Madame Armelle Mabon
Par Daniel Laurent

Armelle Mabon
(Collection A.Mabon. DR)

 

Débutant sa carrière comme Assistante Sociale, Madame Armelle Mabon s’intéresse très rapidement à l’Histoire et obtient en 1990 sa Maitrise en AES (Administration Économique et Sociale) en traitant des services sociaux « en trompe-l’oeil » de Vichy. Après un Doctorat d’Histoire en 1998, toujours sur un thème social, elle est formatrice à l’Institut régional du travail social (IRTS) de Bretagne, aujourd’hui Maître de conférences à l’Université Bretagne-Sud (Lorient), et a consacré d’importants travaux aux « Frontstalags ».
Les Frontstalags sont ces camps de prisonniers capturés par les Allemands durant la Seconde Guerre mondiale mais implantés à l'extérieur du Reich ; ils étaient situés essentiellement en France et en Pologne et étaient destinés aux soldats prisonniers issus des colonies françaises.
On en dénombre, en avril 1941, 22 sur le territoire occupé qui recueillent environ 69 000 "indigènes" :
près de 50 000 Nord-Africains, 16 000 Sénégalais, les autres se répartissant selon les engagements (Malgaches, Antillais, Indochinois, etc.). Par le jeu combiné des libérations effectuées pour des raisons diverses (accords politiques, maladies, inaptitude au travail), et en raison des décès et de quelques évasions, le chiffre des prisonniers passe à 44 000 en mars 1942 et à 37 000 en mai 1943.
Ce sujet à la fois historique et social l’a menée, outre la publication de plusieurs articles et sa participation à un documentaire historique, à l’achèvement de son dernier ouvrage, Les prisonniers de guerre "indigènes", Visages oubliés de la France occupée.


Bibliographie :

Les prisonniers de guerre "indigènes", Visages oubliés de la France occupée, La Découverte, janvier 2010, voir présentation plus bas.

La singulière captivité des prisonniers de guerre africains (1939-1945), in Les prisonniers de guerre dans l'Histoire, Contacts entre peuples et cultures, sous la direction de Sylvie Caucanas, Rémy Cazals, Pascal Payen, Toulouse, Privat, 2003, pp.137-155.

La tragédie de Thiaroye, symbole du déni d'égalité,
Hommes et Migrations, n° 1235, janvier-février 2002, pp. 86-97.

Les prisonniers de guerre coloniaux durant l'Occupation en France, Hommes et Migrations, n°1228, novembre-décembre 2000, pp.15-28.

L'action sociale coloniale, l'exemple de l'Afrique occidentale française du Front populaire à la veille des Indépendances, Paris, L'Harmattan, 2000, livre tiré de la Thèse de Doctorat d’Histoire de l’auteur.

Les assistantes sociales au temps de Vichy, du silence à l'oubli, Paris, L'Harmattan, 1995

De Vichy a la libération, un service social en trompe-l'oeil, Université Paul Valéry Montpellier 3, 1990, Mémoire de Maîtrise AES qui a valu à l’auteur de 2ème prix Marcel Paul attribué par la FNDIRP en 1993.

Documentaires :

Oubliés et Trahis Les prisonniers de guerre coloniaux et nord-africains avec Violaine Dejoie- Robin (réalisatrice) et Grenade Productions (Paris), 2003.

A voir sur la Toile : http://www.dailymotion.com/video/xgw56_oublies-et-trahis_news

 

Madame Mabon a aimablement accepté de répondre à nos questions, qu’elle en soit ici remerciée.

Daniel Laurent : Qu’est ce qui vous a amenée à quitter votre carrière dans le domaine social pour vous orienter vers l’histoire ?

Madame Mabon : Alors que je travaillais comme assistante sociale en entreprise, j’ai dû défendre ma déontologie professionnelle ce qui m’a valu d’être licenciée. Ayant traité ma collègue de « collabo » - qui avait transmis tout le courrier des deux assistantes sociales au directeur des ressources humaines – je me suis donc interrogée sur l’attitude de mes aînées durant la Seconde Guerre mondiale en partant de ce préjugé qu’elles avaient été des bonnes pétainistes, sans courage et que la profession souffrait d’ostracisme depuis cette époque.
Evidemment, en les rencontrant, je me suis vite rendue compte que je me fourvoyais et que bien au contraire elles avaient été pour la plus grande majorité des résistantes sans pour autant appartenir à des réseaux ou des mouvements.
A la libération, elles se sont tues et ont été considérées comme des héritières d’un régime déchu…
Cette profession est toujours confrontée à ce passé qui ne passe pas. Grâce à ce travail de recherche englobant une étude sur les ordres professionnels (bien que syndiquée à la CGT je suis favorable aux ordres professionnels et pour cause !), j’ai été encouragée à poursuivre un troisième cycle en Histoire militaire et études de défense avec Jules Maurin. Grande chance pour moi de l’avoir eu comme directeur de thèse. J’avais attrapé un virus, celui de la recherche alors que rien ne me prédisposait à continuer.

J’ai donc soutenu une thèse tout en poursuivant mon activité salariée d’assistante sociale. Ce double parcours était tout simplement vital. L’un soutenant l’autre. Avec ce travail sur les assistantes sociales au temps de Vichy, j’avais trouvé des réponses à une souffrance professionnelle. Je n’ai jamais envisagé une carrière universitaire après la thèse mais je souhaitais travailler dans un domaine où je pouvais poursuivre cette passion nouvelle.
J’ai alors pris le risque de quitter mon entreprise – j’avais replongé dans le même domaine - avec le plan social et me retrouver au chômage. J’ai vite compris qu’un doctorat en histoire n’était pas le sésame pour une réorientation professionnelle.
A mon grand étonnement j’ai été qualifiée pour passer les concours de maître de conférences et avant de réussir un concours j’ai mis sur pied en Bretagne le Diplôme supérieur en Travail social. Cette expérience avec des travailleurs sociaux en reprise d’étude a été très riche.
Dès que j’avais du temps, je poursuivais ma recherche sur les prisonniers de guerre coloniaux et nord-africains entamée avant même la soutenance de ma thèse et pour laquelle j’ai obtenu une bourse du centre national du livre. Coutumière des « Pas de côté », j’ai privilégié l’écriture d’un documentaire avant le livre qui s’est vite révélé après comme indispensable. Mais le chantier était bien plus colossal que prévu.
Dans le nouveau jargon universitaire, je pouvais paraître comme une chercheuse inactive alors que je n'ai pas cessé de chercher mais je fais l’éloge de la lenteur.


DL : Vos sujets de recherches historiques restent orientés vers des domaines sociaux. Déformation professionnelle ou passion personnelle ?

AM : Il me semble que mon passé d’assistante sociale m’a aidée à rencontrer les plus oubliés de l’histoire contemporaine, ceux dont on parle jamais et que les historiens du sérail n’ont pas jugé opportun de s’y intéresser.
La captivité n’est pas un sujet suffisamment glorieux pour l’histoire militaire, alors traiter de prisonniers 
« indigènes » encore moins. Je crois effectivement que j’ai une propension à faire sortir de l’ombre ceux qui ont été victimes de jugements arbitraires, d'injustice flagrante.


DL : Votre livre représente-t-il la conclusion de vos travaux quant aux « Indigènes » ?
Si oui, les lecteurs d’Histomag’44 seraient intéressés à savoir vers quelle domaine historique vous allez maintenant vous orienter.

AM : Je vais avoir beaucoup de mal à quitter ces hommes et ces femmes qui m’ont habitée durant 13 ans.
Ils méritent encore de l’attention et que leur histoire soit connue du grand public. Donc je rêve d’en faire une fiction. Sinon, j’œuvre pour la mémoire de Germaine Tillion, de son engagement et de ses combats et, dans ce cadre j’envisage de reprendre une recherche sur les centres sociaux et le monde colonial.

DL : Il semblerait que la France se livre de nos jours à une sorte de repentance au sujet de notre passé colonial qui, parfois et en particulier pour ce qui concerne l’Algérie, prend des tournures aux airs masochistes comme si nos anciens coloniaux n’étaient en fait que des criminels. N’avez-vous pas le sentiment de participer avec votre ouvrage à cette auto-flagellation ?

AM : Je ne me sens pas concernée par ce débat.

DL : La sortie du film « Les Indigènes » a généré quelques polémiques dans les milieux qui s’intéressent à l’histoire.
Qu’en avez-vous pensé ?

AM : Je ne trouve pas normal que ce soit un film qui incite un gouvernement et un président de la République à revoir une décision politique : la décristallisation des pensions. Mais il faut croire que les images ont parfois plus de forces que des mots ou des discours. Pourtant le livre d’histoire qui met en avant toute la rigueur scientifique peut avoir autant d’impact.

DL : Une question que les lecteurs d’Histomag’44 ne se posent plus mais qui leur est souvent posée par leur entourage : Mais quelle est l’utilité de passer son temps à étudier toutes ces « vieilleries » ?

AM : En deux mots : pour la dignité et la responsabilité (y compris et surtout 60 ans plus tard). C’est différent de la repentance !

DL : Si vous avez pu parcourir notre forum et quelques Histomag’44, que pense une professionnelle comme vous des initiatives de ces internautes qui sont, certes, des passionnés mais aussi des amateurs ?

AM : J’ai découvert votre site récemment mais pendant toutes mes recherches « têtues », j’ai eu des aides précieuses d’historiens locaux, de passionnés et de personnes qui ont fait bien plus que leur mission professionnelle. Il me semble qu’Histomag’44 fonctionne avec ce talisman « aller jusqu’au bout ».
Alors, pourquoi avoir des complexes ?
Je suis historienne – chercheuse en histoire me conviendrait mieux - mais pour beaucoup de « professionnels » de l’histoire, je resterai une non-historienne parce que j’ai un parcours atypique et le milieu universitaire n’est pas toujours si ouvert à la diversité et aux multiples richesses (dont celles des historiens amateurs et passionnés).

 

Les prisonniers de guerre "indigènes", Visages oubliés de la France occupée, éditions La Découverte, 21/01/2010, Hors collection Histoire – 300 pages – 24 €.

Après la débâcle de juin 1940, les combattants de l’armée française sont faits prisonniers. Tandis que les métropolitains partent pour Allemagne, les prisonniers coloniaux et nord-africains prennent le chemin des frontstalags répartis dans la France occupée. En avril 1941, près de70 000 hommes sont internés dans vingt-deux frontstalags.
Ces prisonniers nouent des contacts singuliers tant avec l’occupant qu’avec la population locale qui les réconforte, voire les aide à gagner les maquis ou la zone Sud. Lorsqu’en janvier 1943 le gouvernement de Vichy accepte de remplacer les sentinelles allemandes par des cadres français, ils se sentent trahis.
À la Libération, leur retour en terre natale, parfois très tardif, s’accompagne de nombreux incidents dont celui, particulièrement grave et meurtrier, survenu à Thiaroye, près de Dakar, en décembre 1944 – l’armée française fait trente-cinq morts et autant de blessés parmi des «tirailleurs sénégalais » sous prétexte qu’ils se sont mutinés pour obtenir leurs droits d'anciens prisonniers de guerre. Un drame où se mêlent l’injustice et le déni d’égalité sur fond de réformes politiques attendues par les populations.

Depuis peu, une petite poignée d’historiens américains s’intéressent à l’histoire des prisonniers coloniaux.
En France, la captivité des combattants d’outre-mer n’a suscité aucune recherche d’envergure. Des spécialistes de la Seconde Guerre mondiale ou de l’histoire coloniale n’en ont qu’une connaissance partielle, voire altérée.
Il fallait donc une historienne au parcours atypique pour faire sortir de l’ombre cette histoire volontairement occultée par le monde politique. Armelle Mabon a découvert l’histoire de ces hommes en consultant les cartons d’archives privées d’une ancienne assistante sociale du service social colonial à Bordeaux. Elle a donc travaillé sur un terrain jusque-là resté en friches, faisant le choix de traiter la captivité de tous les ressortissants de l’empire colonial.

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