Débutant
sa carrière comme Assistante Sociale, Madame Armelle Mabon s’intéresse
très rapidement à l’Histoire et obtient en 1990
sa Maitrise en AES (Administration Économique et Sociale) en
traitant des services sociaux « en trompe-l’oeil »
de Vichy. Après un Doctorat d’Histoire en 1998, toujours
sur un thème social, elle est formatrice à l’Institut
régional du travail social (IRTS) de Bretagne, aujourd’hui
Maître de conférences à l’Université
Bretagne-Sud (Lorient), et a consacré d’importants travaux
aux « Frontstalags ».
Les Frontstalags sont ces camps de prisonniers capturés par les
Allemands durant la Seconde Guerre mondiale mais implantés à
l'extérieur du Reich ; ils étaient situés essentiellement
en France et en Pologne et étaient destinés aux soldats
prisonniers issus des colonies françaises.
On en dénombre, en avril 1941, 22 sur le territoire occupé
qui recueillent environ 69 000 "indigènes" :
près de 50 000 Nord-Africains, 16 000 Sénégalais,
les autres se répartissant selon les engagements (Malgaches,
Antillais, Indochinois, etc.). Par le jeu combiné des libérations
effectuées pour des raisons diverses (accords politiques, maladies,
inaptitude au travail), et en raison des décès et de quelques
évasions, le chiffre des prisonniers passe à 44 000 en
mars 1942 et à 37 000 en mai 1943.
Ce sujet à la fois historique et social l’a menée,
outre la publication de plusieurs articles et sa participation à
un documentaire historique, à l’achèvement de son
dernier ouvrage, Les prisonniers de guerre "indigènes",
Visages oubliés de la France occupée.

Bibliographie
:
Les prisonniers de guerre "indigènes", Visages oubliés
de la France occupée, La Découverte, janvier 2010, voir
présentation plus bas.
La singulière captivité des prisonniers de guerre africains
(1939-1945), in Les prisonniers de guerre dans l'Histoire, Contacts
entre peuples et cultures, sous la direction de Sylvie Caucanas, Rémy
Cazals, Pascal Payen, Toulouse, Privat, 2003, pp.137-155.
La tragédie de Thiaroye, symbole du déni d'égalité,
Hommes et Migrations, n° 1235, janvier-février 2002, pp.
86-97.
Les prisonniers de guerre coloniaux durant l'Occupation en France, Hommes
et Migrations, n°1228, novembre-décembre 2000, pp.15-28.
L'action sociale coloniale, l'exemple de l'Afrique occidentale française
du Front populaire à la veille des Indépendances, Paris,
L'Harmattan, 2000, livre tiré de la Thèse de Doctorat
d’Histoire de l’auteur.
Les assistantes sociales au temps de Vichy, du silence à l'oubli,
Paris, L'Harmattan, 1995
De Vichy a la libération, un service social en trompe-l'oeil,
Université Paul Valéry Montpellier 3, 1990, Mémoire
de Maîtrise AES qui a valu à l’auteur de 2ème
prix Marcel Paul attribué par la FNDIRP en 1993.
Documentaires :
Oubliés et Trahis Les prisonniers de guerre coloniaux et nord-africains
avec Violaine Dejoie- Robin (réalisatrice) et Grenade Productions
(Paris), 2003.
A voir sur la Toile : http://www.dailymotion.com/video/xgw56_oublies-et-trahis_news
Madame Mabon
a aimablement accepté de répondre à nos questions,
qu’elle en soit ici remerciée.
Daniel
Laurent : Qu’est ce qui vous a amenée à quitter
votre carrière dans le domaine social pour vous orienter vers
l’histoire ?
Madame Mabon : Alors que je travaillais
comme assistante sociale en entreprise, j’ai dû défendre
ma déontologie professionnelle ce qui m’a valu d’être
licenciée. Ayant traité ma collègue de «
collabo » - qui avait transmis tout le courrier des deux assistantes
sociales au directeur des ressources humaines – je me suis donc
interrogée sur l’attitude de mes aînées durant
la Seconde Guerre mondiale en partant de ce préjugé qu’elles
avaient été des bonnes pétainistes, sans courage
et que la profession souffrait d’ostracisme depuis cette époque.
Evidemment, en les rencontrant, je me suis vite rendue compte que je
me fourvoyais et que bien au contraire elles avaient été
pour la plus grande majorité des résistantes sans pour
autant appartenir à des réseaux ou des mouvements.
A la libération, elles se sont tues et ont été
considérées comme des héritières d’un
régime déchu…
Cette profession est toujours confrontée à ce passé
qui ne passe pas. Grâce à ce travail de recherche englobant
une étude sur les ordres professionnels (bien que syndiquée
à la CGT je suis favorable aux ordres professionnels et pour
cause !), j’ai été encouragée à poursuivre
un troisième cycle en Histoire militaire et études de
défense avec Jules Maurin. Grande chance pour moi de l’avoir
eu comme directeur de thèse. J’avais attrapé un
virus, celui de la recherche alors que rien ne me prédisposait
à continuer.
J’ai donc soutenu une thèse
tout en poursuivant mon activité salariée d’assistante
sociale. Ce double parcours était tout simplement vital. L’un
soutenant l’autre. Avec ce travail sur les assistantes sociales
au temps de Vichy, j’avais trouvé des réponses à
une souffrance professionnelle. Je n’ai jamais envisagé
une carrière universitaire après la thèse mais
je souhaitais travailler dans un domaine où je pouvais poursuivre
cette passion nouvelle.
J’ai alors pris le risque de quitter mon entreprise – j’avais
replongé dans le même domaine - avec le plan social et
me retrouver au chômage. J’ai vite compris qu’un doctorat
en histoire n’était pas le sésame pour une réorientation
professionnelle.
A mon grand étonnement j’ai été qualifiée
pour passer les concours de maître de conférences et avant
de réussir un concours j’ai mis sur pied en Bretagne le
Diplôme supérieur en Travail social. Cette expérience
avec des travailleurs sociaux en reprise d’étude a été
très riche.
Dès que j’avais du temps, je poursuivais ma recherche sur
les prisonniers de guerre coloniaux et nord-africains entamée
avant même la soutenance de ma thèse et pour laquelle j’ai
obtenu une bourse du centre national du livre. Coutumière des
« Pas de côté », j’ai privilégié
l’écriture d’un documentaire avant le livre qui s’est
vite révélé après comme indispensable. Mais
le chantier était bien plus colossal que prévu.
Dans le nouveau jargon universitaire, je pouvais paraître comme
une chercheuse inactive alors que je n'ai pas cessé de chercher
mais je fais l’éloge de la lenteur.
DL : Vos sujets de recherches historiques restent orientés vers
des domaines sociaux. Déformation professionnelle ou passion
personnelle ?
AM : Il me semble que mon passé d’assistante
sociale m’a aidée à rencontrer les plus oubliés
de l’histoire contemporaine, ceux dont on parle jamais et que
les historiens du sérail n’ont pas jugé opportun
de s’y intéresser.
La captivité n’est pas un sujet suffisamment glorieux pour
l’histoire militaire, alors traiter de prisonniers
« indigènes » encore moins. Je crois effectivement
que j’ai une propension à faire sortir de l’ombre
ceux qui ont été victimes de jugements arbitraires, d'injustice
flagrante.
DL : Votre livre représente-t-il la conclusion de vos travaux
quant aux « Indigènes » ?
Si oui, les lecteurs d’Histomag’44 seraient intéressés
à savoir vers quelle domaine historique vous allez maintenant
vous orienter.
AM : Je vais avoir beaucoup de mal à
quitter ces hommes et ces femmes qui m’ont habitée durant
13 ans.
Ils méritent encore de l’attention et que leur histoire
soit connue du grand public. Donc je rêve d’en faire une
fiction. Sinon, j’œuvre pour la mémoire de Germaine
Tillion, de son engagement et de ses combats et, dans ce cadre j’envisage
de reprendre une recherche sur les centres sociaux et le monde colonial.
DL : Il semblerait que la France se livre de nos jours à une
sorte de repentance au sujet de notre passé colonial qui, parfois
et en particulier pour ce qui concerne l’Algérie, prend
des tournures aux airs masochistes comme si nos anciens coloniaux n’étaient
en fait que des criminels. N’avez-vous pas le sentiment de participer
avec votre ouvrage à cette auto-flagellation ?
AM : Je ne me sens pas concernée
par ce débat.
DL : La sortie du film « Les Indigènes » a généré
quelques polémiques dans les milieux qui s’intéressent
à l’histoire.
Qu’en avez-vous pensé ?
AM : Je ne trouve pas normal que ce soit
un film qui incite un gouvernement et un président de la République
à revoir une décision politique : la décristallisation
des pensions. Mais il faut croire que les images ont parfois plus de
forces que des mots ou des discours. Pourtant le livre d’histoire
qui met en avant toute la rigueur scientifique peut avoir autant d’impact.
DL : Une question que les lecteurs d’Histomag’44 ne se posent
plus mais qui leur est souvent posée par leur entourage : Mais
quelle est l’utilité de passer son temps à étudier
toutes ces « vieilleries » ?
AM : En deux mots : pour la dignité
et la responsabilité (y compris et surtout 60 ans plus tard).
C’est différent de la repentance !
DL : Si vous avez pu parcourir notre forum et quelques Histomag’44,
que pense une professionnelle comme vous des initiatives de ces internautes
qui sont, certes, des passionnés mais aussi des amateurs ?
AM : J’ai découvert votre
site récemment mais pendant toutes mes recherches « têtues
», j’ai eu des aides précieuses d’historiens
locaux, de passionnés et de personnes qui ont fait bien plus
que leur mission professionnelle. Il me semble qu’Histomag’44
fonctionne avec ce talisman « aller jusqu’au bout ».
Alors, pourquoi avoir des complexes ?
Je suis historienne – chercheuse en histoire me conviendrait mieux
- mais pour beaucoup de « professionnels » de l’histoire,
je resterai une non-historienne parce que j’ai un parcours atypique
et le milieu universitaire n’est pas toujours si ouvert à
la diversité et aux multiples richesses (dont celles des historiens
amateurs et passionnés).
Les
prisonniers de guerre "indigènes", Visages oubliés
de la France occupée, éditions La Découverte, 21/01/2010,
Hors collection Histoire – 300 pages – 24 €.
Après la débâcle de juin 1940, les combattants de
l’armée française sont faits prisonniers. Tandis
que les métropolitains partent pour Allemagne, les prisonniers
coloniaux et nord-africains prennent le chemin des frontstalags répartis
dans la France occupée. En avril 1941, près de70 000 hommes
sont internés dans vingt-deux frontstalags.
Ces prisonniers nouent des contacts singuliers tant avec l’occupant
qu’avec la population locale qui les réconforte, voire
les aide à gagner les maquis ou la zone Sud. Lorsqu’en
janvier 1943 le gouvernement de Vichy accepte de remplacer les sentinelles
allemandes par des cadres français, ils se sentent trahis.
À la Libération, leur retour en terre natale, parfois
très tardif, s’accompagne de nombreux incidents dont celui,
particulièrement grave et meurtrier, survenu à Thiaroye,
près de Dakar, en décembre 1944 – l’armée
française fait trente-cinq morts et autant de blessés
parmi des «tirailleurs sénégalais » sous prétexte
qu’ils se sont mutinés pour obtenir leurs droits d'anciens
prisonniers de guerre. Un drame où se mêlent l’injustice
et le déni d’égalité sur fond de réformes
politiques attendues par les populations.
Depuis peu, une petite poignée d’historiens américains
s’intéressent à l’histoire des prisonniers
coloniaux.
En France, la captivité des combattants d’outre-mer n’a
suscité aucune recherche d’envergure. Des spécialistes
de la Seconde Guerre mondiale ou de l’histoire coloniale n’en
ont qu’une connaissance partielle, voire altérée.
Il fallait donc une historienne au parcours atypique pour faire sortir
de l’ombre cette histoire volontairement occultée par le
monde politique. Armelle Mabon a découvert l’histoire de
ces hommes en consultant les cartons d’archives privées
d’une ancienne assistante sociale du service social colonial à
Bordeaux. Elle a donc travaillé sur un terrain jusque-là
resté en friches, faisant le choix de traiter la captivité
de tous les ressortissants de l’empire colonial.
