En
février 1945, les Marines débarquent sous les flancs du
mont Suribachi, point culminant d’une île perdue du Pacifique,
Iwo Jima. L’affrontement qui commence pour ce bout de terrain
inculte, pratiquement inhabité en dehors de ses défenseurs,
est une étape de plus qui rapproche les Américains de
la victoire finale sur le Japon. L’enjeu stratégique est
d’importance, propulsant ce "caillou" jusqu’alors
inconnu au rang des objectifs vitaux d’un large plan d’ensemble,
visant un assaut direct contre l’Empire du Soleil Levant.
"Towards Japan"
Le déroulement de la reconquête du Pacifique menée
par les États-Unis permet, en 1944, d’envisager une offensive
contre l’archipel japonais lui-même. Mais alors, et avant
tout, devront y être réalisés des bombardements
intensifs, en vue de préparer un assaut qui promet d’être
rude et sanglant. Au commencement de cette année qui voit les
troupes alliées débarquer en France, le 6 juin 1944, est
envisagé le bombardement aérien des terres nippones depuis
certaines des Îles Mariannes (Guam, Saipan et Tinian), dont la
reconquête sera finalisée à l’été
de 1944. C’est alors qu’Iwo Jima prendra toute son importance.
Les plans américains pour la poursuite de l’offensive dans
l’Ouest du Pacifique étaient, jusqu’en ce début
de 1944, essentiellement basés sur la manière dont il
faudrait s’affranchir des Philippines.
Mac Arthur – en particulier – considérait la prise
de ces territoires comme le meilleur tremplin à une continuité
des opérations visant le Japon. Mais d’autres voies se
faisaient insistantes, proposant depuis quelques mois déjà
une stratégie finale différente. En septembre 1944, lors
de la seconde conférence de Québec, les chefs d’état-major
se rangent aux demandes instantes de Mac Arthur (décidé
à tenir sa promesse de revenir aux Philippines), et l’autorisent
à commencer sa campagne courant octobre. L’amiral King
qui commande en chef l’US Navy, est peu favorable à cette
option mais s’incline, tout en essayant d’obtenir l’inclusion
de Formose (devenue Taiwan) aux nouvelles données stratégiques.
Il est convaincu que les États-Unis pourraient y gagner une base
arrière, facilitant les bombardements sur le Japon. La marine
pourrait aussi y exercer un contrôle de la Mer de Chine méridionale,
et ainsi couper certaines des principales voies de ravitaillement du
Soleil Levant. Le 29 septembre, deux jours après la clôture
de la conférence, lors d’une réunion avec cinq des
hommes aux commandes de la conduite des opérations sur mer, sur
terre et dans les airs pour le Pacifique, il est seul à défendre
cette thèse. Nimitz, Sherman, Spruance, Harmon et Buckner, peu
enclins à la seule solution des Philippines, mais également
réticents à l’opinion de King, lui opposent des
rapports étayés. Ils mettent en lumière les difficultés
prévisibles à s’emparer de la partie sud de Formose,
puis les risques encourus par les bombardiers basés là,
soumis à l’aller ou au retour de leurs raids aux assauts
des escadrilles ennemies demeurant dans la partie septentrionale de
la grande île. De plus à l’époque, les Mariannes,
même si elles sont un peu plus éloignées du Japon
que Formose, étaient plus sûres en terme de trajet des
bombardiers lourds, restaient dans leur rayon d’action, mais surtout
avaient déjà été conquises. A contrario
d’une offensive visant Formose, les interlocuteurs de King étaient
tombés d’accord sur une option très différente,
celle de s’emparer de deux îles bien précises, Okinawa
et Iwo Jima.
Iwo Jima, l’enjeu
La première de ces deux îles, Okinawa dans l’archipel
des Ryû-Kyû, se trouve à quelque 600 km au sud-ouest
de Kyûshû (l’île la plus au sud du Japon), soit
à environ 1 000 km seulement de Tokyo. Sa situation et sa configuration
sont de nature à en faire une base appréciable pour les
bombardiers US et leurs chasseurs d’escorte. On espère
pouvoir déployer là pas moins de 800 d’entre eux,
avec mission d’effectuer des bombardements à outrance en
territoire ennemi.
Les trois
responsables de l'opération sur Iwo Jima, de gauche à
droite :
Spruance, commandant opérationnel, King, et Nimitz.
Iwo Jima quant
à elle, beaucoup plus petite que Okinawa, est située pratiquement
à mi-chemin entre les Mariannes et le Japon, dans le sud et à
quelque 1 000 km de ce dernier. Il s’avérait possible,
malgré sa superficie, d’y déployer suffisamment
de potentiel aérien pour que son emploi fût rentable et
efficace. Mais surtout, elle se trouve directement sur l’axe de
vol vers le Japon des bombardiers que l’on envisage de baser sur
Guam, Saipan ou Tinian (Mariannes).
De fait, conservée par l’ennemi elle devient un danger
pour les escadrilles qui, pratiquement, doivent la survoler sur leur
route vers le Japon. À l’inverse, aux mains des Américains,
elle sera d’une aide très précieuse pour la mise
en œuvre des chasseurs d’escorte, dont le rayon d’action
est inférieur à celui des quadrimoteurs devant constituer
les escadrilles de bombardement. De même, sa présence à
mi-chemin est une sécurité, au cas où des appareils
se verraient incapables, pour diverses raisons, de continuer leur route
et obligés de se poser dans l’urgence. Il semble par ailleurs
évident qu’il sera possible de se rendre maître de
l’île plus rapidement que s’il s’agissait d’envahir
la partie méridionale de Formose, ce qui, compte tenu du fait
que les Mariannes sont déjà tombées, ferait gagner
un temps précieux sur la montée en puissance des bombardements
stratégiques du Japon.
Ces arguments sont forts et une fois encore, King s’incline. Il
n’abandonne pas cependant son projet de prendre le sud de Formose,
qu’il remet simplement à une date ultérieure, après
qu’Okinawa et Iwo Jima seront tombées en mains américaines.
Il informe immédiatement l’état-major des opérations
combinées des conclusions de la réunion, et celui-ci,
le 3 octobre, délivre les nouvelles directives opérationnelles
induites de ce dernier développement.
Mac Arthur de son côté, poursuivra son action visant à
la reconquête des Philippines et, après Leyte, doit débarquer
sur Luçon (nord de l’archipel) à compter du 20 décembre
1944. Nimitz, qui dirige le second axe de reconquête, doit engager
l’assaut sur Iwo Jima le 20 janvier 1945, précédant
celui sur Okinawa prévu début mars.
Un minuscule "rocher",
dans l’immense Pacifique
Iwo Jima, une petite île volcanique (plutôt même un
îlot) réduite à quelques milliers de mètres
carrés, située dans l’archipel des Volcano au sud
des îles Bonin, en plein Pacifique Ouest. Accrochée au
nord-nord-ouest de la Fosse des Mariannes, elle étale ses 7 à
8 km sur 4 (au plus large et au plus long) à un peu plus de 1
200 kilomètres au nord légèrement ouest de Guam.
Cette dernière, la principale île de l’archipel des
Mariannes doit servir, avec Saipan et Tinian, de base aux lourds quadrimoteurs
à long rayon d’action destinés au bombardement du
territoire japonais. Tokyo n’est qu’à quelque 1 000
km dans le nord, là aussi légèrement ouest, de
Iwo Jima, d’où son importance stratégique.
Minuscule terre désolée, sèche, accidentée,
à la végétation squelettique, Iwo Jima est inhospitalière,
sombre, parcourue de rafales d’un vent chargé de poussière,
parsemée d’une vase nuisible. La vie animale y est presque
inexistante et, lorsqu’en 1944 l’intérêt de
l’île grandit aux yeux des belligérants qui se déchirent
cette partie du monde, seuls cinq petits villages y sont semble-t-il
recensés. Au sud-ouest, à sa partie la plus étroite
qui ne s’étend que sur quelques centaines de mètres,
trône le mont Suribachi, haut de 165 m, un sinistre volcan éteint
pour l’heure inconnu, mais bientôt indissociable de l’histoire
des Marines américains. Au pied de ce noir monticule s’étend
vers le nord-est une plaine volcanique couverte d’un sable foncé,
noir lui aussi dirons les hommes qui débarqueront là.
Puis, le plus au nord, quelques collines s’élèvent
d’une centaine de mètres, formant un plateau, le Moto-Yama,
semé de végétations pauvres, à peine plus
hospitalier que le reste de ce "rocher".
Les Américains ne sont pas seuls, au milieu de 1944, à
évoquer avec de plus en plus d’insistance l’aspect
stratégique que devrait presque certainement revêtir Iwo
Jima dans un temps assez proche. Les combats gagnant du terrain vers
leurs propres terres, les Japonais savent que bientôt, les bombardiers
adverses passeront tout près de l’île se dirigeant,
les soutes pleines, vers le Japon. Si jusqu’à l’été,
les rapports semblent démontrer que la prise d’assaut de
cette terre lointaine aurait été relativement facile,
tout changera avant la fin de l’année et, en septembre,
la garnison renforcée à l’extrême est une
première fois estimée par les Américains aux alentours
de 20 000 hommes (sur un caillou de quelques kilomètres carrés
!).
Iwo Jima est défendue par 21 000 à 23 000 hommes au total
(les sources citent généralement de 21 000 à 25
000). La 109ème division d’infanterie
et sa 2ème brigade mixte (5 000 hommes, mais peu aguerris) forment
le gros de l’effectif qui comprend le 26ème régiment
de chars (environ 40 engins), le 145ème régiment autonome
(2 700 hommes formant l’élite de la garnison), plus quelques
unités à vocation spécifique. Le reliquat de défenseurs
est composé de formations hétéroclites, intégrant
marins, aviateurs, techniciens, administratifs, etc., soit quelque 7
000 hommes formés pour l’occasion au combat terrestre.
Les secteurs de
la défense japonaise.
Le général Kuribayashi commande en chef, secondé
par le contre-amiral Ichimaru qui dirige plus spécialement les
hommes provenant de la marine.
Des canons doubles de 127mm
protègent les aérodromes de l'île.
L’île
est loin d’être assez étendue pour qu’une défense
en profondeur y soit efficace. Les Japonais vont mettre en place une
importante défense fortifiée, statique, parcourue par
un réseau étendu de tunnels. Des Bunkers et abris divers
sont construits, des tranchées et des champs de mines disséminés
un peu partout. Si les soldats nippons se doutent que l’île,
vraisemblablement, finira par tomber à l’adversaire, ils
n’en déploient pas moins une énergie déterminée
pour retarder au mieux ce moment lorsque le temps de l’affrontement
viendra. Les nombreuses missions de reconnaissance aérienne effectuées
au-dessus de Iwo Jima par les pilotes américains ont permis,
fin 1944, de recenser des centaines de bunkers, ainsi que – et
surtout – deux terrains d’aviation achevés et un
troisième en cours de construction. La menace sur les appareils
décollant des Mariannes, en route vers le Japon et s’approchant
de l’île, est donc bien réelle. Pendant que les défenseurs
du Suribachi s’enterrent, attendant les bombardements préliminaires
à l’assaut, les Américains mettent en place un imposant
dispositif et se préparent à l’une des dernières
grandes batailles de la seconde guerre mondiale.
"Let's go
!"
L’évolution de la bataille de Leyte, la présence
des Etats-Unis sur d’autres fronts, en particulier l’européen
qui demande déjà un potentiel matériel énorme,
ne permirent pas de tenir le calendrier édicté par l’état-major
combiné. Les deux opérations – Iwo Jima et Okinawa
– sont préparées de concert, et rassembler les forces
nécessaires, surtout le nombre adéquat de navires spécifiques,
allait prendre plus de temps que prévu. La mise en place de la
logistique, compte tenu de la nature des lieux où il faudrait
se transporter et de l’itinéraire à suivre, posait
des problèmes immenses. L’assaut sur Iwo Jima est reporté
au 19 février 1945, celui d’Okinawa au premier avril.
Un canon
de 120 mm japonais qui battait les plages est de l'île :
il a été mis hors de combat avant
le débarquement.
Les préparatifs
revêtaient bien d’autres formes. Par exemple l’approfondissement
des renseignements plus que vitaux sur les installations adverses, par
voie aérienne essentiellement, mais aussi à l’aide
de submersibles longeant les côtes pour les photographier, avec
le plus de précision et de détails possibles. Les estimations
quant à la présence ennemie sur Iwo Jima, le fait que
l’on s’approche du Japon, inquiètent les Américains.
Ils se doutent qu’ils vont avoir affaire à une résistance
acharnée, jusqu’au-boutiste. Au début de décembre
1944, l’île est sous la pression de l’aviation US
qui, depuis les Mariannes, la soumet à des bombardements destinés
à affaiblir ses défenses que l’on sait conséquentes
grâce aux reconnaissances. Bientôt, les appareils embarqués
se joignent à ces raids préliminaires qui, à leur
point le plus fort, s’étendront au total et sans interruption
sur 74 jours.
Bombardement
préparatoire d'Iwo Jima par des B-24 de la VIIth Air Force.
L'aérodrome numéro 3 est au centre, légèrement
sur la gauche.
Puis ce sera
au tour des unités de la Navy, contre lesquelles la Flotte Impériale
de plus en plus réduite ne peut plus grand-chose, de déchaîner
leurs feux sur les positions japonaises. La petite terre d’Iwo
Jima est soumise à un traitement de faveur, comme on avait jusqu’alors
jamais dispensé.
Les premières semaines de 1945 voient les préparatifs
de l’assaut se terminer. Sous la protection de la Vème
flotte de l’amiral Spruance, les opérations d’approche
et de débarquement sont confiées au vice-amiral Turner,
le commandant en chef expérimenté de la Flotte amphibie.
À terre, la responsabilité passera au général
Buckner, alors que le général Schmidt (qui remplissait
déjà ce rôle à Saipan) se voit en charge
de la conduite directe du corps amphibie après les débarquements
(en l’occurrence le Vème corps). La flotte rassemblée
compte 485 navires, dont 8 cuirassés, 19 croiseurs et une douzaine
de porte-avions d’escorte, plus une foule de bâtiments de
guerre divers et de toutes tailles. L’acheminement des hommes
et du matériel sera réalisé par 43 bâtiments
de transport, relayés par 63 LST et 31 LSM à l’approche
des plages, abordées par une myriade d’engins de débarquement
(LCVP, LVT, LCT, DUKW, etc.). Si l’on comptabilise également
les bâtiments du soutien longue distance, tels les porte-avions
lourds, le nombre de navires intégrés à l’opération
contre Iwo Jima dépasse 800 unités.
Le 16 février 1945, trois jours avant que les Marines soient
lâchés sur les plages, un dernier pilonnage commence, qui
durera jusqu’à l’heure "H". Six cuirassés,
4 croiseurs lourds et seize destroyers, aux ordres du contre-amiral
Blandy, prennent pour cible des positions précises, correctement
repérées, tandis que les flottilles de dragueurs de mines
sécurisent les approches des côtes. Le 17, les Américains
déplorent leurs premiers morts, sur le croiseur Pensacola, atteint
à très courte distance par une batterie côtière,
alors qu’il protège les opérations de déminage.
Le Ve corps amphibie du général Schmidt, dont les trois
formations des Marines sont chargées de la lourde tâche
de débarquer et de s’emparer de l’île, est
formé dans les Mariannes. Les deux divisions d’assaut,
les 4ème et 5ème stationnées dans les Hawaï,
rejoignent à Guam la division de réserve (3ème)
quelques jours avant le départ. Puis, le 16 février, la
Task Force 51 qui transporte le corps amphibie appareille, direction
Iwo Jima.
Les débarquements, après les derniers pilonnages, commencent
à 9 h 00 le 19 février 1945 (8 h 59 pour les premiers
d’entre eux, en avance d’une minute sur l’horaire).
Le général Holland Smith commande initialement le corps
de débarquement avant que celui-ci, une fois les premières
têtes de pont établies, ne passe au général
Schmidt.
To The Shores of Iwo Jima, documentaire de l'USMC, 1ère partie.
VOIR
Les premières vagues abordent le sud-ouest de l’île,
les plus à gauche du dispositif pratiquement au pied du Suribachi.
Sans doute
sous le regard des servants des canons Bofors de 40mm visibles au premier
plan, les LVT foncent vers les plages.
Essentiellement composées de LVT (amphibies chenillés),
elles devaient franchir les plages rapidement, pour amener les Marines
directement à pied d’œuvre vers l’intérieur
de l’île.
Les LVT
passent à travers la ligne du navire de contrôle en direction
des plages.
Mais même
ces véhicules hybrides n’arrivent pas à franchir
ce premier obstacle, se heurtant au sable meuble si particulier de Iwo
Jima. Les hommes sont forcés de quitter la protection des engins
et, par une lente et difficile progression, s’enfonçant
dans le sable noir, se fraient un chemin vers la limite de plage. Pour
l’heure, heureusement, la réaction adverse est pratiquement
inexistante.
Les hommes de la 5th Marine
Division tentent de s'extraire de la plage Red One.
La tactique défensive
japonaise prévoyait de laisser les assaillants dépasser
les plages et, subitement, de les prendre sous les feux croisés
des points fortifiés disséminés sur le terrain.
Effectivement, après avoir progressé de 2 à 300
mètres au plus, les premiers Marines, jusque-là épargnés,
tombent sous le feu des positions ennemies. Les soldats nippons ont
bien travaillé. Le nombre de positions qu’ils ont aménagées
pour la défense de l’île est estimé à
près de 800 (Bunkers, tranchées, nids de mitrailleuses
ou de mortiers, etc.), reliées entre elles par au moins 5 km
de tunnels.
Juste en
arrière de la plage Blue One, des fantassins de la 4th Marine
Division regardent leurs blindés se diriger au nord, sur Blue
Two.
De plus les services
US de renseignement, qui craignaient que les pilonnages subis par Iwo
Jima n’aient servi qu’à forcer l’ennemi à
s’enterrer plus encore, et que peu de points de résistance
aient pu être détruits, ne s’étaient pas trompés.
Une grêle de projectiles stoppe net la progression. Les balles
de mitrailleuses et les éclats d’obus de mortiers volent
en tous sens. Il faudra aux Américains épaulés
par les premiers blindés débarqués, réduire
un à un les secteurs de défense, au lance-flammes, à
la grenade ou à l’explosif.
Les lance-flammes
entrent en action pour dégager le passage jusqu'à l'aérodrome
numéro 1.
En fin d’après-midi du 19 février, les objectifs
assignés ne sont pas atteints. Si des têtes de pont sont
gagnées qui, consolidées d’heure en heure vont permettre
de relancer l’avance, la position des assaillants reste précaire.
Dans les premières 24 heures à Iwo Jima, les pertes US
s’élèvent déjà semble-t-il à
2 500 hommes (morts, blessés et disparus). Malgré l’appui
des canons de marine, des appareils de l’aéronavale, les
heures qui suivent restent dramatiques pour les troupes débarquées.
Chaque position doit être conquise de haute lutte, avec des pertes
élevées. La défense de l’île est efficace
et donne les résultats que l’on espérait du côté
japonais. Les Marines doivent se terrer, dans le moindre repli de terrain,
la moindre tranchée qu’ils viennent de prendre au prix
de nombreux des leurs. L’avance est lente, désespérante,
meurtrière. Pourtant les Américains approchent mètre
par mètre du Suribachi.
La progression
Le 20 février, les hommes de la 4ème division s’emparent
du terrain d’aviation n° 1, le plus au sud de l’île,
tandis qu’une contre-attaque est repoussée par la 5e division
qui, lentement, avance. Les tirs en provenance du mont Suribachi causent
de lourdes pertes. En ces premières 48 heures, déjà
30 % des chars débarqués auraient été mis
hors de combat. Le 21, les premiers éléments de la 3ème
division jusqu’alors maintenue en réserve débarquent,
l’avance est trop lente et les difficultés obligent à
engager tout l’effectif disponible.
Ce M4 Sherman
baptisé Cairo a été mis hors de combat par une
mine japonaise et touché 5 fois par l'artillerie, cependant l'équipage
n'a pas été atteint. Les flancs sont protégés
pour faire face à des poses d'engins magnétiques.
Les Marines tentent
d’approcher encore du Suribachi et, vers le nord, du second terrain
d’aviation. L’avance reste lente et meurtrière. À
la fin de la journée, 50 % des blindés engagés
sont hors de combat. Mais un groupe de la 5ème division atteint
les flancs du mont. Dans la nuit les Japonais tentent de s’infiltrer
dans les positions américaines et lancent des contre-attaques.
Le 22, la lutte acharnée continue. Les Marines doivent faire
sauter tous les rochers ou anfractuosités qu’ils rencontrent,
les autres moyens (lance-flammes et même blindés) s’avérant
peu efficaces, mais le Suribachi est enfin isolé (800 hommes
sont morts pour ce seul résultat).
Un canon
anti-char de 57mm tire sur des bunkers installés sur le flanc
nord du volcan, en soutien du 28th Marines. Ces armes d'un calibre pourtant
faible se révèlent extrêmement appropriées
dans les combats au sud de l'île.
L’avance
se poursuit vers le cœur de l’île, pour le gain du
second terrain d’aviation, mais se trouve bloquée par les
tirs croisés des positions ennemies disséminées
autour des pistes. Contre-attaques nocturnes et tentatives d’infiltration
se poursuivent toute la nuit.
Le 23, les combats se durcissent encore au centre de l’île,
autour du second aérodrome. Au pied du Suribachi, la progression
mètre par mètre est très difficile mais continue
et atteint les premiers dénivelés, puis, petit à
petit, se déplace sur les pentes.
Un petit groupe d’hommes se fraie un chemin jusqu’au sommet
et réussit à faire flotter un drapeau américain,
sous le feu ennemi.
Lance-flammes
en action au pied du mont Suribachi.
Le premier
drapeau planté au sommet du volcan. Apporté par le 2nd
Battalion du 28th Marines,
il fut mis en place le 23 février à 10h20.
La fameuse
photo de Joe Rosenthal prise après qu'un marine inconnu est ramené
les couleurs du LST 779 pour remplacer le premier drapeau, jugé
trop petit par le photographe.
Le 24, les combats
meurtriers au centre de l’île sont sans interruption alors
que sur le Suribachi, les Japonais à bout de forces, sont contraints
au recul devant les Marines qui font sauter une à une toutes
les grottes et positions qui tiennent encore. Certains défenseurs
nippons commencent à se donner la mort.
Autour du terrain d’aviation (n° 2), les champs de mines piègent
les Sherman qui sont stoppés les uns après les autres.
Les corps à corps se multiplient. À la tombée
de la nuit la progression n’a pas dépassé 450 m.
Un 105
Howitzer bombarde le nord depuis une position au sud de l'aérodrome
numéro 1.
To The Shores
of Iwo Jima, documentaire de l'USMC, 2ème partie.
VOIR
Le "Hachoir"
Le 25 février, des détachements de la 3ème division
cette fois totalement à pied d’œuvre, prennent la
majeure partie du second terrain d’aviation, malgré une
terrible résistance.
Les combats sont si sanglants que les hauteurs entourant les pistes,
la colline 382, la Crête du dindon et l’Amphithéâtre,
forment un réseau défensif qui sera bientôt surnommé
le "hachoir à viande". Vingt nouveaux chars américains
y sont détruits dans la nuit du 25 au 26. Mais dans l’autre
axe de la progression, vers le sud-ouest, le Suribachi est considéré
comme conquis. Le lendemain, l’avance laborieuse continue, malgré
les morts et l’épuisement. Les contre attaques se succèdent,
les Américains qui s’étaient emparés d’une
des hauteurs autour du terrain en sont aussitôt chassés.
Le 27, les combats effroyables continuent pour les collines ceinturant
les pistes d’aviation (aérodrome n° 2), où les
Marines tentent de réduire un à un les fortins, au bulldozer,
au lance flammes ou à l’explosif. A chaque tentative, des
contre-attaques les repoussent sur leurs lignes de départ. Le
dernier jour de février, des éléments de la 3ème
division enlèvent le village du plateau de Moto-Yama et parviennent
plus au nord, sur les dénivellations autour du troisième
terrain d’aviation, ce dernier en construction. Sur le Suribachi
pourtant totalement investi par les assaillants, persistent encore quelques
résistances sporadiques mais forcenées, tandis que l’affrontement
s’amplifie dans le secteur du "hachoir", où règne
un véritable enfer.
Positions
bien préparées de la 3rd Marines Division parmi les ruines
du village de Motoyama.
Ce que l'on distingue à l'arrière-plan est une mine de
souffre, et sa raffinerie.
Enfin, au premier
jour de mars, la Crête du Dindon cède aux assauts répétés.
Une partie du dernier terrain d’aviation tombe aux mains de la
3ème division, cependant stoppée au bout d’un millier
de mètres par la résistance de plus en plus furieuse des
Japonais qui néanmoins, montrent quelques signes d’affaiblissement.
C’est de même le cas des défenseurs de la cote 382
qui, avec ceux de l’Amphithéâtre, résistent
encore mais commencent à céder quelques pouces de terrain.
Le jour suivant, la progression est plus nette. La conquête du
troisième aérodrome se termine, sous le feu direct de
l’artillerie ennemie, tandis qu’un peu plus au sud, l’Amphithéâtre
finit par céder enfin.
Le "Hachoir" est presque entier tombé aux mains des
Marines qui contrôlent alors près des deux tiers de l’île.
Un M4A3
est encastré dans une pillbox japonaise qui s'est effrondrée
lorsque le char a roulé dessus. Les Marines montent la garde
en attendant que l'équipage reprenne possession du véhicule.
Il faut attendre
le 3 mars pour connaître le début de la fin des combats
autour du second terrain d’aviation. La cote 382 tombe finalement
et, sur le
"Hachoir", malgré quelques escarmouches persistantes,
moins de pertes que les heures précédentes sont à
déplorer. La zone est ratissée dans les jours suivants,
chaque grotte ou trou visité et purgé de ses derniers
défenseurs. Le "hachoir à viande" aura coûté
environ 6 500 hommes aux Américains. Sur la gauche de l’axe
de progression vers le nord de l’île, c’est maintenant
la cote 362 qui est également l’enjeu de combats terribles.
Des lance-roquettes
de 4.5 inches montés sur camions tirent leurs salves.
Ils changent ensuite rapidement de position pour éviter la contre-batterie
japonaise.
Le 6 mars, après
une forte préparation d’artillerie tant navale que terrestre,
les Marines tentent d’enlever en un seul élan la partie
nord-est de l’île, il faut en finir. Les Japonais s’enterrent
dans leurs secteurs défensifs et, après que les canons
se sont tus, réapparaissent et résistent avec détermination.
Malgré le pilonnage préparatoire et leur courage, les
Américains n’auront gagné que quelques mètres
à la fin de la journée, et à quel prix.
Un char
japonais enterré pour couvrir les approches de l'aérodrome
numéro 2.
Les Japonais ont enterré tous leurs blindés afin de profiter
au maximum de leur puissance de feu comme pièces d'artillerie
supplémentaires.
C’est sur
la cote 362 B, dans l’est du Moto-Yama et à proximité
du troisième terrain d’aviation, que les combats sont alors
les plus rudes. Dans le même temps, des appareils US se posent
sur l’aérodrome n° 1, réhabilité, d’où
ils seront en mesure d’apporter un soutien direct aux opérations
terrestres. Le 7 mars, changeant de tactique, à savoir sans l’habituelle
préparation d’artillerie (qui prévenait les Japonais
enfouis et protégés dans leurs trous de l’imminence
d’une offensive), les Marines surprennent l’ennemi par une
attaque subite et déterminée. Ils atteignent la cote 362
E, progressant par là sur le plateau du Moto-Yama, mais n’iront
pas plus loin.
Certains d’entre eux tombent sous les coups de leur propre artillerie,
qui a repris le feu et expédie ses obus sur un terrain labouré,
méconnaissable, où les adversaires sont au contact les
uns des autres, et où le terme de ligne de front ne représente
plus rien. De fait, c’est sans l’appoint des canons que
l’avance devra continuer, ce qui n’arrange rien. Le lendemain,
une progression générale de quelques centaines de mètres
vers le nord-est est enregistrée. Les suicides parmi les Japonais
sont en constante augmentation. Pourtant le 9, ils lancent encore une
forte contre-attaque dans la nuit, suicidaire, qui bouscule les éléments
avancés de la 4e division mais est finalement repoussée.
Il sera dénombré 784 morts japonais. Petit à petit,
les unités US avancent, au sinistre son des lance-flammes, dans
la fureur d’un combat incroyablement violent.
Le 155mm
Howitzer est le calibre le plus lourd dont les Marines disposent pendant
la bataille. Ils tireront un total de 43 795 obus sur les positions
japonaises, essentiellement en préparation et en contrebatterie.
La fin
Le 11 mars, la 4ème division vient à bout de la résistance
du flanc droit (sud est de l’île). Au centre, la 3ème
continue à éliminer une à une les oppositions persistantes.
A gauche la 5ème avance également, mais lentement elle
aussi. Les dernières conquêtes entre le centre et l’est
de Iwo Jima ont lieu le lendemain, suivies les 13 et 14 mars par la
poursuite de l’élimination systématique et progressive
des nids de résistance japonais, qui perdurent un peu partout.
À 09 h 30 le 14, les Américains jugent la conquête
de l’île achevée, malgré l’existence
de poches non encore nettoyées, dont le nivellement se poursuit
toute la journée du lendemain. Le 16 à 18 heures, Iwo
Jima est déclarée sûre bien que des Nippons irréductibles
se maintiennent encore à sa pointe nord.
Le chien
emmené par ce Marine sert à repérer les éventuels
survivants japonais se terrant au fond des innombrables caves construites
par les Nippons sur Iwo Jima.
Débusquer
les soldats japonais cachés était une opération
de longue haleine.
Ces Marines viennent de jeter une grenade dans un tunnel et attendent
à l'entrée, BAR et fusils à la main.
Du 17 au 20 mars,
sous les ordres directs de Kuribayashi, les derniers défenseurs
s’acharnent pour quelques centaines de mètres carrés,
que tentent d’investir des éléments de la 5ème
division. À cette date, les pertes US sont évaluées
à 4 189 morts et 19 938 blessés. Jamais les Marines n’ont
souffert un tel bilan. Alors que commencent les opérations préliminaires
aux débarquements sur Okinawa, les derniers foyers de résistance
sur Iwo Jima tardent à s’incliner. Du 21 au 25 mars, sans
cesse les Américains procèdent au dynamitage des positions
adverses encore existantes. Puis, le 26 à l’aube, une dernière
contre-attaque désespérée des ultimes défenseurs
organisés de l’île, dans l’unique but d’infliger
encore plus de pertes aux assaillants, conduit à la mort inutile
de la plupart d’entre eux. Les 262 hommes restant disponibles
sont massacrés et il n’y a pratiquement pas de survivants
(parfois il est dit que quatre échapperont à ce qui peut
être décrit comme un véritable suicide collectif).
Les Marines déplorent 53 nouveaux morts, qui s’ajoutent
à ceux qui continuent à tomber ici ou là, lors
de la réduction d’un ultime fortin. Après cet assaut
dément, les hommes de la 5ème division investissent les
positions que viennent de quitter les Japonais pour se ruer sur eux.
À huit heures ce 26 mars 1945, la conquête de Iwo Jima
est déclarée totalement achevée.
Les
soldats du 147th Infantry (USA) sont chargés de la défense
d'Iwo Jima à partir du 4 avril. Durant les mois d'avril-mai,
cette unité abat 1 602 Japonais et fait 867 prisonniers.
Bilan
Diverses sources estiment les pertes – totales – des Américains
(morts, blessés et disparus) à 20 000 hommes pour les
moins élevées, d’autres allant jusqu’à
26 000. Le 20 mars, l’armée américaine estime les
morts et disparus à 4 189 et les blessés à 19 938,
ce qui donne déjà 24 127 hommes hors de combat, alors
que la lutte pour les derniers foyers de résistance n’est
pas terminée. Un chiffre global de 5 931 tués et portés
disparus est parfois avancé, accompagné de celui de 17
372 blessés (soit 23 303 au total). Quoi qu’il en soit,
et quel que soit le chiffre que l’on considère, c’est
environ le tiers de l’effectif engagé par les assaillants
qui est hors de combat. L’US Navy aussi paiera son tribut à
Iwo Jima, du fait de l’aviation adverse, de la météo,
etc. Le porte-avions d’escorte Bismarck Sea est coulé.
Le porte-avions lourd Saratoga, les porte-avions d’escorte Luga
Point et San Jacinto, 2 croiseurs lourds, un croiseur léger et
un navire hôpital, une dizaine de destroyers et divers autres
bâtiments plus légers ou de transport sont endommagés.
Iwo Jima
devient une base aérienne de première importance pour
les Américains, à seulement 900 km de Tokyo. Les B-29
s'alignent constamment sur les pistes. Il aura suffi de quelques mois
de réparation et de construction.
La garnison nippone
est anéantie, pour le moins. Là encore, les chiffres varient,
et en de larges proportions. Parmi les défenseurs de l’île,
7 000 morts auraient été décomptés avec
certitude, les disparus ajoutés portant le chiffre à au
moins 21 000 victimes (il était déjà délicat
d’estimer avec exactitude l’effectif total de la garnison).
Il est dit dans certaines parutions, que quelques centaines de Japonais
trouvent refuge dans les innombrables souterrains disséminés
dans l’île, et en changent au fur et à mesure que
les Américains fouillent tous les recoins de cette terre bouleversée.
Ils auraient résisté ponctuellement jusqu’à
la fin mai 1945. Un dernier survivant aurait alors été
capturé, ajouté au nombre – lui aussi variable selon
les sources – des prisonniers collectés par les Marines
à Iwo Jima. Ce chiffre des défenseurs qui survécurent,
est le plus souvent donné pour 212 ou 216 hommes (une autre estimation
parle de 1 083 prisonniers).
Le corps du général Kuribayashi n’a jamais été
retrouvé. Il se serait suicidé dans les dernières
heures et aurait été enterré par ses hommes.
Avant même la fin totale des combats, des appareils américains
se sont posés sur l’île et le 7 avril, les premiers
Mustang en décollent pour servir d’escorte à un
raid aérien diurne sur Tokyo. Dans les 100 jours qui suivent
la conquête effective du "rocher", déjà
plus de 800 appareils (essentiellement des bombardiers) auront été
forcés d’y atterrir d’urgence.
Un certain nombre d’entre eux aurait vraisemblablement été
perdu en mer avec leurs équipages s’ils n’avaient
pu bénéficier de cette opportunité. La justification
– si l’on peut dire – des journées sanglantes
d’Iwo Jima commence là.
Iwo Jima
Source
TOUSSAINT (Patrick), Iwo Jima, le « Hachoir », in Histoire
de guerre n°25, mai 2002.
http://www.ibiblio.org/hyperwar/USMC/USMC-M-IwoJima/