La guerre en Rhodésie (1966-1980)
Par Frédéric Ortolland


Ian Smith 1909-2007

En 1965 la Rhodésie du Sud déclare unilatéralement son indépendance vis-à-vis de la Grande-Bretagne.
A partir de 1966, 14 longues années de guerre vont opposer le gouvernement (blanc) aux Nationalistes Africains radicaux. Partant de presque rien, constamment en sous-effectif et avec des moyens parfois à la limite de l’obsolescence, les Rhodesian Security Forces développent en quelques années une force de contre-insurrection d’une efficacité tactique redoutable. Pourtant, en 1980, la Rhodésie disparaît des cartes de géographie pour devenir le Zimbabwe.

1. De Cecil Rhodes à l’UDI

La Rhodésie est fondée en 1890 comme colonie britannique par le magnat Cecil Rhodes. Il est prévu qu’elle soit gérée sous Charte Royale par sa société, la British South Africa Company, jusqu’en 1923. Rhodes envoie l’explorateur Frederick Selous et une colonne de pionniers protégés par la British South Africa Police explorer et coloniser ce vaste territoire. Les tensions avec les populations locales montent rapidement et éclatent en 1893 lorsque Lobengula, roi des Ndebeles, lance ses guerriers contre l’envahisseur blanc (1ère guerre du Matebele). Mais les armes et tactiques inspirées des Zoulous font long feu contre la puissance de feu européenne. En mars 1896 débute la 2ième guerre du Matebele, menée par les Ndebeles et les Shonas, que les Britanniques mettront 1 an ½ à réduire. Cette 1ère Chimurenga (guerre de libération) sera plus tard source d’inspiration pour les Nationalistes. Le territoire est par la suite divisé en Rhodésie (Nord et Sud) et Nyasaland.
En 1923 la Rhodésie du Sud obtient le droit de s’auto-administrer (la Rhodésie du Nord et le Nyasaland sont des protectorats). La constitution accorde 75% du Parlement à un électorat « blanc » qui représente moins de 5% de la population. Bien qu’il soit par essence britannique, le gouvernement mène une politique de « développement parallèle » envers les Africains similaire à celle de l’Afrique du Sud voisine. Ainsi, le Land Apportionment Act de 1930 alloue 50% des terres aux Occidentaux. Le reste, le plus aride et le moins fertile, est appelé « Réserves » jusqu’en 1969 puis « Terres Tribales ». Le Native Registration et le Native Passes Act (recensement et contrôle des déplacements de population) permettent quant à eux d’appliquer dans les faits la ségrégation raciale. Néanmoins, les bienfaits de l’amélioration de la sécurité et surtout de l’hygiène permettent à la population noire de croître rapidement, bien plus que l’immigration occidentale. En 1965 elle est de 4847000 pour 228000 Blancs.
Petit à petit les Africains s’organisent politiquement. Jusqu’aux années 1950, leurs efforts portent essentiellement sur l’emploi, les salaires, l’éducation, l’égalité des chances. En 1953, en pleine décolonisation, les Britanniques tentent de mettre en place une union administrative et économique de leurs colonies d’Afrique centrale : La Central Africa Federation ou Federation of Rhodesia and Nyasaland. Elle ne calme en rien la poussée du nationalisme africain qui n’y voit qu’un moyen détourné de maintenir la suprématie « blanche » en Afrique Australe.
La politique raciale de la Rhodésie du Sud et l’opposition nationaliste à la CAF font voler cette dernière en éclat en 1963. Le Nyasaland puis la Rhodésie du Nord deviennent indépendants sous les noms de Malawi et de Zambie, laissant techniquement la Rhodésie du Sud toujours sujette de la Grande-Bretagne. Les Nationalistes poussent à l’indépendance et à des élections au suffrage universel. Malgré les sympathies de la Grande-Bretagne à cet égard, les Blancs, peu rassurés par la révolte des Mau Mau au Kenya 10 ans plus tôt et les récents évènements du Congo, s’y opposent formellement à travers Ian Smith, nouveau leader du Rhodesian Front conservateur, au pouvoir depuis 1962.
La situation est dans l’impasse. La Grande-Bretagne refuse d’accorder l’indépendance à la Rhodésie du Sud sur la base d’une constitution acceptable par les Blancs qui, alarmés par l’aide russe et chinoise apportée aux radicaux du ZANU et du ZAPU (Cf. Encadré), s’arc-boutent sur leurs positions. Les Rhodésiens ne trouvent qu’une solution :
Le 11 novembre 1965, ils proclament l’Unilateral Declaration of Independence et renomment leur pays tout simplement « Rhodésie ».
De par sa faible majorité au Parlement et la crainte que l’Armée ne refuse de se battre, le gouvernement britannique décide de ne pas intervenir militairement et compte sur les sanctions diplomatiques et économiques pour résoudre le problème

2. La guerre

On peut scinder les différentes phases du conflit en 4 périodes :
- Avant la guerre : Période d’émeutes et de troubles civils.
- 1966-72 : Suprématie des RSF sur des insurgés mal organisés
- 1972-77 : Guerre du bush, intensification de l’activité militaire et politique des insurgés
- 1977-80 : Enlisement du conflit, épuisée, la Rhodésie perd politiquement la guerre

Avant la guerre : Désobéissance civile

En 1957, de premières émeutes ont lieu à Salisbury. Les Nationalistes, menés par Joshua Nkomo, deviennent de plus en plus militants. Les troubles, les émeutes, les grèves, se multiplient. En Février 1959 l’état d’urgence est décrété.
Il donne peu ou prou carte blanche à la BSAP qui répond férocement. En 1960, 7 émeutiers sont tués, des centaines de personnes sont arrêtées. A la création du ZANU, les militants des 2 factions concurrentes commencent à s’entretuer sous l’œil indifférent de la BSAP. Mais en 1964 la violence urbaine, notamment à Salisbury et Bulawayo, devient incontrôlée. Les Autorités réagissent en interdisant les 2 Partis et en condamnant Nkomo, Sithole et Mugabe à 10 ans de prison. La sécurité intérieure est alors largement l’affaire d’une Police globalement efficace dont les pouvoirs ont été augmentés par le Law & Order Maintenance Act de 1960.

Phase 1 : La guerre des caporaux (1966-1972)

L’UDI a redonné à la fois vigueur et légitimité à la guérilla qui profite largement de l’asile que lui accorde la Zambie indépendante. Le 28 avril 1966 (début de la 2ième Chimurenga) le premier engagement officiel a lieu : un groupe de la ZANLA est éliminé près de Sinoia. En mai une nouvelle incursion destinée à saboter le pipeline Beira-Umtali et attaquer les fermes blanches est lancée. Tous les groupes sont éliminés ou capturés après avoir réussi à assassiner un couple de Blancs.
Fin 1967, 90 hommes de la ZIPRA traversent le nord du Matabeleland dans le secteur des chutes Victoria.
Les RSF lancent l’opération Nickel qui démantèle le groupe en 3 semaines. Début 1968, 123 membres de la ZIPRA et de l’ANC sud-africain s’infiltrent au nord du Mashonaland et installent 6 camps, tous détruits lors de l’opération Cauldron. Pretoria réagit en détachant des unités de Police en Rhodésie. Au fil des mois, 1969 étant une année plutôt calme, les opérations se succèdent (Griffin, Mansion, Excess, Gravel, etc.) avec invariablement pour résultat l’élimination ou la dissolution des groupes infiltrés.

Après cette longue série de revers les insurgés révisent leur stratégie. Alors qu’elle a supporté le gros des opérations la ZIPRA, minée par les dissensions (création du FROLIZI en 1971), panse ses plaies et se retire plus ou moins du conflit pour plusieurs années. Elle compte profiter de ses bases zambiennes pour structurer une armée conventionnelle payée par Moscou. La ZANLA par contre décide de jouer profil bas pour un temps et table sur la politisation des masses pour atteindre ses objectifs.
En 1970 le FRELIMO, qui vient de prendre le contrôle de la province du Tete, donne aux 2 factions l’autorisation de s’y installer. La ZIPRA ne donne pas suite. Comparativement aux vastes plaines dépeuplées qui bordent la Zambie, le Nord-Est de la Rhodésie est pain bénit pour la ZANLA. Le terrain y est rude, la végétation dense, autant de cachettes possibles et d’obstacles aux RSF. De plus, peu viable économiquement, elle est négligée depuis des années par le gouvernement donc un parfait terreau pour la politisation de sa population. Enfin, il n’y a pas d’obstacle naturel majeur comme le Zambèze pour traverser la frontière. Peu à peu, les groupes s’infiltrent et commencent à entreprendre les populations locales.
Fin 1971 les troubles constatés dans le secteur commencent à inquiéter les RSF qui montent plusieurs opérations conjointes avec les Portugais. Une intervention des SAS sur Matimbe en mars 1972 apporte la preuve de la présence de la ZANLA au Mozambique. Les opérations au-delà de la frontière s’intensifient.

Durant cette première phase du conflit patrouilles, traques et embuscades ponctuent la vie des RSF qui s’aguerrissent et développent leur « sens du bush ». L’unité tactique de base est le plus souvent le stick de 4 hommes et une grande latitude de choix est laissée aux sous-officiers subalternes. Il s’agit d’une « guerre des caporaux » où la mobilité, la flexibilité et la surprise font la différence. Les RSF acquièrent aussi une grande expérience en opérations combinées (notamment la coordination air-sol en se débarrassant des lourdes procédures radio standards) malgré les frictions entre les différents Corps à l’échelon supérieur. Les premières interventions parachutistes et héliportées ont lieu, préfigurant ce qui deviendra en 1974 les Fire Forces.
Par contre, confirmés dans leur sentiment de supériorité, les Rhodésiens omettent d’accroître les rangs de l’Armée avec des bataillons d’infanterie africains. La pression de la guerre sur une population blanche limitée ira pourtant croissant jusqu’à l’insupportable. De plus, ils imaginent que les capacités de leurs opposants ne dépasseront pas celles limitées qu’ils ont montrées jusqu’alors et qu’une simple réponse militaire, apportée avec les moyens existants, va suffire. C’est une énorme erreur d’appréciation qui va prolonger le conflit pendant plusieurs années.

Les Grey’s Scouts : Formés en juillet 1975. Unité d’infanterie montée particulièrement adaptée au bush rhodésien. Missions de patrouille, de traque, de poursuite - 40km/jour en moyenne (DR)

Phase 2 : La guerre du bush (1972-77)

1972-1974 Premières stratégies
Après 2 ans de campagne destinée à « gagner les cœurs et les esprits » façon maoïste, la ZANLA reprend ses opérations dans la zone de Mtoko en septembre. Le 23 décembre 1972 a lieu l’attaque de la ferme Altena près de Centenary. Les Rhodésiens prennent tardivement conscience du fait que l’ennemi a vraiment infiltré la zone, mais en sous-estiment encore l’ampleur. Ils sont lents à mettre en place une stratégie de contre-insurrection qui, faute de véritable but stratégique, ne parviendra jamais réellement à écraser l’adversaire. Le secteur opérationnel Hurricane (Nord-Est du pays) est mis en place. Sous commandement du JOC du même nom, il regroupe à l’échelon de la brigade l’Armée, la RhAF, la BSAP et l’INTAF. Les opérations actives en dehors de ce secteur étant limitées en 1973-74, Hurricane bénéficie de presque toutes les forces disponibles, Police incluse. La stratégie mise en place repose sur 2 points :
- Tarir le flot des insurgés en provenance du Mozambique
- Contrôler la population locale
L’idée est de diriger les insurgés vers des zones vides de population où ils pourront plus facilement être éliminés. L’expérience acquise durant l’insurrection malaise amène les RSF à mettre en place différentes mesures destinées à couper les guérilleros de leurs sources d’approvisionnement et à encourager la fidélité des tribus locales.
A compter de 1973, les populations sont déplacées dans des Villages Protégés soumis au couvre-feu et ceinturés par une zone interdite. La mesure est évidemment impopulaire et le manque de ressources (et d’intérêt) ne permet pas de développer et protéger correctement ces villages implantés loin des champs cultivables et dont les habitants ne sont pas impliqués dans la gestion. Efficace en Malaisie car destinée à protéger une majorité de Malais contre une minorité de Chinois, l’expérience échoue là où l’insurgé est un fils du pays. Vécue comme une punition, cette mesure alimente le ressentiment d’une population jusqu’alors plutôt neutre. Si à court terme cette stratégie porte ses fruits, elle est à long terme désastreuse et permet à la ZANLA de rallier de nombreux paysans à sa cause.
Au total plus de 750000 personnes seront déplacées dans près de 230 villages.
Pour canaliser ou pour le moins ralentir le flux des insurgés, les RSF minent la frontière (jusqu’à 1400km !).
Là aussi le manque de ressources ne permet pas de développer un Cordon Sanitaire efficace. Nécessitant de gros moyens de mise en place, de surveillance et de maintenance, le CorSan tend au fil du temps à être déconnecté de toute stratégie globale et par devenir une fin en soi. Il ne manquera cependant pas de causer des milliers de morts et blessés et ce même après la fin de la guerre.
La ZANLA (et dans une moindre mesure la ZIPRA) ne sont pas en reste et tentent de paralyser l’économie et les mouvements des RSF en minant les routes. Entre 1972 et 1980 plus de 2500 mines exploseront, tuant 632 personnes et en blessant 4410. En réponse les Rhodésiens font la preuve de leur ingéniosité et développent toute une série de véhicules protégés ainsi que le monstrueux mais efficace détecteur de mine Pookie.
En 1973 les Selous Scouts voient le jour. Infiltration, reconnaissance, sabotage sont leurs missions.
Probablement une des meilleures unités de contre-insurrection de l’époque, elle intervient en Rhodésie et en opex.
A la fin de l’année on estime à 145 le nombre de rebelles dans le JOC Hurricane. Les insurgés ont perdu 179 hommes, les RSF 44. Douze civils ont été tués. En décembre la conscription passe de 9 à 12 mois.


1974-1977 : Le front s’étend
En 1974 c’est l’escalade. Le coup d’Etat d’avril au Portugal voit la victoire du FRELIMO qui ouvrira l’année suivante tout le Mozambique aux rebelles. En juin se met en place le concept de Fire Force pour lequel les Selous Scouts sont des informateurs précieux. La RhAF améliore sa coopération avec les forces terrestres et permet de préserver des ressources humaines limitées. Elle sponsorise aussi la mise au point d’un grand nombre d’armes (bombes Frantan, Alpha et Golf, fléchettes) et d’appareils électroniques (marqueurs de cibles radio-activés).
L’Afrique du Sud, qui s’inquiète de la possible déstabilisation des gouvernements modérés d’Afrique australe, fait pression pour l’obtention d’un cessez-le-feu. Les pourparlers échouent début 1975 mais ont permis à une guérilla virtuellement détruite de se regrouper et de faire libérer ses leaders emprisonnés depuis 10 ans. En août, l’Afrique du Sud retire « officiellement » ses troupes ; 2000 policiers quittent la Rhodésie. « Officieusement », elle laisse sur place 27 Alouettes, avec pilotes et équipes au sol. En mars 1975 Herbert Chitepo, président du ZANU, est assassiné à Lusaka. Les soupçons qui pèsent sur Josiah Tongogara, chef de la ZANLA, poussent la Zambie, qui souffre économiquement de la fermeture de la frontière avec la Rhodésie depuis 1973, à la déclarer indésirable sur son territoire. La culpabilité de Tongogara n’a jamais été prouvée et la CIO reste un organisateur potentiel de l’opération. Cet évènement, couplé aux dissensions internes et luttes de pouvoir qui minent les différentes factions nationalistes, ralentissent le conflit. Le couvre-feu du crépuscule à l‘aube est imposé le long de la frontière du Mozambique et du Bostwana devenu à son tour un sanctuaire pour la ZIPRA.
En juillet, les Grey’s Scouts remettent en usage la cavalerie, particulièrement adaptée au bush rhodésien.

En 1976 la ZANLA étend sa zone d’influence et reprend le conflit sur les fronts du Tete, du Manica et du Gaza.
Elle se concentre sur les cibles faciles et évite la confrontation directe. En réponse les Rhodésiens ouvrent de nouvelles zones opérationnelles et JOCs associés : Thrasher à l’Est, Repulse au Sud-Est et Tangent à l’Ouest pour s’occuper de la moindre menace que représente la ZIPRA qui a repris les hostilités (attaque de l’aérodrome de Bumi Hills le 5 juin). Les RSF ont désormais 4 « fronts » et plus de 1000km supplémentaires de frontière à défendre.
Malgré les pressions sud-africaines, les opex se multiplient.
Le succès de l’opération Long John en juin instaure la colonne volante comme tactique standard .En août, lors de l’opération Eland, moins de 100 hommes pénètrent au « camp de réfugiés » de Nyadzonya au Mozambique et font plus de 1000 morts et 300 blessés. L’assaut est condamné par de nombreux pays et en réaction l’Afrique du Sud retire ses pilotes et engins (qu’elle réintroduira lorsque Smith acceptera le principe du suffrage universel, et ce jusqu’à la fin de la guerre). Le Mozambique ferme « officiellement » ses frontières et dans les faits se prépare à la guerre. Selon les estimations 1000 rebelles occupent le pays, 15000 s’entraînent à l’étranger. Les attaques sur les fermes de l’Est augmentent. Les troubles, l’extension de la conscription (18 mois), la crise et les sanctions économiques commencent à sérieusement peser sur l’économie du pays. Le solde migratoire devient chaque mois de plus en plus négatif. Le moral de la population est en berne.
L’Armée aligne 63 compagnies (7560h) sur le terrain, la BSAP plus de 10000. Les succès des Fire Forces et des opex ne parviennent pas à juguler les infiltrations ennemies. La Guard Force occupe et défend (enfin) les VPs.
Elle s’avère efficace (à l’encontre de ce qu’imaginaient les militaires) mais sa mise en place est bien tardive.
Les USA via Henry Kissinger et l’Afrique du Sud poussent une Rhodésie désormais bien isolée à négocier. Le ZANU et le ZAPU font un mariage de circonstance et créent le Patriotic Front. Malgré la déclaration d’Ian Smith de l’acceptation d’élections au suffrage universel dans les 2 ans les négociations échouent.

Phase 3 : Rhodésie, Zimbabwe-Rhodésie, Zimbabwe (1977-80)

1977-79 : Espoirs…
1977 confirme l’enlisement de la situation qui se dégrade encore et toujours. Les embuscades et les mines omniprésentes nécessitent la protection de tous les convois. Le terrorisme urbain devient réalité ; 11 tués et 76 blessés lors de l’explosion d’un magasin Woolworth’s à Salisbury le 6 août. La capitale elle-même devient un secteur opérationnel. Le centre du pays devient le JOC Grapple, reconnaissance implicite de l’implantation massive de la guérilla. Les zones rurales, où les rebelles lancent une vaste campagne pour fermer toutes les représentations de l’autorité gouvernementale (hôpitaux, écoles, etc.), sont au bord de l’effondrement.
La période de rappel pour la Réserve passe de 38 à 50 ans. Les plus âgés, jusqu’à 60 ans, sont incités à être volontaires pour des travaux de Police (surveillance, barrages routiers…). Les Rhodésiens sont à bout de souffle.
Les opex continuent, à moindre échelle. En 1977-78, tous les militaires engagés deviennent parachutistes et apportent des troupes fraîches aux Fire Forces, notamment les RAR. En novembre, on estime à plus de 5000 les insurgés en Rhodésie.
Smith décide de faire taire les rivalités des JOCs en créant le COMOPS (Combined Operations) sous les ordres du lieutnant-general Walls. Créée en juillet, la Psychological Operation Unit (Guerre Psychologique) a de bonnes idées mais elle ne peut décemment pas espérer obtenir des résultats tant que de vrais changements politiques n’auront pas été opérés.
Le Rhodesian Front commence à montrer les premiers signes d’effritement dès février lors de la démission du ministre de la Défense. Douze membres du Parti s’opposent en mars à une proposition de loi autorisant l’achat de terres par toutes les races. Le gouvernement est remanié dans la foulée. En novembre, pour couper court aux tentatives d’interventions étrangères, Smith entérine le suffrage universel comme préalable à un règlement interne de la situation. Afin de montrer que cette décision n’est pas dûe à une quelconque faiblesse, les RSF lancent l’opération Dingo contre les camps de Chimoio et Tembue au Mozambique, tuant 1200 insurgés.
Globalement, si les RSF parviennent à contenir la situation, il leur manque une vision stratégique. La solution ne pourra être que politique.

En mars 1978, malgré le scepticisme britannique, la condamnation américaine et le rejet du PF qui refuse toute phase de transition, Ian Smith, Abel Muzorewa, Ndabaningi Sithole et Jeremiah Chirau signent l’Internal Settlement Agreement. Signé avec des leaders Noirs modérés, son but est un partage certes plus équitable du pouvoir mais où les Blancs conservent un pouvoir politique et économique considérable (25% des sièges au Parlement).
Dans le cadre des élections prévues pour début 1979, il a 2 vocations : Etre reconnu internationalement et mener à la fin de la guerre. Cependant, dans les mois qui suivent, les mesures discriminatoires n’évoluent pas ou peu. Une première offre d’amnistie est faite aux rebelles. Elle n’a, comme les suivantes, que peu de succès. L’ouverture des VPs comme geste politique pour favoriser Muzorewa ne sert en définitive qu’à perdre le peu de contrôle existant sur la population rurale.
Ce sont 6500 rebelles qui ont désormais infiltré le pays. Des milliers de recrues continuent d’arriver aux camps de bases zambiens de la ZIPRA. Aiguillonnée par les insinuations de Mugabe quant au fait que seule la ZANLA se bat, elle reprend sérieusement le combat. Le 7 septembre, à l’aide d’un SAM-7 russe, elle abat un avion civil et assassine 10 des 18 survivants. La loi martiale est instaurée 2 jours plus tard. La colère des Blancs est telle que Smith coupe toute relation avec Nkomo alors que les négociations « secrètes » qu’ils mènent depuis des années semblaient sur le point d’aboutir. Une occasion de pousser à la reconnaissance internationale vient de partir en fumée.

Militairement les Rhodésiens mettent enfin en place une stratégie globale qui inclut :
1-Protéger les zones sensibles (mines, dépôts de carburant, usines, grandes fermes, pont, chemin de fer, etc.)
2- Interdire à la ZANLA les « Terrains d’importance tactique » (les terres tribales) en :
- y intégrant des auxiliaires pour aider au rétablissement de l’administration civile et en coupant les liens entre les insurgés et leurs soutiens
- utilisant la mobilité stratégique des Fire Forces et des groupements plus importants
3- Interdire les incursions ennemies via le contrôle des frontières
4- Monter des raids dans les pays voisins, particulièrement le Mozambique et la Zambie, pour détruire la chaîne de commandement des rebelles, détruire leurs bases, réserves de nourriture et de munitions, empêcher l’arrivée de renforts et bloquer leurs mouvements par bombardement aérien, minage de route et embuscade.
Si elle ne fait finalement que reprendre ce qui est fait sur le terrain depuis des années, cette stratégie n’est plus un simple principe « action/réaction » mais bien vue comme un ensemble cohérent requérant la pro-activité des RSF.
L’utilisation de troupes auxiliaires africaines, les Security Force Auxiliaries, est une idée qui porte en elle les germes du succès. Jusqu’à 10000 auxiliaires, vivant au milieu des tribus et utilisant les mêmes tactiques que les insurgés leur interdisent peu à peu le bush. Pour la première fois les RSF ont des hommes pour occuper le terrain qu’elles remportent.
Les Fire Forces sont de plus en plus létales mais excessivement mises à contribution. Les paras en viennent à sauter quotidiennement, avec un record de 3 sauts opérationnels en une seule journée. Lors des opex, le manque de chasseurs de soutien (« économisés » du fait de la rareté des pièces de rechange) se fait sentir et les forces terrestres souffrent face à un ennemi qui commence à s’adapter et à renforcer ses défenses, notamment anti-aériennes. Par crainte de la réaction internationale Smith se refuse à attaquer des cibles économiques.
En Mai, la zone d’opération Splinter est ouverte pour surveiller le lac Kariba. En octobre, les RSF anticipent une attaque de grande envergure de la ZIPRA. Le 19, lors de l’opération Gatling, les Canberras et Hunters de la RhAF prennent le contrôle de l’espace aérien zambien. Lusaka préfère prudemment obéir à l’injonction qui lui a été faite de ne pas se manifester. Les chasseurs soutiennent massivement les forces terrestres qui attaquent les camps de Chikumbi, Mkushi et Mborama et font 1500 morts.
Malgré tout le moral des Blancs ne cesse de décliner. La situation s’est détériorée au point que les RSF n’ont humainement plus les moyens d’y faire face. Les pertes quotidiennes militaires et surtout civiles montent sans cesse et des groupes d’insurgés de plus en plus importants franchissent les frontières (9000 fin 1978). Le solde migratoire annuel est de -13709. Le PF est en train d’atteindre ses objectifs : perturbation de l’économie et des services gouvernementaux, intimidation de la population, démonstration de l’incapacité du gouvernement à la protéger.
Le 11 décembre, la ZANLA réalise son plus beau coup : la destruction d’1/4 du précieux fuel rhodésien lors d’une attaque au missile du dépôt de Salisbury.

Fin Janvier 1979 plus de 11000 insurgés occupent la Rhodésie. Le 12 février un nouvel appareil civil est abattu au SAM-7. Cette fois, il n’y a aucun survivant.
Les Rhodésiens répliquent par une attaque du camp de Luso, à 1000km à l’intérieur des terres de l’Angola.
Les opex se multiplient et les RSF continuent de marquer des points malgré des pertes croissantes (Les ¾ des pertes rhodésiennes ont lieu entre 1978 et 1980). A cela s’ajoute le « sponsoring » du RENAMO, qui commence à sérieusement affaiblir le FRELIMO et laisse aux Rhodésiens une plus grande liberté d’action. En avril les SAS tentent d’assassiner Nkomo à Lusaka. De toute évidence prévenu, il parvient à s’enfuir quelques heures avant le coup programmé. Des rumeurs d’infiltration du ComOps par le MI6 britannique commencent à circuler.
La CIO devient suspecte.
Dans cette ambiance délétère au sein des Etat-majors, les élections d’avril se déroulent plutôt convenablement.
Les RSF déploient plus de 60000 hommes (soit la quasi-totalité de leurs ressources, Territoriaux et Réserves incluses) pour empêcher les guérilleros de troubler le vote. Malgré les consignes de la ZANLA et de la ZIPRA, 62% de la population se rend aux urnes. Au cours du mois 650 guérilleros sont abattus dont près d’1/3 durant les 3 jours de l’élection. Muzorewa est élu et on espère voir la fin du conflit. La guerre est mise entre parenthèses pendant quelques semaines.

1979-80 : …et désillusions
Le 1er juin 1979, le pays est renommé Zimbabwe-Rhodésie. Cependant, la plupart des pays de la communauté internationale refusent de reconnaître le résultat des élections. Cette fois c’est la fin. Fort du soutien en interne (malgré des dissensions avec Sithole qui n’a pas digéré sa défaite) et d’une légitimité internationale, le gouvernement de Muzorewa aurait peut-être pu battre Mugabe et Nkomo. Les violences reprennent dans les zones tribales où les insurgés tentent de réaffirmer leur influence, le moral des RSF et de l’opinion publique s’effondrent. Les USA, la Grande Bretagne et l’Afrique du Sud font de nouveau pression pour qu’un « vrai » gouvernement de transition soit mis en place. Les négociations de la Commonwealth Conference débuteront à Lancaster House, près de Londres, le 10 septembre.
La réponse du ZANU et du ZAPU est une intensification des combats.

Mugabe et Nkomo réaffirment leur unité de façade pour renverser Muzorewa. Leurs armées respectives ne s’entraînent pourtant pas ensemble et s’affrontent toujours sur le terrain. La ZIPRA entend dérober la victoire à la ZANLA au moment opportun. Elle déploie pour cela 3000 hommes en Rhodésie comme avant-garde. La ZANLA réplique en lançant une offensive dans le Matabeleland que la ZIPRA contre en pénétrant au Nord-Ouest du Mashonaland, menaçant ainsi Salisbury par le Nord. En octobre et novembre les RSF utilisent leur supériorité aérienne et les paras pour détruire ses dépôts de munitions zambiens et faire sauter les principaux ponts qui traversent le Zambèze.
La ZIPRA voit ses possibilités de mouvement et de ravitaillement réduites à presque rien. La Zambie, au bord de l’asphyxie économique, pousse Nkomo à négocier.
De son côté la ZANLA, avec 10000 hommes, persiste à sécuriser son contrôle politique sur les tribus Shonas. Pourtant, elle est au bord de la rupture : Les Fire Forces, le minage des voies de transit, les opex et la gêne qu’elles créent au Mozambique et le déploiement des SFA portent incontestablement leurs fruits. Ainsi, la RhAF détruit directement les armureries du FRELIMO sur son territoire, le forçant à replier le gros de ses stocks à Maputo. Craignant une intervention sud-africaine le Mozambique n’a d’autre choix que de supporter ces incursions, tout en ne cessant pas d’apporter son soutien à la ZANLA.
En septembre l’opération Uric est menée dans la province du Gaza contre un rassemblement de troupes ZANLA/FRELIMO. Considérée comme un demi-échec par les RSF qui n’ont pu atteindre la totalité de leurs objectifs, elle coupe néanmoins les principales zones de cultures vivrières du Mozambique du marché intérieur et met le FRELIMO sur la défensive. En conséquence le président Samora Machel pousse plus que fortement Mugabe à participer à la conférence de Lancaster House et de trouver une solution au conflit. En novembre l’opération Manacle, destinée à détruire les principaux ponts des provinces de Tete, Sofala et Manica est avortée sur conseil du chef de la CIO. Une nouvelle fois stratégie et politique marchent dans des directions opposées.

A Lancaster House la délégation de Muzorewa, divisée par les Britanniques, s’affaiblit chaque jour davantage et Londres parvient à arracher un accord aux belligérants. Muzorewa pousse à des élections générales anticipées pour empêcher le ZANU et le ZAPU de rassembler leurs électorats respectifs tandis que le PF fait traîner les choses pour tenter de reprendre la main politiquement et militairement. Dans le même temps la pression est mise sur les Rhodésiens pour qu’ils cessent les opex. Le 12 décembre Lord Soames est nommé gouverneur général du Zimbabwe-Rhodésie (ramenant de ce fait le pays dans le giron de la Couronne) durant la phase de transition jusqu’aux élections prévues pour mars 1980.
Le 21 décembre un cessez-le-feu est signé dont les conditions sont impitoyablement violées par le PF.
La ZIPRA se constitue les points de résistance nécessaires à sa future tête de pont qui doit lui permettre d’éliminer la ZANLA. Cette dernière maintient la plupart de ses forces sur le territoire rhodésien et en infiltre quantités d’autres. Elle reconstitue ses stocks d’arme et de munitions et « travaille » d’arrache-pied la population pour assurer sa victoire aux élections.
Muzorewa ne peut que protester auprès de Lord Soames, sans effet. Les Britanniques sont allés trop loin pour reculer. Le 4 mars 1980, à la stupéfaction générale, Robert Mugabe est élu 1er ministre de la République du Zimbabwe, résultat entériné par la communauté internationale. Les observateurs de la Commonwealth Monitoring Force s’empressent de quitter le pays. Il ne reste à ceux qui le peuvent qu’à quitter le pays et aux autres à endurer la guerre civile entre le ZANU et le ZAPU qui reprend après 2 ans de paix relative et fera de nouveaux des milliers de victimes.
Les pertes humaines du conflit sont évaluées entre 15 et 30000. Les RSF ont perdu plus de 2000 hommes.
Au moins 5000 civils ont été tués en Rhodésie même.

3. Conclusion

Victoire tactique, défaite stratégique
Malgré une supériorité tactique et opérationnelle incontestable, les Rhodésiens sont totalement passés à côté de leur guerre de contre-insurrection. Pendant des années les RSF s’en sont tenues à une stratégie réactive de type
« search & destroy » (« chercher-détruire »), où le kill ratio est la seule unité de mesure du succès au lieu de mettre en place une stratégie de « clear & hold » (« nettoyer-tenir ») plus pro-active et à long terme plus efficace. Le contre-révolutionnaire doit détruire les promesses de la Révolution en prouvant qu’elles ne sont pas réalistes.
En Rhodésie cela fut impossible tant qu’une minorité de Blancs déniait de ses droits une majorité de Noirs.
Si les échelons subalternes surent s’adapter, prouver leur ingéniosité et leur compétence malgré une pression du nombre largement en leur défaveur, les échelons supérieurs et les politiciens ont révélé un manque de coordination et d’imagination préjudiciables au succès.

- Echec des Politiques à mettre en place un commandement unifié intégré
- Pas assez d’emphase mise sur le Renseignement et sur le partage d’informations, trop orientées « Police ».
- Médiocrité des officiers supérieurs. Jusqu’en 1955, la promotion était à l’ancienneté. Le leadership s’en trouva sans distinction et sans imagination.
- Echec de la mise en place d’une véritable stratégie nationale fédératrice.

Le pire échec fut probablement la non prise en compte des sentiments et des besoins de la population noire.
Prise entre 2 feux, elle ne cherchait qu’à vivre en paix. Les Villages Protégés furent plus utilisés comme une mesure de contrôle de la population que comme un outil de contre-insurrection. Jamais les paysans ne furent impliqués dans leur gestion. Une fois déplacés, ils se trouvaient livrés à eux-mêmes et sous la menace des insurgés qui, entre terreur et persuasion, surent les rallier à leur cause. La Guard Force et les SFA furent mises en place bien trop tard pour pouvoir espérer peser sur l’issue du conflit. Trop peu d’attention fut jamais accordée aux pertes collatérales et aux destructions de biens liées aux opérations des RSF. Les mesures de développement économique échouèrent, par manque de moyen et d’intérêt, et les changements politiques impératifs furent retardés bien trop longtemps. L’anachronisme de la situation, 250000 Blancs tentant de conserver une domination politique sur 5000000 de Noirs, ne pouvait déboucher sur une victoire.
Du côté des « révolutionnaires » par contre, la stratégie correcte fut adoptée en 1974. Forte de ses soutiens extérieurs, la ZANLA imposa aux Rhodésiens de se déployer sur un territoire bien trop grand pour leurs ressources. La perturbation des services administratifs et gouvernementaux, l’insécurité régnant dans les zones infiltrées et la mobilisation d’une part croissante de la population finirent par avoir un impact sur l’économie du pays et sur le moral des Blancs, déjà rejetés par la communauté internationale. Ils se mirent à émigrer de plus en plus massivement et finalement par reconnaître la réalité politique. Trop tard.
En se concentrant sur la tactique, les Rhodésiens oublièrent la stratégie. La Rhodésie n’a pas juste perdu la guerre, elle a mené une guerre qu’elle ne pouvait pas gagner.

STRUCTURE SIMPLIFIEE DES RHODESIAN SECURITY FORCES (1979)
VOIR

Le Rhodesian Light Infantry

Le 1/ RLI est officiellement constitué en février 1961 en tant que bataillon d’infanterie « européen » de l’Armée de la Federation of Rhodesia and Nyasaland (ou Central Africa Federation). Il s’établit d’abord à Bulawayo, son personnel étant prélevé sur la N°1 Training Unit (qui servira aussi lors de la création des SAS et de l’escadron de reconnaissance des Selous Scouts). Il s’installe à Cranbourne Barracks, près de Salisbury lors de son retour d’opération sur la frontière avec le Congo.
En 1964 le 1/RLI est transformé en unité commando et gagne le fameux béret vert. Les compagnies deviennent des Commandos. Les pelotons, des Troops, le fantassin, un Trooper ou Troopie.
Il se compose de 3 Commandos + 1 Support Commando (tout d’abord spécialisé dans les mortiers et la reconnaissance, ce dernier ajoute une section de Génie d’assaut et une section Anti-Tank à son effectif en 1976) + 1 troop d’Entraînement + 1 troop de Transmission + Commandement et Services.

Officiers du 1/RLI -1977 (DR)


L’instruction est dure, les opérations de terrains sont lourdes (en général 5 semaines pour 2 semaines de
« repos »). Le RLI joue sur la qualité de ses recrues plus que sur la quantité. A titre d’exemple, en 1979 les 4 Commandos du RLI (1, 2, 3 et Support) sont crédités de 1700 pertes pour l’ennemi, dont 470 pour le seul Support Commando.
Unité d’élite fortement décorée, le RLI développe un fort esprit de Corps, aidé en cela par des officiers qui n’hésitent pas à aller au feu avec leurs hommes. Il capte rapidement l’attention du public et gagne 2 surnoms :
« The Incredibles » et, le plus utilisé, « The Saints ». Sa mascotte est un guépard.
Les Troopies sont la colonne vertébrale des missions Fire Force et détiennent probablement le record de sauts opérationnels pour une seule unité. En 1977, le RLI devient une unité aéroportée et tous ses membres obtiennent leur brevet de parachutistes. Lorsqu’il ne participe pas aux missions Fire Force, le RLI est souvent employé pour les opex, avec les SAS et les Selous Scouts.
Le RLI a la particularité d’être une des 2 seules unités entièrement blanche des RSF avec les SAS. Sa réputation d’excellence attire de nombreux vétérans d’autres armées, principalement sud-africains, britanniques, américains et australiens (entre 25 et 30% de l’effectif à la fin de la guerre).
Cinq officiers et 80 hommes ont été tués par l’ennemi entre 1966 et 1979. Seize sont morts en opération d’autres causes (accidents…).
Le 1/RLI est dissous en octobre 1980 et remplacé à Cranbourne Barrack par le 1st Commando Battalion, Zimbabwe National Army.


Trois « Saints », probablement en mission de garde des rues de Salisbury début 1980 (DR)
Présentation des couleurs (DR

Les Selous Scouts

1. Historique

L’idée de la création des Selous Scouts voit le jour en 1973 lorsqu’il apparaît de plus en plus évident que les méthodes traditionnelles sont inefficaces face à l’infiltration des insurgés sur le territoire rhodésien.
Le besoin de membres infiltrés (en anglais pseudo-ters, ters étant le diminutif de terrorists) des RSF dans les zones contrôlées par les rebelles à fin de renseignent est perçue entre autres par le brigadier Hickman.
La Special Branch (SB, Renseignements de la Police), les SAS et les RAR font quelques tentatives sans succès avant que le général Walls ne demande au capitaine Ron Reid-Daly, qui vient de quitter l‘Armée et qui servit sous ses ordres en Malaisie et an tant que Regimental Sergeant Major au 1/RLI de former les Selous Scouts.

Leur nom vient du célèbre explorateur du 19e siècle Frederick Selous, ami personnel de Cecil Rhodes, qui participa à l’exploration et à la « pacification » du territoire qui allait devenir la Rhodésie.
Priorité est donnée à l’unité et des baraquements sont rapidement établis à Inkomo (renommés « Andre Rabie » en hommage au 1er instructeur régulier des Scouts, tué en opération en 1973) et un camp d‘entraînement près du lac Kariba nommé Wafa Wafa («Si je meurs, je meurs… »).
Sa devise est « Pamwe Chete » (« Tous ensemble »), son emblème un balbuzard (en anglais osprey). Dans la mesure où les Scouts sont clairement destinés à devenir des traqueurs, la Tracking Unit de Kariba (formée en 1967) est mise à contribution.
La mission des Scouts est d’assurer la récolte d’informations, par des moyens « clandestins ». Ils doivent localiser l’ennemi, juger de sa force et de ses intentions et retourner l’information à fin d’élimination de ce dernier.
L’unité est tout d’abord envisagée de la taille d’une compagnie (120 h.), divisée en troops puis en 3 tracker combat teams (sections) de 8 hommes. Chaque section est commandée par un sergent blanc, chaque troop par un lieutenant et un Warrant Officer II (à peu près l’équivalant d’un adjudant). Lorsque l’unité grandira en taille, la structure sera conservée, le rang des officiers et sous-officiers étant variables.
Quelques Américains ou Britanniques serviront en tant qu’officiers, apportant avec eux leur expérience du Vietnam ou de l’Irlande du Nord.
Travaillant en collaboration étroite avec la SB, les Scouts obtiennent vite d’excellents résultats qui incitent à utiliser des insurgés « retournés », payés par la SB, et à infiltrer l’ennemi en niveau 3 (Cf. Principe tactique N°4 : L’infiltration in Champs de Bataille N°30, Octobre-Novembre 2009). Très peu de « retournés » joueront double jeu et trahiront les Scouts qui deviennent les yeux et les oreilles des missions Fire Force. Fin 1974 les Scouts ont 221 ennemis tués ou capturés à leur actif.
Leur efficacité désormais prouvée, la prochaine étape est l’expansion de l’unité et son utilisation lors des opex.
En 1976 ont lieu les premières infiltrations au Mozambique. Que ce soit en sticks de 3 hommes ou en colonne volante, les résultats des raids des Scouts sont hors de proportion avec les effectifs engagés.
La fin de la guerre est pénible pour les Scouts. Les méthodes peu orthodoxes de Reid-Daly et son tempérament querelleur lui ont attiré beaucoup d’inimitiés.
L’unité, qui compte désormais 1000 membres, est nettement moins « spéciale » qu’auparavant, en dehors de son noyau dur. On soupçonne certains membres de se livrer au braconnage, au trafic d’armes et d’ivoire. La ZANLA et la ZIPRA, relayées par la presse internationale, les accuse d’exactions et d‘assassinat. En janvier 79, Reid-Daly découvre un micro dans son bureau. Deux jours plus tard il se lance dans une violente attaque personnelle et publique contre Hickman qui l’emmène en cour martiale. Bien que seulement réprimandé, Reid-Daly démissionne.
L’unité est dissoute en 1980. Malgré des tactiques parfois suicidaires face à une ennemi supérieur en nombre, les Scouts ne subirent que 36 pertes pendant leur période d’activité. Menacés de poursuites comme criminels de guerre par le nouveau régime de Robert Mugabe, la plupart d’entre eux rejoignent l’Afrique du Sud (souvent en amenant avec eux les « retournés » dont la vie est menacée) où il font profiter le 5. Recce Commando de leur expérience.


Les Selous Scouts : Formés en 1973. Spécialisés dans l’art de l’infiltration. Principalement composés de Noirs, recrues ou ex-insurgés « retournés », ils se fondent dans les territoires contrôlés par les rebelles et se font passer pour des révolutionnaires. Experts dans l’art de la dissimulation et de l’observation, ils récoltent des informations, repèrent les camps et les mouvements de l’ennemi et y dirigent les Fire Forces ou les « colonnes volantes » des opex. Capturent (ou enlèvent) des prisonniers. Très controversés de par leur nature même, ils sont d’une efficacité redoutable. Même s’ils ne sont pas les tireurs, ils sont crédités de 70% des pertes ennemies sur le territoire rhodésien (DR)


2. Recrutement-Entraînement-Equipement

Par définition l’unité est racialement intégrée, probablement noire à 80%. On comptera jusqu’à 1000 « retournés » au sein de l’unité.
Le recrutement n’est à aucun moment un problème malgré une sélection rigoureuse (85% de rejets), même au regard de celle des SAS. En fait, plusieurs unités se plaignent du départ de leurs hommes vers les Scouts. Selon Reid-Daly, « un soldat des forces spéciales doit être d’un certain calibre. Il doit être intelligent, endurant, courageux, loyal, professionnel, mature-son âge idéal est entre 24 et 32 ans-responsable et auto-discipliné ».
Chaque homme doit être à la fois un solitaire, capable de vivre seul dans le bush, mais aussi capable de travailler en équipe.
L’entraînement est d’un réalisme extrême. Les recrues sont préparées à survivre seules ou en petits groupes dans un environnement difficile, quadrillé par l’ennemi. La recrue doit apprendre à vivre sur le bush, à se déplacer dans le bush, à lire le bush…
Les 25 derniers km avant d‘arriver à Wafa Wafa se font au pas de course. Pas de baraquements, pas de tentes. Suivent 5 semaines d’enfer: De l’aube au crépuscule, sport et entraînement de jour. Et pour bein finir la journée, entraînement de nuit. Le parcours du combattant se fait sur des pentes vertigineuses pour forcer les hommes à surmonter la peur du vide. Lorsque les recrues arrivent, aucune ration n‘est distribuée.
Il faut se débrouiller avec la nature environnante. Le 5e jour un singe est abattu et pendu à un arbre, en plein soleil. Le 8e jour il est vidé et bouilli, avec les vers qui ont comme
ncé le dévorer. La viande pourrie est comestible si convenablement bouillie. Mais, selon Reid-Daly « les hommes avaient besoin de l’apprendre via l’expérience.
Sans cela, bien qu’affamés, ils ne l’auraient jamais fait en mission ».
Les 3 derniers jours sont dédiés à une marche d’endurance. Chaque homme porte son arme, quelques rations et 30kg de cailloux (peints en verts ou numérotés afin qu’on ne puisse s’en débarrasser) qu’ils doivent porter sur 100km. Les 12 derniers km sont à parcourir en 2h30 maximum. Cette première phase, extrêmement dure, a des applications concrètes: Fin 1976, infiltré au Mozambique Dennis Croukamp est séparé de ses compagnons. Sans nourriture, sans moyen de communication et poursuivi par le FRELIMO il rejoint la Rhodésie après 6 jours et 200km de marche en plein bush.
Les « survivants » ont droit à une semaine de repos avant d’entrer dans la « phase sombre ».
Là, on leur enlève toutes leurs habitudes (se raser, fumer, boire, se lever à heures régulières…) et on leur apprend à se comporter comme des rebelles, à se déplacer comme des rebelles, à communiquer comme des rebelles, à tirer avec les armes des rebelles.
Ils apprennent à se sortir d’une embuscade en tirant de courtes rafales sur toutes les cachettes probables de l’ennemi. Effet 360° garanti! La discipline de feu, qui manque cruellement aux rebelles, est primordiale.
Ils apprennent aussi à tirer pour tuer : Un système de mannequin avec des ballons est mis en place.
Le mannequin tombe ou non en fonction de l’habileté du tireur.
A partir de 1976 les Selous Scouts deviennent eux aussi parachutistes (ligne statique et chute libre), spécialité jusque-là réservée aux SAS.
Le FN-FAL et le H&K G3 sont les armes standards des RSF. Comme ils se font passer pour des rebelles, les Scouts utilisent leurs armes : AK-47, RPD, SCD (sniper). Leur mission les amène à cacher sur eux des armes de poing : le CZ75 et le Beretta 951 sont très populaires. Les uniformes et équipements utilisés ne s’encombrent pas de règlement: le brêlage est allégé, on utilise ce qui est efficace plus que ce qui est prescrit (shorts, Pataugas…).
Lorsque la recrue est prête, elle est intégrée à un stick où elle est généralement utilisée en flanc-garde.
Lorsqu’elle est suffisamment expérimentée, elle devient un membre à part entière du stick.
Pour un junior inexpérimenté il faut 8 mois pour devenir un Selous Scouts.
Les moyens de transport vont du kayak, en passant par la jeep, le Land Rover, le Ferret (abandonnés en novembre 76 au profit de l’Eland), divers véhicules standards modifiés et/ou réarmés (tel le PIG), l’Alouette III, le Dakota (et un parachute…)

3. Tactiques

A. Infiltration niveau 1 :
Le stick installe un Observation Post (OP), si possible en hauteur et proche d’une zone d’activité insurgée probable et y reste pendant une longue période, tout en restant invisible à l‘ennemi. Il transmet régulièrement par radio toutes les informations qu’il recueille et les transmet au QG. Les renseignements recueillis permettent d’envoyer une mission Fire Force, généralement dévastatrice pour l’ennemi. Plus tard dans le conflit les insurgés sauront en partie s’adapter. Ratissage, utilisation de jeunes enfants gardiens de troupeaux pour repérer et signaler les OP.
Ils utiliseront aussi une méthode simple mais efficace: changer de tenue une fois arrivés dans un village. De loin, il devient dès lors très difficile de les repérer et d‘estimer leur force.
B. Infiltration niveau 2 :
C’est le principe de la colonne volante qui est le plus utilisé, en particulier depuis le succès de l’opération Long John. Les Scouts, renforcés ou non de membres des SAS ou du RLI s’infiltrent dans un pays frontalier en se faisant passer pour des rebelles ou des membres des forces locales. En août 1976, 72 Scouts déguisés en soldats du FRELIMO (les Blancs se maquillent de manière à faire illusion, au moins à moyenne distance) pénètrent dans le camp de Nyadzonya où a lieu un grand rassemblement de 5000 guérilleros. Utilisant toutes leur puissance de feu (contre une majorité d’hommes désar
més, il convient de le préciser), ils tuent plus de 1000 rebelles et font plus de 500 blessés pour 5 blessés dans leurs rangs. Militairement efficace, ce type d’infiltration peut se révéler désastreux politiquement et la Rhodésie subit de plein fouet la vindicte internationale suite à cet assaut sur ce qui est qualifié de « camp de réfugiés ».
Les infiltrations à fin d’embuscades, de sabotage, d’enlèvement (tel celui d’un officiel de la ZIPRA à Francistown, Botswana en mars 1974), élimination directe peuvent se faire par héliportage, saut en parachute (ligne statique ou chute libre), transport en camion, mais toujours à plusieurs kms de la cible afin de ne pas éveiller l’attention.
C. Infiltration niveau 3 :
Sur information de la SB, des sticks infiltrent les zones contrôlées par les insurgés et tentent de se faire passer pour d’authentiques guérilleros. L’utilisation de « retournés » est d’une aide précieuse.
Une fois la phase dite de « validation » acquise, le stick tente de réunir toutes les informations possibles sur les forces locales et le soutien qu’elles peuvent avoir. Il en informe ensuite les unités de combat qui se chargent d’éliminer l’ennemi chez lui. Le but n’est pas de se charger directement de la mission, maintenir sa couverture est tactiquement beaucoup plus important.
D. Patrouilles et Traque :
Beaucoup de Scouts, originaires des zones rurales sont naturellement de bons chasseurs. Il changent de gibier et suivent parfois pendant une semaine les traces des insurgés, se déplaçant uniquement au petit jour et au crépuscule, au moment où les rayons à l‘oblique du soleil permettent de repérer le moindre mouvement.
Ils peuvent repérer le moindre signe de déplacement de l’ennemi et le suivre pendant des jours.
Ils passent maître dans l’art de l’embuscade. Moins consciente de la notion de sécurité que les RSF, la guérilla a rarement accès à des moyens de communications modernes (et quand elle en a n’a pas pour coutume d’utiliser de codes) et utilise beaucoup l’écrit. Cette (mauvaise) habitude permet aux Scouts de récupérer de nombreuses informations d’importance capitale en plus des prisonniers capturés.

4. Impact des Selous Scouts

Les méthodes peu orthodoxes des Scouts, en fait celles de leurs ennemis, leur permit d’acquérir une réputation mitigée. Elite à l’efficacité exemplaire pour les uns, simples tueurs pour les autres.
Quoi qu’il en soit, les Selous Scouts furent de meilleurs guérilleros que leurs ennemis et surent et montrer ce qui pouvait être fait en matière de contre-insurrection sans contraintes et avec de l’imagination.
En portant la guerre aux insurgés et en leur montrant qu’ils n’étaient pas en sécurité, même sur le propre terrain, les Scouts eurent un effet débilitant hors de proportion avec leur effectif. Il arriva plusieurs fois que 2 groupes rebelles se tirent dessus par peur que l’autre ne soit des Selous Scouts. Ils devinrent tellement bons dans l’art de se faire passer pour des terroristes que les zones où ils opérèrent furent souvent déclarées « gelées » pour éviter les « tirs amis ».
Les chiffres parlent d’eux-mêmes: Même s’ils n’appuyèrent pas directement sur la gâchette on estime que 70% des rebelles éliminés sur le territoire rhodésien le furent grâce aux Scouts.
La seule Grand Cross of Valor (plus haute décoration militaire rhodésienne) décernée durant le conflit le fut au capitaine Chris Schulenberg.



SOURCES :
- Abbott, Peter et Botham, Philip: Modern African wars (1): Rhodesia 1965-80, Men-at-arms N° 183, Osprey, Londres, 1986.
- Cilliers, J.K.: Counter-insurgency in Rhodesia, Croom Helm, Londres, 1985
- Croukamp, Dennis: The bush war in Rhodesia, Paladin Press, Boulder, 2007
- Downie, Nick: Rhodesia guerilla warfare: A study in military incompetence
- Lohman, Charles M. (Major, USMC) et MacPherson, Robert I. (Major, USMC): Rhodesia: Tactical victory, Strategic defeat, Marine Corps Command and Staff College-Marine Corps Development and Education Command, Quantico, 1983.
Moorcraft, Paul & McLaughlin, Peter: The Rhodesian war, a military history, Pen& Sword Military, Barnley, 2009
- Pinkston, Bobby Ray (Lieutnant-colonel, US Army): The rhodesian insurgency: A failure in regional politics, US Army War College, Carlisle, 2005.
- Wood, JRT: Fire Force: A history of helicopter warfare in Rhodesia, 1962-1980
- Wood, JRT: Rhodesian insurgency
- Site des RSF: http://www.rhodesianforces.org/

 

Menu