L’attente et la surprise
Le débarquement
des forces alliées sur le sol français est, au printemps
1944, impatiemment attendu par Hitler, qui a besoin de cet affrontement
pour dénouer une situation compromise. Il l’a dit le 20
mars à ses commandants convoqués au Berghof. Le rejet
à la mer des forces de débarquement est "le seul
facteur décisif pour le résultat final de cette guerre".
L'échec, dit le Fürher du III° Reich, provoquera un
choc terrible en Angleterre et aux Etats Unis. Roosevelt et Churchill,
déjà âgé, à la santé chancelante,
seront évincés. Le Reich débarrassé de cette
menace à l'ouest pourra donc lancer une puissante contre-attaque
sur le front russe. Avec l'appui des nouvelles armes, avions à
réaction, V1 et V2, que ses usines sont en train de forger. Elles
seront prêtes dans quelques mois.
L'Etat-Major Allié attend de son côté l'aube la
plus favorable du printemps pour lancer le débarquement dit,
l'opération
"Neptune". Le plan d'intoxication "Fortitude" est
une totale réussite. Grâce aux Services Secrets, grâce
aux fausses divisions et aux bateaux de caoutchouc qu'on masse face
au Pas-de-Calais, Hitler est désormais persuadé que la
Normandie a été abandonnée.
Après le débarquement, les Allemands s'attendront logiquement
à une offensive vers l'est.
On fera le contraire. Les Américains perceront vers l'ouest,
prendront Cherbourg, puis les ports de Brest, Lorient, Nantes pour amener
l'approvisionnement des Etats-Unis.
Il faudra 42 jours pour prendre Brest. Lorient et Saint-Nazaire tiendront
jusqu'à la fin.
La mission confiée à Eisenhower, commandant suprême
d'Overlord est claire : Il doit en 80 jours, conquérir l'espace
compris entre la Loire et la Seine, de Nantes au Havre, et en faire
le tremplin de la reconquête. Eisenhower dispose pour cela, d'une
puissance considérable en matériel et en hommes. Certains
atouts sont énormes : quelques rares unités de lance-torpilles
et vedettes rapides ne pèseront rien face aux 5 340 navires de
l'armada alliée, la plus grande jamais portée par un océan.
Et le ciel sera avec Eisenhower, puisque les Allemands ne pourront pas
mobiliser beaucoup de 400 avions en Normandie face aux 10 500 avions
alliés.
L'armée d'Hitler, si elle croit priver d'approvisionnement les
troupes débarquées en tenant la plaine de Caen et le port
de Cherbourg sera surprise. Le Génie a prévu de construire
en deux jours, juste derrière le front des aérodromes
pour les chasseurs. Deux ports artificiels à Arromanches et Saint-Laurent,
permettront de débarquer des dizaines de milliers d'hommes et
des tonnes de matériel. Il n'y aura qu'un jour J, mais le débarquement
durera des jours, des semaines, des mois. Jusqu'à la fin de la
guerre, jusqu'à la victoire.
Des hommes et des
armes
Ce qu'il faut
préparer, ce n'est pas un jour J, mais un débarquement
de 90 jours. Le premier jour sera cependant décisif. A ce moment
là , sur la terre normande, les forces en présence seront
sensiblement égales, 160 000 hommes de chaque côté.
La surprise sera l'élément déterminant. Mais il
sera beaucoup demandé aux hommes des premières vagues.
Ils sont plus de deux millions et demi de soldats à attendre
depuis des mois, dans la campagne anglaise. Entre les bals où
l'on écoute Joe Garland ou Clenn Miller, et les répétitions
à tir réel, ils affolent un peu la population.
La majorité de cette armée est constituée de jeunes
recrues, ignorantes des combats et résolument optimistes.
Ces soldats sont venus lutter pour la liberté et cela leur suffit.
Certains comme les Canadiens et bien sûr les Français libres,
ne cachent pas leur bonheur d'aller libérer la France. Tous espèrent
seulement qu'ils pourront rentrer bientôt à la maison.
Quand aux vétérans britanniques, à l'image d'un
Montgomery, au sourire impénétrable, ils sont désireux
de prendre la plus éclatante des revanches. L'état d'esprit
n'est pas le même dans l'armée allemande. On est loin de
juin 1940.
Certes les troupes S.S. ont gardé un moral d'acier. Mais il y
a les Ostruppen dont Von Schlieben a dit lucidement que : "L'on
ne peut pas demander à un Grégorien de se battre en France,
pour l'Allemagne, contre les Américains".
La Wehrmacht, elle même, l'armée régulière
est friable. Des divisions entières ont été englouties
sur le front de l'Est, et les villes allemandes sont devenues la proie
des bombardements. Les vétérans de Russie ramenés
en Normandie aspirent au repos. Les plus jeunes, ceux qui avaient entre
5 et 10 ans quand Hitler a pris le pouvoir, sont restés les plus
fanatiques. Les uns sauront jouer de leur expérience et les autres
luttent pour sauver leur patrie et leur famille.
L'armée allemande dispose cependant de quelques atouts. Ses officiers
sont pleins d'expérience. Elle connaît bien le terrain,
ce bocage favorable à la défense. Elle est bien armée,
ses mitrailleuses sont plus rapides; ses armes anti-char, Panzerschreck
et Panzerfaust sont supérieures aux faibles Bazooka et Pita;
et le canon de 88 s'avèrera aussi redoutable contre les blindés
que contre les avions. Son artillerie est sans doute plus faible mais
le Panzer allemand, comme le dira un membre de l'état-major allié
"vaut bien trois chars alliés, équipage compris".
Overlord a demandé une logistique extraordinaire préparée
des mois à l'avance dans le secret. Dans des usines militaires,
des femmes fabriquaient des parachutes : rouges, jaunes, verts, selon
qu'ils allaient servir au ravitaillement, aux munitions, au matériel
médica…Personne n'avait vraiment prévu, qu'ils seraient
retaillés ensuite par les Français et feraient aussi des
robes pour des petites Normandes ou des chemises et des chemisiers pour
leurs parents.
Le déferlement
allié
Les Panzers sont
l'armée suprême allemande en Normandie. Rommel veut les
rapprocher des côtes pour repousser le débarquement. Parce
qu'il a appris en Afrique qu'il ne fallait pas les exposer à
leur terrible prédateur, l'aviation alliée. Mais, autre
disfonctionnement du commandement, il n'a aucun pouvoir sur eux. Il
veut que des avions larguent des mines au large des plages, mais il
n'a aucun pouvoir sur la Luftwaffe
Le 5 juin, la météo annonçant des pluies et tempêtes
sur la Manche, Erwin Rommel part plaider sa cause à Berlin. Le
même jour Eisenhower apprend qu'une accalmie accompagnera l'aube
du 6 juin devant la Normandie. Il donne l'ordre de l'assaut. Les premiers
en action sont les Résistants. Décapitée dans les
derniers mois de 1943, la Résistance a pu se réorganiser.
Précieux
pour les renseignements fournis, les Résistants vont l'être
encore pour informer et guider les armées alliées. Aux
alentours de minuit, 6 000 paras britannique sont lancés sur
l'Orne, prennent les ponts de Bénouville, réduisent au
silence la batterie de Merville. Au même moment 13000 paras américains
prennent position au nord de Vire et coupent à Sainte-Mère-Eglise
la route de Cherbourg à Caen. Le débarquement peut commencer.
Cinq plages ont été choisies entre la Vire et l'Orne.
Utah, devant Sainte-Marie-du-Mont, et Omaha, devant Colleville, sont
prises d'assaut par les Américains.
Entre ces deux plages, des Rangers sont montés à l'abordage
de la Pointe du Hoc. Gold devant Asnelles et Sword devant Ouistreham
sont attaqués par les Britanniques, alors que Juno est la plage
des Canadiens. L'opposition est faible à Utah. Une vive résistance
est opposée aux divisions alliées à Sword, gold
et Juno.
Mais c'est à Omaha que l'on frôle la catastrophe. Les bombardements
aériens préalables ont manqué leurs cibles et les
Américains perdent 3 000 hommes.
Au soir du 6 juin, les Allemands, étant privés de ravitaillement,
la situation à Omaha est rétablie. La jonction n'est pas
terminée entre les cinq plages, mais la tête de pont a
résisté aux contre-attaques. Hitler n'y croit pas et maintient
sa XV° armée en alerte dans le Pas-de-Calais. Il n'y croira
pas avant la fin juillet.
Le jour J est donc un succès. Le débarquement continue.
Le déferlement commence.
Les paras premiers
libérateurs
Dans la nuit du
5 au 6 juin 1944, de chaque côté des plages, trois divisions
sont parachutées ou envoyées par planeurs pour protéger
le débarquement, prendre appui d'un côté sur la
route Caen – Cherbourg, s'assurer de l'autre le contrôle
des ponts sur l'Orne. Cela fait de Bénouville la première
commune libérée dans le Calvados par les Britanniques,
et de Sainte-Mère-Eglise la première commune de la Manche
libérée par les Américains.
La Libération
du Calvados
Les troupes Anglo-Canadiennes
ont pour mission de prendre Caen, dés le 6 juin, et la plaine
au sud vers Falaise, indispensable aux bombardiers lourds. Mais après
une contre-offensive menée jusqu'à Luc-sur-Mer, les Allemands
sont revenus constituer un solide rempart autour de Caen.
Les libérations commencent à l'ouest : Bayeux est reprise
intacte le 7 juin par les britanniques. Isigny tombe aux mains des Américains
le 8 après de durs combats. Le 8 encore, Américains et
Britanniques se rejoignent prés de Port-en-Bessin qui se transforme
aussitôt en "Terminal pétrolier".
Commence alors une meurtrière succession d'assaut sus Caen. Montgomery
une première fois tente un contournement par l'ouest en direction
de Tilly-sur-Seulles, qui échoue sur deux divisions ennemies
fraîchement arrivées.
La deuxième grande offensive, baptisée "Epsom"
est lancée le 25 juin. L'objectif est d'atteindre Bourguébus,
pour encercler Caen par le sud-ouest. C'est un nouvel échec,
mais qui s'avère tout aussi coûteux pour les Allemands.
Ceux ci doivent abandonner l'idée d'une contre-attaque massive
vers la Manche et laissent ainsi sans renforts leurs divisions confrontées
aux divisions américaines.
Le 3ème grand assaut est lancé dans la nuit du 7 au 8
juillet par les bombardiers de la RAF qui déversent plus de
2 500 tonnes de bombes sur Caen. La moitié de la ville est libérée,
mais les Allemands ont dressé une nouvelle ligne de défense
au sud de la ville. Montgomery multiplie les attaques. Les deux premières
par l'ouest, échouent, la troisième (Goodwood le 18 juillet),
permet de libérer la ville et sa banlieue sud.
Août sera le mois des victoires. Hermilly, Villiers-Bocage tombent
le 4. Après un premier échec (Totalize le 8), Falaise
est prise le 15 (Opération Tractable) par les Canadiens. Pendant
ce temps, Vire, en ruines est libérée par les Américains,
et les Britanniques investissent Thury-Harcourt (le 12) puis Condé-sur-Noireau
(le 17).
Les Allemands sont en fuite.
Ceux qui ont échappé au massacre dans la poche de Falaise
s'enfuient en bon ordre. La Touques est la dernière ligne de
défense dans le Département. Les derniers combats libèrent
Lisieux et Pont-L'Evêque. Le 25 août, le Calvados est entièrement
libéré.
Un grondement terrible
"Au loin,
vers Bayeux, on voyait des lueurs blanches, rouges. Un grondement terrible".
Cinq heures du
matin le 6 juin. Pensionnaire à l'école publique de Tilly-sur-Saulles,
Yves Faucon est réveillé en catastrophe par Mr Ansevin,
l'instituteur. Il nous adit : "Le débarquement a commencé.
Faites rapidement votre toilette, habillez vous et prenez une couverture".
Dans le village les officiers allemands crient aux gens : "Gross
malheur, gross malheur !".
Yves n'aura pas le temps d'avertir sa mère, la patronne de l'hotel
Jeanne d'Arc, réquisitionné par la Wehrmarcht.
Les grondements s'amplifient. Les enfants sont conduits rapidement vers
la sortie du bourg. Ils s'installent dans une double haie.
"On est resté là des heures. On entendait d'énormes
explosions". Une dizaine d'obus de marine tombent à 500
mètres du bourg. Puis un déluge de bombes s'abat sur la
commune : Tilly tout entière sera rasée. L'hôtel
aussi".
Pour Yves l'angoisse commence : Où sont sa mère et son
frère, que sont devenus Germaine la cuisinière, Mr Quétil
le jardinier, Mme Pelâtre, la blanchisseuse … ? "Des
gens pleins de poussière sont arrivés dans notre cache.
On m'a dit que ma famille avait été tuée".
L'effroi, puis le soulagement : "A midi, j'ai vu arriver maman
et mon frère". Yves Faucon se souviendra longtemps du Débarquement,
de ces évènements et des odeurs : "Un mélange
de brûlé, de poudre, de gaz, d'essence, de poussière
et de … cigarette blonde".
Avec aussi, dans la nuit du 5 au 6, ces lueurs dans le ciel : "Dans
ma tête de gamin, c'était comme un incroyable feu d'artifice".
L'hôpital
souterrain
Aux premières
heures de la Libération, la population Caennaise sut manifester
sa reconnaissance aux troupes alliées, comme aux résistants
(1). En témoigne ce récit par Jacques Duchez, président
de "Présence du Gaullisme" dans le Calvados, fils de
René Duchez, ce Résistant Caennais qui déroba les
plans du "Mur de l'Atlantique". Il s'agit du récit
d'un médecin, le docteur Lemarchand, réfugié avec
des malades dans un hôpital souterrain, dans l'une des carrières
de Fleury-sur-Orne.
"C’est
aujourd’hui mardi 18 juillet. Depuis quatre jours, la vie est
impossible. A tout instant, l’occupant est là, irascible,
avec sa menace d’évacuation et son "Rauss" perpétuel.
A 1 h 15, nous avons vu les téléphonistes rouler leurs
fils, les voitures camouflées dans la carrière souterraine
: On sent que le départ est proche, mais est-ce définitif
?
On sait que l’ennemi occupe encore Fleury et les carrières
Saingt. Dés le matin, il a procédé à l’évacuation
de la carrière, mettant sur la route, femmes et enfants, et profitant
de l’exode de ces malheureux pour se replier.
Des avions alliés, en grand nombre, survolent et bombardent la
région de Bourguébus. Affolés, les évacués
se camouflent où ils peuvent et viennent chercher refuge aux
carrières des Coteaux. Enfin l’alerte est passée,
et la matinée s’achève.
Vers 12 h 30, les tirs alliés manifestent une recrudescence :
l’anxiété augmente ; à 13 h 15, apparaissent
les FFI, Gilles, Duchez, Buot, Goguet fils, avec leurs jeunes gens.
Le bombardement s’intensifie. Un petit "mouchard" survole
et ne semble pas voir la progression de nos libérateurs. Enfin,
deux emblèmes signalent la situation. Les tirs cessent. Le Commandant
Gilles et le Capitaine Duchez, portant des drapeaux Français
et Anglais, se présentent et entrent dans l’hôpital
souterrain. Ils ont dû avoir chaud !
La Marseillaise éclate, chantée par les malades, qui se
dressent quand les drapeaux tenus par Duchez, survolent leurs lits.
L’enthousiasme est indescriptible. Enfin c’est la remise
des Croix de Lorraine, symbole de notre amour de la libetté.
La cérémonie est terminée. Ceux qui nous ont ramené
l’espoir, partent pour continuer leur œuvre envers d’autres
malheureux".
(1) Plusieurs
groupes de résistants prirent part aux combats, lors de la libération
de caen. Certains des FFI se rassemnblèrent pour former la Compagnie
Fred-Scamaroni, du nom d’un résistant Corse, qui préféra
mettre fin à ses jours, plutôt que de parler sous la torture
. Les chefs de cette compagnie furent Léonard Gilles, René
Duchez, Léon Durmis, Serge Goguel . La compagnie s’illustra,
ensuite, en participant à la libération du Pays d’Auge
. Les hommes de la compagnie guidèrent, notamment, les troupes
alliées lors des combats à Lisieux.
Hôpitaux
de fortune à Bayeux
Miraculeusement
épargnée par les bombardements, Bayeux est devenue la
ville d’accueil des blessés civils.
Des milliers d’habitants de Tilly, Falaise, Caen et de la Manche
y ont été soignés dans des hôpitaux de fortune
installés dans les écoles. Dés la libération
de la ville, le 7 juin, les blessés arrivent par dizaines.
Les premiers sont
conduits à l’hôpital et dans une maison de la rue
Royale où la clinique a élu domicile depuis la réquisition
de ses locaux en 1940. Très vite, la place manque. Dans son livre
de bord, Melle Marc, directrice du Lycée Jeanne-d’Arc,
témoigne :
"Le 7 au matin, le maire est venu nous demander les matelas pour
le Collège Chartier qui allait être transformé en
hôpital. L’après midi, contre-ordre : notre maison
est réquisitionnée comme hôpital de première
classe ".
Un bloc opératoire y est aménagé à la hâte
pour compléter celui de l’hôpital et le docteur Jeanne,
seul chirurgien pendant des semaines, opère de l’un à
l’autre. Des hôpitaux complémentaires sont installés
dans toutes les écoles, et des dizaines de bénévoles
apportent leur aide.
Melles Picot et Limeul, deux institutrices résistantes en étaient
: "On a reçu jusqu’à 90 personnes dans l’école,
que l’on soignait grâce aux cours de secourisme suivis au
début de la guerre. Le reste, on l’apprenait sur le terrain".
Sans compter le
temps passé au prés des malades : "De sept heures
à minuit, sept jours sur sept, mais on était jeune, on
acceptait la fatigue" confie une religieuse.
"Les débuts ont été très difficiles"
se souviennent sœur Agnès et sœur Gèneviève
: "On manquait de tout et les blessés arrivaient avec des
blessures épouvantables. La gangrène menaçait chaque
blessé" atteste Léonce Dupont, autre bénévole
chargée de l ‘accueil. "On devait brûler les
membres dans la chaudière du Lycée".
A la libération
de Caen des renforts sont arrivés. "Les Anglais qui avaient
installés des hôpitaux de campagne pour les militaires,
autour de Bayeux, nous ont fourni du matériel puis de la pénicilline"
se souvient Simone Bertrand, alors responsable de la Croix-Rouge .
Avec l’avancée des Alliés, les autres villes libérées
ont retrouvés leurs hôpitaux, et les salle de classe Bayeusaines
ont été rendues aux écoliers fin septembre.
Jours d’errance
dans le bocage
Voici le témoignage
de Jacques Tesnière, chef de rédaction à Caen,
sur son exode et celui de sa famille durant l’été
1944, sur les routes du bocage.
"Pour les enfants, la guerre est une initiation brutale à
la vie et à la mort.. Je n'avais que six ans, mais je garde en
mémoire des images de ces jours anciens de l'été
1944. Jours d'errance sur les chemins du bocage. Jours de peine et de
peur, de découverte aussi d'un monde nouveau, la campagne. Je
me souviens de Vire en feu : le soir du 6 juin, après le bombardement,
je suis jeté avec ma famille sur les routes. Il faut fuir, chercher
un abri de ferme en ferme.
Je m'endors dans une ferme inconnue. Je me réveille dans un plant
de pommiers, sous un autre bombardement.
Ce ne sont pas les étoiles qui brillent dans le ciel, mais les
bombes. Je me souviens des jours suivants : on marche beaucoup. Nous
allons de village en village : Roullours, Maisoncelles, Truttemer. Ma
mère veut retrouver mon père, médecin, resté
avec les secours sous le bombardement de Vire, et dont elle est sans
nouvelles. Les rumeurs circulent avec les réfugiés. Je
revois ma mère apprenant que mon père a les jambes coupées
! Elle éclate en sanglots, je lui tiens la main. Des kilomètres
plus loin, soulagement : mon père est sauf, replié avec
le service de santé, à Maisoncelles.
Je me souviens des chuchotements des "grands" : le secteur
n’est pas sûr. Nous serons bien mieux dans une ferme prés
de Mortain. Je me souviens de mon étonnement à Saint-Jean-du-Corail
: la paix au fond du bocage feuillu. Jours heureux à découvrir
les animaux de la ferme, les chemins creux sans fin, le mystère
dees instruments aratoires. Odeur forte des étables, parfum chaud
du pain frais, cuit dans le four artisanal. Effluves enchanteresses
de la luzerne coupée.
Début août, à nouveau la guerre. Les soldats ennemis
campent dans la ferme, s’enfuient emportant un cochon. Nous sommes
au milieu des lignes. Il faut fuir encore. Nous marchons à nouveau,
je ne sais vers où ? Toujours plus loin, jusqu’à
ce jour où nous rencontrons une colonne militaire : ce sont les
troupes du Général Leclerc. Je me souviens de la joie
des adultes, une joie qui m’échappe un peu. Mais la rencontre
marque la fin de l’errance.
Je me souviens du retour en septembre à Vire, dans une ville
aux ruines verticales. Puis du premier anniversaire du 6 juin. De la
foule au pied de la Porte-Horloge. Du nom des 500 victimes, égrenés
dans le silence. Je me souviens du vide tout autour : les pans de murs
ont été abattus. Le champ de ruines s’étend
jusqu’à l’église Notre-Dame. Il sera pour
quelques années, un terrain de jeu pour les petits Virois. Et
à quoi jouent les enfants après la bataille ? A la guerre".
Les réfugiés
de la crypte
Les 6 et 7 juin
1944, les trois bombardements de Lisieux ont fait 1 200 morts. La ville
comptait alors 16 000 habitants… Beaucoup se réfugient
dans les environs. D'autres choisissent l'abri de la crypte de la basilique.
L'édifice sera frappé par cent impacts d'obus et d'éclats.
Mais il est préservé.
Au matin du 7 juin, la crypte de la basilique se transforme en abri.
Lisieux vient de subir un déluge de mort et de feu. Parmi les
arrivants, la communauté du Carmel. La mère Prieure a
fait évacuer les religieuses, face à la persistance des
dangers. Le Carmel a été épargné par les
bombes mais les immeubles voisins de la chapelle sont anéantis.
Les carmélites seront rejointes par les sœurs de la "Miséricorde",
et aussi par des prêtres et des familles de Lisieux et des environs..
"Nous étions 80 personnes alors que la bataille faisait
rage" se souviennent quelques religieuses. Dans la crypte, la vie
s’organise, avec des départs et des arrivées quotidiens.
"On dormait devant les trois autels, sur des matelas et sur des
bancs". Il y avait aussi des gens prés des marches.
Le père Jean Picard, actuel chapelain du pélerinage, a
partagé ces heures d’angoisse. Ordonné prêtre
le 3 juin, il est envoyé au Pré-d’Auge, sa paroisse
natale, pour remplacer l’abbé Lanier, déporté.
Le 8, il se rend à Lisieux à vélo.
"Avec Mr Germain, recteur de la basilique, et le père Augros,
supérieur du Séminaire des Missions de France, nous avons
véhiculé une remorque chargée de pains, pour les
gens de la crypte. Le passage qui serpentait entre les ruines avait
moins d’un mètre".
Jean Picard multipliera les visites aux réfugiés de la
crypte, pour leur apporter un réconfort matériel et spirituel.
"Les conditions d’existence étaient sommaires. C’était
la communauté au sens premier : Les gens partageaient tout…".
Les religieuses du Carmel et des dizaines de personnes sont restées
jusqu’au 27 août sous cet abri consacré à
Sainte-Thérèse : "La ville était totalement
morte …"
La libération
de la Manche
Le premier objectif
des Américains, une fois la jonction opérée entre
les divisions parachutées et débarquées, c’est
Cherbourg. Il faut d’abord résister aux contre-attaques
sur Carentan, qui est tombée le 12, puis isoler la presqu’île.
Malgré
une forte résistance allemande, Barneville est atteinte le 18
juin. Les Allemands se replient sur Cherbourg où, assiégés
par terre, mer et air, ils capitulent le 26 juin. Mais le grand port
en eau profonde du Cotentin a été pris avec 12 jours de
retard sur les prévisions et il est détruit. En travaillant
jour et nuit, les Alliés réussissent l’exploit de
le nettoyer en quelques semaines et Cherbourg va devenir pendant un
an le premier port du monde.
La prise de Cherbourg est la première grande victoire alliée
et elle a donné lieu à de grandes fêtes. Le retour
aux combats est terrible. Devant la Haye-du-Puits, Pétiers, Sainteny,
les GI’s tombent par milliers. Saint-Lô est prise le 18
juillet, mais avec trente jours de retard sur les prévisions,
et c’est un champ de ruines.
Pendant ce temps, les hommes et le matériel s’agglutinent
derrière le front. Les Allemands qui l’ignorent tentent
des contre-attaques qui déciment leurs unités. Les Américains
décident alors de frapper un grand coup. C’est l’opération
"Cobra"
Elle est lancée le 25 juillet par un bombardement d’une
violence inouïe sur une surface de 12 kilomètre carré
autour de la Chapelle-Enjuger. La défense Allemande craque. Coutances,
Granville sont libérées puis Avranches le 31 juillet.
Par l’étroit pont de Pontaubault, Patton envoie sa 3ème
armée sur la Bretagne. C’est une véritable charge
de cavalerie. Hodges et sa 3ème armée rencontrent plus
de difficultés à l’est. Les Allemands ont tenté
de rétablir un front sur la Vire. Il faut quatre jours de combats
meurtriers pour que Percy rombe, le 2 août. Mortain, Saint-Hilaire,
sont libérées, mais la partie n’est pas finie.
Hitler, lance dans la nuit du 6 au 7 août une contre-offensive
des blindés allemands en direction d’Avranches.
Les Panzers sont stoppés à Mortain et aux alentours. La
bataille dure une semaine menée par les Typhoon lance-roquettes,
et se termine par une défaite décisive des allemands.
La Manche est définitivement libérée le 15 août
1944.
Le Repli Allemand
La bataille des
plages est gagnée. Carentan a été libérée
le 12 juin. Il faut maintenant prendre Cherbourg et pour cela contourner
Montebourg, où la défense allemande est vivace. Bradley
a lancé la 90° division et la 82° aéroportée
vers la côte ouest. Barneville tombe le 18 juin. Cela fait 10
jours que Montebourg est sous les bombes et flambe.
Pour les Allemands, c’est l’heure du repli ; pour les Cassins,
c’est l’heure de la libération .
"On avait trouvé refuge chez le père Thomelin, le
maire de Saint-Germain. Quand Saint-Martin a été pris,
on a vu les Allemands se replier" se souvient Marcel Le Chaffetois.
" Ils ont traversé le pont l’après midi…
Des misérables.
C’était plus les Allemands de 40. C’était
plus les bottes cirées et les chants. Ils avaient une carriole,
C’était deux bouts de bois qui la tenaient en équilibre.
La roue avait dû être fauchée par un éclat.
Il y en avait un qui avait une mitrailleuse et un vélo qui n’avait
pas de pneu à l’arrière. Ils allaient comme ça,
en bras de chemise, barbus, fatigués. Ils ont traversé
le bois de Saint-Germain et ils sont partis vers Cherbourg".
"Le repli s’effectuait sans trop de panique. On avait bien
vu qu’ils avaient miné le pont. Vers sept heures du soir,
alors qu’on mangeait la soupe, il y a eu tout d’un coup
une grosse explosion. Le père Thomelin nous a dit : "ne
vous affolez pas, c’est le pont qui vient de sauter". Alors
la soupe a été tout de suite mangée, parce qu’il
y avait de la poussière qui volait partout, et ça sentait
la poudre".
"La libération est venue le lendemain ; Il n’y a pas
eu de bagarres pendant la nuit. Le matin je suis parti traire avec Auguste
Pouppeville. On allait terminer. Et puis à un moment, je regarde
sous le ventre de la vache, et je vois trois hommes qui arrivent. Ils
venaient du haut du clos. Ils avaient des fusils, étaient casqués".
"Je dis à Auguste : "Regarde par en dessous qui c’est
qui nous vient".
"Ah, il me dit, surtout ne bouge pas, ne te sauve pas ". Ils
se sont approchés. C’était trois Américains.
L’un d’eux, qui parlait bien Français, nous a demandé
s’il y avait encore des Allemands dans le coin. On a répondu
qu’ils étaient partis de la veille. Une demi-heure après,
les champs étaient pleins d’Américains. Tous les
champs noirs de monde.
Je ne sais pas où ils avaient pu se cacher jusque là".
Cherbourg Porte
de l’Europe
Le 6 juin 1944,
Cherbourg avec ses 40 000 Allemands, connaît une journée
d’occupation presque ordinaire.
La Libération du premier grand port français se fera trois
semaines plus tard avec un fort appui de la marine alliée. Pour
épauler les troupes terrestres, une flotte américaine
et britannique vient bombarder les batteries de la forteresse de Cherbourg
qui verrouillent le port depuis le Val-de-Saire à l’est
jusqu’à la pointe de la Hague à l’ouest.
La reddition des
Allemands est obtenue le 26 juin, mais le dernier fort de la rade ne
sera neutralisé que le 29.
13 000 Américains ont été blessés, 2 800
tués et 3 000 déclarés disparus pour que les libérateurs
puissent accéder aux installations portuaires. Les Alliés
ont impérativement besoin du port en eau profonde pour débarquer
les centaines de milliers de tonnes de matériels nécessaires
à l’avancée des troupes.
Depuis la tempête
du 18 juin, les ports artificiels construits au large du Calvados, partiellement
détruits, n’assument plus la déferlante logistique.
En quelques semaines, avec des moyens extraordinaires, les troupes alliées
et les ouvriers Cherbourgeois remettent en état un port saboté
par les Allemands.
110 épaves
sont renflouées, 580 mines détruites. Le 16 juillet, le
premier grand navire de transport peut accoster.
Du 16 juillet au 30 septembre, prés de trois millions de tonnes
de marchandises sont débarquées à la cadence de
25 000 tonnes par jour .
15 locomotives
et 23 000 wagons sont mis sur rails. L’alimentation en carburant
de toutes les forces alliées se fera par un pipe-line, Pluto,
arrivant à Cherbourg depuis la côte sud-anglaise.
L’activité
restera intense jusqu’à la fin de la guerre, faisant de
Cherbourg le premier port du monde, acteur unique de la libération
de l’Europe, rôle un peu oublié depuis par l’histoire.
La poupée
sous les ruines
La Libération
devait commencer par l’apocalypse. A Saint-Lô, le 6 juin,
alors que la nouvelle du débarquement commence à circuler,
la joie est brusquement ternie par un bombardement sur la gare. La plupart
des habitants ne comprennent pas l’avertissement et restent chez
eux. Ils vont connaître l’enfer dans une ville transformée
en brûlot.
Quelques habitants
avaient préféré fuir. Parmi eux, il y avait une
jeune fille nommée Marie Thérèse et sa poupée
baptisée Emeraude. Emeraude, choyée, adorée, adulée,
n’avait jamais quitté Marie Thérèse, et elle
venait de passer la nuit avec elle, à l’écart de
la ville. Ils étaient là, une dizaine, qui croyaient naïvement
être à l’abri sous un pont de pierre. Tout engourdis,
ils attendaient l’aube. Marie Thérèse regarda ses
semelles de bois qui commençaient à flotter et crut entendre
sa grand-mère lui reprocher d’avoir pris sa poupée
au lieu d’une bonne paire de souliers.
Marie Thérèse
s’aperçut alors qu’une petite fille à côté
d’elle, blottie contre sa mère, la regardait intensément.
Dans un murmure la petite fille lui dit : "Dis tu me prêtes
ta poupée, elle est si belle. La mienne a été tuée
sous ma maison, dans le bombardement d’hier". La petite fille
partit d’un long sanglot. Alors spontanément, Marie Thérèse
mit Emeraude dans ses bras et lui dit : "Tiens, je te la donne.
Prends en bien soin. Ne pleure plus. Aime la". L’enfant dit
merci tout bas, puis s’endormit. Marie Thérèse sentit
monter de grosses larmes, "comme lorsqu’on quitte un être
cher dont le souvenir restera toujours vivant parce qu’il fait
partie de nous, de notre vie tout entière. Au matin, on s’est
séparé. On s’est dit au revoir. On ne s’est
jamais revu".
La bataille a
duré un mois et demi. C’est dans un champ de ruines que
les soldats du général Gerhardt ont fait leur entrée
le 18 juillet. Tué alors qu’il préparait la dernière
attaque, le Major Howie réalisa son vœu. Il entra dans Saint-Lô
à la tête de ses troupes, enveloppé dans un drap,
déposé sur une jeep.
Avec la prise
de Saint-Lô, la 1ère armée américaine venait
d’atteindre l’un de ses principaux objectifs. Mais pour
briser une fois pour toutes la ligne de défense adverse, une
offensive d’envergure s’avérait nécessaire.
"Cobra" était en marche.
Mourir au pied
des haies
Cherbourg est
tombée le 26 juin. L’état-major allié s’impatiente
de voir ses divisions blindées fondre sur la Bretagne.
Il faut percer à l’ouest vers Lassayn à l’est
vers Saint-Lô. Aux premiers jours de juillet, Bradley donne le
signal de l’assaut à douze divisions, sur un front qui
s’étire de Portbail au nord de Saint-Lô. Pénible
progression à travers les marais et le bocage. Les Américains
se heurtent à la ligne Malhmann, à hauteur de la Haye-du-Puits.
Une semaine de fureur pour prendre le bourg. Dix mille soldats hors
de combat, un homme par mètre gagné, c’est le prix
payé. Sainteny est libéré le 14 juillet, il en
a coûté une hécatombe.
Les Allemands
tirent le meilleur parti du terrain. Ils s’incrustent et s’embusquent
dans le dédale des haies. On se bat d’homme à homme,
mètre par mètre. L’aimable bocage se révèle
un enfer. Ce n’était pas prévu. Il faut en finir.
La punition tombera du ciel, elle s’appellera "Cobra".
Un déluge de bombes, une au mètre, s’abat sur un
périmètre de 6 km sur 3 autour de la Chapelle-Enjuger.
Au soir du 25 juillet, les Américains sont en proie au doute,
d’autant qu’ils ont bombardé leurs propres troupes.
En fait, ils ont frappé le coup mortel.
La Panzer Lehr
du général Bayerlein est anéantie, calcinée
au sol. Les Américains ont ouvert la brèche, qui va leur
permettre de déferler plein sud. Les premières colonnes
américaines ont pu pénétrer dans Saint-Lô
le 18 juillet.
La 29° division n’y a découvert qu’un spectacle
de désolation : La ville est totalement dévastée.
Elle restera pour longtemps "la capitale des ruines". Coutances,
elle aussi a payé le prix fort pour sa libération. Deux
cent quarante quatre de ses habitants ont péri sous les bombes
et les obus. Quand les premières colonnes américaines
entrent dans la cité épiscopale, le 28 juillet à
13 h 30, elles délivrent une ville sinistrée à
60 %. Le 20 août, la haute stature du général De
Gaulle se dresse au pied de la cathédrale, pour exhorter la ville
à se relever.
Patton se rue vers
le Sud
L’opération
"Cobra" a ouvert les routes du Sud. Patton, le général
au pistolet à crosse d’ivoire, piaffair d’impatience.
Déjà entré dans l’histoire lors des combats
d’Afrique du Nord et de Sicile, il va pouvoir encore ajouter à
sa gloire à la tête de la III° armée. Granville
tombe sans coup férir. Avranches est prise le 30 juillet, mais
subit une contre-attaque.
Grâce au renfort de l’aviation, la capitale du sud-Manche
est définitivement libérée le 31 par les hommes
de "Tiger Jack", l’intrépide général
Wood. Le dispositif allemand était plutôt faible, ce qui
n’a pas épargné à la ville d’être
arrosée de bombes. Patton se rue vers la Bretagne, la Loire et
le Maine, par l’étroit corridor de Pontaubault.
Avec une folle audace, appuyé il est vrai par une aviation maîtresse
des airs, il fait passer sept divisions et 10 000 véhicules en
72 heures. "Pour la première fois, une armée attaque
aux quatre points cardinaux" s’exclame Patton.
Hitler qui n’a cessé de croire à une diversion et
attendait la grande invasion sur le Pas-de-Calais, s’est tardivement
ressaisi. Il lance le 7 août l’opération "Luttich"
: Trois divisions blindées doivent percer entre Vire et Mortain,
puis bloquer l’avance américaine dans le goulot du Sud-Manche.
Dernière grande offensive, ultime échec du Reich.
Mortain qui avait été libéré le 2 août
est certes reprises. Un bataillon américain encerclé sur
les hauteurs va tenir héroÏquement pendant six jours. Mais
avec le beau temps revenu, les avions "Typhoon" clouent au
sol les blindés allemands.
Le 12 août, Mortain est de nouveau aux mains des Américains.
Trois jours après, la totalité du département est
libérée. Hitler a commis l’erreur majeure en se
jetant dans la souricière de Mortain. Bouleversant leur stratégie
initiale qui les guidait vers la Loire, les Alliés mettent le
paquet à l’Est pour encercler la 7ème armée
allemande.
La Libération
de l’Orne
Argentan, Flers,
Ecouché ont souffert des bombardements du 6 juin, mais il faudra
deux mois à l’Orne pour apercevoir ses libérateurs.
Il faudra deux
mois pour que l’armée américaine perce dans la Manche
et opère un vaste mouvement tournant en Bretagne et Pays de Loire,
avant de remonter plein nord depuis Le Mans. Deux mois pendant lesquels
les bombardements continueront, faisant par exemple 200 morts à
Vimoutiers. Deux mois d’attente mis à profit par les FFI
pour préparer la Libération. A partir du 11 août,
l’Orne va devenir le chemin de retraite de l’armée
allemande et, à partir du 19 août, le théâtre
de son anéantissement.
Accompagnée par des FFI qui commencent à libérer
la campagne du Perche, la 2ème division blindée française,
commandée par le général Leclerc, entre à
Alençon le 12 août, triomphalement et sans combattre, en
même temps que la 5ème DB américaine libère
Sées. Puis les deux divisions montent sur Argentan, où
la résistance allemande est très forte.
Après l’échec de Mortain, les Allemands ont compris
le danger, et ils refluent en désordre de la région de
Flers.
Les Américains, qui ont rejoint les Britanniques à Tinchebray
le 15 août, poursuivent vers Argentan. Le couloir emprunté
par les Allemands est alors de 50 km de long sur 20 km de large. La
chute de Falaise précipite l’encerclement. La 3ème
armée de Patton pousse au sud, la 1ère d’Hodges
pousse à l’ouest, la 2ème de Dempsey au nord-ouest
et la 1ère de Crerar au nord.
L’étau se resserre peu à peu sur la VII° armée
de Hausser et la Vème armée de Panzers d’Eberbach.
Le 17 août, après un pilonnage de deux jours, les Canadiens
et les Polonais entrent à Trun. Le 19 août, après
cinq jours de combat indécis, les Américains s’installent
au Bourg Saint-Léonard.
Pendant que le pilonnage s’intensifie sur l’armée
en déroute, la 1ère division blind ée polonaise
du général Maczek est envoyée du nord vers Chambois,
point de rendez vous fixé avec la 90ème division américaine
qui remonte du sud. Arrivée seule sur le mont de Boisjos, la
1ère DB polonaise va résister héroïquement
aux assauts des Allemands qui tentent de sortir de la nasse, et aux
contre-attaques venue de l’arrière. Le 21 août, 50
000 Allemands se rendent, l’Orne est libérée, la
bataille de Normandie est terminée.
Flers : un immense
brasier
Si le 5 juin 1944, on distribue toujours à la mairie de Flers
des cartes de textile E et J pour les enfants et les jeunes gens, on
n’ignore pas que l’intervention des Alliés est imminente.
Et pourtant, dans son édition du matin, le "journal de Flers",
qui a paru durant toute la guerre, rend compte de l’assemblée
générale du comice agricole et publie les résultats
du certificat d’études. Mais dés le lendemain, Flers
écrit l’une des pages les plus tragiques de son histoire.
Dans la nuit du 5 au 6 , la maison Fouchard est détruite par
une bombe incendiaire, rue de la Fontaine. Les hommes de la Défense
passive, en retire sept cadavres. Et alors que sur la côte normande
le bombardement aérien s’est déroulé comme
prévu, les Flériens, paniqués, quittent la ville
pour les hameaux voisins. D’autres se réfugient dans l
‘église Saint-Germain.
Le 6, à 20 h , les vitres se mettent à trembler, tandis
qu’un grondement de bombes s’abat sur la cité. Pendant
plus d’une heure, douze escadrilles américaines et leurs
deux cents "forteresses volantes" pilonnent la cité.
Sur le chemin des charretiers, ceux qui le peuvent encore, prennent
la fuite. En ville la rue de Messel, la rue de la Boule, la rue de Donfront
ne sont plus qu’un immense brasier. Hommes et femmes gisent sous
les décombres.
Tout n’est que ruines. Une centaine de civils périssent
sous les bombes.
Les combats se poursuivront tout l’été. Avant que
le 16 août 1944, les troupes de la 11° division blindée
britannique ne libèrent la ville.
Une ville à
la campagne
André Jidouard
avait 17 ans. Il était l’un des quelques 6 000 habitants
que comptait Argentan le 6 juin 1944, lorsque le bombardement a commencé.
"Le premier,
le matin, autour de la gare, a fait quatre victimes. Le deuxième,
vers 14 h, a détruit le pavillon Laënnec de l’hôpital,
tuant les malades ainsi que d’autres civils. Les habitants de
la ville ont décidé de fuir, d’autant que des tracts
annonçant de nouveaux bombardements, avaient été
envoyés par les Alliés. Seules quelques personnes ne demeurant
pas prés de la ligne de chemin de fer sont restées. Les
familles se sont dispersées dans les villages des alentours".
"Dans une
petite ville, tout le monde se connaît. Qui n’avait pas
d’amis à la campagne ?". La vie a continué.
"Il y avait des pommes de terre, du blé. Les boulangers
ont repris leur métier. Chacun avait une place dans une étable
ou un coin de bâtiment. Les cultivateurs ont bien abattu des bêtes,
élevé des poules et des lapins. Les Argentanais, eux,
donnaient un coup de main aux moissons . Les bombes pendant ce temps
là ont continué à tomber sur la ville".
"Les Argentanais
y revenaient parfois, chercher des objets dans leurs maisons ou des
légumes dans les jardins :
Du moins ceux qui n’avaient pas tout perdu . La migration a duré
jusqu’en septembre. On a enterré cent cinquante morts.
Les cheminots ont été les premiers à revenir dans
la ville détruite à 87 % . "Ils ont réparé
ce qui était réparable, et les premiers baraquements ont
été construits".
"Il faut
dire que les maison et les monuments qui n’avaient pas trop subi
de dommages au cours des bombardements ont été dévastés
par les tirs d’artillerie. Mais les gens ont fait avec. Quand
nous sommes revenus, nous en avons vu qui privés de bureaux,
avaient repris leur travail dehors".
La Souricière
En 1944, Raymond
Marais, avait 21 ans. Il était réfractaire et se cachait.
Il est retourné à Chambois chez ses parents au moment
où la poche se fermait.
"Nous étions prisonniers comme des souris. Mes parents se
croyaient à l’abri à l’écart de la
route Falaise-L’Aigle.
C’est seulement aux alentours du 15 août que les agriculteurs
se sont rendus compte que quelque chose de terrible allait leur arriver.
"Les Allemands étaient très inquiets et l’artillerie
mitraillait de façon intense".
"Les civils ont alors cherché des abris. "Je me suis
trouvé dans une cave du 15 au 20 août. J’avais tellement
peur que je ne me souviens pas d’avoir éprouvé quelque
besoin que ce soit. Nous n’avons pas mangé et à
la limite, la mort aurait presque été une libération".
"Les souvenirs affluent : La grand-mère assise sur sa chaise,
dans la cave, l’allemand touché par un obus qui s’effondre
dans les bras du jeune homme au moment d’arriver… Mais aussi
le départ en catastrophe de la cave, parce que un "Kamikaze"
allemand a fait sauter son char dans un geste de désespoir et
que toute la ferme risquait de prendre feu".
"C’était un spectacle d’apocalypse. Les branches
des pommiers et les bêtes crevées s’entremêlaient,
les chars étaient figés ça et là. Et les
cadavres restaient là où ils étaient tombés".
"Après un passage à gué sur la Dives, la famille
de Raymond a suivi un passage parallèle au "couloir de la
mort".
C’est alors qu’ils ont vu un uniforme derrière un
arbre : "Le bras qui nous faisait signe de continuer était
Kaki. C’était celui d’un soldat allié venu
en avant-garde : Nous étions libérés".