Daniel
Laurent : Vous constatez souvent, dans vos écrits, que vos travaux
sont fréquemment négligés, peu lu et peu référencés.
N’y voyez-vous pas une forme de discrédit quant à
vos thèses ? Pourquoi votre travail est-il ainsi négligé
par certains ?
François
Delpla : Une telle situation est évolutive ! Elle tend
petit à petit à s’arranger. Par exemple, un dossier
sur Munich de l’APHG (Association des professeurs d’histoire-géographie)
donne en bibliographie mon site à l’exclusion de tout autre,
au motif qu’il serait stimulant et anticonformiste… et alors
qu’il y est fort peu question de ces accords. Cela prouve au moins
qu’il y a des professeurs qui n’ont pas peur d’afficher
leur soif de recherches novatrices ! Cela dit d’autres vous diront
que je suis conformiste…
Je ne crois pas m’être jamais plaint d’un choix trop
rare de mes travaux par les critiques surmenés qui, pour une
rubrique ou une émission, ont à choisir entre dix publications
importantes parues en même temps. Ce sur quoi je concentre mes
fâcheries dans ce domaine, c’est l’absence d’une
mention de mon travail quand le propos l’appellerait. Ou encore
le fait de le citer mal, de dénaturer voire d’inverser
ses conclusions, d’isoler une phrase d’un article résumant
un livre (ou encore de ma thèse qui en résume quatre)
alors qu’on n’éprouve visiblement aucun besoin d’aller
voir le livre…
Tous les records à cet égard furent dépassés
quand l’auteur d’un petit livre sur la table ronde «
Aubrac » de Libération reproduisit pour les réfuter
certaines de mes formules sans citer ni mon nom, ni mon livre sur la
question.
DL : Vous refusez
que le qualificatif de « révisionniste » (Ne pas
confondre avec falsificateur négationniste) vous soit appliqué.
Cependant, vous révisez, et avec vigueur, certaines théories.
Pourquoi ce refus ?
FD
: Parce que les mots vivent leur vie !
Dans un monde peuplé uniquement de gens honnêtes et instruits,
l’expression « historien révisionniste » ne
pourrait se faire jour car tout le monde y verrait instantanément
un pléonasme. Mais, l’honnêteté et l’instruction
laissant à désirer, cet adjectif a été confisqué
par des marginaux qui, à tort ou à raison, accusaient
des historiens plus installés de ronronner des vérités
officielles. Puis il s’est, notamment dans sa version anglaise,
spécialisé pour désigner des historiens, souvent
indignes de ce nom, qui révisaient à la baisse la cruauté
des nazis.
DL : Vous dites
que l’empreinte énorme du régime hitlérien
sur le monde actuel rend urgente une meilleure compréhension
de ces questions mais vous vous élevez souvent contre l’assimilation
médiatique ou politique qui est faite de nos jours entre certains
dirigeants dont la tyrannie et la criminalité n’arrivent
pas à la cheville de celles d’Hitler et qui sont traités
de nazis.
Ne trouvez-vous pas que ces assimilations, certes rapides, donnent l’occasion,
justement, de parler du Führer ?
FD
: C’est bien leur seul mérite, mais la façon dont
on en parle donne une pente raide à remonter !
On réduit Hitler à quelques traits simples, qui parlent
à tout le monde : l’agressivité, la cruauté,
le manque de parole… Et on gonfle démesurément le
danger représenté par des roitelets de pays minuscules,
en général sous-développés. Il est vrai
que la propagande n’y va pas par quatre chemins : Saddam n’avait-il
pas la quatrième armée du monde à la veille de
la première guerre du Golfe ? N’était-il pas capable
12 ans plus tard et malgré une première déroute
de causer des destructions massives aux pays développés
en 45 minutes ? Le fils le plus fidèle d’Hitler, à
ce moment-là, n’est peut-être pas du côté
où on le cherche. Mais je refuse aussi de l’assimiler à
des chefs dévoyés de pays riches. Les temps sont trop
différents.
Le seul antinazisme qui vaille de nos jours est celui qui renoue avec
les « illusions de 1919 » sur la Société des
Nations, stigmatise l’égoïsme des puissances qui ne
lui a jamais donné sa chance, exalte le procès de Nuremberg
qui a précisément renoué avec l’idée
que la guerre d’agression était « hors la loi »
et tend vers des procédures d’arbitrage que tout le monde
respecterait car la communauté des nations brandirait des sanctions
véritablement dissuasives.
DL : Vous débattez,
et avec vigueur, sur de nombreux forums historiques ou vos contradicteurs
ne vous épargnent pas. Pourquoi aller chercher ainsi des coups
parfois assez bas ?
FD
: S’il vous plaît ! Ils sont donnés, parfois, mais
en aucun cas recherchés. Si un jour mon travail est pris en compte,
ni plus ni moins, comme il le mérite, c’est à la
Toile qu’on en sera, en grande partie, redevable. Un seul exemple
: j'ai soutenu une thèse sur travaux en 2002 sous la présidence
de Robert Frank. La discussion a été animée car
certaines de mes découvertes avaient déconcerté
certains jurés, et mes explications orales n’étaient
pas de trop pour qu’ils les comprennent bien. Une comparaison
entre les exposés introductifs de chacun et les conclusions du
président montre que la discussion a été essentielle
dans le résultat : mention maximale avec félicitations
du jury « à la majorité ».
L’unanimité m’aurait sans doute procuré une
satisfaction moins subtile. Or j’ai résumé loyalement
la séance dans l’éditorial suivant de mon site http://www.delpla.org/article.php3?id_article=31
et parmi les coups que des internautes m’administrent parfois
sur les forums, le plus bas est sans conteste celui qui consiste à
isoler des critiques partielles émises par un juré isolé,
et réfutées ensuite, en prétendant que c’était
le dernier mot, sur l’ensemble de mon travail, de la totalité
du jury ! La perfection est atteinte quand le scripteur ne daigne pas
donner le lien ci-dessus. Si je ne suis pas là pour le donner
immédiatement, la calomnie fait librement son œuvre pendant
x heures ou jours. Mais, en un processus certes de longue haleine, la
vérité ne peut manquer de faire son chemin et les indélicats
se désignent eux-mêmes au jugement du virtuel public.
Par ailleurs, c’est aux modérateurs de réprimer
les comportements injurieux et même s’ils tardent à
le faire la contradiction vaut mieux que le silence : j’éprouve
donc toujours un reste de tendresse pour l’insulteur, quand je
songe à la masse des gens abrités qui attendent que l’orage
passe, voire espèrent que le discrédit de mes analyses
les dispensera d’aller y voir de plus près.
DL : Votre analyse
d’Hitler lui attribue intelligence, maîtrise, adresse et
autres qualités. On a beau lire vos conclusions résolument
antinazies, on peut se demander si le Führer n’exerce pas
sur vous une sorte de fascination propre à engendrer des erreurs
et des compromissions. Admirez-vous ce criminel ?
FD
: Il y a deux aspects dans votre question : l’admiration (ou la
fascination), et le fait qu’elle pourrait engendrer des erreurs.
Certes je réhabilite le personnage en montrant des calculs fort
sensés là où tant d’autres ont vu des erreurs
brouillonnes –l’arrêt devant Dunkerque étant
l’exemple le plus emblématique. Mais je vois tout de suite,
et plus clairement que beaucoup, ce que sa réussite aurait entraîné
en fait de déchéance de l’Europe, de ruine durable
des droits de l’homme, d’éclipse des Lumières.
Des erreurs sont toujours possibles mais elles ne sauraient être
engendrées par le fait de trop se mettre dans la peau du personnage
dont on tente de reconstituer le parcours.
DL : Vous semblez
être fasciné par certaines «légendes »
qui n’en sont peut-être pas, comme par exemple la mort d’Himmler
et le vol solitaire de Rudolf Hess vers l’Angleterre. Pensez-vous
que l’énergie que vous déployez à ce niveau
soit utile ? Ces points de détails ne vont pas, après
tout, révolutionner l’histoire de la seconde guerre mondiale.
FD
: Sur ces deux affaires, dont seule la première est d’un
grand intérêt pour la compréhension du nazisme,
je me bats avant tout contre le gouvernement britannique actuel, qui
manque à la démocratie la plus élémentaire
en gardant sous clé des archives essentielles.
DL : Vos comparaisons
entre la dictature hitlérienne et la dictature stalinienne semblent,
au lecteur de base, être à l’avantage de Staline.
Cela ne vous gène pas ? Votre défense d’Annie Lacroix-Riz,
mise en parallèle, pourrait vous faire taxer de «idiot
utile » comme disait Lénine.
FD
: Staline bourreau de son peuple, Hitler bourreau de tout ce qu’il
ne reconnaît pas comme son peuple : voilà comment je présente
les choses. Vraiment, vous voyez là une hiérarchie morale
? Et vous pensez que cette brave (au sens fort) Annie Lacroix-Riz partage
entièrement cette vision ? En revanche, cette analyse indique
bel et bien une hiérarchie des urgences. Seul Hitler est simple,
et urgent, à combattre de l’extérieur, et tout d’abord
par une menace de sanctions internationales, au besoin militaires, qui
aurait pu advenir dès 1933… s’il avait été
moins éloquent et moins habile.
DL : Vous n’hésitez
pas, quand l’occasion se présente, de donner la parole
a des amateurs, y compris dans des magazines historiques. A ma connaissance,
vous êtes le seul historien professionnel à le faire. Pourquoi
?
FD
: Le seul ? Je vous laisse la responsabilité de cette affirmation
car je suis loin de tout connaître en la matière.
Quand j’ai quelque influence sur le contenu d’un magazine
imprimé, j’agis suivant le principe du right man in the
right place, et en fonction des disponibilités. Amateur ou professionnel,
chacun est convié à travailler consciencieusement et à
connaître ses limites.
Biographie
:
François
Delpla, né en 1948, d’un sang ariégeois et vosgien
à la fois, études secondaires à Nancy et un peu
Paris (Louis-le-Grand), Normale sup (1968), agrégation d’histoire
(1973), professeur dans le secondaire. Bascule des études de
lettres vers l’histoire en 68 et entame des recherches surtout
sur la France au XXème siècle avant de se spécialiser
dans la Seconde Guerre Mondiale au cours des années 80.
Vient à
l’écriture par la chanson et le roman. Obtient un DEA à
Paris 1 en 1992 suivi d’une inscription en thèse (soutenance
prévue vers 2001) sur les "relations franco-britanniques
de l’été 1939 au lendemain de Montoire". Après
"les Papiers secrets du général Doumenc" en
1992, un second livre d’histoire," Churchill et les Français",
est retiré de la vente en 1993 en raison d’un mélange
d’incompétence et de mauvaise foi, ce que seule sa réapparition
pouvait démontrer au commun des mortels - ce fut chose faite
le 25 octobre 2000 ; en attendant, l’auteur publie sur des sujets
voisins ou connexes afin de répéter ses affirmations de
1993 pour prouver qu’elles sont inattaquables - elles ne sont
effectivement guère attaquées et trouvent petit à
petit le chemin du public et du débat, notamment à partir
de la biographie de Hitler, la première française (1999).
Aborde l’histoire de la Résistance avec "Aubrac, les
faits et la calomnie" (1997), qui donne un statut historique incontestable
(et désormais incontesté) à l’évasion
héroïque de Raymond Aubrac.
Bibliographie :
Les papiers secrets du général
Doumenc, Orban, 1992
Churchill et les Français, Plon, 1993 ; Ostwald/Polygone, 2000
; sur le site de l’auteur, 2008 http://www.delpla.org/article.php3?id_article=347
Montoire, Albin Michel, 1995
Aubrac, les faits et la calomnie, Le temps de cerises, 1997
La ruse nazie, France Empire, 1997
Hitler, Grasset, 1997
L’Appel du 18 juin 1940, Grasset, 2000
La face cachée de 1940, F.-X. de Guilbert, 2003
La Libération de la France, avec Jacques Baumel, L’Archipel,
2004
Les Tentatrices du diable, L’Archipel, 2005
Nuremberg face à l’histoire, l’Archipel, 2006
Un tragique malentendu, De gaulle et l’Algérie, avec Jacques
Baumel, Plon, 2006
Traduction et postface de Le dernier des Hitler, David Gardner, Patrick
Robin, 2006
Qui a tué Georges Mandel ?, l’Archipel, 2008