur l'Indochine, à part le fait qu'elle ait été
occupée par les Japonais. Nous pensions venir en libérateur,
et tout dans le comportement des populations indochinoises et françaises
à notre arrivée nous poussait à le croire. L'accueil
était chaleureux de part et d'autres.
L'une des caractéristiques des villages était également
une grande jarre en terre contenant un thé léger où
nous étions invités à nous servir et nous en profitions
pour faire le plein de nos bidons avec l'approbation de la population
avant de quitter le village et de continuer nos patrouilles qui étaient
surtout des promenades puisque nous n'étions pas en service commandé.
Il nous était quand même recommandé de ne pas faire
ces promenades seul. D'abord la présence de soldats japonais
était toujours à craindre. Il en restait, (peu je pense)
et ils devaient éviter de se faire repérer.
Toutefois ils pouvaient toujours être une menace, et nous ne devions
pas circuler sans armes. Nos promenades se faisaient entre les rizières
(séparées par de petits talus) ou dans la brousse, car
lorsque c'était boisé, il n'était pas facile d'avancer
en dehors des sentiers utilisés par les indigènes. Pour
ce genre de promenades, il était bon d'avoir des bottes et de
regarder où on mettait les pieds à cause des serpents
dont la piqûre ou morsure pouvait être mortelle. Il était
sage également de regarder en l'air, d'où certains serpents
pouvaient également nous tomber dessus, particulièrement
le serpent des bananiers qui pouvait glisser d'une feuille (la feuille
de bananier était grande et large). J'ai le souvenir qu'à
une baignade où nous nous étions baignés à
poils, nous nous étions fait photographier avec pour seule parure
une feuille de bananier comme bouclier avant pour rester décent.
Parmi les bons souvenirs de ces promenades, figure également
la découverte de certaines pagodes, véritables merveilles
généralement enfouies au milieu d'endroits boisés.
Le respect des lieux et des coutumes du pays voulait qu'on se déchausse
pour y entrer. Par contre lui était sage de laisser quelqu'un
pour garder les chaussures. Certains collègues ont eu la désagréable
surprise de ne plus rien trouver à la sortie, et je reconnais
que cela peut gâcher la joie de la découverte. Il faut
se rappeler également que nous arrivions derrière une
période d'occupation qui avait été particulièrement
pénible pour la population qui avait été privée.
On peut avoir du mal à imaginer les Japonais d'alors, dont beaucoup
étaient analphabètes et fanatiques jusqu'au "Kamikaze",
alors qu'aujourd'hui et chez nous on ne les connaît que par leur
côté affable et raffiné. Cela ne veut pas dire que
leur civilisation était en retard avant guerre. Un certain nombre
était cultivé mais souvent fanatique. Ce pays était
en guerre depuis longtemps et avait déjà envahi la Chine
bien avant 1940. Leur civilisation avait surtout été mise
au service des armes. En cela ils étaient identiques aux Allemands.
Ce n'est pas sans raisons qu'ils se sont alliés.
La base Aérienne de Bien Hoa
Cette base abandonnée depuis assez peu par les Japonais, assez
toutefois pour que l'herbe aie eu le temps de pousser à un point
qu'on risquait d'y trouver des fauves compte tenu que les alentours
étaient bien boisés et qu'y pénétrer n'était
pas aisé. Il fallut donc nettoyer le terrain sur lequel étaient
restés quelques appareils japonais rendus inutilisables par ceux
ci lorsqu'ils durent quitter.
A proximité de ce terrain un grand Bâtiment à étage
qui devint celui des Sous officiers, avec en bas le local où
nous installâmes notre bar et notre réfectoire plus des
locaux, formé d'une chambre avec deux lits et d'une petite pièce
avec douche pour les deux occupants. Locaux qu'on retrouva au-dessus
avec les mêmes dispositions et qui furent donc occupés
chacun par deux sous officiers. Ce bâtiment se trouvait à
l'intérieur d'un ensemble boisé où il y avait également
deux grands corps de bâtiments de plein pied qui furent pour les
soldats et de tout un ensemble de petits chalets qui furent occupés
par les officiers.
Ce n'est que quelque temps après que nous soyons arrivés,
et après que le terrain ai été nettoyé ainsi
que les hangars vidés, nettoyés et réparés
sommairement qu'arrivèrent nos Junkers 52 (Les "Julies"
comme on les appelait) avec leurs pilotes. Il s'agissait d'avions de
transport. Transport de troupes et de marchandise ainsi que de parachutistes.
On appartenait au Sous Groupement Moyen Militaire Transport Aérien
Extrême Orient (S.G.M.M.T.A.E.O)
Mon premier contact lors de mon arrivée a été avec
le Commandant OLLIVIER Commandant de la Base. Difficile de reconnaître
un Officier lorsqu’il a pour tout vêtement un short. Venant
d'arriver, je me cherchais de quoi faire un cadre pour mettre à
mon lit et recevoir ma moustiquaire. Je me trouvais dans un local où
il y avait pas mal de chute de bois restant de meuble cassé,
vestige du passage des Japonais, lesquels avaient quitté les
lieux peu de temps avant notre arrivée.
Pour le commandant, il y avait un intrus dans ce local et il voulait
savoir ce que j'y faisais. Ses questions me parurent quelque peu indiscrète,
et je le lui fis savoir. Comme j'étais torse nu, aucune trace
de mon grade également. J'ai donc commencé par me présenter
gentiment, persuadé que je pouvais me prévaloir de mon
grade. Surprise lorsqu'il s'est présenté à son
tour, il était plus gradé que moi, et pour cause, c'était
le commandant de la base.
A la consonance de mon nom, il me demanda si je n'étais pas breton
et ce qui m'avait amené en Indochine. Nous causâmes donc
un bon bout de temps, et après lui avoir plus ou moins donné
le curriculum vitae de mon passé récent, j’apprit
que lui aussi avait participé à la Libération du
Pays et qu'avant d'être devenu le commandant de la base avec le
Groupe 1/34 Béarn, groupe de transport aérien auquel nous
étions affectés, il avait été pilote d'avion
de chasse pour la France Libre aux côtés des pilotes anglais.
Nous avions sympathisé, et après avoir pas mal bavardé,
il me convoqua pour le rapport des officiers le lendemain matin.
C'est ainsi qu'il me nomma gérant du Mess des sous officiers,
avec mission d'assurer le ravitaillement de la base avec mon collègue
Gabriel P. lequel fut nommé gérant de l'ordinaire des
troupes. Tout était à faire et à organiser, et
j'avais carte blanche pour cela. Un camion V8 avec chauffeur fut mis
à ma disposition. La base aérienne de Bien Hoa était
située à trois à quatre km de Bien Hoa et à
environ une bonne trentaine de kilomètres de Saigon. Mon premier
travail fut d'installer un bar et de l'achalander. Il eut beaucoup de
succès et permit de servir des repas à bon marché
grâce aux bénéfices du bar, ce que les officiers
nous envièrent ce qui les amena souvent à notre table
ainsi qu'à notre bar. Leur Mess était géré
par un officier ; ainsi le voulait le règlement militaire.
Comme indiqué, Bien Hoa était à une bonne trentaine
de km de Saigon, et il fallait aller faire son ravitaillement tous les
jours à Saigon et surtout à son marché qui était
riche de tous les légumes et fruits du pays. Pour cela, il fallait
partir de bonne heure le matin (trois heures) afin d'être de retour
et être présent pour le petit déjeuner. De plus,
pour le ravitaillement ainsi que pour nous, c'était moins pénible
que s'il avait fallu le faire en plein soleil.
Au bout de quelques mois là bas, cela ne me gênait absolument
plus de circuler en plein soleil. Il m'a d'abord fallu passer par la
période d'adaptation, qui se traduisait par ce qu'on appelait
là bas "un coup de dingue" laquelle était une
forte fièvre (entre 40° et 41°) de quelques heures à
quelques jours.
Au début la route était à peu prés tranquille,
sauf une fois où nous fumes attaqué par des Japonais qui
s'étaient évadés d'un camp de prisonniers. Ils
avaient reçu l'aide de certains des leurs restés dans
les alentours malgré que la fin de la guerre ait été
déclarée. Ils ne furent d'ailleurs pas pour rien dans
l'entraînement de certains Viêts qui devinrent très
actifs dans les mois et les années qui suivirent notre départ
(1947) jusqu'à la défaite de l'Armée Française
à Diên Biên Phu en 1954.
Dans cette attaque, notre chauffeur avait pris une balle dans l'épaule
droite ce qui l'avait fait se crisper sur le volant et nous déporter
vers la droite. Mais là, pas de chance il y avait un poteau électrique,
et il fut pour nous. On le coupa en deux. Moi, j'étais avec mon
fusil mitrailleur installé juste au-dessus de la cabine du chauffeur
(je laissais toujours ma place prés du chauffeur à un
"troufion", je préférais être dehors.
Mais là, avec la violence du choc, je fus projeté par-dessus
la cabine et plongeais tête la première dans la rizière
qui se trouvait à droite de la route. Cela se passait entre Saigon
et Thu Duc.
Je ne pris pas le temps de savoir si j'étais blessé où
si j'avais mal quelque part. Mon premier souci fut de sortir ma tête
de la boue, d'aller en vitesse à la petite haie qu'il y avait
entre la route et la rizière où j'y trouvais une touffe
de bambou. Le temps de passer un bambou dans le canon de mon fusil mitrailleur
et de m'installer dans la tassée avec celui ci. Vider un chargeur
ou deux sur ceux qui nous arrosaient avec une mitrailleuse me demanda
sûrement moins de temps qu'il ne m'en faut ici pour l'écrire.
Cela eut d'ailleurs le don de calmer un peu nos agresseurs qui arrosaient
un peu moins. Ils étaient devenus les arroseurs arrosés.
Je n'eus d'ailleurs pas longtemps à m'en servir, car peu de temps
après notre accrochage arriva une auto Mitrailleuse qui alerta
les troupes des alentours et qui commença par se charger d'eux.
Les troupes du secteur étaient en alerte et les recherchaient.
La liberté de nos agresseurs fut de courte durée et il
en resta plusieurs sur le carreau. Pour nous, nous fûmes rapidement
pris en charge et dirigé sur l'hôpital de Saigon où
je dus rester une bonne dizaine de jours. J'avais dû heurter le
poteau en passant et je lui avais laissé un peu de mon vernis.
La boue de la rizière n'était pas le meilleur désinfectant
qui soit mais cela avait séché et caché le sang
et les petits dégâts.
Le
plus blessé fut le chauffeur, qui gagna ainsi son rapatriement
vers la France après les premières réparations.
Le soldat qui était à côté de moi en fut
quitte avec son plongeon un peu brutal, mais la boue fut un excellent
anti-choc d'atterrissage. Celui qui était à côté
du chauffeur fut pas mal secoué aussi, nous n'avions pas alors
de ceinture de sécurité, et il en fut quitte pour quelques
hématomes et quelques jours d'hôpital. Il avait eu le bon
sens de se baisser dans la cabine pendant que nous nous faisions arroser
et que notre bahut était moitié sur le talus et moitié
dans la rizière.
Je dois dire que cela fut à peu prés le seul pépin
assez sérieux de route. Quelques pannes et crevaisons vinrent
bien rompre la monotonie de route, mais rien de bien sérieux.
Je garde d'ailleurs un assez bon souvenir de ces trajets. Au retour
de Saigon les après midi où nous avions à retourner
selon les besoins du bar ou du Mess, nous aimions nous arrêter
à Thu Duc où se trouvait une piscine et un terrain de
sport avec un portique.
Nous y faisions un peu d'entraînement, notre camion étant
bien abrité et nous le faisions garder par un de nos soldats
pour éviter les vols. En dehors de ces petits pépins,
vinrent s'ajouter ceux dus au climat. D'abord celui de la maladie d'acclimatation
et qu'on appelle "Le coup de dingue" auquel personne n'échappe.
Il peut être plus ou moins important selon les cas. Fièvre
de quelques heure ou de quelques jours mais qui peut nous amener jusque
entre 40° et 41° . Pour moi ce fut un bon 40 de quelques heures.
Après je me portais comme un "charme"
Ensuite à la suite de mes différentes escapades dans la
brousse, et sans doute après avoir bu un thé dans un village
qui avait sans doute fait avec une eau douteuse je fus pris d'une bonne
"déripette" qui ne me facilita pas les choses pour
le retour sur les petits talus entre les rizières. Je ne pouvais
me mettre à l'abri des regards pour poser culottes et je n'avais
rien pour l'arrêter. J'arrivais à la base presque sur les
genoux plus ou moins soutenus par les copains qui me dirigèrent
directement à l'infirmerie. Tout de suite on me fit faire une
analyse de sels, et sans attendre les résultats on me fit des
piqûres d'émétine contre la dysenterie amibienne
qui ne faisait pas de doutes dans l'esprit du "toubib" compte
tenu des traces de sang dans mes sels. Le traitement dura un bon bout
de temps et la convalescence fut assez longue. Je connaissais déjà
bien le problème.
On avait déjà eu à enterrer deux copains qui avaient
en même temps attrapé le paludisme et fait une crise de
dysenterie amibienne. Ils avaient été enlevés en
huit jours. C'était pourtant des malabars. Il est vrai qu'à
cette époque et que pour notre échelon précurseur
en Indochine, nous n'avions pas été dotés de moyens
sanitaires suffisants. Pas mal de copains l'ont payé de leur
vie. D'autres ont continué à le payer toute leur vie,
ce qui est mon cas. Plus tard je fus pris d'une crise de fièvre.
Je fus à l'Infirmerie et le docteur pensa que c'était
une crise de paludisme Ma fièvre dépassa les 40 à
41 ° et me fit sombrer dans le coma.
Malgré les recherches on ne me trouva aucune trace de paludisme
malgré plusieurs prise de sang "gouttes épaisses"
(gouttes de sang qu'on prend en piquant le bout d'un doigt). On ne me
trouva rien et on considéra alors que j'avais du attraper ce
qu'on appelait là bas à cette époque une "Fièvre
des bois". En général, cette fièvre était
connue pour être mortelle dans la généralité
des cas et on ne connaissait aucun remède contre elle.
On me soigna par des piqûres de quinine et en me faisant avaler
des comprimés de quinacrines. On m'installa dehors à l'ombre
dans la journée en me faisant ces piqûres et en me faisant
avaler ces comprimés tout en me forçant à boire
et à m'alimenter je ne sais comment, mais plus ou moins sous
perfusion sans doute. Combien de temps dura ce manège, (plusieurs
semaines selon mon infirmier) mais je ne puis le dire car j'étais
complètement dans le "cirage". Un beau jour à
la surprise de tout le monde, particulièrement celle de mon infirmier
(un Alsacien) je rouvrit les yeux.
J’apprit
par la suite que c'est mon infirmier qui s'était entêté
à me faire des piqûres de quinine contre l'avis du toubib
qui les considérait comme inutile et qui ne voulait pas les voir
gaspiller pour quelqu'un de perdu selon lui. Les médicaments
de ce genre faisaient partie des denrées rares dans notre corps
expéditionnaire, et nécessaire à la survie de ceux
qui avaient une chance de s'en tirer. Je n'ai toujours pas compris pourquoi,
on m'a gardé à l'infirmerie de la base. Il me semble qu'il
aurait été plus logique de m'hospitaliser à l'hôpital
de Chôlon. Par contre, il n'est pas sûr, que n'ayant pas
trouvé l'origine de ma fièvre, on se serait acharné
à me garder vivant comme l'a fait l'infirmier de la base. A cette
époque, notre corps expéditionnaire n'était guère
pourvu de médicaments, et il fallait être solide pour survivre.
Lorsque je suis revenu à la vie, je n'avais plus que la peau
sur les os et ne tenais plus sur mes jambes.
Dès que la nouvelle se propagea, j'eus beaucoup de visites, dont
celle de mon commandant qui ordonna de me faire transporter à
Gnah Trang, qui est un petit paradis terrestre au bord de la mer et
au bas d'une petite chaîne de montagne.
J'avais été envoyé en Indochine pour un séjour
de six mois, et j'aurais du revenir comme prévu. Au lieu de cela,
j'ai décidé de rester pour prendre la place d'un sous
officier père de deux enfants et envoyé d'office en Indochine.
J'ai donc fait deux séjours au lieu d'un. J'étais célibataire,
et je considérais que ma place était de rester à
la sienne; qu'il se devait à ses enfants. Cette décision
était d'ailleurs conforme à celle que j'avais déjà
prise à la Libération, où je considérais
que la place des pères de famille était de rester prés
des leurs et que celle des célibataires était de continuer
le combat.
Prémices de guerre :
A notre époque en Indochine il n'y avait pas combat, ou tout
au moins très peu. A cette époque Le Général
LECLERC qui avait formé notre corps expéditionnaire militait
pour l'Indépendance de l'Indochine. Il avait d'ailleurs plus
ou moins entrepris des pourparlers avec Hô Chi Minh qui était
le chef des Viêts. Il considérait qu'on ne pouvait se battre
contre un peuple qui voulait son indépendance, fidèle
en cela à son combat pour la Libération de notre Pays,
et il est dommage qu'il n'ait pas été plus écouté
par les politiciens de l'époque.
Comme je l'ai appris ensuite et écrit dans "Histoire de
l'Indochine" tiré d'un documentaire télévisé,
un accord a d'ailleurs été signé entre la France
et l'Indochine le 6 mars 1946 donnant l'indépendance à
ce peuple
Par ses idées et les pourparlers entrepris, le général
LECLERC était devenu trop gênant, et c'est ainsi qu'il
fut rappelé en France et remplacé par l'Amiral Thierry
d'Argenlieu puis par le Général De Lattre de Tassigny
qui y laissa son fils. Ce fut l'époque ou l'Empereur Bao Day
fut nommé gouverneur d'Indochine parce qu'il était beaucoup
plus facile à manipuler.
Ensuite vint le trafic des piastres qui fit pas mal parler de lui, et
la guerre qui s'amplifia alors jusqu'à la chute de Diên
Biên Phu.
Moi je n'ai connu que les débuts de cette époque. Evidemment
il s'y est passé des choses étranges alors. Par exemple
des Américains qui allaient boire dans un café, qui s'y
éternisaient un peu trop, et qui venaient ensuite porter plainte
pour vol de camions dans nos postes militaires. Nous nous doutions de
ce qu'il y avait dans ces camions, mais nous ne pouvions rien prouver.
Il a bien fallu que les Viêts trouvent des armes pour mener le
combat qu'ils ont mené ensuite. On a mis beaucoup sur le dos
des Russes, mais les Américains n'ont pas été innocents
dans ce domaine. La guerre qu'ils ont menée dans ce pays ensuite
prouve bien que ce pays les intéressait.
Au tout début, lorsque nous somme arrivés, nos bons amis,
les Anglais étaient déjà là aussi. Le caoutchouc
était une denrée très recherchée aussitôt
après guerre, et les plantations d'hévéas de ce
pays suscitaient beaucoup d'envieux. Il y avait de gros enjeux financiers
en perspective, et l'appétit de nos gros carnassiers ne s'en
trouvait que plus excité.
De plus, il faut se rappeler que le corps expéditionnaire n'a
été formé que de volontaires.
Pour cela, on a recruté aussi parmi les prisonniers allemands
pour la légion étrangère. Certains de ceux ci se
sont évadés dés le passage du Canal de Suez. D'autres
ne l'ayant pas pu, ont souhaité continuer la guerre et ont rejoint
le Vieth-Minh dés qu'ils l'ont pu. Pour y mettre fin il a fallu
envoyer des légionnaires volontaires faisant semblant de vouloir
se rallier aux Viets et arrosant ceux ci lorsqu'ils se présentaient.
Toutes ces choses ont été les prémices de ce qui
est devenu ensuite la Guerre d'Indochine, laquelle aurait donc pu être
évitée, mais en étudiant de plus prés le
dossier de cette colonie, je me suis rendu compte depuis qu'il y avait
beaucoup plus.
Thu Duc :
Avec sa piscine et ses éléments de gymnastique, cet endroit
était notre havre de repos lorsqu’on revenait du ravitaillement
l'après midi. Je n'ai d'ailleurs toujours pas compris pourquoi
nous étions les seuls à s'y arrêter. Je n'y ai jamais
rencontré d'autres personnes civiles ou militaires. Il est vrai
que cet endroit avec son bâtiment, sa piscine et son aire de sport
semblait avoir été installé au bord de la route
pour inviter à s'y arrêter ceux qui faisaient les voyages
entre Bien Hoa et Saigon. Ce n'était pas une ville ni une bourgade,
pas d'habitations dans les alentours immédiats. Il aurait fallu
pénétrer dans la campagne (qu'on appelait la brousse là
bas), pour trouver vraisemblablement des villages indochinois. Pour
nous cela n'était pas envisageable. Nous ne nous en servions
que comme une halte entre deux endroits : Saigon où nous nous
rendions par besoin, et la base aérienne de Bien Hoa qui était
notre lieu sédentaire.
Gnah Trang :
Cet endroit au bord de la mer et à proximité de la montagne
est le lieu où j’ai passé les meilleurs moments
de mon séjour en Indochine. Baignade tous les jours. Plonger
et se glisser sous les rouleaux était devenu un passe temps agréable.
Encore fallait-il plonger à temps pour se glisser dessous et
ne pas se faire prendre par les rouleaux qui nous ramenaient sur la
plage dans un mélange de sable et d'eau. Quand on se faisait
prendre, on en avait pour un petit moment avant d'avoir envie d'y retourner.
On avait en général du sable plein la bouche et dans les
yeux. Par contre quel délice lorsqu'on les avait tous passés
pour pouvoir flotter au calme sur le dos et faire la planche la face
au soleil.
Un peu plus loin, quelques petits rochers avaient également nos
faveurs pour aller y décoller en profondeur des morceaux de jade
blanc et les ramener avec nous. Mais là il fallait faire très
attention, car il était facile de se couper tant les fonds étaient
tranchants et piquants. J'en ai ramené plusieurs morceaux dont
un ou deux doivent encore être à la maison.
Plusieurs petites excursions en campagne ont été également
pendant ce séjour, pour nous pleine de bons souvenirs. Nous partions
pour la journée dans un sens ou dans un autre, pour y découvrir
des villages où toujours nous avons été accueillis
avec la plus extrême gentillesse dés que nous pouvions
faire comprendre que nous étions français. Très
souvent pour nous faire comprendre qu'ils étaient restés
attachés en France, ils allaient nous chercher dans les endroits
les plus insolites de leurs cabanes le Christ qui selon eux était
un symbole pour nous. Pour le garder, ils avaient pris de grands risques.
Un certain nombre de ces villageois étaient d'ailleurs convertis
au christianisme depuis plusieurs générations.
Dans
un certain nombre de ces villages nous avons souvent découvert
des poteries où les voir travailler en faisant tourner leurs
supports avec les pieds et mettant en forme leur mélange de terre
glaise et d'eau avec les mains était un véritable émerveillement
pour nous, nous ramenant ainsi des siècles de civilisation en
arrière. Il fallait voir leur agilité pour réaliser
un pot ou un vase et leur fierté de nous faire découvrir
leur savoir-faire. Pour ma part j'ai gardé de ces escapades des
souvenirs merveilleux. Mais nous devions toujours rester en groupes
et les éviter en solitaires. Dans ces montagnes, il y avait assez
souvent des bandes de pillards chinois et indochinois qui attaquaient
parfois les villages ou tous ce qu'ils pouvaient trouver pour en tirer
profit. Les villageois aimaient aussi nous voir car cela les rassurait
un peu. Nous devions donc avancer en commando pour éviter les
pièges des pillards qui ne nous auraient pas fait de quartier.
Dans la guerre d'Indochine qui a suivi, Ho Chi Minh s'est d'ailleurs
passablement servi de ces bandes en les organisant et en les armant
pour asseoir son pouvoir. Il n'a d'ailleurs pas agi autrement que beaucoup
d'autres ailleurs et dans les mêmes circonstances.
Tan Son Nhut :
Nous sommes revenus sur cette base aérienne prés de Saigon
parce qu’on ne se sentait plus en sécurité sur la
base de Bien Hoa. Le Général Leclerc étant parti
d'Indochine, les rapports avec Ho Chi Minh devenaient rapidement de
plus en plus difficile. On retournait au colonialisme pour laisser aux
colons d'alors la possibilité d'exploiter à nouveau la
population de ce pays. Ho Chi Minh ayant fait des études en France
n'était plus "Persona non gratta". Comme je l'ai indiqué
plus haut, il a commencé par utiliser des bandes de pillards
pour en faire des guérilleros et pratiquer la guerre d'embuscade.
Les routes devenaient moins sures, et les risques inutiles devaient
être évités. Il est possible que ces pillards, dont
on parlait beaucoup lorsque j'étais en Indochine étaient
les hommes qui se battaient aux côtés d’Hô
Chi Minh contre l'occupant japonais, ce qui expliquerait qu'il n'a pas
eu de mal à les retrouver à ses côtés lorsqu'il
est revenu à Hanoi en 1945.
De plus le terrain était beaucoup plus grand, à proximité
de Saigon, cela facilitait les problèmes de ravitaillement et
pour nous les loisirs étaient plus à proximité.
Le soir on pouvait aller danser, faire ce qu'on voulait à partir
du moment où nous étions présents à l'appel
du matin. J'étais rapidement devenu un habitué d'une "Boîte
Dancing" avec "Taxi girls”. J'y avais une chambre avec
une attitrée et pour moi la vie était belle. Par contre
pas question de faire du gringue à une autre, parce que dans
ce domaine les chasses étaient bien gardées. Cela m'est
arrivé une fois. Mon attitrée avait invité une
de ses copines à notre table et comme ma copine gagnait sa croûte
avec le nombre de tickets qu'elle récupérait avec chaque
danseur qui l'invitait à danser, elle n'était donc pas
toujours présente à notre table.
Sa copine était jolie et dansait également très
bien. Nous avons donc sympathisé et j'ai utilisé deux
ou trois tickets pour danser avec elle. Ce que j'ignorais, c'est qu'elle
aurait dû refuser de danser avec moi puisqu'elle était
l'invitée de ma copine. Pour moi cela avait été
un réel plaisir et ce n'était que bienséance et
respect pour son amie.
Le résultat fut que pendant un certain temps je me retrouvais
seul à ma table, ce qui ne fut pas un problème puisque
j'en profitais pour inviter quelques autres copines. Mais au bout d'un
moment j'entendis un véritable tapage à l'étage
au-dessous (la salle de danse était au premier étage).
Beaucoup s'arrêtèrent dont moi pour aller voir ce qui se
passait en dessous. Quelle ne fut pas ma surprise de trouver ma dulcinée
en train de se mettre une véritable peignée avec sa copine.
Elles s'étaient toutes les deux absentées pour enlever
leur tenues de bal pour se mettre en tenue de travail. J'étais
un peu ébahi mais les laissaient régler leurs comptes,
jusqu'au moment où un Indochinois à voulu intervenir,
puis un militaire et j'ai donc du rentrer dans la mêlée
à mon tour.
Cela ne dura pas longtemps, car les responsables du dancing avaient
dû alerter la police militaire dés le début, et
comme toujours ils arrivèrent avec tout le branle bas possible.
Avec eux ce n'était pas difficile, ils matraquaient tout militaire
à leur portée et le mieux pendant qu'ils avançaient
était de se replier vers le haut et lorsqu'ils arrivaient en
haut de sauter par la fenêtre, faire un "roulé boulé"
sur le trottoir et "Salut la compagnie". Le lendemain je m'expliquais
avec ma dulcinée en lui expliquant, que pour nous français,
inviter son amie n'était que lui rendre hommage à elle.
C'est ainsi qu'elle m'expliqua que pour eux en Indochine, dans leurs
statuts de "Taxi Girls" son amie devait refuser. Une bonne
nuit arrangea tout et je ne revis jamais son amie.
Par contre des bagarres de ce genre, il y en eut d'autres sans que j'y
sois pour quelque chose. Cela devint même une sorte d'attraction
pour que lorsque la police militaire arrive, on attendait toujours qu'elle
arrive en haut pour lui faire la nique en sautant par la fenêtre.
Je ne suis pas sûr qu'ils n'y prirent pas autant de plaisirs que
nous. C'était une manière de garder la forme. Le plus
dur c'est quand on se faisait prendre, c'était de se réveiller
avec une bosse sur la tête le lendemain matin. Par contre ils
ne cherchaient pas de coupables, ils nous ouvraient toujours les portes
de nos cellules sans questions et à temps pour qu'on soit à
temps à notre base pour l'appel.
Des souvenirs de ce genre, il y en a pas mal. Dans les bagarres entre
militaires, on avait toujours un bon atout avec nous, les légionnaires
se rangeaient toujours de notre bord, sans doute parce que c'est nous
qui les transportions dans les postes où ils étaient affectés,
et certains avaient le mal de l'air. On a toujours eu de bons rapports
avec eux. On ne peut en dire autant à propos des marins, avec
qui plus d'une fois, nous avons dû nous frotter.
Je me rappelle même un bal de la Marine où j'avais été
invité. C'était le 18 août 1946 (j'ai encore l'invitation).J'avais
réussi à y trouver une AFAT bien roulée mais qui
dansait merveilleusement bien. J'avais bien vécu et je fis le
concours de danse (valse, Tango, Java, Paso-doble). Le Concours était
sérieusement disputé et il y avait également d'excellents
danseurs parmi les marins. Le premier prix était un grand bonnet
de marin avec les médaillons de toutes les Unités de Marine
alors présentes en Indochine. J'eus la malchance de gagner le
premier prix, mais heureusement que j'avais des copains avec moi y compris
des légionnaires qui y avaient été invités.
Toujours est-il qu'il y eut un marin qui me chercha noise en prétendant
que je lui avais fait un croche pied (je crois d'ailleurs qu'il s'était
cassé la figure parce qu'il avait trop bu). Le résultat,
c'est que malgré toutes mes tentatives pour éviter la
bagarre, je n'y parvins pas, elle tourna en bagarre générale,
l'Aviation et la Légion contre la Marine, nous étions
en plus petit nombre mais nous nous battîmes bien. Je me réveillais
le lendemain au poste de police avec une bosse sur la tête, et
miracle j'avais réussi à garder mon bonnet de marin. Par
contre, il avait été plumé et tous les médaillons
étaient partis. Le Bonnet, lui avait encore du sang sur lui.
Je l'ai d'ailleurs ramené d'Indochine, et il est resté
pendant longtemps dans le grenier de maman à la maison de Brais.
Un autre endroit, lui aussi situé à plusieurs kilomètres
de Saigon, en pleine brousse dans un endroit magnifique, avec une piste
couverte et une autre en plein air, endroit où j'ai bu les meilleurs
cocktails de ma vie. Cet endroit ultra chic était tenu par un
corse ancien de la légion qui s'était installé
là. Je sais qu'à ce moment déjà, il n'était
pas bon de sortir sans armes pour aller coucher avec une fille dans
les environs. Plusieurs ont été trouvés égorgés
et éventrés. J'avais de bons rapports avec le patron et
j'y avais toujours une piaule pour mes besoins et y passer de bonnes
soirées, avec mon copain Gaby. Souvent, je repense à cet
endroit magnifique mais isolé. Qu'est - il devenu avec la montée
en puissance du Viet Minh ? Et surtout qu'est devenu son patron restant
souvent seul en ces lieux ?
Saigon
:
Cette ville était splendide de type colonial. La rue Catina était
la mieux fréquentée mais pour y être bien reçu,
il valait mieux être dans une tenue irréprochable. Les
militaires n’y étaient pas particulièrement les
bienvenus.
Cela me rappelle un bon souvenir. C'était dans un des restaurants
les plus chics de la rue Catina. Ce jour là, Gaby et moi avions
mis la tenue blanche et nous ne dérogions pas parmi la gente
la plus huppée de Saigon et de ses environs. Nous y avions commencé
par une soupe chinoise, ce qui était de tradition pour les militaires
de l'époque, et en suite nous avions choisi un "poulet frites”.
Le tout était appétissant et le poulet bien doré.
Par contre il n'était pas des plus tendre, et les couteaux dont
nous disposions ne coupaient trop. Toujours est-il que ce fut un vrai
labeur de découper notre cuisse de poulet.
De guerre lasse nous fumes contraints d'y mettre les mains et de désarticuler
les deux parties de la cuisse en tirant sur chacune d'elles en les écartant.
Ce qui devait arriver arriva, et les deux morceaux se séparèrent
brusquement. Le problème, c'est que le "poulet frite"
baignait dans une sauce bien dorée également, et la séparation
de nos deux rebelles se traduisit par de magnifiques taches de graisses
sur le dos des vestons de nos voisins qui nous tournaient le dos. Nous
n'étions pas fiers de nous et nous ne traînâmes pas
pour la fin de notre repas.
Nos voisins intéressés ne s'étaient aperçus
de rien; D’autres bien sur avaient tout vu, certains en souriaient,
d'autres ne voyaient pas cela d'un bel œil, et nous n'étions
que deux militaires (quoiqu'en civil) dans ce restaurant. Pour nous,
l'urgent était de régler et de nous éclipser, ce
qui se fit sans embarras. Une fois sortis, nous pouffions de rire, mais
nous ne somme jamais retourné manger dans ce restaurant. Nous
n'étions pas fiers de nous et nous n'aurions d'ailleurs pas apprécié
qu'on nous en fasse autant.
C'est un souvenir de cette rue. Nous en avons eu d'autres, qui se sont
terminés par des bagarres entre civils et militaires, mais cela
était presque routinier à une certaine époque.
Nous étions surtout là pour libérer et défendre
leurs biens alors qu'ils avaient surtout tendance à nous regarder
de haut avec un certain
dédain ; surtout lorsque que nous n'étions pas tirés
à "quatre épingles". Ce problème se retrouvait
d'ailleurs dans toutes les colonies de l'époque.
Chô Lon :
Cette ville banlieue de Saigon avait gardé son aspect et la fréquentation
des asiatiques. C’était surtout le lieu des transactions
où les Chinois se sentaient particulièrement chez eux.
Centre économique pour commerce de tous genres ou il n'était
pas prudent de s'y promener sans être parfaitement sur ses gardes,
particulièrement le soir à la tombée de la nuit.
Il était courant de trouver des morts dans les ruelles au petit
matin.
Le couteau et le poignard y étaient facilement utilisé
par des Indochinois, des chinois ou individus de d'autres pays. Tout
était bon pour ces joueurs invétérés qui
pour trouver leurs mises et aller les jouer dans les tripots n'hésitaient
à tuer parfois. La sagesse pour s'y promener était d'y
aller en groupe, et encore fallait-il rester sur ses gardes en permanence
et être prêt à défendre sa peau. Ce n'était
pas un lieu de tout repos et il y grouillait toute une population asiatique
dont une partie se cachait là pour échapper à la
police et se réfugiait dans des bidonvilles difficilement approchables.
Bien sûr une partie de la ville était construite en dur,
mais n'était pas pour cela plus rassurante. L'hôpital militaire
pour Saigon et ses environs était d'ailleurs à Chôlon.
Cette ville ne respirait pas la propreté et n'était pas
attirante. Ses ruelles sombres avec ses tripots pour trafics de tous
genres se mêlaient à des maisons de jeux de toutes sortes.
Tout cela donnait à ces lieux une intensité de vie trouble
qui pouvait faire peur à qui ne les connaissait pas, mais qui
pourtant grouillait d'une population asiatique assez intense.
Retour vers la France :
Après un an en Indochine, c'est la relève et le retour
sur le transport de troupe "Félix Roussel".
Parti volontaire pour six mois dans le Corps Expéditionnaire
du Général LECLERC, j'y ai fait deux séjours. A
la fin du premier séjour (six mois), la relève est arrivée
avec des militaires envoyés d'office dont deux sous officiers
mariés et père de famille. Ils n'étaient pas volontaires
et furent très heureux lorsque Gaby et moi avons rempilé
pour prendre leurs places et leur permettre d'être ramenés
en France. Ils firent donc un beau voyage aux "frais de la Princesse".
Nous avions considéré qu'étant parti volontaires,
il était de notre devoir de prendre la place de ceux qu'on envoyait
d'office, et particulièrement lorsque les intéressés
étaient pères de famille.
Nous ne pûmes aller au-delà de deux séjours, question
de règlement militaire et de conditions sanitaires qui étaient
minimum pour l'échelon précurseur du corps expéditionnaire
dont nous faisions partie. De plus il était temps que nous revenions
; ce séjour tropical nous avait quand même marqué.
Nous embarquâmes donc le 17 avril 1947 sur le "Félix
Roussel" à Saigon pour débarquer à Marseille
le 13 mai suivant.
Le voyage se passa bien, sauf que je n'ai rien trouvé de mieux
que de me faire piquer par un scorpion gris qui me donna une fièvre
de cheval pendant plusieurs jours. Celui ci s'était réfugié
dans mon hamac qui était roulé au plafond, il était
de la même couleur et se confondait avec lui.
C'est en déroulant mon hamac que je me suis fait piquer par cette
sale bête que j'ai projeté à terre et écrasé
ensuite. Stupeur pour tout le monde de constater que c'était
un scorpion gris et qu'il pouvait y en avoir sur un bateau... Je me
suis précipité à l'infirmerie où un infirmier
me fit une piqûre antivenimeuse et me prévint que j'allais
faire une forte fièvre pendant plusieurs jours, mais que cela
serait sans gravité. Il me dit aussi que sans être courant,
je n'étais pas le premier à qui cela arrivait. Je pense
qu'on aurait pu nous prévenir de ce genre d'incident possible.
Cela ne veut pas dire qu'on éviterait ce genre de pépins,
car à vrai dire, cela se passe très vite. Ce n'est que
lorsque l'on vient d'être piqué que l'on aperçoit
la bestiole qui se déplace avec rapidité et agilité.
C'était quand même un comble, avoir réussi à
éviter toutes sortes de piqûres de ce genre de bestioles
et de serpents en Indochine pour lesquelles nous étions préparés
et prévenus et pour lesquelles nous étions équipés
de secours en cas de besoin, et juste là, au retour vers la France,
se faire piquer. Toujours est-il que cela a gâté une partie
de mon trajet de retour.
Sur le trajet du retour nous sommes passé par l'île de
COLOMBO (Colonie britannique de l'époque appelée SRILANKA
depuis son indépendance ) où nous avons débarqué
et passé la journée. Dés le débarquement
nous avons été pris en main par un gamin déluré
qui nous a fait visiter deux temples superbes. Il fallait enlever ses
chaussures avant de rentrer dans ces temples, mais il nous était
conseillé de laisser quelqu'un avec si nous voulions avoir une
chance de les retrouver à la sortie. Le midi, il nous a conseillé
un restaurant où nous avons très bien mangé avec
cuisine à la Française. Le patron du restaurant connaissait
très bien ce luron qui nous servait de guide, et vraisemblablement
lui versait un "écho" après notre passage. Il
faut dire que nous avons passé une agréable journée
en sa compagnie, et il ne cessait de nous surprendre par ses capacités
à nous comprendre alors qu'il ne parlait que très peu
le français. Le soir nous rembarquions pour quitter le port dans
la nuit.
Ensuite
ce fut Djibouti (colonie française de l'époque ) où
nous nous arrêtâmes deux jours. Je fus chargé de
former une patrouille, et pendant ces deux jours, je dus patrouiller
dans cette ville et ses environs sous un soleil de plomb pour y assurer
l'ordre et récupérer les soldats qui pouvaient avoir trop
bu afin de les faire ramener au bateau. Il n'y eut pas d'incidents,
mais j'eus l'impression que les soldats français n'étaient
pas les bienvenus pour les indigènes du pays. A cette époque
déjà, il y avait parfois des incidents avec les troupes
coloniales qui y séjournaient.
Ma patrouille avait pour but également de faire éviter
des échauffourées entre nos soldats revenant d'Indochine
et les troupes coloniales séjournant dans la ville. Le soleil
et la boisson étaient de mauvais éléments pour
garder les esprits tranquilles. Une réflexion de travers, dans
un café, et c'était suffisant pour qu'on en vienne aux
mains ? Ce qui faisait l'affaire des indigènes et était
rapporté tout de suite dans les journaux. Autant je n'ai d'ailleurs
pas gardé un bon souvenir de ce séjour dans cette ville
salle avec des rues arides et des gens peu accueillants, autant j'ai
gardé un excellent souvenir de mon passage à Colombo qui
était une très belle ville propre avec des parterres très
fleuris et qui grâce à notre petit guide nous a enchantés.
Puis ce fut la fin du parcours et notre retour à Marseille où
nous débarquâmes. C'était pour nous la fin d'une
aventure. De Marseille nous remontâmes sur Paris par camion, pour
passer devant une commission médicale qui me fit hospitaliser
à l'hôpital "Val de Grâce" où je
fis un séjour d'une dizaine de jours avant d'avoir droit à
mes permissions. J'y reçu d'ailleurs la visite de maman et de
"Maman Germaine" chez qui maman résida pendant son
séjour à Paris.
Dés ma sortie de l'hôpital, ma première visite fut
pour "Maman Germaine" et "Papa Françis" où
je fus accueilli comme un fils et où toutes les armoires me furent
ouvertes pour tout ce dont je pouvais avoir besoin. Mon premier besoin
fut un mouchoir. Cette maison a toujours été ce que j'ai
trouvé de mieux dans mon enfance et dans ma jeunesse.
Puis ce fut le retour à Brais où je passais deux mois
de permission. J'apprit d'ailleurs à ce retour que j'avais été
considéré comme disparu à la suite d'un avis de
l'armée adressé à la Mairie de Vieux Vy. L’armée
m'avait considéré comme perdu lorsque j'avais eu ma fièvre
au réveil de laquelle j'avais été envoyé
à Gnah Trang . A partir de ce jour il n'y avait plus eu de courrier
de ma part à la maison. Il est vrai que tant que j'ai été
dans le "cirage" et ensuite à Gnah Trang, je n'ai pas
écrit. Par contre il serait surprenant que je ne l'aie pas fait
ensuite. Je ne comprends pas très bien pourquoi celui ci a donc
cessé de fonctionner et pourquoi il n'y a pas eu de contre avis
de la part de l'armée. Beaucoup de pourquoi sans réponse,
je n'étais pas au courant de cette situation et ne recevais de
lettres que de mes marraines de guerre. C'est d'ailleurs ce qui avait
décidé maman à monter sur Paris pour s'assurer
que mon retour était bien réel, car l'annonce de celui
ci avait fait l'effet d'une bombe dans la maison.
Pendant ce séjour de permission, je retrouvais celle qui avait
été ma marraine de guerre préférée
(Odette D.) pendant tout mon séjour en Indochine. J'en avais
eu trois, mais deux avaient maintenu une correspondance assidue pendant
mon éloignement, et au loin, la correspondance est vraiment le
moyen de ne pas se sentir seul et oublié de tous. Cette marraine
que je retrouvais à Vieux Vy était une cousine avec qui
j'avais aimé danser dans les bals du pays avant de partir en
Indochine, que j'avais eu l'occasion de revoir à Rennes juste
avant de partir, et qui m'avait proposé d'être ma marraine
de guerre et de m'écrire, promesse tenue.
J'étais donc heureux de la retrouver. Elle s'est arrangée
pour être libre pendant ma permission, et j'ai passé une
bonne partie de celle ci avec elle dans sa famille ou je me suis gavé
de lait frais. Cela m'a beaucoup aidé à me retaper car
j'étais rentré amaigri et fatigué. Notre amitié
d'alors s'est muée en sentiments plus tendres et nous avions
formé le projet de nous marier. Maman ne voulait pas en entendre
parler. Nous nous sommes fréquentés pendant quelques mois
mais elle a préféré rompre, prétextant ne
pas vouloir être un motif de division dans ma famille. Nous sommes
restés de très bons amis et finalement elle s'est mariée
quelques temps plus tard avec un boulanger avec lequel elle a ouvert
une boulangerie à Montbelleux prés de fougères.
Papa l'a retrouvée en allant travailler dans une mine d'uranium
pour avoir son temps de cotisation lui donnant droit à une retraite
des mines.
Nous avons eu maintes fois, Jeannine et moi, l'occasion de la rencontrer
depuis notre mariage, et finalement elle est décédée
jeune (la quarantaine) d'un cancer.
Chartres :
De retour de permission, le S.G.M.M.T.A.E.O. m'affectait à la
base aérienne de Chartres, où j'étais chargé
de redresser la situation financière du Mess des Sous Officiers
de la Base, laquelle était en difficulté. J'étais
donc chargé de redresser cette situation et d'en voir les raisons.
Je ne devais d'ailleurs rendre de compte qu'à Paris, parce qu'il
semblait que ce déficit profitait à certains qui semblaient
s'en mettre plein les poches. J'avais donc carte blanche et j'étais
indépendant des gradés de la base dont le Commandant en
Chef était un lieutenant. Je devais ce poste à mon ancien
commandant de Base de Bien Hoa (le Commandant OLLIVIER) qui m'envoyait
vers un "Sac d'Emmerdes".
Dés le début, j'ai pris mes fonctions, et rapidement,
j'ai dû chercher mes fournisseurs. Je ne fus pas long à
m'apercevoir que je ne devais pas garder les précédents.
J'avais l'impression que tout n'était pas clair, particulièrement
dans leurs relations avec les gradés de la Base. J'apprenais
que celui qui s'occupait surtout du Mess était le Commandant
de Base et que pour avoir de bonnes relations avec lui, je devais continuer
à m'approvisionner comme avant. Cela n'était pas de mon
goût et je décidais d'aller voir ailleurs et d'agir à
ma tête.
Je ne tardais pas à m'apercevoir que mes initiatives ne convenaient
pas au Commandant malgré des comptes qui se redressaient. Chaque
mois j'adressais un rapport avec mes comptes au Groupement de l'Intendance
de Paris, et mes rapports avec le Commandant de Base se détérioraient
sans que j'y sois pour grand chose. Tout cela dura jusqu'au jour où
revenant avec mes hommes d'une corvée de charbons et sortant
d'un café où je leur avais payé un " pot ",
je croisais le commandant. Il m'interpella et me commanda de passer
à son bureau dés que rentré sur la Base, ce que
je fis.
Il me reprocha ma tenue débraillée et celle que je tolérais
chez mes hommes, tout en me faisant remarquer qu'étant de service,
je n'avais pas le droit d'aller avec eux (ou sans eux ) au café.
Je lui fis remarquer, qu'après une corvée de charbon,
selon les statuts de l'armée, celle ci devait mettre à
notre disposition des douches et que s'il voulait se chamailler à
partir des statuts de l'armée, quoique moins gradé, je
pensais connaître ceux ci aussi bien que lui, pour les avoir enseignés
à des nouvelles recrues dans mes débuts militaires. Par
contre, je lui fis remarquer que je ne m'étais pas engagé
pour être commandé par des planqués de l'armée,
et je lui demandais où il avait passé les dernières
années. Il est vrai qu'en posant cette question, je m'exposais
(J'avais appris à l'état major de l'armée à
Paris (Gaby était resté dans les bureaux) que son passé
n'était pas très clair et qu'il avait été
affecté à Chartres par des relations à lui. De
plus ils n'étaient pas surs que ce n'était pas lui qui
était à l'origine des difficultés financières).
Evidemment, derrière cette question la discussion tourna au vinaigre.
Il me menaça des arrêts et de me faire dégrader
; je le traitais de planqué de bureau. Il mit la main sur le
téléphone, je vis rouge, mis la main sur son téléphone
et sautais par-dessus le bureau. Il n'eut pas le temps de reculer, je
lui mis mon poing dans la figure et renouvelais mes coups de poing jusqu'à
ce qu'il s'écroule. Il pesait pourtant plus lourd que moi, mais
j'avais mis " le paquet ". Je sortis enfin du bureau pour
me trouver nez à nez avec le planton qui n'avait pas perdu un
mot de notre gentille conversation. C'était un gendarme de l'air
avec qui j'avais eu l'occasion de faire quelques " javas "
depuis que j'étais sur la base. Il me fit remarquer en catimini
que je venais de me mettre dans de sales draps.
Je trouvais un peu plus loin un sergent de la gendarmerie de l'air que
je connaissais bien également et qui me demanda ce qui se passait
à la vue de mon visage. C'était un copain qui avait fait
l'Indochine et avec qui j'avais déjà tiré plusieurs
" bordées " dont une à Paris Pigalle avec une
voiture fraîchement repeinte de l'armée (Parti le soir
et revenu le lendemain matin ). Les gravillons sur la peinture fraîche
avaient fait se poser des questions au Commandant qui se demandait comment
il avait pu se produire que la voiture sorte du garage sans laisser
de traces. Ce qu'il n'avait pas compris, c'est que les voitures étaient
pointées par les gendarmes de l'air qui étaient sur la
Base pour garder celle ci. En tant qu'anciens d'Indochine, il y avait
entre nous une certaine solidarité, et pour tirer des bordées
incognito, il était bon d'avoir de bonnes relations avec les
gendarmes et particulièrement avec un gradé de chez eux.
Dans ma colère je racontais au copain ce qui venait de se passer,
nous avions déjà eu l'occasion d'échanger nos points
de vue sur le Commandant. Je lui expliquais mon regret d'avoir rempilé
pour l'armée une dizaine de jours avant.
Il m'apprenait alors que mon dossier n'avait pas encore du passer devant
la commission. Mon sang ne fit qu'un tour, je ne dis rien sur l'instant
et fonçais vers la gendarmerie de l'air.
Arrivé à celle ci, je demandais au bureaucrate de service
que je connaissais déjà, si mon dossier de rengagement
était encore là. Il me dit que oui et me demanda pourquoi
je le demandais. Je lui répondis que j'avais du oublier d'indiquer
un renseignement en le remplissant. Il alla me le chercher, et je pus
constater qu'effectivement, il n'était pas encore passé
devant la commission et qu'il n'y avait dessus que mon écriture
et ma signature. A la surprise du bureaucrate, je déchirais mon
dossier et lui dis que réflexion faites, je ne rempilais pas.
Mon engagement finissait le 1er octobre et nous étions le 9.
Voilà pourquoi, sur mon livret militaire, je me suis engagé
le premier octobre et n'ai été démobilisé
que le neuf.
Je n'appartenais plus à l'armée et j'allais rendre mes
vêtements militaires à l'intendance. Je redevenais civil.
Je retrouvais mon sergent gendarme, lui expliquais que j'avais annulé
ma demande de rengagement et que j'étais désormais civil.
Il m'invita à boire un verre au Mess où je retrouvais
le commandant qui me demanda ce que je faisais en civil. Je lui répondais
que je l'étais depuis neuf jours et que j'étais à
sa disposition de nouveau s'il avait encore des comptes à me
demander. Il quitta le Mess et je ne l'ai jamais revu. Je m'excusais
prés du sergent et lui exprimais mes craintes sur des suites
pour lui après ce qui s'était passé. Il me dit
qu'il n'y aurait pas de problèmes. Leur service était
indépendant sur ces sujets.
Là dessus je quittais Chartres, me rendais à Paris au
S.G.M.M.T.A.E.O. pour m'expliquer avec le Commandant OLLIVIER et lui
apprendre ce qui s'était passé. Je me fis enguirlander
par lui, qui me dit que je n'aurais pas du me laisser aller et que j'aurais
du venir le voir aussitôt. Il me proposa de rempiler tout de suite,
qu'il se chargeait de tout et qu'il me ferait partir rapidement pour
le Soudan avec mon copain que je retrouvais dans les bureaux.
Le lendemain, je me dirigeais vers Montparnasse en compagnie de Gaby
que je n'ai jamais revu depuis et j'y prenais le train vers la Bretagne
et vers la vie civile.