Le
plan de reprise de Peleliu, une des îles Palaus, dans le Sud-Ouest
Pacifique fut baptisé Stalemate II.
Il fut controversé dès sa conception. Une partie de l’Etat-major
pensait que les Palaus, situées à 1 280 Km des Philippines
pouvaient largement être évitées et n’étaient
en rien un pré requis aux futurs débarquement prévus
aux Philippines par Mc Arthur. D’ailleurs la 5ème flotte
de l’amiral William Hasley avait rencontré peu de résistance
dans les Carolines- dont font partie les Palaus- et avait même
infligé de telles pertes aux Japonais début septembre
1944 que celui-ci rapporta à Nimitz que les Philippines pouvaient
être abordées directement sans nécessiter la prise
de Peleliu et de sa voisine, Angaur.
Nimitz s’en tint pourtant au plan initial, pensant que la campagne
de Peleliu serait relativement facile et une base aérienne des
plus utiles afin de supporter le plan de Mc Arthur. Il a aussi été
rapporté que des rivalités interservices jouèrent
leur rôle dans cette décision. Nimitz n’aurait pas
voulu remettre la 1ème Division de Marines (1ème DM) sous
le commandement de Mc Arthur pour son opération. Il avait eu
le plus grand mal à reprendre le contrôle de la division
après la campagne du Cap Gloucester et ne voulait pas renouveler
l’expérience. Engager les Marines à Peleliu les
auraient d’office écartés de la reconquête
des Philippines.
Quoi qu’il en soit, les reconnaissances aériennes allèrent
dans le sens de Nimitz, l’île apparaissant globalement plate
et avec peu d’installations défensives. Même le commandant
de la 1ème DM, William Rupertus, parla d’un assaut "rude
mais rapide". Les commandants alliés étaient à
la fois dans l’ignorance des fortifications réelles de
l’île et des changements significatifs de la tactique japonaise.
Cette ignorance allait faire des prochaines semaines une sanglante boucherie.
Colonel Kunio
Nakagawa
Le
jour J du débarquement fut prévu pour le 15 septembre
1944 par 3ème Corps Amphibie du Major-général Roy
Geiger regroupant la 1ème DM et 81ème Division d’infanterie
de l’Armée (81ème DI). Les Marines devaient débarquer
3 régiments sur les plages occidentales. Le 1er, sous les ordres
du colonel Lewis "Chesty", Puller sur le flanc gauche (White
1 et 2) devait passer à travers l’ennemi vers la péninsule
Nord-Ouest de l’île. Au centre, le 5ème, commandé
par le colonel Harold D. "Bucky " Harris devait débarquer
sur Orange 1 et 2 avant de traverser Peleliu jusque sur sa côte
Est. A droite, le 7ème régiment du colonel Herman H. Hanneken
devait prendre Orange 3 avant de foncer vers la pointe Sud de l’île.
La 81ème devait s’occuper de l’île d’Angaur.
Trois jours de bombardement naval précédèrent l’assaut.
Le contre-amiral Jesse B. Oldendorf devait même déclarer
la veille du jour J :
"Nous n’avons plus de cibles".
10
500 hommes sous les ordres du colonel Kunio Nakagawa étaient
prêts à défendre Peleliu. Cette garnison se composait
du 2ème régiment d’infanterie, de 2 bataillons du
15ème, d’un bataillon de la 53ème brigade mixte
indépendante, d’un bataillon de chars, d’une unité
navale côtière, d’unités anti-aériennes
et d’artillerie et d’un bataillon de pionniers. La plupart
de ces soldats étaient des vétérans ayant servi
en Chine pendant plusieurs années. Les Japonais renoncèrent
à tenir les plages et surent utiliser au mieux le rude terrain
corallien des hauteurs du centre de l’île pour en faire
réseau complexe de tunnels souterrains, d’abris et de bunkers
parfaitement dissimulés sous une couverture forestière
que les reconnaissances aériennes n’avaient pas réussi
à découvrir.
Lors de leur débarquement, les Américains furent immédiatement
pris en enfilade sous le feu de ces bunkers et des centaines de grotte
que recelaient les hauteurs.
Marines débarquant
sous le feu japonais
Les
Japonais se battirent férocement pour empêcher les Marines
d’établir une tête de pont. La force d’invasion
vit 26 de ses tracteurs amphibie (amtracs) transportant les troupes
d’assaut durement touchés en moins de 10mn (60 détruits
ou endommagés en 90mn) lors de leur approche vers les 3 Km de
ligne de front. Des positions ennemies jusque-là non détectées
prirent soudain vie et labourèrent les flancs des Marines qui
tentaient d’accéder à la plage. La préparation
d’artillerie n’avait en définitive que peu entamé
les capacités défensives des Japonais.
A
8h32 du matin les premières troupes débarquèrent.
Trois heures plus tard, 6 000 hommes se trouvaient à terre.
C’est à la compagnie K/1 qu’échut la protection
suicidaire du flanc gauche. Rapidement coupés de leurs camarades
et le dos à la mer, les Marines se battirent férocement
pendant 3 jours avant que "The Point", comme on finit par
l’appeler, ne fut finalement sécurisé. A cette date,
un tiers seulement de la compagnie était encore en état
de se battre.
Plus au Sud d’autres unités du 1er régiment progressèrent
à travers une mangrove déchiquetée par les obus
jusqu’au bord de l’aérodrome- dont la prise était
l’objectif principal de la journée- où il rejoignirent
le 5ème.
A la pointe Sud de Peleliu le 7ème régiment dût
faire avancer ses amtracs en colonne du fait des épaves et de
l’encombrement qu’elles provoquaient mais parvint néanmoins
à avancer malgré la forte résistance des Japonais.
La température monta jusqu’à 45° sur des zones
de combat où l’ombre était rare alors que chaque
Marine ne portait que 2 bidons d’eau à sa ceinture.
L’après-midi, Nakagawa lança sa contre-attaque.
Emergeants du nord de l’aérodrome, 15 blindés légers
accompagnés d’infanterie se heurtèrent aux lignes
du 1er et du 5ème régiment. Les Marines répondirent
au bazooka avec l’aide des canons de 75mm des Shermans tapis en
enfilade en retrait de la piste. En 1 heure les blindés et le
gros de l’infanterie japonaise (450 hommes) étaient annihilés.
Ce sera la dernière fois où les Japonais attaqueront à
découvert contre les Marines.
Marines débarquant
sous le feu japonais
Durant
la nuit les Japonais tentèrent plusieurs fois d’infiltrer
les lignes américaines. C’est à la lueur des fusées
lancées depuis les croiseurs et les destroyers croisant au large
que ces tentatives furent repoussées. A l’issue du 1er
jour de combat la Division avait établi une tête de pont
dont seul le centre s’approchait un tant soit peu du plan initial.
Le Jour-J avait coûté aux Marines 92 tués, 1 148
blessés et 58 disparus.
Au
matin du 16, le général Rupertus débarqua afin
de juger la situation de visu. Après avoir établi un PC
de fortune dans un fossé anti-char il décida que la situation
nécessitait de poursuivre l’assaut plutôt que de
tenter de consolider les gains.
Les jours suivants les Marines ne cessèrent de progresser à
travers l’île- l’aérodrome fut sécurisé
le 19- mais le 1er régiment en paya le prix lorsqu’il s’approcha
des dangereuses crêtes d’Umurbrogol. Leur prise était
essentielle puisqu’elle priverait les Japonais d’un poste
d’observation et de tir sur les plages idéal. Le 2/7 fut
donc prélevé sur la réserve et les 4 bataillons
attaquèrent de front face à la résistance fanatique
d’un ennemi qui tirait de tous côtés au sein d’un
étonnant labyrinthe de crêtes bosselées, de protubérances
coralliennes et de falaises.
L’assaut de la cote 100 est un exemple de la futilité d’attaquer
de telles défenses naturelles. A peine la compagnie C/1 avait-elle
pris pied sur la crête qu’elle fut assaillie sous un feu
meurtrier provenant d’au-dessus, de sa gauche même de ses
propres positions, certains Japonais ayant réussi à s’y
infiltrer. Après une nuit de combats au corps à corps
C/1 dût se retirer avec seulement 8 hommes non blessés
sur un effectif de départ de 242.
Au même moment, après un féroce affrontement avec
un bataillon d’élite du 15e régiment au-delà
des plages "Scarlet
", le 7ème Marines, se déplaçant à
la fois vers l’Est et vers le Sud, parvint à couper les
forces ennemies en 2. Le 7ème devait maintenant se diriger vers
le gros des défenses de Nakagawa.
Marines sur
la plage
Le
21, le général Geiger rendit visite au colonel Puller
et put constater par lui-même l’état d’épuisement
du 1er régiment qui avait déjà subi 1 749 victimes.
Peu de temps après Geiger passa outre les objection de Rupertus
et fit relever le régiment par le 321ème Regimental Combat
Team (RCT), issu de la 81ème DI. Celle-ci avait débarqué
sur l’île adjacente d’Angaur le 17 et en était
à la phase de
"nettoyage". La transition s’effectua le 23.
A
la fin septembre la ligne de front à Umurbrogol s’approcha
de ce qui devait être le dernier carré japonais.
Le Sud et l’Est de Peleliu étant sécurisé,
l’objectif devint l’éradication des dernières
unités japonaises au Nord et sur l’île adjacente
de Ngesebus, ces zones permettant aux Japonais d’y débarquer
des renforts en provenance d’autres parties des Palaus. Malgré
la destruction de plusieurs barges de débarquement par les destroyers
américains toujours présents sur zone, au moins un bataillon
parvint à profiter du système de grottes souterraines
pour rejoindre les troupes de Nakagawa.
L’axe
d’attaque initial était orienté Sud-Nord. Malgré
les bombardements intensifs qui révélèrent la nature
si particulière des crêtes d’Umurbrogol et une reconnaissance
aérienne qui semblait promettre un accès plus facile par
le Nord, Rupertus décida de ne pas changer cette orientation.
Cette obstination devait entraîner les Marines dans une succession
de sanglantes attaques/contre-attaques au cours des prochaines semaines.
L’assaut
de la zone Nord débuta le 23 mais les particularités du
terrain rendirent l’assaut difficile, empêchant notamment
le déploiement des blindés et de tout moyen de transport.
Après avoir pris puis perdu les hauteurs parallèles à
la Route de l’Ouest, le 321ème fut envoyé en avant,
cette tâche incombant désormais au 7ème Marines.
Plus au nord le 5ème eut la bonne surprise de se trouver face
à une série de crêtes et de collines qui, pour une
fois, pouvaient être prises d’assaut sans subir un feu enveloppant
de l’ennemi.
Marines faisant
une pause
Avec
le soutien des Corsairs déployés depuis l’aérodrome
récemment capturé, le 3/5 traversa les 500m de digue qui
reliaient Peleliu à Ngesebus et Kongauru le 28 septembre. Un
jour et demi plus tard, les Marines avaient nettoyé l’île
des 500 hommes de troupe qui la défendaient au prix de 15 tués
et 33 blessés.
A Umurbrogol, les 8 semaines suivantes relevèrent de la guerre
de siège. Après avoir sécurisé le nord de
la poche de résistance le 321ème fut relevé par
le 7ème Marines qui devait presser toujours plus au Sud. Du fait
des pertes quotidiennes subies par toutes les unités de combat
des centaines de personnels de soutien à l’arrière
furent appelés sur la ligne de front.
Le
3 octobre les Marines totalisaient 843 tués, 3 845 blessés
et 356 disparus. C’est aussi à cette date que débuta
une série de furieuses attaques des 2 côtés de la
poche d’Umurbrogol (800*400m – Nord-Sud/ Est-Ouest) défendue
par une garnison d’environ 1 500 hommes. Certaines de ces attaques
purent être relayées par le soutien de tanks ou d’Amtracs
équipés de lance-flammes. Les gains sur les positions
de "Horseshoe" et "Five Sisters" furent perdus le
soir même. Le même scénario eut lieu le lendemain,
près de la cote 120. Le 5 octobre, le 7ème avait épuisé
toute sa capacité de combat et fut relevé par un 5ème
régiment lui aussi fatigué mais qui parvint à gagner
du terrain au prix de lourdes pertes cependant.
Le siège nécessita de nouvelles tactiques, comme l’emploi
de mortiers légers ou de napalm pour raser la végétation
autour des points de résistance ennemis. Un obusier de 75mm fut
démonté et transporté au sommet d’une crête
pour tirer à bout portant sur des grottes jusque-là inatteignables.
La nature corallienne du terrain empêchant les protections individuelles
(foxholes) les Marines eurent recours à des sacs de sable pour
protéger leurs positions chèrement conquises.
Après
une semaine de siège et la prise des crêtes "Baldy",
"Boyd" et "Ridge", la phase d’assaut fut considérée
comme terminée. La résistance ennemie n’était
plus que de 700 hommes. Les Marines furent alors relevés par
le 323ème RCT puis par la totalité de la 81ème
DI sous le commandement du général Muller. Le Marine Air
Group 11 resta cependant en soutien des unités de l’Armée.
La réduction définitive de la poche prit encore 5 semaines,
crête après crête, à grand renforts d’obusiers,
de tanks et de lance-flammes. Les Japonais alors à court de tout
type de ravitaillement s’en tinrent malgré tout à
une tactique d’arrière-garde pour fixer l’ennemi
le plus longtemps possible.
Finalement, le 24 novembre, soit 2 mois et demi après le début
de l’opération, Nakagawa informa son supérieur par
radio qu’il avait brûlé ses couleurs régimentaires
et que les 60 hommes restants s’étaient divisés
en plusieurs sections destinées à infiltrer les lignes
de l’ennemi. Il se suicida rituellement dans son PC le lendemain.
Trois jours plus tard les soldats venant du Nord firent leur jonction
avec ceux venant du Sud. L’opération Stalemate II était
terminée.
La
bataille de Peleliu fut particulièrement sanglante, causant 6
526 pertes aux Marines et à la Navy, dont 1 252 tués.
De leur côtés seuls 202 Japonais furent fait prisonniers
induisant plus de 10 000 tués dans leurs rangs. De telles pertes
chez les Américains confortèrent les Japonais dans la
réussite de leur stratégie de guerre d’usure qui
devint le standard des prochaines bataille d’Iwo Jima et d’Okinawa
l’année suivante.
Au
moment où les Marines luttaient pied à pied le long des
crêtes de Peleliu, Mc Arthur débarquait à Leyte
et la bataille du golfe du même nom avait été gagnée.
La campagne dont l’objectif initial était la sécurisation
du flanc de Mc Arthur lors de sa reconquête des Philippines n’avait
donc servi à rien.
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