La bataille de Goose Green
Par Frédéric Ortolland

La tête de pont désormais sécurisée et les Argentins n’ayant tenté aucune réelle percée contre les forces britanniques, le 21 mai marqua le début de la consolidation des positions. Les attaques aériennes ennemies se poursuivaient quotidiennement mais étaient plus axées sur les navires de la Task Force (Groupe de combat tactique) que sur les zones de débarquement.
Le 26 mai l’état-major argentin déplaça la plus grande partie du 12ème RI de la zone du Mont Kent – qui surplombait l’approche vers Stanley- vers la garnison de Goose Green (GG).
C’est une équipe d’observation des SAS qui reporta ce mouvement d’autant plus inquiétant que GG était la garnison la plus proche à partir laquelle une contre-attaque pouvait être menée.
Les pertes de matériels des jours précédents incluaient un convoi d’hélicoptères lourds qui devaient être utilisés au transport et au soutien des troupes à proximité des défenses argentines autour de Stanley.
Ce plan ayant fait long feu, un nouveau système devait être conçu pour déplacer les troupes et les ravitailler.
Ces développement poussèrent l’état-major (basé au Royaume-Uni) à déclarer au Brigadier Thompson que "quelque chose [devait] être fait".
Compte tenu de la menace que représentait la garnison renforcée de GG, Thompson ressortit de ses cartons un ancien plan pour le 2ème Paras qui prévoyait un raid sur la zone Darwin/GG en tant que diversion.
Le 45ème Commandos et le 3ème Paras devaient partir à pied vers la zone Mont Kent/Estancia, tandis que le 42ème Commandos serait héliporté directement sur le Mont Kent désormais inoccupé.
Le 40ème Commandos, quant à lui, devait rester en arrière pour protéger la base logistique contre toute attaque.
Il était espéré que le raid convaincrait les Argentins d’une manœuvre britannique vers le Sud laissant ainsi les troupes les plus au Nord exposées, protégeant en fonction du succès du raid le flanc droit britannique et cachant à l’ennemi le véritable objectif du plan : encercler Stanley.

Les circonstances voulurent que ce fut le 2ème Paras qui fut choisi car ses positions, le Sud des Montagnes Sussex étaient les plus proches de l’objectif.
Le plan original prévoyait une manœuvre familière aux Royal Marines mais beaucoup moins à l’Armée : "Raid et retour à la maison".
La nouvelle donne voulait désormais la capture de l’aérodrome et des villes, GG étant la 2ème plus grande colonie des Falklands, mais sans ressources supplémentaires malgré l’évidence de leur besoin.
De plus, les renseignements communiqués au populaire et charismatique commandant du 2ème Paras, le lieutenant-colonel H. Jones, étaient confus et incomplets, ne parvenant même pas à situer précisément les positions des nouveaux renforts.
Mais le problème principal de Jones était ailleurs : ses hommes allaient devoir rejoindre GG à pied.
Même avec chaque homme portant 60 Kg d’équipement plus ses armes, le 2ème Paras devait laisser derrière lui la plupart de ses mortiers lourds et de son équipement de soutien.
Les hélicoptères étaient rares et recherchés, le terrain ne convenait pas aux véhicules blindés Volvo en dotation et une opération amphibie fut rejetée, les plages étant solidement gardées, probablement minées et les larges bans de varech peu appropriés aux barges de débarquement.
Trois unités d’appui-feu lourd furent détachées auprès du 2ème Paras : la moitié de la 8ème Battery (3 canons de 105 et son personnel héliportés à proximité de Camilla Creek House,
à 18 Km de GG et point de départ des paras), le HMS Arrow et ses canons de 4.5 pouces, et les nouvellement arrivés Harrier GR3 si le temps le permettait (les autres unités aériennes étaient entièrement dévolues à un rôle de défense aérienne contre les bombardiers argentins).

C’est l’Air Force argentine qui prit la 1ère le contrôle de GG. Elle y établit une base pour ses Pucaras, occupée par des troupes du Génie et des canons anti-aérien de 20 et 35mm (commandés par le Air Commodore Pedroza).
Ces troupes étaient elles-mêmes soutenues par la Cie C du 25ème RI du lieutenant Stephan dont l’équipement incluait de l’artillerie de campagne (3 canons de 105mm).
Les derniers arrivés, en date du 26 mai, représentaient la plus grande partie du 12ème RI du lieutenant-colonel Italo Piaggi, là aussi avec son artillerie de campagne.
Contrairement aux professionnels du 25ème, les membres du 12ème RI étaient en grande majorité des conscrits sans grande expérience.
Bizarrement, le commandant de ces troupes regroupées sous le nom de Task Force Mercedes, le brigadier-général Omar Parada, avait son PC à Stanley, ce qui fit que lorsque les combats débutèrent, il ne put communiquer avec elles que par radio.
Le 2ème Paras, sous-équipé, devait donc faire face à 3 contre 1 à des forces mieux armées, en positions défensive, dont ils ignoraient la situation exacte !
En fait de raid c’est la 1ère grande bataille terrestre du conflit qui allait avoir lieu.

Le 26 mai le 2ème Paras abandonna ses positions au 42ème Commandos.
Les 13 Km de terrain rocailleux et accidenté menant à Camilla Creek House furent une véritable torture pour les hommes et leurs 60 Kg d’équipement.
Les 105 mm argentins firent parfois feu mais très à gauche et tous arrivèrent à Camilla Creek House aux petites heures du matin du 27.
A l’aube, 2 sections de reconnaissance furent envoyées pour détecter les positions avancées de l’ennemi et en repérèrent 3 nouvelles, dont celle de Darwin Hill.
Un observateur de l’Air Force partit avec une des sections permit de lancer une attaque aérienne contre les collines qui surplombaient GG.
Bien qu’il fut considéré comme dangereux de faire plusieurs passages sur une même cible les pilotes firent 2 passes.
A la troisième le chef d’escadron Iverson fut abattu par 2 obus de 35mm.
Il put s’éjecter à temps, suffisamment loin des positions ennemies pour être récupéré par la Royal Navy 2 jours plus tard.
Peu de temps après, les sections de reconnaissance furent repérées et se replièrent sous le feu des mitrailleuses longue portée argentines.
Sur le chemin du retour ils capturèrent un Land-Rover civil qui contenait une patrouille de reconnaissance ennemie qui leur révéla les positions qui leur manquaient tant.
Après avoir passé la journée à se préparer, les compagnies d’attaque se dirigèrent vers leurs bases de départ, au Nord de l’isthme de GG, à 23h.
Deux mortiers furent mis en batterie à Camilla Creek, les 105 mm étaient près et le HMS Arrow croisait non loin pour apporter sa couverture.
A 2h30 du matin le 28 mai toutes les unités étaient prêtes.
Les compagnies B et D se trouvaient à l’Ouest de l’Etang de Burntside, la compagnie A à l’Est et la C (plusieurs patrouilles de reconnaissance réunies) surplombait la pointe Nord-Ouest de l’isthme en couverture.
Tout était prêt pour l’assaut.

La Cie A du major Dair Farrar-Hockley se mit immédiatement en mouvement vers Burntside House, suspectée d’être un poste avancé ennemi.
Le HMS Arrow fut mis à contribution et bombarda la maison qui fut immédiatement après prise d’assaut.
Les seuls occupants, heureusement saufs, étaient 4 civils.
Les Argentins avait battu en retraite peu de temps avant afin de prévenir la garnison principale de l’arrivée des Britanniques. A 4h30 le PC Tactique (PCT) de Jones suivit la compagnie A vers l’Est de l’isthme, en direction de Coronation Point, vide d’ennemi.
Une simple patrouille y fut laissée en couverture et les hommes de Farrar-Hockley se dirigèrent vers Darwin pensant avoir largement pénétré les lignes argentines.
Une demi-heure après le départ de la Cie A, la B du major John Crosland se mit en marche suivie de la D du major Phillip Neame.
La Cie D devait passer à travers la B une fois que celle-ci aurait sécurisé ses 1ers objectifs.
Les 2 Cies furent rapidement obligées de changer le plan initial après que la B ait dépassé sans s’en rendre compte une position argentine qui s’en prit par la suite à la D. La Cie B s’assura rapidement de son 1er objectif, Burntside Hill, sans déplorer aucune perte.
Sous un feu de plus en plus nourri les 2 Cies se dirigèrent vers Coronation Point, le 1er objectif de D, qu’elles sécurisèrent à 5h.
Beaucoup de terrain avait été gagné, mais beaucoup moins vite que ne l’espérait Jones.
L’aube se lèverait à 7h30.
Le principe même de l’attaque ne devait laisser aucun répit aux Argentins pour les empêcher de comprendre ce qui se passait et de se regrouper.
Le feu croissant des positions ennemies commençait à sérieusement ralentir l’avance des paras dont les pertes augmentaient.
L’initiative, facteur primordial de tout assaut d’infanterie risquait de changer de main.
En longeant la baie la Cie A fut attaquée par des positions solidement défendues situées sur 2 petites collines, si petites qu’elle n’apparaissaient même pas sur les cartes d’état-major. Elles avaient bien été repérées lors des reconnaissances de la veille mais furent oubliées lors du pointage des cartes.
La Cie A fut fixée plus de 2h30 dans un petit ravin rempli d’ajoncs, incapable de franchir le terrain à découvert devant les positions ennemies.
La Cie A était alors mélangée avec le PCT de "H" Jones qui prit les choses en main.
Plusieurs tentatives de positionnement sur la colline se soldèrent par un échec.
A 10h Jones décida de mener lui-même la charge de la 1ère colline d’un mouvement flanquant.
Ce faisant, il s’exposa aux tirs de la 2ième colline, désormais dans son dos et sur sa droite.
Le sergent Barry Norman lui hurla de faire attention à ses arrières mais Jones fut abattu dans le dos, à quelques mètres de la tranchée qu’il chargeait.
Norman courut récupérer le corps de son commandant qui mourut quelques minutes plus tard sans prononcer un mot.
Il reçut la Victoria Cross à titre posthume.
La mort de leur chef si apprécié "reboosta" les hommes pourtant épuisés.
Vitesse et agressivité devinrent le nouvel ordre du jour.

Le major Chris Keeble était désormais en charge des paras et se trouvait confronté à une situation pour le moins difficile. Bien que les britanniques ne le sachent pas à cette heure, 80 hommes du 12ème RI étaient héliportés pour renforcer la garnison de GG.
Plus grave encore les canons de 20 et 35mm à cadence de tir rapide et obus explosifs tiraient désormais directement sur les paras.
Keeble changea l’axe d’attaque et confia à Farrar-Hockley le soin de régler le sort de Darwin Hill.
Pendant ce temps la Cie B était fixée par des Argentins retranchés dans les ruines de Boca House, son 2ème objectif. Keeble décida de concentrer l’attaque sur la partie Ouest de l’isthme.
Il place la Cie D à l’extrême droite de Boca House et ils rampèrent le long de la plage pour se mettre en position.
La Cie B utilisa des missiles anti-tank Milan contre Boca House, usage non prévu mais fortement efficace. La Cie D arrosa largement les ruines en couverture et finalement les Argentins se rendirent. Une vingtaine d’entre eux furent faits prisonniers.
12 Argentins avaient été tués, les autres avaient fui en direction de GG. Les paras avaient maintenant l’espace nécessaire pour manœuvrer.
La Cie D reçut l’ordre de foncer droit vers le terrain qui surplombait l’aérodrome alors que la Cie B devait partir plein Sud et prendre GG à revers.
Keeble comptait encercler totalement l’aérodrome, ce qu’il fit mais une poche de résistance subsistait.
Sur Darwin Hill le vent tournait pour les Argentins.
La 2ème section de la Cie A progressait lentement mais sûrement sur la gauche pendant que le PCT et une partie de la 3ème section profitait de la diversion pour occuper de meilleures positions. Le feu des mitrailleuses était désormais directement dirigé sur les tranchées ennemies.
Le sergent Ted Barrett et la caporal David Abols se distinguèrent en faisant exploser en un tir direct le bunker de la tranchée d’où étaient partis les tirs qui avaient tué Jones au lance-fusées de 66mm. La position clef de la défense argentine n’existait plus. Abols reçut la Distinguished Conduct Medal et Barrett la Military Medal pour leur action décisive.
Darwin Hill se rendit. 18 Argentins avaient été tués, 74 furent capturés, dont la moitié de blessés.
La prise en tenaille de GG du major Keeble était maintenant complète.

La Cie C, jusque-là positionnée en appui-feu reçut l’ordre de dépasser la Cie A et prendre la tête.
La Cie A détacha une section à la C qui se dirigea droit vers GG. La Cie fut repérée le long de Darwin Ridge et matraquée par l’artillerie ennemie qui lui causa de sérieux dommages.
Les capitaines Paul Farrar et Colin Connor, en charge des sections de reconnaissance firent sortir les hommes de leurs abris et les firent se ruer en avant, évitant ainsi le plus gros des tirs argentins et continuant leur avance.
Lors de sa progression depuis Boca House, la Cie D se trouva face à un champs de mines, si bien que ses lignes finirent par chevaucher celles de la C.
Les 2 compagnies firent face ensemble aux Argentins retranchés dans les premiers bâtiments de la colonie, qu’elles savaient vides de civils.
Un nouvel événement vint contrarier l’avance des paras.
Il fut rapporté qu’un drapeau blanc flottait au-dessus de la principale position argentine de l’aérodrome.
Le chef de la 12ème section de la Cie D, le lieutenant Jim Barry se porta volontaire pour aller vérifier.
Accompagné du caporal-chef Paul Sullivan et du caporal Nigel Smith, il s’approcha de la position quand une mitrailleuse britannique ouvrit le feu, pensant le couvrir.
Une autre position argentine, pas celle agitant un drapeau blanc, répliqua aussitôt, tuant les 3 hommes instantanément, en blessant plusieurs autres.
Il n’y eut pas de reddition et la position fut réduite 30mn plus tard. Les Cies C et D furent pris sous un feu provenant de l’école et de certains magasins. Ils détruisirent le bâtiment au M79, à la grenade et à la mitrailleuse légère.

C’est alors que les forces aériennes des deux parties entrèrent en action. 2 Aermacchis MB-339 et 2 Puccaras attaquèrent à la roquette et à la mitrailleuse. Le second Puccara lâcha même un bombe au napalm qui manqua les paras.
L’avion fut touché par des tirs provenant du sol. Le pilote s’éjecta et fut capturé par les hommes de la Cie D. Un des Aermacchis fut lui aussi détruit.
A 19h25, 3 Harriers s’en prirent aux positions d’artillerie argentine.
Les 2 premiers attaquèrent avec des bombes à fragmentation BL755, le dernier avec des roquettes. L’un des canons de 35mm fut totalement pulvérisé. Menée à seulement 200m des positions avancées britannique, ce raid fut hautement salué pour sa terrible précision et l’impact certain qu’il causa au moral des Argentins par sa violence.

Le crépuscule tombait et Keeble préféra assurer ses positions. Après le passage des Harrier il découvrit qu’il y avait 114 civils dans GG et qu’il ne pouvait se permettre d’écraser la cité pour contraindre l’ennemi à se rendre.
Il ne savait pas alors que la Cie B du 12ème RI venait d’être héliportée à 1Km5 au Sud de GG, juste derrière les lignes de la Cie B.
Ils étaient censés briser l’encerclement des paras et permettre au restant de la garnison de se désengager.
Deux Argentins parvinrent à entrer en contact avec eux.
Mis au courant de la situation, leur commandant décida de venir renforcer la garnison.
Ils y parvinrent sous couvert de l’obscurité, pour trouver des hommes démoralisés et au bout du rouleau.
Les Britanniques aussi devaient recevoir des renforts, la Cie J du 42ème Commandos du major Mike Norman, héliportés à la pointe Nord de l’isthme.
Ils ne devaient cependant arriver qu’une fois la bataille terminée.

Keeble envoya 2 prisonniers dans la colonie avec une note qui disait simplement "Rendez-vous ou acceptez-en les conséquences".
Les négociations durèrent toute la nuit mais la promesse d’une nouvelle intervention aérienne et d’une démonstration de force au petit matin mit en évidence le côté désespéré de la situation pour les Argentins.
Ceux-ci, quoique plus nombreux et largement pourvus en munitions étaient effectivement encerclés par les Britanniques, sans possibilité de manœuvre. Leurs options se résumaient à une reddition ou à une sanglante et inutile bataille au milieu des civils.
Le commodore Pedroza et le lieutenant-colonel Piaggi décidèrent de se rendre et rencontrèrent le major Keeble à 9h30.
Les Argentins furent estomaqués de voir à combien peu d’hommes ils se rendaient.

1 500 Argentins furent faits prisonniers durant la bataille de Goose Green et 45 furent tués.
De leur côté les Britanniques virent 15 hommes du 2ème Paras, un des Royal Engineers et un pilote des Royal Marines tués et 37 paras blessés.
Aucun civil ne fut blessé.
La bataille de Goose Green fut la plus importante, non seulement en termes d’hommes impliqués mais aussi en termes de territoire à couvrir.
Plusieurs observateurs firent remarquer qu’à son commencement l’opération n’était en rien assurée du succès. Même le colonel Jones ne lui avait accordé que 75% de chances de réussite.
La qualité de ses hommes ; leur habileté aux armes et leur esprit de conquête, la qualité de ses chefs ; le leadership du colonel Jones et le flair tactique du major Keeble expliquent pour partie cette victoire ajoutée à la légende du 2ème Paras.

 
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