Introduction
:
En 1939 la Wehrmacht déchaîne le fer et le feu sur la Pologne,
puis en mai 1940 sur la Hollande, le Luxembourg, la Belgique et la France.
Après n’avoir fait qu’une bouchée de la Yougoslavie
et de la Grèce, ce fut le tour en juin 1941 de l’URSS dont
les armées chancelantes reculent jusqu’à Moscou.
Mais ce fer, ce feu et la Blitzkrieg avaient un prix, celui de la création
à partir de la maigre Reichswehr de la puissante Wehrmacht. Ce
prix se compte en Reichmarks sonnants et trébuchants.
L’homme qui a permis ce "miracle" n’était
pas nazi, du moins pas officiellement.
Une
brillante carrière :
Le Docteur Hjalmar Horace Greeley Schacht est né le 22 janvier
1877 à Tinglev dans le Schleswig (aujourd'hui au Danemark).
Fils d'un riche commerçant danois, il entreprend des études
d'économie et entre à la Dresdner Bank en 1903. Nommé
président de la Reichsbank en décembre 1923, il parvient
à stabiliser le nouveau mark après la crise hyperinflationniste
désastreuse de 1923. Il contribue à l'élaboration
du plan Young, destiné à réduire les réparations
de guerre auxquelles l'Allemagne est astreinte après la Première
Guerre mondiale. Il donne sa démission en 1930 pour protester
contre la poursuite du paiement des réparations de guerre, issues
du Traité de Versailles.
L’Allemagne a subi 2 graves crises économiques entre 1918
et 1933 mais la République de Weimar avait commence à
résoudre la seconde lorsque Hitler pris le pouvoir : le nombre
de chômeurs a en effet baissé des 1932. Il en restait quand
même 6 millions en 1933.
Bien que n'étant pas membre du parti nazi, Schacht aide Hitler
à réunir des fonds pour ses campagnes. En 1933, il organise
une pétition d'industriels réclamant au président
Hindenburg la nomination de Hitler comme chancelier. Au pouvoir, Hitler
nomme Schacht président de la Reichsbank, puis ministre de l'Économie
en 1934. Il développe une politique keynésienne d'investissements
de l'État, en lançant notamment des grands travaux, tels
que la construction d'autoroutes, et creuse le déficit budgétaire
de l'État pour trouver des fonds. En 1935, il est nommé
Plénipotentiaire général pour l'économie
de guerre.
En janvier 1937, Schacht est nommé membre honoraire du parti
nazi et décoré de la Swatiska d'or. Il démissionne
en novembre 1937, à cause de différends portant notamment
sur l'importance des dépenses militaires, qui créent de
l'inflation, et de relations conflictuelles avec Hermann Göring.
Il conserve son poste à la tête de la Reichsbank jusqu'en
1939 et est ministre sans portefeuille jusqu'en 1943.
Mise au pas des capitaines d’industrie :
La réussite économique du IIIème Reich est tout
à fait réelle et c’est entre 1933 et 1939 que des
économistes occidentaux utilisèrent pour la première
fois l’expression "Miracle allemand" qui sera reprise
après la guerre quand les Allemands transformèrent leurs
champs de ruines en un puissant moteur de l’Europe.
Il n’y a pas eu vraiment d’acrobaties financières
des Nazis, mais plutôt politiques :
Lorsque Hitler devint Chancelier, les Nazis étaient en minorité
au gouvernement qui comportait de nombreux conservateurs non-Nazis,
comme von Papen. Ces conservateurs pensaient pouvoir "maîtriser"
les Nazis et c’est en fait le contraire qui va se passer. Mais
Hitler a besoin d’eux, car ils représentent l’industrie,
le patronat, éléments nécessaires a son projet
de réarmement.
Avec la grande habileté qui le caractérise, Hitler va
les "rouler dans la farine", alternant les "gestes"
encourageants et rassurants et les manipulations destinées, petit
a petit, a les compromettre, leur faire mettre le doigt dans l’engrenage
et s’en faire des complices. Il fera d’ailleurs de même
avec l’armée.
La première manipulation bien typique de la ruse nazie est l’incendie
du Reichtag, coup génial que nous devons à Göring,
en plein accord avec son Führer bien entendu. Effrayée par
le risque de Révolution Communiste, la bourgeoisie allemande
tombe dans le piège et signe des 2 mains, via Hindenburg, les
décrets donnants les pleins pouvoirs a Hitler qui immédiatement
interdit les Partis de gauche (Communiste et social-démocrate),
pourchasse et enferme, ou assassine, leurs dirigeants et, petit a petit,
en fera de même avec tous les Partis, sauf le sien. C’est
la gauche allemande qui inaugure donc les camps de concentration, triste
privilège.
C’est ensuite au tour des Syndicats d’être interdits
et "remplacés" par le Front du Travail de Robert Ley.
Les patrons exultent et n’ont toujours pas compris vers quoi ils
se dirigent.
Le
réarmement :
Puis le Docteur Schacht, membre non-nazi du gouvernement, ministre de
l’économie, se met au travail avec son habituelle compétence.
Il lance des campagnes de grands travaux, dont les célèbres
autoroutes de l’ingénieur Fritz Todt qui sera la bétonneur
en chef du Reich jusqu’à sa mort en février 1942
(mort accidentelle ? Ce n’est pas certain).
Mais, et surtout dirons-nous, il lance le réarmement tous azimuts.
Les capitaines d’industrie allemands le suivent comme un seul
homme, se rendant ainsi les complices objectifs de la préparation
de guerres d’agression.
Hitler oeuvra pour avoir une bonne entente avec l'industrie et la banque
pour favoriser le réarmement. Il supprima d'ailleurs les syndicats
et les négociations collectives et jusqu'en 1936, l'économie
allemande fonctionna dans le cadre du capitalisme industriel d'antan.
Le réarmement fut une priorité pour les nazis. Harold
James donne le chiffre de 10,4 milliards de marks comme minimum des
sommes dépensées pour le réarmement jusqu'en mars
1936, soit 5,2% du PNB, sur la période 1933-1935.
Pour financer tout cela, Schacht joue de ses grandes compétences
financières, fait fluctuer le mark comme ca l’arrange,
trouve des crédits à l’étranger car "plus
on doit de l’argent a un pays, plus on fait des affaires avec
lui" et, quand nécessaire, fait tourner la planche a billet.
Ces pays étrangers, USA en tête, pensent ne faire que du
commerce, n’ayant eux non plus toujours pas perçu la réalité
de la machine nazie.
Ce fut également Schacht qui lança des campagnes de recherches
sur les produits "ersatz", les produits de remplacement destinés
à limiter au maximum les importations, donc à rendre l’Allemagne
le plus autosuffisante possible, précieux avantage en cas de
guerre.
Le Reich, en s’agrandissant (Rhénanie, Autriche puis les
Sudetes, une région très industrialisée) s’est
renforcé économiquement à peu ou pas de frais.
Il ne faut pas non plus négliger les profits réalisés
par les finances allemandes au détriment des Juifs allemands
qui furent impitoyablement spoliés de leurs biens dès
le début et dont Schacht récupérait volontiers
les biens pour alimenter la machine à faire des canons.
Mentionnons aussi la coopération économique avec l’URSS
qui fut très utile au Reich et le blocage des capitaux étrangers
présents en Allemagne, sans toutefois les nationaliser, ce qui
obligea certains industriels étrangers à faire tourner
leurs usines allemandes que cela leur plaise ou non.
Cette politique présente un risque a moyen terme : l’inflation.
Mais les responsables Nazis s’en moquaient car ils savaient très
bien que, à moyen terme, les conquêtes militaires allaient
fournir d’autres sources de revenus.
Ce qui fut fait des 1939-40 par la colonisation de la Tchécoslovaquie,
de la Pologne, de la France suivie en 1941 par les Balkans et la Grèce,
tous ces pays se trouvant livré au pillage, à l’assujettissement
économique et, pour la Pologne surtout, à la fourniture
de main d’œuvre gratuite.
Maître de la manipulation financière et fiscale, Schacht
s'estimait indispensable. Les querelles de 1936, qui conduisirent à
sa défaite et à la mise en place du Plan quadriennal,
commencèrent avec la pénurie de viande et de matière
grasse à la fin 1935. Le banquier mit la crise sur le dos de
la mauvaise planification du ministère de l'Agriculture de Darré,
et réclama que la politique agricole soit ramenée sous
le contrôle du ministère de l'Economie. La réaction
d'Hitler fut de charger Göring de jouer les arbitres. A la surprise
générale, le Feldmarshall prit parti pour Darré
contre Schacht.
Schacht quitta son Ministère de l’économie fin 1937
mais conserva un titre de Ministre sans portefeuille jusqu’en
1943.
Accusé d'être impliqué dans l'attentat du 20 juillet
1944 contre Hitler, Schacht est interné dans le camp de concentration
de Dachau jusqu'à la fin de la guerre.
Et la classe ouvrière, pendant ce temps-la, que faisait-elle
? Elle travaillait et s’inventait un trait d’humour bien
caractéristique de cette époque : "C’est vrai,
Hitler a supprimé nos droits. On n’est même plus
libre de crever de faim comme avant". Il ne faut pas croire que
la terreur brune était le seul élément de maîtrise
du peuple allemand. La séduction nazie a autant, sinon plus,
d’importance sur ce point. Il faut attendre les bombardements
anglo-saxons et Stalingrad pour que le nombre d’Allemands se posant
les bonnes questions commence à augmenter.
Si l’on cherche à réfléchir à qui
a aidé matériellement Hitler a créer une Wehrmacht
capable d’écraser la Pologne et la France en quelques semaines
puis de faire reculer l’Armée rouge jusqu’à
Moscou après être rapidement passée par les Balkans
et la Grèce, la liste est décidément bien longue
: la bourgeoisie allemande, les industriels occidentaux, l’URSS,
etc. Presque le monde entier !
Nuremberg :
Ce sont ces aveuglements coupables et contagieux qui ont sauvé
la tête de Schacht à Nuremberg. L’accuser, donc soumettre
des preuves quant au chef d’accusation de "complot en vue
de préparer des guerres d’agression" lui aurait permis
de se défendre en faisant la liste de ses complices objectifs,
à savoir ses accusateurs eux-mêmes et l’élite
allemande dont les puissances occupantes avaient bien besoin pour remettre
le pays en route.
Inculpé
par le Tribunal militaire international de Nuremberg des chefs 1 (plan
concerté ou complot) et 2 (crimes contre la paix), il plaide
non coupable.
Le Tribunal a estimé que Schacht a joué un rôle
important dans la politique de réarmement voulue par Hitler,
en mettant autant que faire se peut la Reichsbank à la disposition
d'une telle politique. Il a également été admis
que Schacht avait été actif dans l'organisation de l'économie
de guerre allemande. Considérant toutefois que le réarmement,
en tant que tel, n'était pas un crime au sens du Statut du Tribunal,
les juges ont acquitté Hjalmar Schacht du premier chef d'accusation.
En
ce qui concerne les guerres d'agression (chef d'accusation n° 2),
le Tribunal a admis que Schacht n'était pas impliqué dans
leur préparation. N'étant pas un proche de Hitler, il
était même perçu avec hostilité par le groupe
formé des principaux responsables des crimes contre la paix.
Parmi les accusés, il obtient les meilleurs résultats
aux tests de QI (143) préparés par le psychiatre de la
prison.
Le 1er octobre 1946, le Tribunal a donc acquitté Hjalmar Schacht
des deux accusations retenues contre lui. Il a été libéré
le même jour mais est à nouveau jugé par un tribunal
allemand de dénazification qui le condamne à une peine
de huit ans de travaux forcés. Il est libéré en
1948 (2 ans sur 8 !) et devient conseiller financier pour des pays en
voie de développement, créant plusieurs Banques Centrales
dans des pays africains.
Finalement rentré en Allemagne, il est décédé
en 1970 à Munich.
Sources :
William Schirer, "Le IIIème Reich", Stock, 1961
Alan Bullock, "Hitler et Staline, Vies parallèles",
Albin Michel/Robert Laffont, 1994.
François Delpla, "Hitler", Grasset, 1999.
François Delpla, "Nuremberg face à l’histoire",
L’Archipel, 2006.
http://www.trial-ch.org/fr/trial-watch/profile/db/facts/hjalmar_schacht_120.html