Monongahela 1755
Par Frédéric Ortolland


Pontiac

Dans la 2ème moitié du XVIIIe siècle la France, par sa présence en Amérique du Nord, menace les intérêts britanniques. La région de la vallée de l’Ohio, où chacun se dispute la légitimité du territoire, est source de tensions. Au printemps 1754, le jeune major George Washington emmène 132 hommes prendre possession de terres aux environs de ce qui est aujourd’hui Pittsburgh. Le 28 mai il prend en embuscade et tue Joseph Coulon de Villiers, Sieur de Jumonville venu lui intimer de quitter la zone. En juillet il est battu à Fort Necessity et doit se replier. La France est outragée de ce qu’elle qualifie d’assassinat, la Grande-Bretagne nie. Alors que la guerre n’est pas officiellement déclarée entre les deux nations, chacun se prépare pour une campagne l’année suivante.

1. Préparatifs
Le major-general Edward Braddock, commandant en chef de toutes les troupes britanniques en Amérique du Nord, débarque en Virginie en mars 1755. Son objectif : un ancien fort britannique capturé en 1753 et renommé Fort Duquesne, non loin de la rivière Monongahela, au confluent de l’Ohio et de l’Allegheny. Le premier problème qui se présente à lui est l’absence de cartes repérant les régions sauvages, boisées et montagneuses qui le séparent des Français. Les pistes sont rares et ne sont adaptées ni aux nombreux chariots nécessaires à l’approvisionnement d’une armée en campagne, ni à son artillerie. Braddock décide de faire élargir la piste au fur et à mesure de sa progression. Fin mai, plus de 2000 hommes et 900 chevaux se rassemblent à Fort Cumberland (Maryland). George Washington, qui connaît bien la région, en fait partie en tant qu’aide-de-camp.

Forces britanniques au départ de Fort Cumberland
1ère brigade (Col. Sir Peter Halkett)
44th Foot
New York Independent Company*2 (Cpts Rutherford et Horatio Gates)
Virginia Provincial Carpenters (Cpt Polson)
Virginia Provincial Rangers*2 (1 cinquantaine d’hommes chacune, Cpts Peronnee et Wagner)
Maryland Provincial Rangers (Cpt Dagworthy)
2ème brigade (Col. Robert Dunbar)
48th Foot
South Carolina Independent Companies (Détachements, Cpt Demerie)
North Carolina Provincial Rangers (Cpt Dobb)
Virginia Provincial Carpenters (Cpt Mercer)
Virginia Provincial Rangers*3 (Cpts Steven, Cox et Hogg)

Royal Navy; 30 marins (Lt Spendelowe)
Royal Artillery ; 60 hommes, quatre12 pdrs, six 6 pdrs, 4 obusiers (8-inch), 15 mortiers Coehorn(lance-grenades) v(Cpt Ord)
Virginia Light Horses (une trentaine d’hommes, Cpt Stewart)

A Fort Duquesne, le capitaine de Contrecœur apprend que les Britanniques ont débarqué et se préparent à marcher vers sa position. Des renforts de métropole sont en route vers la Nouvelle France mais ils n’arriveront jamais à temps. Lorsqu’il en est informé le capitaine de Beaujeu, alors en route pour relever de Contrecœur, lance un appel à tous les avant-postes de la région et à chaque fort des Grands Lacs pour rassembler tous les hommes et tout le ravitaillement disponibles. Il fait de même avec les d’alliés Amérindiens en insistant sur ce qu’ils perdraient si les Tuniques Rouges venaient à vaincre. Tout au long du mois de juin, des centaines de guerriers se rassemblent.
Au total, moins de 300 réguliers coloniaux et miliciens canadiens et 650 alliés Amérindiens se préparent à affronter plus du double de réguliers britanniques et américains et miliciens locaux.

2. Braddock part vers l’Ouest
Braddock envoie 600 hommes en avant-garde pour dégager la piste le 29 mai. Si les premiers jours la progression est correcte, il s’avère que la piste nouvellement dégagée n’est pas à même de résister au passage de l’artillerie et des lourds chariots anglais. Des chariots si lourds que les chevaux américains, de plus petite constitution que leurs cousins d’outre-Atlantique, ne parviennent pas à les tirer sans aide humaine ! Le 11 juin, n’ayant progressé que de 40km, Braddock décide d’alléger le convoi. Tous les bagages non nécessaires, les chariots lourds, 2 cannons de 6-pdr, 4 mortiers Coehorn et une partie des troupes de service sont renvoyés vers Fort Cumberland ou Philadelphie.
Ainsi allégée, la colonne, qui s’étend sur près de 6km, reprend la piste cernée de sombres et silencieuses forêts de pins. Les flancs-gardes, devant l’impénétrabilité des bois et la crainte d’être isolées préfèrent la plupart du temps rester sur la piste. L’ambiance est lourde d’appréhension et chacun s’attend à être pris en embuscade.
L’avance est encore trop lente pour Braddock qui fait de nouveau alléger le convoi. Le 8 juin une source indienne lui apprend que seuls 100 Français et 70 Amérindiens défendent Fort Duquesne. Bien que peu réalistes ces chiffres incitent Braddock à se hâter davantage avant que les Français ne renforcent la garnison. Il décide donc de diviser son armée en 2. Une partie de l’artillerie lourde, des troupes et du train de combat doit se regrouper à Little Meadows (à environ 130km de l’objectif) sous les ordres du colonel Dunbar. Braddock garde avec lui 1200 hommes (44th et 48th Foot, Cies de New York, 3 Cies de Virginian Rangers, 1 Cie de Virginian Carpenters, les Virginia Light Horses, le détachement de marins et quelques artilleurs). Une fois qu’il aura réorganisé ses hommes, Dunbar doit le rejoindre pour compléter le siège de la place.
Le 18 juin, Braddock repart. Une semaine plus tard, les incidents avec les Français et les Amérindiens tapis dans les bois alentours sont quasi-quotidiens. Plusieurs soldats sont tués ou blessés. Quitter pour quelques instants la piste peut s’avérer fatal.
Le 2 juillet ; les hommes font halte à Jacob’s cabin. Il y est décidé de poursuivre sans attendre les renforts de Dunbar. Les alliés Amérindiens des Britanniques refusent d’éclairer la route et Braddock doit poursuivre sa progression en aveugle. Le 6 juillet, le fils du chef Monocatuca est tué par un soldat nerveux lors d’un raid.
Les relations entre les alliés se dégradent. Le 9, la Monongahela est franchie. Fort Duquesne n’est plus qu’à 13 km.

Du côté français, il est hors de question d’abandonner le fort qui ne résistera cependant pas à l’artillerie ennemie.
De plus, les Amérindiens ne resteront pas le temps d’un siège. Il ne reste qu’une option viable : l’embuscade.
De Contrecœur restera dans le fort avec une garnison réduite. De Beaujeu mènera 254 réguliers et miliciens canadiens et 650 guerriers Amérindiens à l’assaut. Le 9 juillet à 8h00 les hommes s’enfoncent dans la forêt.

3. La bataille
L’avant-garde britannique est commandée par le lieutnant-colonel Gage. Braddock et le gros des troupes suivent, flancs-gardés par quelques sections. A 14h00, les éclaireurs signalent l’ennemis, principalement des Amérindiens.
Ils sont estimés à environ 300. Il semble que la rencontre soit fortuite. De Beaujeu n’avait pas d’éclaireurs et pensait pouvoir arrêter Braddock avant qu’il ait franchi la Monongahela. Gage fait mettre ses hommes en ligne et tirer une première salve. Paniqués, 2 cadets de la milice canadienne s’enfuient, entraînant avec eux une centaine de miliciens et d’Amérindiens. Les Britanniques font amener 2 canons de 6-pdr et ouvrent le feu. A la 3e salve de mousqueterie De Beaujeu est tué. Voyant une partie des Canadiens et des Amérindiens s’enfuir, les Tuniques Rouges crient de joie.
A 300m en arrière, Braddock et ses hommes se tiennent prêts mais demeurent confiants dans l’issue de la bataille.
De Beaujeu mort, c’est le capitaine Dumas qui prend le commandement. Malgré la situation en apparence critique, il garde son sang-froid et rassemble les hommes qui n’ont pas fui avant de les mener à l’assaut. Sous le couvert de l’épaisse forêt, ils lancent des tirs dévastateurs dans les rangs ennemis en hurlant des cris de guerre. Entendant cela, la centaine de fuyards se rallie et repart vers l’avant. Les flancs-gardes sont rapidement coupées de la colonne et anéanties. Dumas comprend le parti qu’il peut tirer de la situation et donne l’ordre d’encercler la colonne.
A l’écoute de l’intensification des tirs et des cris de guerre, Braddock comprend que les choses ne se déroulent pas comme prévues. Il envoie le lieutnant-colonel Burton et 400 hommes en renfort de l’avant-garde. Puis, laissant Sir Peter Halkett en charge du train, de l’artillerie et d’environ 400 hommes, il part vers le front.
A l’avant, les grenadiers et les 6-pdrs tirent toujours droit devant, sans résultat notable puisque les Français ont maintenant pris les flancs. A mesure que les soldats tombent, la ligne britannique vacille avant de s’effondrer. Gage ordonne aux hommes de se reformer une trentaine de mètre en arrière. Ce faisant, il se heurte à ceux de Burton qui, eux aussi harcelés de chaque côté, tentent dans la plus grande confusion de former une ligne de combat.
La tendance naturelle des soldats à serrer les rangs joue pour l’ennemi et rapidement la confusion tourne à la panique. Les officiers tentent de rallier le 44th et le 48th Foot à leurs couleurs mais ils sont abattus les uns après les autres et la tentative échoue. Sans cesse en mouvement, dissimulés par les troncs et la fumée des mousquets qui a désormais envahi la scène, les Français et les Amérindiens semblent être partout à la fois.
Plus en arrière, le train de bagages et de munitions est à son tour attaqué. Halkett fait tirer au 12-pdr en aveugle, causant peu de dégâts face à un ennemi dissimulé et dispersé, avant d’être tué. Braddock tente regrouper ses hommes pour lancer une attaque en forme de pince. Burton parvient à rallier une centaine d’hommes mais, blessé, il ne parvient pas à les commander efficacement et ils s’enfuient. Braddock tente de les rallier de nouveau lorsqu’il est touché en pleine poitrine. Il est alors entre 16h et 16h30. A cette heure tous les officiers supérieurs sont touchés. La plupart des officiers subalternes sont tués ou blessés. Les Amérindiens et les Canadiens sentent que la curée est proche et sortent tomahawks et couteaux à scalper.

4. La retraite
Pour les Britanniques, l’heure de la retraite a sonné. Braddock, mourant, ordonne à Washington de rejoindre camp de Dunbar. Washington parvient à regrouper quelques officiers valides et à former une arrière-garde à peu près solide qui permet à de nombreux survivants de quitter les lieux en abandonnant les morts, une partie des blessés, l’artillerie, le Train.
Pour ceux qui sont restés en arrière, c’est la fin. Les Canadiens et les Amérindiens se ruent sur le champ de bataille en hurlant. Les survivants sont achevés et scalpés (par les Amérindiens, certes, mais aussi par des Canadiens et même quelques Français). Certains malheureux périront abominablement torturés.
De l’aveu même de Dumas, « le pillage fut horrible ». Finalement il parvient à faire ramener ses blessés et détruire les canons et barils de poudre britanniques avec la poignée d’hommes qu’il contrôle encore. Inquiet d’une possible contre-attaque, il les regroupe à 2km en arrière. Le lendemain, malgré cette écrasante victoire, Dumas ne peut rien faire pour l’exploiter. Les pillards se sont enivrés toute la nuit et sont dans l’incapacité de se battre. La plupart des Amérindiens ont quitté le champ de bataille avec leur butin. Dumas n’a pas assez d’hommes pour lancer la poursuite et décide donc de s’en retourner à Fort Duquesne.

Les Britanniques sont loin de penser à une contre-attaque En fait, ils sont en pleine déroute. Terrorisés à l’idée d’être rattrapés par les Amérindiens, ils marchent toute la nuit et toute la journée. En 30h, sans pause, ils couvrent près de 100km. Le 12, ils rejoignent Dunbar Le 13, Braddock meurt de sa blessure. Reprendre la campagne n’est pas envisageable. Munitions et ravitaillement sont détruits avant de repartir vers Fort Cumberland, atteint le 17.
Sur 1200/1300 hommes engagés les Britanniques en ont perdu près d’un millier dont la moitié de tués. 75% des officiers ont été tués ou blessés. Toute l’artillerie et le train de combat ont été perdus. De leur côté, les Français et leurs alliés ont perdu 23 tués (dont 15 Amérindiens) et 20 blessés (dont 12 Amérindiens).
De cette terrible défaite les Britanniques retiennent une leçon : leurs troupes ne sont absolument pas préparées à la guerre telle qu’elle se pratique en Amérique du Nord, loin des champs de bataille européens. Mais ils sauront s’en souvenir et bientôt de nouvelles troupes d’infanterie légère, mieux adaptée au terrain verront le jour.


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