Monsieur Daniel Costelle
Par Daniel Laurent

Daniel Costelle
(Nils Dupuy / TF1)

 

Daniel Costelle est un documentariste et auteur de télévision qui a réalisé de nombreux documentaires historiques et un film de long métrage, Apparitions, en 1991.
Passeur de mémoire, raconteur d'histoires et de l'Histoire, Daniel Costelle consacre son existence à la mémoire et aux images du passé. S'il s'essaye en 1957 au court métrage avec Le Jeu de la nuit, avec Stéphane Audran et Maurice Pialat, c'est dans le rôle de documentariste à la télévision que Daniel Costelle trouve la célébrité, récompensée en 1966 par le Grand Prix de la Critique pour son film Verdun.
Il multiplie alors les projets, enchaînant un nombre impressionnant de séries et d'émissions, toujours avec ce même souci de conserver et de dévoiler les archives filmées.
Parmi tant d'autres, on trouve Les Grandes batailles, Histoire des inventions, Histoire de la Marine, Histoire des trains, Quand la Chine s'éveillera, Les Oubliés de la Libération ou encore Jean-Paul II. Lui même passionné d'aéronautique, son Histoire de l'aviation marque les esprits. Sa précédente association avec la réalisatrice Isabelle Clarke nous a donné La Guerre du Viet Nam – Images Inconnues. En outre, en 2007, La Traque des nazis, diffusée sur France 3, vient une nouvelle fois démontrer la qualité du colossal travail d'archivage de Daniel Costelle.
Signalons aussi son Eva Braun / Dans l’intimité d’Hitler (première diffusion : TF1, 12 juin 2007) dont un membre émérite de notre forum, François Delpla, fut le conseiller historique.
Daniel Costelle a reçu la légion d'honneur des mains du ministre de la culture Jean-Jacques Aillagon le 17 juin 2003.
En recevant cette distinction, il a tenu à préciser que « à travers lui, ce sont tous ceux qui se préoccupent de conserver les archives filmées de ce siècle qui sont récompensés ».
Sa nouvelle série documentaire Apocalypse, la 2éme Guerre mondiale réalisé avec Isabelle Clarke, sera très certainement l'événement de la rentrée 2009 sur nos écrans.
Il a fort aimablement accepté de nous en dire plus. Qu’il en soit vivement remercié car rares sont les auteurs qui acceptent ainsi d’aller au-devant de leur public sur des plateformes « internautiques ».

Daniel Laurent : Où se situe le « déclic » qui vous a lancé dans cette carrière ? Quel fut le premier vieux film qui vous a décidé de faire en sorte de protéger et diffuser ces images ?

Daniel Costelle : En fait, je ne me destinais pas du tout au documentaire mais à la fiction. Cinéphile passionné depuis la Terminale, j’étais proche de toutes les idées des Cahiers du Cinéma et je fréquentais beaucoup la Cinémathèque. Mon metteur en scène préféré était (et reste) Howard Hawks, dont je ne cesse d’admirer la perfection dans la franchise, la clarté, les rapports directs entre les hommes (et les femmes).
Il se trouve que mon film préféré est Air Force, auquel ont d’ailleurs collaboré Raymond Chandler (mon écrivain préféré) et Faulkner…ce qui n’est pas rien. Peut-être que ce film de guerre m’a en effet entraîné vers un intérêt pour la seconde guerre mondiale. J’ai aussi pris dans Hawks la scène du Sergent York lors de laquelle Gary Cooper raconte son exploit, à la fin. Je l’ai souvent dit, c’est cette scène (Cooper, le Sergent York, dit : « Vous voyez, j’étais là, j’ai fait ça ») qui est à l’origine de toute la mise en scène de la série des Grandes Batailles – amener les témoins à l’endroit où ils étaient. Mais cela ne répond pas à votre question sur les documents d’archives cinématographiques.
J’ai commencé par des courts-métrages de fiction – je n’ai réalisé qu’un seul long-métrage, d’ailleurs c’est un très bon souvenir - puis je suis devenu assistant de pas mal de réalisateurs, comme Clouzot, et j’ai aussi réalisé des sujets pour différents magazines de télévision. J’ai été repéré par le patron de l’information de l’époque, Jean-Louis Guillaud, qui est resté quelqu’un que je respecte et que j’aime toujours beaucoup, qui m’a fait réaliser un très grand projet, pour quelqu’un d’aussi jeune, Verdun (1966) un véritable longmétrage historique qui a eu ce grand prix. Du coup j’avais découvert le document d’archives, j’étais complètement mordu, je voyais instinctivement que jamais la fiction ne pourrait égaler cette vérité. Les morts étaient de vrais morts et ne se relevaient pas après le tournage. Et puis le succès et les récompenses de Verdun ont forcément entraîné ce qu’on appelle la systématique des producteurs.
Je ne m’en plains pas, je pense avoir fait beaucoup de choses, mais c’est vrai que j’ai été catalogué et que j’ai surtout fait des films d’archives. Cela dit, je ne m’en lasse pas et je suis toujours estomaqué quand je découvre des documents nouveaux, ce qui est le cas avec Apocalypse. Et puis, au cours des années, je suis devenu un vrai spécialiste. Je sais où ils sont, qui les détient, comment les avoir, ces documents. Avec une équipe formidable, des fanatiques comme moi. Morgane Barrier, directrice des recherches, une merveille, Antoine Dauer, notre assistant franco-allemand, épatant, et notre producteur, Louis Vaudeville, un très grand producteur vraiment, qui a réussi à rassembler les moyens d’une recherche planétaire.


DL : Un grand nombre de vos films sont consacrés à la seconde guerre mondiale en général et au nazisme en particulier. Fruit du hasard de vos découvertes ou intérêt personnel particulier ?

DC : C’est certain que je n’arrête pas de régler des comptes avec la guerre en général et les nazis en particulier.
La guerre est terrifiante et je la montre terrifiante. Les nazis sont d’horribles salauds. Mais je crois que le fond de la question, c’est l’Histoire. L’Histoire est passionnante, passionnante à découvrir et à raconter, et la Télévision m’a souvent demandé de raconter l’Histoire et les histoires de la seconde guerre mondiale. Inépuisable sujet que nous nous efforçons de mettre en scène avec le maximum d’efficacité et d’originalité.


DL : Votre dernier documentaire, Apocalypse, sera prochainement sur nos écrans. Pourriez-vous nous expliquer
le pourquoi du titre ?

DC : Isabelle Clarke et moi nous étions dès le début du projet, décidés à innover sur tous les plans, et j’ajoute que, par rapport à votre article, ma collaboration avec Isabelle Clarke n’a « en rien entamé la qualité de mon travail ».
Mon Dieu…c’est carrément l’inverse. Elle m’a apporté son talent, son énergie, sa lucidité, son extraordinaire compétence professionnelle. Mon travail, depuis notre rencontre, et son travail, c’est la même chose. Depuis vingt ans et une quarantaine de films, nous sommes les frères Coen ou Taviani. Pas seulement un couple. Un seul. Alors donc nous voulions raconter un désastre planétaire et le faire d’une manière nouvelle : le mot apocalypse s’imposait, qui signifie à la fois le désastre, dans son acception habituelle, et « révélation » dans son étymologie.


DL : Quelques « puristes » vous reprochent d’avoir colorisé certains films d’époque. Qu’en dites-vous ?

DC : En effet, nous avons été confrontés à une sorte de critique de nature fondamentaliste.
Ce qui nous a surpris et pour tout dire choqué, c’est qu’ils n’ont pas vu l’incroyable qualité du travail de François Montpellier, le « coloriste » - vous savez qu’il y a deux ou trois laboratoires qui font ça dans le monde, les plus importants étant en Californie et dans le 15ème arrondissement de Paris – François Montpellier.
C’est un artiste, il travaille seul – il a fait un boulot surhumain – et pour une minute de couleur il a fallu trois ou quatre jours de travail d’historiens. Je crois que le résultat est stupéfiant, en tout cas il me stupéfie. L’une des étapes aussi de ce que nous appelons « redonner la couleur » (plutôt que ‘colorisation’ est une restauration des images, la disparition des taches, rayures, etc.
Donc nous avons fait du bien aux archives et à la mémoire (voir votre question suivante) mais la position des intégristes de l’archive, il y en a, vous le voyez, c’est qu’il ne faut pas toucher au noir et blanc abîmé, c’est sacré, et c’est absurde.
Ces gens qui font des audiences confidentielles, en quoi servent-ils la mémoire ? En quoi amènent-ils à cette mémoire le public jeune ? Je suis stupéfait qu’on puisse encore poser de telles questions. Cela fait des années que nous redonnons la couleur, depuis « Les Ailes des Héros » et nous ne sommes pas les seuls. Je croyais le débat clos depuis longtemps, mais dans le microcosme parisien, quand vous faites une grande et belle oeuvre, ça grince.
Nous nous posons une question sur cet intégrisme des documents d'archives en noir et blanc. D'accord. Suivons cette logique : il ne faut pas non plus les sonoriser, ni mettre de la musique derrière…


DL : L’essentiel de votre oeuvre est consacrée au « devoir de Mémoire ».
Quelle est votre définition de ce « devoir » ?

DC : Voilà, c’est ce qu’on vient de dire. Mais voyez vous, j’ai été très marqué par l’enseignement de Gaston Bouthoul.
Renseignez-vous, cher lecteur, sur ce penseur fondamental de la guerre, et vous, renseignez vos lecteurs. Bouthoul a créé une science, la Polémologie, et écrit des ouvrages très importants comme « La Guerre » et « La Paix », et il dit beaucoup de choses très importantes, dont l’une est un moteur de notre action : « Si tu veux la paix, connais la guerre » il faut sans arrêt lutter contre l’amnésie. L’agressivité collective se fonde sur l’oubli des désastres des guerres précédentes. La guerre, maladie mortelle de l’humanité.


DL : Vous vous êtes intéressé à la Libération de la Pologne dans votre série « Grandes Batailles ».
Selon vous, Staline a-til délibérément laissé Varsovie à elle-même pour une question politique ? Serait-il intervenu plus rapidement si le soulèvement avait été manifestement communiste ?

DC : Alors là, je disais plus haut que les nazis avaient été d’horribles salauds, mais Staline, dans le genre, n’est pas mal non plus. Nous le montrons très clairement dans Apocalypse et nous employons les mots qu’il faut. Staline a fait assassiner à Katyn l’élite des officiers polonais (je vous recommande ce document inédit incroyable que nous montrons, dans la première émission, les généraux polonais Sikorski et Anders qui donnent à Staline, à Moscou en 1942, la liste des officiers polonais disparus, et Staline qui fait l’étonné, ça c’est un document). Bien entendu, il a laissé massacrer la résistance polonaise par les SS, mais vous pouvez être certain qu’il l’aurait fait lui-même, après sa conquête de la Pologne.

DL : Avez-vous eu le temps de visiter notre forum et nos publications ? Si oui, que pense le professionnel que vous êtes de ces initiatives d’amateurs ? Vos éventuelles remarques et conseils nous seraient extrêmement précieux.

DC : Je n’ai eu que peu de temps, mais je suis déjà très impressionné. Je ne crois pas depuis longtemps à la toute science des universitaires les plus titrés, mais à la profonde connaissance des amateurs. C’est ce que j’avais développé dans la série Les Grandes Batailles du Passé. Je crois et j’admire les passionnés, qui ont développé un savoir précis et qui sont imbattables. Bravo !

DL : Vous êtes, dans votre domaine, une sommité incontournable et incontestée. Pourquoi avez-vous gentiment
accepté de perdre un peu de votre temps pour répondre aux questions d’un collaborateur d’un Webzine qui, malgré ses mérites, n’est pas au top du hit-parade médiatique ?

DC : Je suis absolument persuadé que vous êtes déjà dans l’avenir. Il est clair que tout magazine qui détruit à sa parution une forêt est une survivance du passé. Ce n’est pas la peine de conseiller à vos lecteurs d’imprimer votre revue. Elle est très bien comme elle est, dans un disque dur. Combien de temps faudra-t-il à l’éducation nationale pour concentrer tous les manuels dans un Note book ? Quel impact cela aura sur la santé publique, qui doit prendre en charge des centaines de milliers de scolioses dues à des cartables de trente kilos…mais combien de temps faudra-t-il aux pouvoirs pour s’adapter à la Play station ?

Menu