Docteur Hjalmar Horace Greeley Schacht
Par Daniel Laurent

Hjalmar Schacht

 

 

Introduction :

En 1939 la Wehrmacht déchaîne le fer et le feu sur la Pologne, puis en mai 1940 sur la Hollande, le Luxembourg, la Belgique et la France. Après n’avoir fait qu’une bouchée de la Yougoslavie et de la Grèce, ce fut le tour en juin 1941 de l’URSS dont les armées chancelantes reculent jusqu’à Moscou.

Mais ce fer, ce feu et la Blitzkrieg avaient un prix, celui de la création à partir de la maigre Reichswehr de la puissante Wehrmacht. Ce prix se compte en Reichmarks sonnants et trébuchants.

L’homme qui a permis ce "miracle" n’était pas nazi, du moins pas officiellement.


Une brillante carrière :

Le Docteur Hjalmar Horace Greeley Schacht est né le 22 janvier 1877 à Tinglev dans le Schleswig (aujourd'hui au Danemark).

Fils d'un riche commerçant danois, il entreprend des études d'économie et entre à la Dresdner Bank en 1903. Nommé président de la Reichsbank en décembre 1923, il parvient à stabiliser le nouveau mark après la crise hyperinflationniste désastreuse de 1923. Il contribue à l'élaboration du plan Young, destiné à réduire les réparations de guerre auxquelles l'Allemagne est astreinte après la Première Guerre mondiale. Il donne sa démission en 1930 pour protester contre la poursuite du paiement des réparations de guerre, issues du Traité de Versailles.

L’Allemagne a subi 2 graves crises économiques entre 1918 et 1933 mais la République de Weimar avait commence à résoudre la seconde lorsque Hitler pris le pouvoir : le nombre de chômeurs a en effet baissé des 1932. Il en restait quand même 6 millions en 1933.

Bien que n'étant pas membre du parti nazi, Schacht aide Hitler à réunir des fonds pour ses campagnes. En 1933, il organise une pétition d'industriels réclamant au président Hindenburg la nomination de Hitler comme chancelier. Au pouvoir, Hitler nomme Schacht président de la Reichsbank, puis ministre de l'Économie en 1934. Il développe une politique keynésienne d'investissements de l'État, en lançant notamment des grands travaux, tels que la construction d'autoroutes, et creuse le déficit budgétaire de l'État pour trouver des fonds. En 1935, il est nommé Plénipotentiaire général pour l'économie de guerre.

En janvier 1937, Schacht est nommé membre honoraire du parti nazi et décoré de la Swatiska d'or. Il démissionne en novembre 1937, à cause de différends portant notamment sur l'importance des dépenses militaires, qui créent de l'inflation, et de relations conflictuelles avec Hermann Göring. Il conserve son poste à la tête de la Reichsbank jusqu'en 1939 et est ministre sans portefeuille jusqu'en 1943.


Mise au pas des capitaines d’industrie :

La réussite économique du IIIème Reich est tout à fait réelle et c’est entre 1933 et 1939 que des économistes occidentaux utilisèrent pour la première fois l’expression "Miracle allemand" qui sera reprise après la guerre quand les Allemands transformèrent leurs champs de ruines en un puissant moteur de l’Europe.

Il n’y a pas eu vraiment d’acrobaties financières des Nazis, mais plutôt politiques :

Lorsque Hitler devint Chancelier, les Nazis étaient en minorité au gouvernement qui comportait de nombreux conservateurs non-Nazis, comme von Papen. Ces conservateurs pensaient pouvoir "maîtriser" les Nazis et c’est en fait le contraire qui va se passer. Mais Hitler a besoin d’eux, car ils représentent l’industrie, le patronat, éléments nécessaires a son projet de réarmement.
Avec la grande habileté qui le caractérise, Hitler va les "rouler dans la farine", alternant les "gestes" encourageants et rassurants et les manipulations destinées, petit a petit, a les compromettre, leur faire mettre le doigt dans l’engrenage et s’en faire des complices. Il fera d’ailleurs de même avec l’armée.

La première manipulation bien typique de la ruse nazie est l’incendie du Reichtag, coup génial que nous devons à Göring, en plein accord avec son Führer bien entendu. Effrayée par le risque de Révolution Communiste, la bourgeoisie allemande tombe dans le piège et signe des 2 mains, via Hindenburg, les décrets donnants les pleins pouvoirs a Hitler qui immédiatement interdit les Partis de gauche (Communiste et social-démocrate), pourchasse et enferme, ou assassine, leurs dirigeants et, petit a petit, en fera de même avec tous les Partis, sauf le sien. C’est la gauche allemande qui inaugure donc les camps de concentration, triste privilège.

C’est ensuite au tour des Syndicats d’être interdits et "remplacés" par le Front du Travail de Robert Ley. Les patrons exultent et n’ont toujours pas compris vers quoi ils se dirigent.

Le réarmement :

Puis le Docteur Schacht, membre non-nazi du gouvernement, ministre de l’économie, se met au travail avec son habituelle compétence. Il lance des campagnes de grands travaux, dont les célèbres autoroutes de l’ingénieur Fritz Todt qui sera la bétonneur en chef du Reich jusqu’à sa mort en février 1942 (mort accidentelle ? Ce n’est pas certain).

Mais, et surtout dirons-nous, il lance le réarmement tous azimuts. Les capitaines d’industrie allemands le suivent comme un seul homme, se rendant ainsi les complices objectifs de la préparation de guerres d’agression.

Hitler oeuvra pour avoir une bonne entente avec l'industrie et la banque pour favoriser le réarmement. Il supprima d'ailleurs les syndicats et les négociations collectives et jusqu'en 1936, l'économie allemande fonctionna dans le cadre du capitalisme industriel d'antan.

Le réarmement fut une priorité pour les nazis. Harold James donne le chiffre de 10,4 milliards de marks comme minimum des sommes dépensées pour le réarmement jusqu'en mars 1936, soit 5,2% du PNB, sur la période 1933-1935.

Pour financer tout cela, Schacht joue de ses grandes compétences financières, fait fluctuer le mark comme ca l’arrange, trouve des crédits à l’étranger car "plus on doit de l’argent a un pays, plus on fait des affaires avec lui" et, quand nécessaire, fait tourner la planche a billet. Ces pays étrangers, USA en tête, pensent ne faire que du commerce, n’ayant eux non plus toujours pas perçu la réalité de la machine nazie.

Ce fut également Schacht qui lança des campagnes de recherches sur les produits "ersatz", les produits de remplacement destinés à limiter au maximum les importations, donc à rendre l’Allemagne le plus autosuffisante possible, précieux avantage en cas de guerre.

Le Reich, en s’agrandissant (Rhénanie, Autriche puis les Sudetes, une région très industrialisée) s’est renforcé économiquement à peu ou pas de frais.

Il ne faut pas non plus négliger les profits réalisés par les finances allemandes au détriment des Juifs allemands qui furent impitoyablement spoliés de leurs biens dès le début et dont Schacht récupérait volontiers les biens pour alimenter la machine à faire des canons.
Mentionnons aussi la coopération économique avec l’URSS qui fut très utile au Reich et le blocage des capitaux étrangers présents en Allemagne, sans toutefois les nationaliser, ce qui obligea certains industriels étrangers à faire tourner leurs usines allemandes que cela leur plaise ou non.

Cette politique présente un risque a moyen terme : l’inflation. Mais les responsables Nazis s’en moquaient car ils savaient très bien que, à moyen terme, les conquêtes militaires allaient fournir d’autres sources de revenus.

Ce qui fut fait des 1939-40 par la colonisation de la Tchécoslovaquie, de la Pologne, de la France suivie en 1941 par les Balkans et la Grèce, tous ces pays se trouvant livré au pillage, à l’assujettissement économique et, pour la Pologne surtout, à la fourniture de main d’œuvre gratuite.

Maître de la manipulation financière et fiscale, Schacht s'estimait indispensable. Les querelles de 1936, qui conduisirent à sa défaite et à la mise en place du Plan quadriennal, commencèrent avec la pénurie de viande et de matière grasse à la fin 1935. Le banquier mit la crise sur le dos de la mauvaise planification du ministère de l'Agriculture de Darré, et réclama que la politique agricole soit ramenée sous le contrôle du ministère de l'Economie. La réaction d'Hitler fut de charger Göring de jouer les arbitres. A la surprise générale, le Feldmarshall prit parti pour Darré contre Schacht.

Schacht quitta son Ministère de l’économie fin 1937 mais conserva un titre de Ministre sans portefeuille jusqu’en 1943.
Accusé d'être impliqué dans l'attentat du 20 juillet 1944 contre Hitler, Schacht est interné dans le camp de concentration de Dachau jusqu'à la fin de la guerre.

Et la classe ouvrière, pendant ce temps-la, que faisait-elle ? Elle travaillait et s’inventait un trait d’humour bien caractéristique de cette époque : "C’est vrai, Hitler a supprimé nos droits. On n’est même plus libre de crever de faim comme avant". Il ne faut pas croire que la terreur brune était le seul élément de maîtrise du peuple allemand. La séduction nazie a autant, sinon plus, d’importance sur ce point. Il faut attendre les bombardements anglo-saxons et Stalingrad pour que le nombre d’Allemands se posant les bonnes questions commence à augmenter.

Si l’on cherche à réfléchir à qui a aidé matériellement Hitler a créer une Wehrmacht capable d’écraser la Pologne et la France en quelques semaines puis de faire reculer l’Armée rouge jusqu’à Moscou après être rapidement passée par les Balkans et la Grèce, la liste est décidément bien longue : la bourgeoisie allemande, les industriels occidentaux, l’URSS, etc. Presque le monde entier !


Nuremberg :

Ce sont ces aveuglements coupables et contagieux qui ont sauvé la tête de Schacht à Nuremberg. L’accuser, donc soumettre des preuves quant au chef d’accusation de "complot en vue de préparer des guerres d’agression" lui aurait permis de se défendre en faisant la liste de ses complices objectifs, à savoir ses accusateurs eux-mêmes et l’élite allemande dont les puissances occupantes avaient bien besoin pour remettre le pays en route.

Inculpé par le Tribunal militaire international de Nuremberg des chefs 1 (plan concerté ou complot) et 2 (crimes contre la paix), il plaide non coupable.

Le Tribunal a estimé que Schacht a joué un rôle important dans la politique de réarmement voulue par Hitler, en mettant autant que faire se peut la Reichsbank à la disposition d'une telle politique. Il a également été admis que Schacht avait été actif dans l'organisation de l'économie de guerre allemande. Considérant toutefois que le réarmement, en tant que tel, n'était pas un crime au sens du Statut du Tribunal, les juges ont acquitté Hjalmar Schacht du premier chef d'accusation.
En ce qui concerne les guerres d'agression (chef d'accusation n° 2), le Tribunal a admis que Schacht n'était pas impliqué dans leur préparation. N'étant pas un proche de Hitler, il était même perçu avec hostilité par le groupe formé des principaux responsables des crimes contre la paix.

Parmi les accusés, il obtient les meilleurs résultats aux tests de QI (143) préparés par le psychiatre de la prison.

Le 1er octobre 1946, le Tribunal a donc acquitté Hjalmar Schacht des deux accusations retenues contre lui. Il a été libéré le même jour mais est à nouveau jugé par un tribunal allemand de dénazification qui le condamne à une peine de huit ans de travaux forcés. Il est libéré en 1948 (2 ans sur 8 !) et devient conseiller financier pour des pays en voie de développement, créant plusieurs Banques Centrales dans des pays africains.

Finalement rentré en Allemagne, il est décédé en 1970 à Munich.


Sources :
William Schirer, "Le IIIème Reich", Stock, 1961
Alan Bullock, "Hitler et Staline, Vies parallèles", Albin Michel/Robert Laffont, 1994.
François Delpla, "Hitler", Grasset, 1999.
François Delpla, "Nuremberg face à l’histoire", L’Archipel, 2006.
http://www.trial-ch.org/fr/trial-watch/profile/db/facts/hjalmar_schacht_120.html

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