La bataille de Normandie
Par Roger Lenevette
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Montgomery et
Charles de Gaulle

L’attente et la surprise

Le débarquement des forces alliées sur le sol français est, au printemps 1944, impatiemment attendu par Hitler, qui a besoin de cet affrontement pour dénouer une situation compromise. Il l’a dit le 20 mars à ses commandants convoqués au Berghof. Le rejet à la mer des forces de débarquement est "le seul facteur décisif pour le résultat final de cette guerre". L'échec, dit le Fürher du III° Reich, provoquera un choc terrible en Angleterre et aux Etats Unis. Roosevelt et Churchill, déjà âgé, à la santé chancelante, seront évincés. Le Reich débarrassé de cette menace à l'ouest pourra donc lancer une puissante contre-attaque sur le front russe. Avec l'appui des nouvelles armes, avions à réaction, V1 et V2, que ses usines sont en train de forger. Elles seront prêtes dans quelques mois.
L'Etat-Major Allié attend de son côté l'aube la plus favorable du printemps pour lancer le débarquement dit, l'opération
"Neptune". Le plan d'intoxication "Fortitude" est une totale réussite. Grâce aux Services Secrets, grâce aux fausses divisions et aux bateaux de caoutchouc qu'on masse face au Pas-de-Calais, Hitler est désormais persuadé que la Normandie a été abandonnée.
Après le débarquement, les Allemands s'attendront logiquement à une offensive vers l'est.
On fera le contraire. Les Américains perceront vers l'ouest, prendront Cherbourg, puis les ports de Brest, Lorient, Nantes pour amener l'approvisionnement des Etats-Unis.
Il faudra 42 jours pour prendre Brest. Lorient et Saint-Nazaire tiendront jusqu'à la fin.
La mission confiée à Eisenhower, commandant suprême d'Overlord est claire : Il doit en 80 jours, conquérir l'espace compris entre la Loire et la Seine, de Nantes au Havre, et en faire le tremplin de la reconquête. Eisenhower dispose pour cela, d'une puissance considérable en matériel et en hommes. Certains atouts sont énormes : quelques rares unités de lance-torpilles et vedettes rapides ne pèseront rien face aux 5 340 navires de l'armada alliée, la plus grande jamais portée par un océan.
Et le ciel sera avec Eisenhower, puisque les Allemands ne pourront pas mobiliser beaucoup de 400 avions en Normandie face aux 10 500 avions alliés.
L'armée d'Hitler, si elle croit priver d'approvisionnement les troupes débarquées en tenant la plaine de Caen et le port de Cherbourg sera surprise. Le Génie a prévu de construire en deux jours, juste derrière le front des aérodromes pour les chasseurs. Deux ports artificiels à Arromanches et Saint-Laurent, permettront de débarquer des dizaines de milliers d'hommes et des tonnes de matériel. Il n'y aura qu'un jour J, mais le débarquement durera des jours, des semaines, des mois. Jusqu'à la fin de la guerre, jusqu'à la victoire.


Des hommes et des armes

Ce qu'il faut préparer, ce n'est pas un jour J, mais un débarquement de 90 jours. Le premier jour sera cependant décisif. A ce moment là , sur la terre normande, les forces en présence seront sensiblement égales, 160 000 hommes de chaque côté. La surprise sera l'élément déterminant. Mais il sera beaucoup demandé aux hommes des premières vagues.
Ils sont plus de deux millions et demi de soldats à attendre depuis des mois, dans la campagne anglaise. Entre les bals où l'on écoute Joe Garland ou Clenn Miller, et les répétitions à tir réel, ils affolent un peu la population.
La majorité de cette armée est constituée de jeunes recrues, ignorantes des combats et résolument optimistes.
Ces soldats sont venus lutter pour la liberté et cela leur suffit. Certains comme les Canadiens et bien sûr les Français libres, ne cachent pas leur bonheur d'aller libérer la France. Tous espèrent seulement qu'ils pourront rentrer bientôt à la maison.
Quand aux vétérans britanniques, à l'image d'un Montgomery, au sourire impénétrable, ils sont désireux de prendre la plus éclatante des revanches. L'état d'esprit n'est pas le même dans l'armée allemande. On est loin de juin 1940.
Certes les troupes S.S. ont gardé un moral d'acier. Mais il y a les Ostruppen dont Von Schlieben a dit lucidement que : "L'on ne peut pas demander à un Grégorien de se battre en France, pour l'Allemagne, contre les Américains".
La Wehrmacht, elle même, l'armée régulière est friable. Des divisions entières ont été englouties sur le front de l'Est, et les villes allemandes sont devenues la proie des bombardements. Les vétérans de Russie ramenés en Normandie aspirent au repos. Les plus jeunes, ceux qui avaient entre 5 et 10 ans quand Hitler a pris le pouvoir, sont restés les plus fanatiques. Les uns sauront jouer de leur expérience et les autres luttent pour sauver leur patrie et leur famille.
L'armée allemande dispose cependant de quelques atouts. Ses officiers sont pleins d'expérience. Elle connaît bien le terrain, ce bocage favorable à la défense. Elle est bien armée, ses mitrailleuses sont plus rapides; ses armes anti-char, Panzerschreck et Panzerfaust sont supérieures aux faibles Bazooka et Pita; et le canon de 88 s'avèrera aussi redoutable contre les blindés que contre les avions. Son artillerie est sans doute plus faible mais le Panzer allemand, comme le dira un membre de l'état-major allié "vaut bien trois chars alliés, équipage compris".
Overlord a demandé une logistique extraordinaire préparée des mois à l'avance dans le secret. Dans des usines militaires, des femmes fabriquaient des parachutes : rouges, jaunes, verts, selon qu'ils allaient servir au ravitaillement, aux munitions, au matériel médica…Personne n'avait vraiment prévu, qu'ils seraient retaillés ensuite par les Français et feraient aussi des robes pour des petites Normandes ou des chemises et des chemisiers pour leurs parents.


Le déferlement allié

Les Panzers sont l'armée suprême allemande en Normandie. Rommel veut les rapprocher des côtes pour repousser le débarquement. Parce qu'il a appris en Afrique qu'il ne fallait pas les exposer à leur terrible prédateur, l'aviation alliée. Mais, autre disfonctionnement du commandement, il n'a aucun pouvoir sur eux. Il veut que des avions larguent des mines au large des plages, mais il n'a aucun pouvoir sur la Luftwaffe
Le 5 juin, la météo annonçant des pluies et tempêtes sur la Manche, Erwin Rommel part plaider sa cause à Berlin. Le même jour Eisenhower apprend qu'une accalmie accompagnera l'aube du 6 juin devant la Normandie. Il donne l'ordre de l'assaut. Les premiers en action sont les Résistants. Décapitée dans les derniers mois de 1943, la Résistance a pu se réorganiser.

Précieux pour les renseignements fournis, les Résistants vont l'être encore pour informer et guider les armées alliées. Aux alentours de minuit, 6 000 paras britannique sont lancés sur l'Orne, prennent les ponts de Bénouville, réduisent au silence la batterie de Merville. Au même moment 13000 paras américains prennent position au nord de Vire et coupent à Sainte-Mère-Eglise la route de Cherbourg à Caen. Le débarquement peut commencer.
Cinq plages ont été choisies entre la Vire et l'Orne. Utah, devant Sainte-Marie-du-Mont, et Omaha, devant Colleville, sont prises d'assaut par les Américains.
Entre ces deux plages, des Rangers sont montés à l'abordage de la Pointe du Hoc. Gold devant Asnelles et Sword devant Ouistreham sont attaqués par les Britanniques, alors que Juno est la plage des Canadiens. L'opposition est faible à Utah. Une vive résistance est opposée aux divisions alliées à Sword, gold et Juno.
Mais c'est à Omaha que l'on frôle la catastrophe. Les bombardements aériens préalables ont manqué leurs cibles et les Américains perdent 3 000 hommes.
Au soir du 6 juin, les Allemands, étant privés de ravitaillement, la situation à Omaha est rétablie. La jonction n'est pas terminée entre les cinq plages, mais la tête de pont a résisté aux contre-attaques. Hitler n'y croit pas et maintient sa XV° armée en alerte dans le Pas-de-Calais. Il n'y croira pas avant la fin juillet.
Le jour J est donc un succès. Le débarquement continue. Le déferlement commence.


Les paras premiers libérateurs

Dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, de chaque côté des plages, trois divisions sont parachutées ou envoyées par planeurs pour protéger le débarquement, prendre appui d'un côté sur la route Caen – Cherbourg, s'assurer de l'autre le contrôle des ponts sur l'Orne. Cela fait de Bénouville la première commune libérée dans le Calvados par les Britanniques, et de Sainte-Mère-Eglise la première commune de la Manche libérée par les Américains.


La Libération du Calvados

Les troupes Anglo-Canadiennes ont pour mission de prendre Caen, dés le 6 juin, et la plaine au sud vers Falaise, indispensable aux bombardiers lourds. Mais après une contre-offensive menée jusqu'à Luc-sur-Mer, les Allemands sont revenus constituer un solide rempart autour de Caen.
Les libérations commencent à l'ouest : Bayeux est reprise intacte le 7 juin par les britanniques. Isigny tombe aux mains des Américains le 8 après de durs combats. Le 8 encore, Américains et Britanniques se rejoignent prés de Port-en-Bessin qui se transforme aussitôt en "Terminal pétrolier".
Commence alors une meurtrière succession d'assaut sus Caen. Montgomery une première fois tente un contournement par l'ouest en direction de Tilly-sur-Seulles, qui échoue sur deux divisions ennemies fraîchement arrivées.
La deuxième grande offensive, baptisée "Epsom" est lancée le 25 juin. L'objectif est d'atteindre Bourguébus, pour encercler Caen par le sud-ouest. C'est un nouvel échec, mais qui s'avère tout aussi coûteux pour les Allemands. Ceux ci doivent abandonner l'idée d'une contre-attaque massive vers la Manche et laissent ainsi sans renforts leurs divisions confrontées aux divisions américaines.
Le 3ème grand assaut est lancé dans la nuit du 7 au 8 juillet par les bombardiers de la RAF qui déversent plus de
2 500 tonnes de bombes sur Caen. La moitié de la ville est libérée, mais les Allemands ont dressé une nouvelle ligne de défense au sud de la ville. Montgomery multiplie les attaques. Les deux premières par l'ouest, échouent, la troisième (Goodwood le 18 juillet), permet de libérer la ville et sa banlieue sud.
Août sera le mois des victoires. Hermilly, Villiers-Bocage tombent le 4. Après un premier échec (Totalize le 8), Falaise est prise le 15 (Opération Tractable) par les Canadiens. Pendant ce temps, Vire, en ruines est libérée par les Américains, et les Britanniques investissent Thury-Harcourt (le 12) puis Condé-sur-Noireau (le 17).
Les Allemands sont en fuite.
Ceux qui ont échappé au massacre dans la poche de Falaise s'enfuient en bon ordre. La Touques est la dernière ligne de défense dans le Département. Les derniers combats libèrent Lisieux et Pont-L'Evêque. Le 25 août, le Calvados est entièrement libéré.


Un grondement terrible

"Au loin, vers Bayeux, on voyait des lueurs blanches, rouges. Un grondement terrible".
Cinq heures du matin le 6 juin. Pensionnaire à l'école publique de Tilly-sur-Saulles, Yves Faucon est réveillé en catastrophe par Mr Ansevin, l'instituteur. Il nous adit : "Le débarquement a commencé. Faites rapidement votre toilette, habillez vous et prenez une couverture".
Dans le village les officiers allemands crient aux gens : "Gross malheur, gross malheur !".
Yves n'aura pas le temps d'avertir sa mère, la patronne de l'hotel Jeanne d'Arc, réquisitionné par la Wehrmarcht.
Les grondements s'amplifient. Les enfants sont conduits rapidement vers la sortie du bourg. Ils s'installent dans une double haie.
"On est resté là des heures. On entendait d'énormes explosions". Une dizaine d'obus de marine tombent à 500 mètres du bourg. Puis un déluge de bombes s'abat sur la commune : Tilly tout entière sera rasée. L'hôtel aussi".
Pour Yves l'angoisse commence : Où sont sa mère et son frère, que sont devenus Germaine la cuisinière, Mr Quétil le jardinier, Mme Pelâtre, la blanchisseuse … ? "Des gens pleins de poussière sont arrivés dans notre cache. On m'a dit que ma famille avait été tuée".
L'effroi, puis le soulagement : "A midi, j'ai vu arriver maman et mon frère". Yves Faucon se souviendra longtemps du Débarquement, de ces évènements et des odeurs : "Un mélange de brûlé, de poudre, de gaz, d'essence, de poussière et de … cigarette blonde".
Avec aussi, dans la nuit du 5 au 6, ces lueurs dans le ciel : "Dans ma tête de gamin, c'était comme un incroyable feu d'artifice".


L'hôpital souterrain

Aux premières heures de la Libération, la population Caennaise sut manifester sa reconnaissance aux troupes alliées, comme aux résistants (1). En témoigne ce récit par Jacques Duchez, président de "Présence du Gaullisme" dans le Calvados, fils de René Duchez, ce Résistant Caennais qui déroba les plans du "Mur de l'Atlantique". Il s'agit du récit d'un médecin, le docteur Lemarchand, réfugié avec des malades dans un hôpital souterrain, dans l'une des carrières de Fleury-sur-Orne.

"C’est aujourd’hui mardi 18 juillet. Depuis quatre jours, la vie est impossible. A tout instant, l’occupant est là, irascible, avec sa menace d’évacuation et son "Rauss" perpétuel. A 1 h 15, nous avons vu les téléphonistes rouler leurs fils, les voitures camouflées dans la carrière souterraine : On sent que le départ est proche, mais est-ce définitif ?
On sait que l’ennemi occupe encore Fleury et les carrières Saingt. Dés le matin, il a procédé à l’évacuation de la carrière, mettant sur la route, femmes et enfants, et profitant de l’exode de ces malheureux pour se replier.
Des avions alliés, en grand nombre, survolent et bombardent la région de Bourguébus. Affolés, les évacués se camouflent où ils peuvent et viennent chercher refuge aux carrières des Coteaux. Enfin l’alerte est passée, et la matinée s’achève.
Vers 12 h 30, les tirs alliés manifestent une recrudescence : l’anxiété augmente ; à 13 h 15, apparaissent les FFI, Gilles, Duchez, Buot, Goguet fils, avec leurs jeunes gens.
Le bombardement s’intensifie. Un petit "mouchard" survole et ne semble pas voir la progression de nos libérateurs. Enfin, deux emblèmes signalent la situation. Les tirs cessent. Le Commandant Gilles et le Capitaine Duchez, portant des drapeaux Français et Anglais, se présentent et entrent dans l’hôpital souterrain. Ils ont dû avoir chaud !
La Marseillaise éclate, chantée par les malades, qui se dressent quand les drapeaux tenus par Duchez, survolent leurs lits. L’enthousiasme est indescriptible. Enfin c’est la remise des Croix de Lorraine, symbole de notre amour de la libetté.
La cérémonie est terminée. Ceux qui nous ont ramené l’espoir, partent pour continuer leur œuvre envers d’autres malheureux".

(1) Plusieurs groupes de résistants prirent part aux combats, lors de la libération de caen. Certains des FFI se rassemnblèrent pour former la Compagnie Fred-Scamaroni, du nom d’un résistant Corse, qui préféra mettre fin à ses jours, plutôt que de parler sous la torture . Les chefs de cette compagnie furent Léonard Gilles, René Duchez, Léon Durmis, Serge Goguel . La compagnie s’illustra, ensuite, en participant à la libération du Pays d’Auge . Les hommes de la compagnie guidèrent, notamment, les troupes alliées lors des combats à Lisieux.


Hôpitaux de fortune à Bayeux

Miraculeusement épargnée par les bombardements, Bayeux est devenue la ville d’accueil des blessés civils.
Des milliers d’habitants de Tilly, Falaise, Caen et de la Manche y ont été soignés dans des hôpitaux de fortune installés dans les écoles. Dés la libération de la ville, le 7 juin, les blessés arrivent par dizaines.

Les premiers sont conduits à l’hôpital et dans une maison de la rue Royale où la clinique a élu domicile depuis la réquisition de ses locaux en 1940. Très vite, la place manque. Dans son livre de bord, Melle Marc, directrice du Lycée Jeanne-d’Arc, témoigne :
"Le 7 au matin, le maire est venu nous demander les matelas pour le Collège Chartier qui allait être transformé en hôpital. L’après midi, contre-ordre : notre maison est réquisitionnée comme hôpital de première classe ".
Un bloc opératoire y est aménagé à la hâte pour compléter celui de l’hôpital et le docteur Jeanne, seul chirurgien pendant des semaines, opère de l’un à l’autre. Des hôpitaux complémentaires sont installés dans toutes les écoles, et des dizaines de bénévoles apportent leur aide.
Melles Picot et Limeul, deux institutrices résistantes en étaient : "On a reçu jusqu’à 90 personnes dans l’école, que l’on soignait grâce aux cours de secourisme suivis au début de la guerre. Le reste, on l’apprenait sur le terrain".

Sans compter le temps passé au prés des malades : "De sept heures à minuit, sept jours sur sept, mais on était jeune, on acceptait la fatigue" confie une religieuse.
"Les débuts ont été très difficiles" se souviennent sœur Agnès et sœur Gèneviève : "On manquait de tout et les blessés arrivaient avec des blessures épouvantables. La gangrène menaçait chaque blessé" atteste Léonce Dupont, autre bénévole chargée de l ‘accueil. "On devait brûler les membres dans la chaudière du Lycée".

A la libération de Caen des renforts sont arrivés. "Les Anglais qui avaient installés des hôpitaux de campagne pour les militaires, autour de Bayeux, nous ont fourni du matériel puis de la pénicilline" se souvient Simone Bertrand, alors responsable de la Croix-Rouge .
Avec l’avancée des Alliés, les autres villes libérées ont retrouvés leurs hôpitaux, et les salle de classe Bayeusaines ont été rendues aux écoliers fin septembre.


Jours d’errance dans le bocage

Voici le témoignage de Jacques Tesnière, chef de rédaction à Caen, sur son exode et celui de sa famille durant l’été 1944, sur les routes du bocage.
"Pour les enfants, la guerre est une initiation brutale à la vie et à la mort.. Je n'avais que six ans, mais je garde en mémoire des images de ces jours anciens de l'été 1944. Jours d'errance sur les chemins du bocage. Jours de peine et de peur, de découverte aussi d'un monde nouveau, la campagne. Je me souviens de Vire en feu : le soir du 6 juin, après le bombardement, je suis jeté avec ma famille sur les routes. Il faut fuir, chercher un abri de ferme en ferme.
Je m'endors dans une ferme inconnue. Je me réveille dans un plant de pommiers, sous un autre bombardement.
Ce ne sont pas les étoiles qui brillent dans le ciel, mais les bombes. Je me souviens des jours suivants : on marche beaucoup. Nous allons de village en village : Roullours, Maisoncelles, Truttemer. Ma mère veut retrouver mon père, médecin, resté avec les secours sous le bombardement de Vire, et dont elle est sans nouvelles. Les rumeurs circulent avec les réfugiés. Je revois ma mère apprenant que mon père a les jambes coupées ! Elle éclate en sanglots, je lui tiens la main. Des kilomètres plus loin, soulagement : mon père est sauf, replié avec le service de santé, à Maisoncelles.
Je me souviens des chuchotements des "grands" : le secteur n’est pas sûr. Nous serons bien mieux dans une ferme prés de Mortain. Je me souviens de mon étonnement à Saint-Jean-du-Corail : la paix au fond du bocage feuillu. Jours heureux à découvrir les animaux de la ferme, les chemins creux sans fin, le mystère dees instruments aratoires. Odeur forte des étables, parfum chaud du pain frais, cuit dans le four artisanal. Effluves enchanteresses de la luzerne coupée.
Début août, à nouveau la guerre. Les soldats ennemis campent dans la ferme, s’enfuient emportant un cochon. Nous sommes au milieu des lignes. Il faut fuir encore. Nous marchons à nouveau, je ne sais vers où ? Toujours plus loin, jusqu’à ce jour où nous rencontrons une colonne militaire : ce sont les troupes du Général Leclerc. Je me souviens de la joie des adultes, une joie qui m’échappe un peu. Mais la rencontre marque la fin de l’errance.
Je me souviens du retour en septembre à Vire, dans une ville aux ruines verticales. Puis du premier anniversaire du 6 juin. De la foule au pied de la Porte-Horloge. Du nom des 500 victimes, égrenés dans le silence. Je me souviens du vide tout autour : les pans de murs ont été abattus. Le champ de ruines s’étend jusqu’à l’église Notre-Dame. Il sera pour quelques années, un terrain de jeu pour les petits Virois. Et à quoi jouent les enfants après la bataille ? A la guerre".


Les réfugiés de la crypte

Les 6 et 7 juin 1944, les trois bombardements de Lisieux ont fait 1 200 morts. La ville comptait alors 16 000 habitants… Beaucoup se réfugient dans les environs. D'autres choisissent l'abri de la crypte de la basilique. L'édifice sera frappé par cent impacts d'obus et d'éclats. Mais il est préservé.
Au matin du 7 juin, la crypte de la basilique se transforme en abri. Lisieux vient de subir un déluge de mort et de feu. Parmi les arrivants, la communauté du Carmel. La mère Prieure a fait évacuer les religieuses, face à la persistance des dangers. Le Carmel a été épargné par les bombes mais les immeubles voisins de la chapelle sont anéantis.
Les carmélites seront rejointes par les sœurs de la "Miséricorde", et aussi par des prêtres et des familles de Lisieux et des environs.. "Nous étions 80 personnes alors que la bataille faisait rage" se souviennent quelques religieuses. Dans la crypte, la vie s’organise, avec des départs et des arrivées quotidiens. "On dormait devant les trois autels, sur des matelas et sur des bancs". Il y avait aussi des gens prés des marches.
Le père Jean Picard, actuel chapelain du pélerinage, a partagé ces heures d’angoisse. Ordonné prêtre le 3 juin, il est envoyé au Pré-d’Auge, sa paroisse natale, pour remplacer l’abbé Lanier, déporté. Le 8, il se rend à Lisieux à vélo.
"Avec Mr Germain, recteur de la basilique, et le père Augros, supérieur du Séminaire des Missions de France, nous avons véhiculé une remorque chargée de pains, pour les gens de la crypte. Le passage qui serpentait entre les ruines avait moins d’un mètre".
Jean Picard multipliera les visites aux réfugiés de la crypte, pour leur apporter un réconfort matériel et spirituel.
"Les conditions d’existence étaient sommaires. C’était la communauté au sens premier : Les gens partageaient tout…".
Les religieuses du Carmel et des dizaines de personnes sont restées jusqu’au 27 août sous cet abri consacré à Sainte-Thérèse : "La ville était totalement morte …"


La libération de la Manche

Le premier objectif des Américains, une fois la jonction opérée entre les divisions parachutées et débarquées, c’est Cherbourg. Il faut d’abord résister aux contre-attaques sur Carentan, qui est tombée le 12, puis isoler la presqu’île.

Malgré une forte résistance allemande, Barneville est atteinte le 18 juin. Les Allemands se replient sur Cherbourg où, assiégés par terre, mer et air, ils capitulent le 26 juin. Mais le grand port en eau profonde du Cotentin a été pris avec 12 jours de retard sur les prévisions et il est détruit. En travaillant jour et nuit, les Alliés réussissent l’exploit de le nettoyer en quelques semaines et Cherbourg va devenir pendant un an le premier port du monde.
La prise de Cherbourg est la première grande victoire alliée et elle a donné lieu à de grandes fêtes. Le retour aux combats est terrible. Devant la Haye-du-Puits, Pétiers, Sainteny, les GI’s tombent par milliers. Saint-Lô est prise le 18 juillet, mais avec trente jours de retard sur les prévisions, et c’est un champ de ruines.
Pendant ce temps, les hommes et le matériel s’agglutinent derrière le front. Les Allemands qui l’ignorent tentent des contre-attaques qui déciment leurs unités. Les Américains décident alors de frapper un grand coup. C’est l’opération "Cobra"
Elle est lancée le 25 juillet par un bombardement d’une violence inouïe sur une surface de 12 kilomètre carré autour de la Chapelle-Enjuger. La défense Allemande craque. Coutances, Granville sont libérées puis Avranches le 31 juillet.
Par l’étroit pont de Pontaubault, Patton envoie sa 3ème armée sur la Bretagne. C’est une véritable charge de cavalerie. Hodges et sa 3ème armée rencontrent plus de difficultés à l’est. Les Allemands ont tenté de rétablir un front sur la Vire. Il faut quatre jours de combats meurtriers pour que Percy rombe, le 2 août. Mortain, Saint-Hilaire, sont libérées, mais la partie n’est pas finie.
Hitler, lance dans la nuit du 6 au 7 août une contre-offensive des blindés allemands en direction d’Avranches.
Les Panzers sont stoppés à Mortain et aux alentours. La bataille dure une semaine menée par les Typhoon lance-roquettes, et se termine par une défaite décisive des allemands. La Manche est définitivement libérée le 15 août 1944.


Le Repli Allemand

La bataille des plages est gagnée. Carentan a été libérée le 12 juin. Il faut maintenant prendre Cherbourg et pour cela contourner Montebourg, où la défense allemande est vivace. Bradley a lancé la 90° division et la 82° aéroportée vers la côte ouest. Barneville tombe le 18 juin. Cela fait 10 jours que Montebourg est sous les bombes et flambe.
Pour les Allemands, c’est l’heure du repli ; pour les Cassins, c’est l’heure de la libération .
"On avait trouvé refuge chez le père Thomelin, le maire de Saint-Germain. Quand Saint-Martin a été pris, on a vu les Allemands se replier" se souvient Marcel Le Chaffetois. " Ils ont traversé le pont l’après midi… Des misérables.
C’était plus les Allemands de 40. C’était plus les bottes cirées et les chants. Ils avaient une carriole, C’était deux bouts de bois qui la tenaient en équilibre. La roue avait dû être fauchée par un éclat. Il y en avait un qui avait une mitrailleuse et un vélo qui n’avait pas de pneu à l’arrière. Ils allaient comme ça, en bras de chemise, barbus, fatigués. Ils ont traversé le bois de Saint-Germain et ils sont partis vers Cherbourg".
"Le repli s’effectuait sans trop de panique. On avait bien vu qu’ils avaient miné le pont. Vers sept heures du soir, alors qu’on mangeait la soupe, il y a eu tout d’un coup une grosse explosion. Le père Thomelin nous a dit : "ne vous affolez pas, c’est le pont qui vient de sauter". Alors la soupe a été tout de suite mangée, parce qu’il y avait de la poussière qui volait partout, et ça sentait la poudre".
"La libération est venue le lendemain ; Il n’y a pas eu de bagarres pendant la nuit. Le matin je suis parti traire avec Auguste Pouppeville. On allait terminer. Et puis à un moment, je regarde sous le ventre de la vache, et je vois trois hommes qui arrivent. Ils venaient du haut du clos. Ils avaient des fusils, étaient casqués".
"Je dis à Auguste : "Regarde par en dessous qui c’est qui nous vient".
"Ah, il me dit, surtout ne bouge pas, ne te sauve pas ". Ils se sont approchés. C’était trois Américains. L’un d’eux, qui parlait bien Français, nous a demandé s’il y avait encore des Allemands dans le coin. On a répondu qu’ils étaient partis de la veille. Une demi-heure après, les champs étaient pleins d’Américains. Tous les champs noirs de monde.
Je ne sais pas où ils avaient pu se cacher jusque là".


Cherbourg Porte de l’Europe

Le 6 juin 1944, Cherbourg avec ses 40 000 Allemands, connaît une journée d’occupation presque ordinaire.
La Libération du premier grand port français se fera trois semaines plus tard avec un fort appui de la marine alliée. Pour épauler les troupes terrestres, une flotte américaine et britannique vient bombarder les batteries de la forteresse de Cherbourg qui verrouillent le port depuis le Val-de-Saire à l’est jusqu’à la pointe de la Hague à l’ouest.

La reddition des Allemands est obtenue le 26 juin, mais le dernier fort de la rade ne sera neutralisé que le 29.
13 000 Américains ont été blessés, 2 800 tués et 3 000 déclarés disparus pour que les libérateurs puissent accéder aux installations portuaires. Les Alliés ont impérativement besoin du port en eau profonde pour débarquer les centaines de milliers de tonnes de matériels nécessaires à l’avancée des troupes.

Depuis la tempête du 18 juin, les ports artificiels construits au large du Calvados, partiellement détruits, n’assument plus la déferlante logistique. En quelques semaines, avec des moyens extraordinaires, les troupes alliées et les ouvriers Cherbourgeois remettent en état un port saboté par les Allemands.

110 épaves sont renflouées, 580 mines détruites. Le 16 juillet, le premier grand navire de transport peut accoster.
Du 16 juillet au 30 septembre, prés de trois millions de tonnes de marchandises sont débarquées à la cadence de
25 000 tonnes par jour .

15 locomotives et 23 000 wagons sont mis sur rails. L’alimentation en carburant de toutes les forces alliées se fera par un pipe-line, Pluto, arrivant à Cherbourg depuis la côte sud-anglaise.

L’activité restera intense jusqu’à la fin de la guerre, faisant de Cherbourg le premier port du monde, acteur unique de la libération de l’Europe, rôle un peu oublié depuis par l’histoire.


La poupée sous les ruines

La Libération devait commencer par l’apocalypse. A Saint-Lô, le 6 juin, alors que la nouvelle du débarquement commence à circuler, la joie est brusquement ternie par un bombardement sur la gare. La plupart des habitants ne comprennent pas l’avertissement et restent chez eux. Ils vont connaître l’enfer dans une ville transformée en brûlot.

Quelques habitants avaient préféré fuir. Parmi eux, il y avait une jeune fille nommée Marie Thérèse et sa poupée baptisée Emeraude. Emeraude, choyée, adorée, adulée, n’avait jamais quitté Marie Thérèse, et elle venait de passer la nuit avec elle, à l’écart de la ville. Ils étaient là, une dizaine, qui croyaient naïvement être à l’abri sous un pont de pierre. Tout engourdis, ils attendaient l’aube. Marie Thérèse regarda ses semelles de bois qui commençaient à flotter et crut entendre sa grand-mère lui reprocher d’avoir pris sa poupée au lieu d’une bonne paire de souliers.

Marie Thérèse s’aperçut alors qu’une petite fille à côté d’elle, blottie contre sa mère, la regardait intensément.
Dans un murmure la petite fille lui dit : "Dis tu me prêtes ta poupée, elle est si belle. La mienne a été tuée sous ma maison, dans le bombardement d’hier". La petite fille partit d’un long sanglot. Alors spontanément, Marie Thérèse mit Emeraude dans ses bras et lui dit : "Tiens, je te la donne. Prends en bien soin. Ne pleure plus. Aime la". L’enfant dit merci tout bas, puis s’endormit. Marie Thérèse sentit monter de grosses larmes, "comme lorsqu’on quitte un être cher dont le souvenir restera toujours vivant parce qu’il fait partie de nous, de notre vie tout entière. Au matin, on s’est séparé. On s’est dit au revoir. On ne s’est jamais revu".

La bataille a duré un mois et demi. C’est dans un champ de ruines que les soldats du général Gerhardt ont fait leur entrée le 18 juillet. Tué alors qu’il préparait la dernière attaque, le Major Howie réalisa son vœu. Il entra dans Saint-Lô à la tête de ses troupes, enveloppé dans un drap, déposé sur une jeep.

Avec la prise de Saint-Lô, la 1ère armée américaine venait d’atteindre l’un de ses principaux objectifs. Mais pour briser une fois pour toutes la ligne de défense adverse, une offensive d’envergure s’avérait nécessaire. "Cobra" était en marche.


Mourir au pied des haies

Cherbourg est tombée le 26 juin. L’état-major allié s’impatiente de voir ses divisions blindées fondre sur la Bretagne.
Il faut percer à l’ouest vers Lassayn à l’est vers Saint-Lô. Aux premiers jours de juillet, Bradley donne le signal de l’assaut à douze divisions, sur un front qui s’étire de Portbail au nord de Saint-Lô. Pénible progression à travers les marais et le bocage. Les Américains se heurtent à la ligne Malhmann, à hauteur de la Haye-du-Puits. Une semaine de fureur pour prendre le bourg. Dix mille soldats hors de combat, un homme par mètre gagné, c’est le prix payé. Sainteny est libéré le 14 juillet, il en a coûté une hécatombe.

Les Allemands tirent le meilleur parti du terrain. Ils s’incrustent et s’embusquent dans le dédale des haies. On se bat d’homme à homme, mètre par mètre. L’aimable bocage se révèle un enfer. Ce n’était pas prévu. Il faut en finir.
La punition tombera du ciel, elle s’appellera "Cobra". Un déluge de bombes, une au mètre, s’abat sur un périmètre de 6 km sur 3 autour de la Chapelle-Enjuger. Au soir du 25 juillet, les Américains sont en proie au doute, d’autant qu’ils ont bombardé leurs propres troupes. En fait, ils ont frappé le coup mortel.

La Panzer Lehr du général Bayerlein est anéantie, calcinée au sol. Les Américains ont ouvert la brèche, qui va leur permettre de déferler plein sud. Les premières colonnes américaines ont pu pénétrer dans Saint-Lô le 18 juillet.
La 29° division n’y a découvert qu’un spectacle de désolation : La ville est totalement dévastée. Elle restera pour longtemps "la capitale des ruines". Coutances, elle aussi a payé le prix fort pour sa libération. Deux cent quarante quatre de ses habitants ont péri sous les bombes et les obus. Quand les premières colonnes américaines entrent dans la cité épiscopale, le 28 juillet à 13 h 30, elles délivrent une ville sinistrée à 60 %. Le 20 août, la haute stature du général De Gaulle se dresse au pied de la cathédrale, pour exhorter la ville à se relever.


Patton se rue vers le Sud

L’opération "Cobra" a ouvert les routes du Sud. Patton, le général au pistolet à crosse d’ivoire, piaffair d’impatience. Déjà entré dans l’histoire lors des combats d’Afrique du Nord et de Sicile, il va pouvoir encore ajouter à sa gloire à la tête de la III° armée. Granville tombe sans coup férir. Avranches est prise le 30 juillet, mais subit une contre-attaque.
Grâce au renfort de l’aviation, la capitale du sud-Manche est définitivement libérée le 31 par les hommes de "Tiger Jack", l’intrépide général Wood. Le dispositif allemand était plutôt faible, ce qui n’a pas épargné à la ville d’être arrosée de bombes. Patton se rue vers la Bretagne, la Loire et le Maine, par l’étroit corridor de Pontaubault.
Avec une folle audace, appuyé il est vrai par une aviation maîtresse des airs, il fait passer sept divisions et 10 000 véhicules en 72 heures. "Pour la première fois, une armée attaque aux quatre points cardinaux" s’exclame Patton.
Hitler qui n’a cessé de croire à une diversion et attendait la grande invasion sur le Pas-de-Calais, s’est tardivement ressaisi. Il lance le 7 août l’opération "Luttich" : Trois divisions blindées doivent percer entre Vire et Mortain, puis bloquer l’avance américaine dans le goulot du Sud-Manche. Dernière grande offensive, ultime échec du Reich.
Mortain qui avait été libéré le 2 août est certes reprises. Un bataillon américain encerclé sur les hauteurs va tenir héroÏquement pendant six jours. Mais avec le beau temps revenu, les avions "Typhoon" clouent au sol les blindés allemands.
Le 12 août, Mortain est de nouveau aux mains des Américains. Trois jours après, la totalité du département est libérée. Hitler a commis l’erreur majeure en se jetant dans la souricière de Mortain. Bouleversant leur stratégie initiale qui les guidait vers la Loire, les Alliés mettent le paquet à l’Est pour encercler la 7ème armée allemande.


La Libération de l’Orne

Argentan, Flers, Ecouché ont souffert des bombardements du 6 juin, mais il faudra deux mois à l’Orne pour apercevoir ses libérateurs.

Il faudra deux mois pour que l’armée américaine perce dans la Manche et opère un vaste mouvement tournant en Bretagne et Pays de Loire, avant de remonter plein nord depuis Le Mans. Deux mois pendant lesquels les bombardements continueront, faisant par exemple 200 morts à Vimoutiers. Deux mois d’attente mis à profit par les FFI pour préparer la Libération. A partir du 11 août, l’Orne va devenir le chemin de retraite de l’armée allemande et, à partir du 19 août, le théâtre de son anéantissement.
Accompagnée par des FFI qui commencent à libérer la campagne du Perche, la 2ème division blindée française, commandée par le général Leclerc, entre à Alençon le 12 août, triomphalement et sans combattre, en même temps que la 5ème DB américaine libère Sées. Puis les deux divisions montent sur Argentan, où la résistance allemande est très forte.
Après l’échec de Mortain, les Allemands ont compris le danger, et ils refluent en désordre de la région de Flers.
Les Américains, qui ont rejoint les Britanniques à Tinchebray le 15 août, poursuivent vers Argentan. Le couloir emprunté par les Allemands est alors de 50 km de long sur 20 km de large. La chute de Falaise précipite l’encerclement. La 3ème armée de Patton pousse au sud, la 1ère d’Hodges pousse à l’ouest, la 2ème de Dempsey au nord-ouest et la 1ère de Crerar au nord.
L’étau se resserre peu à peu sur la VII° armée de Hausser et la Vème armée de Panzers d’Eberbach. Le 17 août, après un pilonnage de deux jours, les Canadiens et les Polonais entrent à Trun. Le 19 août, après cinq jours de combat indécis, les Américains s’installent au Bourg Saint-Léonard.
Pendant que le pilonnage s’intensifie sur l’armée en déroute, la 1ère division blind ée polonaise du général Maczek est envoyée du nord vers Chambois, point de rendez vous fixé avec la 90ème division américaine qui remonte du sud. Arrivée seule sur le mont de Boisjos, la 1ère DB polonaise va résister héroïquement aux assauts des Allemands qui tentent de sortir de la nasse, et aux contre-attaques venue de l’arrière. Le 21 août, 50 000 Allemands se rendent, l’Orne est libérée, la bataille de Normandie est terminée.


Flers : un immense brasier

Si le 5 juin 1944, on distribue toujours à la mairie de Flers des cartes de textile E et J pour les enfants et les jeunes gens, on n’ignore pas que l’intervention des Alliés est imminente.
Et pourtant, dans son édition du matin, le "journal de Flers", qui a paru durant toute la guerre, rend compte de l’assemblée générale du comice agricole et publie les résultats du certificat d’études. Mais dés le lendemain, Flers écrit l’une des pages les plus tragiques de son histoire.
Dans la nuit du 5 au 6 , la maison Fouchard est détruite par une bombe incendiaire, rue de la Fontaine. Les hommes de la Défense passive, en retire sept cadavres. Et alors que sur la côte normande le bombardement aérien s’est déroulé comme prévu, les Flériens, paniqués, quittent la ville pour les hameaux voisins. D’autres se réfugient dans l ‘église Saint-Germain.
Le 6, à 20 h , les vitres se mettent à trembler, tandis qu’un grondement de bombes s’abat sur la cité. Pendant plus d’une heure, douze escadrilles américaines et leurs deux cents "forteresses volantes" pilonnent la cité.
Sur le chemin des charretiers, ceux qui le peuvent encore, prennent la fuite. En ville la rue de Messel, la rue de la Boule, la rue de Donfront ne sont plus qu’un immense brasier. Hommes et femmes gisent sous les décombres.
Tout n’est que ruines. Une centaine de civils périssent sous les bombes.
Les combats se poursuivront tout l’été. Avant que le 16 août 1944, les troupes de la 11° division blindée britannique ne libèrent la ville.


Une ville à la campagne

André Jidouard avait 17 ans. Il était l’un des quelques 6 000 habitants que comptait Argentan le 6 juin 1944, lorsque le bombardement a commencé.

"Le premier, le matin, autour de la gare, a fait quatre victimes. Le deuxième, vers 14 h, a détruit le pavillon Laënnec de l’hôpital, tuant les malades ainsi que d’autres civils. Les habitants de la ville ont décidé de fuir, d’autant que des tracts annonçant de nouveaux bombardements, avaient été envoyés par les Alliés. Seules quelques personnes ne demeurant pas prés de la ligne de chemin de fer sont restées. Les familles se sont dispersées dans les villages des alentours".

"Dans une petite ville, tout le monde se connaît. Qui n’avait pas d’amis à la campagne ?". La vie a continué. "Il y avait des pommes de terre, du blé. Les boulangers ont repris leur métier. Chacun avait une place dans une étable ou un coin de bâtiment. Les cultivateurs ont bien abattu des bêtes, élevé des poules et des lapins. Les Argentanais, eux, donnaient un coup de main aux moissons . Les bombes pendant ce temps là ont continué à tomber sur la ville".

"Les Argentanais y revenaient parfois, chercher des objets dans leurs maisons ou des légumes dans les jardins :
Du moins ceux qui n’avaient pas tout perdu . La migration a duré jusqu’en septembre. On a enterré cent cinquante morts. Les cheminots ont été les premiers à revenir dans la ville détruite à 87 % . "Ils ont réparé ce qui était réparable, et les premiers baraquements ont été construits".

"Il faut dire que les maison et les monuments qui n’avaient pas trop subi de dommages au cours des bombardements ont été dévastés par les tirs d’artillerie. Mais les gens ont fait avec. Quand nous sommes revenus, nous en avons vu qui privés de bureaux, avaient repris leur travail dehors".


La Souricière

En 1944, Raymond Marais, avait 21 ans. Il était réfractaire et se cachait. Il est retourné à Chambois chez ses parents au moment où la poche se fermait.
"Nous étions prisonniers comme des souris. Mes parents se croyaient à l’abri à l’écart de la route Falaise-L’Aigle.
C’est seulement aux alentours du 15 août que les agriculteurs se sont rendus compte que quelque chose de terrible allait leur arriver. "Les Allemands étaient très inquiets et l’artillerie mitraillait de façon intense".
"Les civils ont alors cherché des abris. "Je me suis trouvé dans une cave du 15 au 20 août. J’avais tellement peur que je ne me souviens pas d’avoir éprouvé quelque besoin que ce soit. Nous n’avons pas mangé et à la limite, la mort aurait presque été une libération".
"Les souvenirs affluent : La grand-mère assise sur sa chaise, dans la cave, l’allemand touché par un obus qui s’effondre dans les bras du jeune homme au moment d’arriver… Mais aussi le départ en catastrophe de la cave, parce que un "Kamikaze" allemand a fait sauter son char dans un geste de désespoir et que toute la ferme risquait de prendre feu".
"C’était un spectacle d’apocalypse. Les branches des pommiers et les bêtes crevées s’entremêlaient, les chars étaient figés ça et là. Et les cadavres restaient là où ils étaient tombés".
"Après un passage à gué sur la Dives, la famille de Raymond a suivi un passage parallèle au "couloir de la mort".
C’est alors qu’ils ont vu un uniforme derrière un arbre : "Le bras qui nous faisait signe de continuer était Kaki. C’était celui d’un soldat allié venu en avant-garde : Nous étions libérés".

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