Les combattants de la dernière chance, Slovaquie, Août 1944 – mai 1945
Par Daniel Laurent

Georges Barazer de Lannurien


Il est parfois dit que la prestigieuse escadrille Normandie-Niemen fut la seule unité de la France Combattante à se battre sur le front de l’Est. C’est inexact, une unité bien moins connue, mais tout autant valeureuse, formée de Français évadés des camps de prisonniers de guerre ou des camps du STO (Service du travail obligatoire), livra combat en Slovaquie au cours de l’insurrection de fin 1944, aux côtés de partisans soviétiques et d’unités slovaques. Leurs aventures, parfois rocambolesques, souvent dramatiques, méritent d’être racontées, ces hommes ayant été deux fois volontaires, une fois pour s’évader et une fois pour retourner au combat contre la Wehrmacht fort loin de leur pays natal et dans des conditions très difficiles.

Les KG (Kriegsgefangenen), les prisonniers de guerre

A la suite du désastre militaire de 1940, aggravé par la phrase du Maréchal Pétain radiodiffusée le 17 juin à 12h20
« C'est le cœur serré que je vous dis aujourd'hui qu'il faut cesser le combat », environ 1 800 000 soldats français sont fait prisonniers, 1 580 000 sont transférés en Allemagne. Ils sont encore 940 000 en 1944-45 et 37 000 ne rentreront jamais, morts en captivité. Tournant en rond dans leurs stalags et oflags, certains rêvent de s’évader. Environ 70 000 réussissent « la belle » (mais nombre d’entre eux sont repris) et au 1er janvier 1996 39 260 d’entre eux avaient obtenu la médaille des évadés (1). Les travailleurs forcés se comptent aussi par centaines de milliers, mais ils sont concentrés dans les villes et les usines tandis que les soldats sont disséminés dans tous les secteurs de l'économie et de la société allemande.

Les tentatives d’évasion, en solitaire ou en groupe, sont toutes incroyables et les conditions dans lesquelles elles sont entreprises nécessitent toujours des improvisations de type « système D » et de soigneux préparatifs.
Le cas d’André Ringenbach, qui s’est évadé cinq fois avant de réussir, est tout à fait significatif :

Première évasion, septembre 1941 : « volontaire » pour un kommando d’arrachage de pommes de terre, André s’enfuit de nuit avec son ami Albert de la baraque ou ils sont cantonnés en descendant à l’aide de draps noués les quatre mètres de hauteur qui les séparent du sol. Ils marchent ensuite vers une gare de triage et réussissent à s’introduire par une lucarne dans un wagon de sacs de blé sans endommager le plombage de la porte, le tout avant l’aube. Mauvais choix, le train les emmène à un entrepôt où les wagons, dont le leur, sont déchargés. Deux mois de baraque disciplinaire et 21 jours de cellule sont le prix à payer pour ce premier essai.

Seconde évasion, 9 mars 1943 : tentative en solitaire, mal préparée, André est repris quelques heures après.
Bilan : un passage à tabac et l’envoi dans un kommando disciplinaire à Vienne.

Troisième évasion, 17 janvier 1944 : André, qui a réussi à travailler dans un kommando hors du camp, part avec son ami Toto, réussit à aller en train jusqu’a la frontière austro-hongroise et à franchir la frontière mais est arrêté et interné à Balatonboglar en Hongrie. Son idée est de gagner la Yougoslavie et les maquis de Tito. Mais l’invasion de la Hongrie par les Allemands fait capoter son plan et il reste interné.

Quatrième évasion, 1er août 1944 : volontaire pour la Slovaquie, sa première tentative de passage de la frontière tourne mal et il est arrêté à nouveau.

Cinquième évasion, septembre 1944 : André, qui a décidément de la suite dans les idées, remets çà et cette fois-ci réussit à franchir la frontière sans encombre. Les maquis de Slovaquie l’attendent.
Les espoirs sont les mêmes pour presque tous : rentrer en France, et pour certains tout simplement retrouver leurs familles, et pour d’autres reprendre le combat, et, en fait, souvent les deux, passer d’abord à la maison puis aller vers Londres ou tout lieu où se trouvent des FFL. Mais la route est longue pour y parvenir, et nombreux sont les kilomètres à franchir en territoires allemands ou occupés. En fonction des lieux de détention, les routes les plus incroyables sont empruntées, comme celle des 218 français qui s'évadent en direction de l'U. R. S. S. (ou URSS) avant juin 1941 et restent prisonniers dans les geôles staliniennes avant d’être enfin traités en alliés après le déclenchement de Barbarossa. Ils sont alors autorisés à rejoindre Londres et la France Libre. Vingt d’entres eux mourront au combat et sept deviendront Compagnons de la Libération (2).

Le refuge hongrois

La Hongrie a longtemps conservé un statut un peu à part dans les forces de l’Axe. Quelques conflits frontaliers rapidement stoppés grâce à la médiation allemande permettent au régent Horthy d’agrandir le pays aux frontières de 1919, aux dépens de la Roumanie, de la Slovaquie et de la Yougoslavie, mais l’engagement hongrois dans l’agression de l’U. R. S. S. (ou URSS) reste modeste. Malgré des mesures de discriminations, les Juifs échappent d’abord aux déportations de la « Solution finale ». La Hongrie n’a jamais déclaré la guerre à la France et Vichy y maintient une légation où exercent des fonctionnaires fort peu pétainistes comme ils le montreront par la suite (3).

Pour les évadés de Pologne, d’Autriche et de l’Est de l’Allemagne, la Hongrie est presque un point de passage obligé car elle est sur la route menant vers le Sud, via la Yougoslavie et la Roumanie, donc vers la possibilité de sortir de la zone sous contrôle allemand, le voyage vers l’Ouest, vers la France, étant jugé impossible.
De plus, la légation, profitant habilement des bonnes dispositions hongroises envers les Français, permet l’établissement d’un statut très libre pour les « belligérants internés » français rendant possible leurs déplacements dans le pays, leur procurant une situation matérielle favorable et permettant l’établissement de nombreux liens amicaux avec la population magyare. Au début 1944, il y a environ 1 000 évadés français en Hongrie et nombre d’entre eux travaillent à des fonctions très avantageuses, enseignants, artistes et cadres. Leur nombre augmentant, un « camp » est installé en 1942 à … l’hôtel Savoy de Balatonboglar, au bord du célèbre lac, puis étendu à l’hôtel Nemzetti et la villa Fleiner. Certains « internés » vont faire du ski en Transylvanie et, pour le 14 juillet 1943, l’attaché militaire français à Budapest, le colonel Hallier, réussit l’exploit d’obtenir l’accord du ministre de la Défense hongrois quant à l’organisation d’un défilé de soldats français à Balatonboglar avec drapeaux tricolores et hymne national, le tout en présence d’une délégation militaire hongroise au garde-à-vous ! (4)

Ce statut très particulier a bien évidemment diminué le nombre de volontaires pour la poursuite du dangereux voyage vers le Sud ! Tout change le 19 mars 1944 lorsque le Reich envahit la Hongrie.

La poudrière slovaque

Suite aux accords de Munich (septembre 1938), la Tchécoslovaquie est démantelée : les Sudètes, en grande partie peuplées de germanophones, sont rattachées au Reich tandis que la Slovaquie, sous l’influence active et pesante de Hitler et de sa Gestapo, proclament leur indépendance le 13 mars 1939 3. À la déclaration de guerre de septembre 1939, le gouvernement slovaque, dirigé par Mgr Joseph Tiso du Parti Populaire Slovaque, déclare à son tour la guerre à la Pologne, à l'Angleterre et à la France, s’alignant totalement sur la politique nazie.
Une grande partie de la population slovaque accepte passivement cette situation qui lui permet de se dégager de la tutelle tchèque, d'éviter une occupation par la Wehrmacht ou une annexion par la Hongrie et qui assure même certains avantages économiques, au moins durant les deux premières années du conflit. Mais la situation commence à changer avec l'agression contre l’U. R. S. S. (ou l'URSS) le 21 juin 1941. Complètement soumise à l'Allemagne sur le plan de sa politique extérieure, la Slovaquie est obligée d'envoyer plusieurs divisions combattre sur le front de l'Est, mesure très impopulaire (5).

Une certaine solidarité slave fait évoluer l'opinion peu à peu en 1942-1943 tandis que s'écroule le mythe de l'invincibilité allemande (la nouvelle de la chute de Stalingrad le 2 février 1943 y contribue). Le régime de Tiso est de plus en plus isolé par rapport à la population et la résistance intérieure devient de plus en plus active tandis que l’opposition se développe au sein de l’armée, de la gendarmerie et des fonctionnaires. De nombreux officiers sont favorables à un renversement d’alliance mais des divergences d’ordre politique existent, certains pensant intégrer l’Armée rouge, d’autres préférant une action indépendante de l’armée slovaque, ceci expliquant le manque de cohésion dont font preuve les trois divisions présentes sur le sol slovaque lors de l’insurrection, l’impulsion venant davantage des Partisans.

Le président Edvard Beneš, en exil à Londres avec le gouvernement tchécoslovaque, est en contact permanent avec ces opposants via des émissaires clandestins. Signalons les accords pris entre la France Libre et le gouvernement Beneš qui rendent caduque la signature française des accords de Munich. La lettre officielle française est signée Général Charles de Gaulle, Président du Comité National Français et datée du 29 septembre 1942, date anniversaire de la honte de Munich (6).

Le mouvement des partisans commence à s'organiser dans diverses régions montagneuses du pays.
Les résistants se retrouvent au sein d'un Conseil national slovaque et commencent à créer dans les diverses régions du pays un réseau de comités nationaux, les Narodny Vibor, souvent sous l’impulsion du Parti communiste slovaque, interdit et clandestin, qui est réactivé par le retour d’exil en 1943 du leader communiste Karol Schmidke.
La résistance slovaque bénéficie de l'envoi d’officiers soviétiques formés à la guérilla qui sont parachutés dans les montagnes au début de 1944. Aucunes troupes allemandes ne sont stationnées en Slovaquie et le gouvernement de Joseph Tiso est impuissant, ses formations guardistes, sorte de milice pronazie, se révélant incapables de contrôler la situation.

Le mouvement prend bientôt une telle ampleur qu'il commence à devenir dangereux pour le Reich. Trois grandes villes, Cracovie, Budapest et Vienne se trouvent à moins de 100 kms de la frontière slovaque tandis que les communications entre l’Autriche et la Hongrie, d’une part, et entre la Bohème-Moravie et le sud de la Pologne, donc vers la partie sud du front ukrainien, d’autre part, passent par la Slovaquie. La Wehrmacht doit absolument conserver ces voies de communication essentielles.

La cavalerie bretonne au galop dans les Carpates

Le 6 juillet 1942, après quelques infructueuses tentatives, deux jeunes Saint-cyriens, officiers de cavalerie, s’évadent de l’Oflag VIII G en Basse-Silésie. Les lieutenants Georges Barazer de Lannurien et Michel Bourel de la Roncière (7), issus de la vieille noblesse bretonne, ont hérités du caractère têtu de leurs ancêtres. Ils ont respectivement 27 et 24 ans et n’ont qu’une seule et unique idée en tête : reprendre le combat. Rien ne les arrêtera et de Lannurien reconnaîtra plus tard que « leur inconscience leur a parfois tenu lieu de courage ».

Leur objectif est de gagner la Turquie et, de là, les FFL. Ils sont arrêtés dès le 14 juillet (!) en Slovaquie, à 300 mètres de la frontière hongroise. Ils bénéficient cependant de conditions de détention farfelues mais souples et nouent à Trnava des contacts amicaux avec des opposants slovaques. Ils en profitent pour s’échapper en novembre et, sont de nouveau arrêtés mais à la frontière roumano-hongroise. Après les habituels périples qui les conduisent de prisons en forteresses, ils se retrouvent au « camp » de Balatonboglar suite à une efficace intervention de l’attaché militaire français. De décembre 1942 à juin 1944, ils font fonction de responsables administratifs des évadés au sein de la légation française, rencontrant ainsi de nombreux compatriotes.

Tenus informés de l’évolution de la situation en Slovaquie par leurs amis de Trnava et le chargé d’affaires slovaque à Budapest, M. Krno, ils décident d’agir. Fin juin 1944, de la Roncière fait un premier voyage en Slovaquie et en revient avec l’assurance que l’armée slovaque pourrait prendre en charge des Français. Ils se lancent alors dans le recrutement et, fin juillet, sont rejoint par le lieutenant Poupet, l’aspirant Tomasi et une vingtaine de sous-officiers et de soldats.

Le groupe s’organise et table sur la possibilité de recruter environ 400 hommes parmi les évadés français présents en Hongrie, chiffre jamais atteint. Nos deux cavaliers décident alors de se partager la tâche : Lannurien prend le commandement de l’unité et de la Roncière se charge du recrutement et du dangereux convoyage des volontaires français de Budapest à la zone de rassemblement en Slovaquie.

Un nouveau voyage le 2 août apporte quelques déceptions : la révolte de l’armée n’est pas imminente et le temps presse, la situation du groupe est instable et risquée. Cependant, Ludia Zejczova, que nos deux cavaliers connaissent depuis 1942, a le contact avec les maquis de la vallée du Turiec. Le sort en est jeté : les volontaires français rejoindront les Partisans.

Une frontière de plus vers les combats

Le premier détachement français arrive le 14 août dans la vallée de Kantor via Turciansky Svaty Martin (Saint-Martin du Turriec) après un périple hasardeux.

De la Roncière n’est pas du voyage et poursuit sa tâche de recrutement et de « convoyage » avec l’aide de Ludia Zejczova en Slovaquie et A. Acherey en Hongrie où, suite à l’invasion allemande de mars 44, la sécurité est de plus en plus difficile à assurer.

Très rapidement, d’autres volontaires arrivent, dont l’aspirant Tomasi. Les effectifs sont de 99 hommes au 28 août, date du premier engagement, puis de 145 le 2 septembre. Le maximum, 197 Français, est atteint fin octobre 1944.

Mais l’armée et la police hongroise ont renforcé les contrôles sur la frontière slovaque. De la Roncière est arrêté à son 11ème passage. Il tente de s’évader mais est blessé d’un coup de baïonnette au poumon. Après un séjour à l’hôpital et à la forteresse de Komarom, il s’évade (encore !) et réussit à rejoindre Bucarest déjà aux mains de l’Armée rouge.

Deux autres officiers arrivent le 12 septembre, les lieutenants J. L. Lehmann et J. P. Geyssely. En cours de route, ils font halte aux usines Skoda à Dubnica en Hongrie. Environ 400 Français requis du STO y travaillent. Malgré les interventions de certains cadres issus des Chantiers de Jeunesse, 54 d’entre eux se joignent aux volontaires, dont deux officiers, le capitaine G. Forestier et l’aspirant P. Donnadieu.

Notons également la présence d’évadés belges parmi les volontaires : Henri Dervaux, Gérard Dozo, Gaston Hubrechts, Alphonse Lehert et Albert Leroy. Ils sont rejoints par des compatriotes vraisemblablement évadés de camps de travail : Robert De Maertelere (tué à Strecno), Louis Pirson, Roger Van der Heyden (mort au combat) et Albert Froidure.

Ces périlleux passages de frontières et voyages dans des zones surveillées par la Gestapo seraient mortellement dangereux sans de solides complicités locales. De nombreux Slovaques sont ainsi tour à tour convoyeurs ou fournisseurs d’abris sûrs, certains y laissant leur vie. L’ouvrage de Monsieur Bohus Chnoupek (8) leur rend un hommage mérité : le boulanger de Sered, la Dame Blanche, Vlado, Ladislav Dzurany (qui servira plus tard d’interprète à la Brigade Foch et sera décoré de la Croix de guerre avec palmes à titre posthume), Ludia Zejczova et d’autres modestes héros sans lesquels l’aventure des volontaires français n’aurait pas été possible.

Constitution de la Brigade Stefanik

C’est le 12 août 1944 qu’est créée dans la vallée de Kantor une bien étrange unité. La région de Turiec, de par son terrain montagneux, est propice à la constitution de maquis et dés fin 1943, des volontaires slovaques, mais aussi des évadés de diverses nationalités, surtout slaves, plongent dans la clandestinité et s’organisent dans les forêts avec le soutien de militaires, gendarmes et civils de la résistance slovaque en plein développement. Alors que ces partisans sont en cours de formation et d’organisation, un premier groupe de parachutistes soviétiques est lâché sur la zone les 26 et 27 juillet 1944 sous le commandement du lieutenant-colonel Petr Alexjevic Velicko de l’Armée rouge. Le contact est rapidement établi avec les partisans et, d’un commun accord, ils se regroupent en direction de Kantor à partir du 8 août.

Le 12 août donc voit la naissance de la 1ère brigade de partisans tchécoslovaques, baptisée « Général M.R. Stefanik (9) », comptant environ 340 combattants à ses débuts, sous les ordres de Velicko et disposant d’un contact radio avec le quartier général des partisans ukrainiens basé à Kiev. Le contact est également établi avec les autorités de la résistance slovaque dès le 13 août par une visite du lieutenant-colonel Jan Golian, chef du comité militaire qui prépare l’insurrection.

Née du rassemblement de volontaires de nationalités diverses et variées, la Brigade Stefanik présente toutes les caractéristiques de ce cosmopolitisme tant haï par les nazis. « Il ne manque plus qu’il arrive des Français dans ce ramassis de sous-hommes ! » aurait pu dire Goebbels.

Les Français arrivent le 15 août 1944.

Le premier groupe, dont Georges de Lannurien, 7 hommes propres, habillés en civil et sans armes, suscite de la méfiance chez les partisans hirsutes armés jusqu’aux dents. Ils passent la nuit à la belle étoile en attendant le retour de Velicko. Grâce à l’interprète Vladimir Iersov, personnage étonnant, professeur de musique et Russe blanc ancien officier du Tsar, les deux soldats se comprennent rapidement et Velicko accepte ce renfort inattendu. Barazer de Lanurien réussit à imposer ces quelques conditions :

Les Français sont regroupés dans leur propre unité ne rendant compte qu’au chef de la Brigade.

Ils sont équipés et armés par la Brigade.

Ils ne sont pas engagés contre les Hongrois.

Ils seront dirigés vers les forces françaises dès l’arrivée des forces régulières soviétiques.

Leur arrivée sera signalée à la Mission Militaire Française à Moscou.

L’attitude des premiers volontaires impressionne les partisans et les fait rapidement accepter : discipline, compétence pour monter leur cantonnement, organisation, il est visible qu’il s’agit de soldats et pas de « bleus ».

Le 23 août, ils reçoivent de la radio de Kiev la confirmation que les autorités militaires françaises et soviétiques expriment leur accord au sujet de l’Unité française et que le lieutenant de Lannurien est considéré comme le chef des Français se trouvant en Slovaquie et nommé capitaine à titre temporaire.

L’unité connaît plusieurs appellations au cours de sa courte existence : Groupe français, Compagnie française, Légion de Combattants, Brigade Foch et enfin, à la grande surprise de son chef, elle est officiellement désignée comme Compagnie du capitaine de Lannurien après la guerre.

Déclenchement de l’Insurrection Nationale Slovaque

L’Insurrection Nationale Slovaque éclate le 29 août 1944. Le 30 août 1944, le Conseil National Slovaque s'adresse à la nation par la station de radio « Slovaquie libre » et appelle le peuple à résister.

En quelques jours, une armée forte de quelque 30 000 hommes, composée de nombreux éléments de la police et de l'armée slovaques, mais aussi renforcée par près de 15 000 partisans se forme et libère une très grande partie du pays. Toute la partie centrale autour de Banska Bystrica, soit une superficie équivalant à deux départements français, échappe au gouvernement de Bratislava et passe sous l'autorité de la Résistance en septembre 1944. Une brigade tchécoslovaque formée et entraînée en URSS est parachutée au centre de la Slovaquie à la fin de septembre.

Cependant les Allemands et le gouvernement pronazi de Mgr. Tiso, sont restés maîtres de Bratislava et de toute la région des plaines. Le général SS Berger, commandant des SS et de la Gestapo en Slovaquie, qui est surpris de l'ampleur de l'insurrection mais qui sait que les troupes slovaques insurgées sont inexpérimentées, s'efforce dès le 29 août, de remonter la vallée du Vah en direction de la capitale du mouvement insurrectionnel.

Après de violents combats de chars et des attaques de l'aviation, l'armée allemande réussit à s'emparer d'Handlova, Turcianske, Martin et Telgart, puis, après un court répit, fin septembre, sur l'ordre personnel de Himmler, l'offensive allemande reprend avec l'appui d'autres formations envoyées en renfort : il dispose de près de 45 000 hommes et envoie la 19ème division de Gebirgsjäger SS de la Moravie vers Zilina, la 86ème division de Pologne vers Kezmarok, la 20ème division Waffen-SS du sud-ouest vers Trnava et la 108ème division de Kosice vers Spisska Nova Ves.

La situation des insurgés ne tarde pas à devenir intenable. À la fin octobre, le général Viest, qui commande l'insurrection en remplacement du général Golian tué au combat, donne l'ordre à toutes les unités slovaques de se disperser, de passer dans la clandestinité ou de chercher à rejoindre l'armée soviétique. C’est la fin de l’Insurrection mais les combats continuent avec les partisans.

Le cas de la Panzerdivision Tatra

En août 1944 a lieu la création de la Panzerdivision Tatra, composée de troupes hétéroclites telles que des unités d’instruction et divers groupes de services de chars et réservistes de la Heer. Le nom «Tatra » se réfère à une chaîne de montagnes, les Tatras qui s’étendent de part et d’autre de la frontière polono-slovaque.

Elle est appelée à combattre sous le commandement du Generalleutnant Friedrich-Wilhelm von Löper dans les Petites Carpates dans le secteur de Malacky en Slovaquie en remplacement de la 178ème Panzer-Division et est chargée de la répression contre l'insurrection et, plus tard, chargée de la répression contre les partisans en Moravie du Sud. Le 29 août 1944, a lieu le premier engagement de l’unité à Cadca au nord-ouest de la Slovaquie, puis on la retrouve le 31 août à la bataille de Strecno, où se trouvent les Français.

De septembre à décembre, les unités de la Panzerdivision Tatra sont disséminées et chaque groupe continue la lutte anti-partisans dans les Petites Carpates et en particulier à Vrutky (10-21 septembre) et Zilina. En décembre 1944, après l'écrasement de l’insurrection à Banská Bystrica, la division blindée revient dans sa zone de formation et est renommée Division Tatras (10).

Les combats de la Brigade Foch

Ces batailles, de par la disposition du terrain et le cruel et permanent manque de moyens de communication, sont embrouillées, complexes. Nous en rendons compte ici de manière très synthétique essentiellement au travers du Journal de marche de l’unité, d’une sécheresse de bon aloi, les sources d’origine slovaque ayant tendance à enjoliver les exploits de Georges de Lannurien et de ses hommes, ce qui est sympathique mais peu conforme au besoin d’exactitude.

Les combats des volontaires français se déroulent en 2 phases :
- Combats « conventionnels » dans le cadre de l’Insurrection Nationale du 28 août à fin octobre 1944.
- Guérilla de Partisans, nécessitant une dispersion de l’unité, de novembre 1944 à janvier 1945.

Batailles « à la régulière »

Strecno -Vrutky

Dès le 28 août, les volontaires français occupent la gare de Vrutky, important nœud ferroviaire, et les points essentiels de la ville, faisant prisonniers quelques allemands et coupant ainsi la circulation vers Bratislava.
Un déraillement organisé dans le tunnel de Strecno, tout proche, complète l’opération. Un poste de garde dans une gare voisine est attaqué par surprise et 11 soldats allemands sont également capturés avec toutes leurs armes et leur matériel.

Le 29, le groupe français est envoyé à la rescousse de partisans slovaques aux prises avec l’ennemi à Varin.
Les combats se terminent par une chasse à l’homme, les survivants allemands se noyant en tentant de passer la rivière Váh. Le dernier poste allemand de Varin tombe dans la nuit, ce qui vaut une légère blessure à la tête au sergent Peyras.

Bataille de Strecno : S = infanterie slovaque, F = compagnie française, BS = Bataillon Souvoroff

Le 30, les Français sont incorporés dans le dispositif de bouclage de la voie ferrée de Strecno et deux pièces de 88 sont mises à leur disposition. C’est ce jour que le capitaine de Lannurien réussit à débarrasser son unité du commissaire politique qu’on lui avait attribué et à faire nommer Vladimir Iersov traducteur officiel.
Les deux premiers chars allemands, des Tigres probablement de la division Tatra, se présentent le 31 au matin. Leurs tirs dispersent les artilleurs slovaques, le lieutenant Poupet les remplace avec quelques volontaires, détruisant un char mais est grièvement blessé. Le soldat Jurmande immobilise l’autre char mais les attaques de l’infanterie allemande menacent d’encercler les Français. L’unité recule sur ordre vers 13h30.

Le 2 septembre, l’unité doit repousser vers Strecno des Allemands infiltrés sur la rive de la rivière Váh mais sont arrêtés par des soldats camouflés sur les crêtes qui bloquent aussi des sections slovaques. Peyras est en difficulté, Tomasi est tué, les pertes sont lourdes. Le recul se fait sous le feu des Stukas, le moral des Français est bas, ils se sont sentis isolés, de Lannurien et Picard doivent compenser le manque de radio par des incessants aller-retour d’une section à l’autre sans même savoir où sont les Slovaques et les Soviétiques qui pourtant se battent à proximité.

La compagnie est ensuite envoyée à l’attaque de Priekopa avec un bataillon soviétique et une compagnie slovaque. Le combat s’engage à l’avantage des Slovaques et des Français qui repoussent les Allemands à l’intérieur de la ville, mais au prix de pertes sérieuses, 12 blessés et 4 morts dont l’adjudant-chef Feunette. Mais pour réussir, le plan exige que le bataillon Souvoroff encercle Priekopa par la droite. Une fois de plus, le manque cruel de moyens de transmissions fait échouer l’opération, les ordres ayant été transmis trop tard et sans précisions.

Les volontaires français sont alors repliés sur Trebostovo en réserve et exploitent ce repos pour se réorganiser, intégrer des nouveaux arrivés et percevoir des véhicules en nombre suffisant pour transporter tous les volontaires qui deviennent « Légionnaires ». Georges de Lannurien doit aussi jouer les diplomates entre le colonel Velicko et le général Golian, commandant des forces tchécoslovaques, les deux officiers se disputant le commandement de la « Légion des Combattants », les deux états-majors rivalisant d’invitations en faveur des Français et de paroles enthousiastes. Le chef de la nouvelle Légion en profite pour armer ses hommes jusqu’aux dents avec du matériel américain et allemand issus des stocks soviétiques et slovaques.

Le groupe des combattants français embarque sur ses véhicules le 12 septembre 1944 a Strecno (collection Lannurien)

Svaty Kriz

L’unité est envoyée avec la Brigade Stefanik le 21 septembre vers Martin-Banska Bystrica. La région est peuplée de Schwab, minorité germanophone qui attend la Wehrmacht. Trois compagnies d’infanterie et deux batteries d’artillerie slovaques y sont en situation précaire, les Allemands s’infiltrant dans les vallées.

Sur ordre du colonel Velicko, des combattants slovaques sont adjoints aux Français, de Lannurien n’en n’acceptant que soixante sous les ordres du sous-lieutenant Maco, un ancien de la Légion tchécoslovaque en France.

Le scénario de Priekopa se reproduit alors autour du bourg de Janova Lehota : le capitaine Forestier attaque le 24 septembre vers 18h15 avec deux sections, sa droite protégée par la section Peyras qui est accrochée par des éléments ennemis mais les repousse. Forestier investit la ville mais, sans renfort, doit se retirer à la nuit aux abords.

Une tentative plus conséquente a lieu le lendemain avec tout le bataillon français et le bataillon soviétique Souvoroff. Malgré l’échec de la préparation d’artillerie (perte de liaison avec leurs observatoires), les Français avancent au prix de sérieuses pertes (2 tués, 5 blessés) mais l’appui attendu sur la droite fait défaut et l’attaque est interrompue sur ordre de la brigade. Une fois de plus, ce sont les problèmes de communication qui ont raison des volontaires.

En ligne de défense autour de Svaty Kriz le 26 septembre, le bataillon français est attaqué en soirée par de fortes unités allemandes équipées de blindés. Les Slovaques et les Soviétiques se replient mais les Français, pas ou mal prévenus, se retrouvent « en l’air » et ne doivent qu’à l’initiative de leur chef d’éviter, de justesse, l’encerclement.
La brigade Stefanik est retirée du front le 28 septembre et regroupée sur Detva ou elle restera en reformation une dizaine de jours.

Krupina

Du 10 au 19 octobre ont lieu dans la zone de Krupina les derniers combats des Français dans le cadre de l’Insurrection Nationale slovaque. Le territoire libéré rétrécit, les nouvelles alarmantes se multiplient, les renseignements sont fantaisistes et les communications pires que jamais.

Les Français vont se battre plus d’une semaine dans des zones déjà patrouillées par les forces allemandes, faisant croire aux Allemands qu’ils sont partout et nulle part, générant de leur part une grande consommation d’artillerie sur des zones vides. Des isolés rejoignent le bataillon Foch qui multiplie les actions meurtrières de sa propre initiative. Mais, en cherchant quelques heures de repos à Senohrad, village théoriquement calme, le bataillon se trouve attaqué par des blindés allemands et dispersé avec de lourdes pertes dont celle du lieutenant Lehmann.

Toute résistance organisée cesse le 25 octobre, c’est la fin de l’éphémère Slovaquie Libre.

Detva, octobre 1944. De gauche à droite : capitaine Forestier, lieutenant Geyssely, capitaine de Lannurien, professeur Iersov, commissaire colonel Rapkov, lieutenant Lehman, capitaine X., chef d’E.M. de la brigade (collection Lannurien)

Guérilla de Partisans

Novembre, mois de survie

La brigade donne un ordre de regroupement vers Jasena. Les éléments slovaques et soviétiques précédent les Français qui, dispersés à Senohrad, cherchent à se regrouper en route, mais en vain : la section Geyssely est restée en Slovaquie du Sud et le capitaine Forestier, disparu avec quelques hommes, est fait prisonnier et fusillé avec deux autres Français par les SS a Kreminca. Les Slovaques disparaissent en cours de route, se fondant dans la population civile comme les membres de l’armée régulière slovaque. Ils reprendront le combat quelques mois plus tard.

Menant des combats d’arrière-garde, le bataillon, ou du moins les éléments regroupés autour de Georges de Lannurien, avance avec difficulté, pourchassé par les SS aidés des Guardians slovaques. La dysenterie et les pieds gelés affectent les hommes qui manquent de nourriture et de médicaments. Ayant perdu le contact avec l’état-major du Colonel Velicko, de Lannurien est contraint de faire éclater son effectif en groupes de six hommes pour avoir plus de chances d’atteindre Kosice. Passant par les hauteurs, dans la neige, avançant péniblement, devant leur survie au courage des paysans slovaques qui les guident et les nourrissent, les Français atteignent la Slovaquie du Sud début décembre.

Partisans

De début décembre 1944 jusqu’au 14 janvier 1945, de Lannurien et ses hommes mènent la vie des partisans dans la région de Sloven–Lucenec. L’Armée rouge avance dans les plaines hongroises et le Bataillon Foch se livre sans répit à des opérations d’embuscades le long des routes slovaques où circulent aussi bien des troupes allemandes montant au front que des fuyards en retraite.

Ces hommes, faits prisonniers en 1940, ont la satisfaction de faire des prisonniers à leur tour, Hongrois en retraite. Mais ne sachant qu’en faire, ils les libèrent après les avoir délestés de leurs armes, leur matériel et … des vaches et moutons qu’ils convoyaient.

Le premier contact avec une patrouille de renseignement soviétique est pris le 14 janvier. Quelques heures plus tard, à Ozdin, ils rencontrent un bataillon de l’Armée rouge. C’est la fin de leur longue marche.

Comme un poisson dans l'eau

La totalité des témoignages français disponibles s’accordent pour louer la générosité et l’amitié dont les Slovaques ont fait preuve à l’égard des combattants français. Le capitaine de Lannurien est pris au dépourvu lorsque, dès après les premiers combats de son unité à Strecno, des comptes-rendus dithyrambiques circulent immédiatement et dans lesquels « les actes d’héroïsme les plus invraisemblables furent attribués à nos soldats » (11).

L’amicale hospitalité des Slovaques se manifeste aussi dans les temps de disette : « Nous n’avions pour assurer le ravitaillement que l’aide de la population qui malgré la menace de sévères représailles nous a toujours soutenu au maximum de leurs moyens en nourriture » (12).

La presse des autorités de l’Insurrection Nationale n’est pas en reste et Le Combattant, organe de l’armée tchécoslovaque opérant depuis Banska Bystrica ainsi que La voix de la nation, publié à partir de Zvolen, et CAS, organe central du Parti Démocrate en Slovaquie ouvrent leurs colonnes aux Français tant qu’ils sont en mesure de faire tourner leurs rotatives.

Aux cotés d’entretiens de volontaires français et de comptes-rendus de leurs combats, on trouve dans cette presse des remerciements émanant des hommes du capitaine de Lannurien :

« La légion française qui combat en Slovaquie a reçu dans tous les villages et villes un accueil si chaleureux qu’elle saisit la première occasion pour exprimer par cette voie l’émotion sincère et la reconnaissance des tous les hommes de la légion » (La Voix de la Nation, 22 septembre 1944).

Il faut noter que la bonne tenue de l’unité participe également à sa réputation. Contrairement aux agissements de la soldatesque qui a infesté l’Europe centrale pendant des siècles, les Français ne volent pas, ne réquisitionnent pas, ne se mêlent pas des règlements de comptes politiques. S’ils ne sont pas insensibles aux charmes de la population féminine slovaque, ils ne violent pas, disposant de techniques caractéristiques de la culture française pour obtenir de pacifiques redditions sans conditions.

Au sujet des éventuels problèmes politiques, leur influence au sein de la Brigade Stefanski est d’ailleurs très réduite. Les cadres soviétiques comme les Slovaques s’intéressent essentiellement à la combativité des volontaires qui, tous, sont considérés uniquement comme des « antifascistes ». Les Français ont même un aumônier amicalement baptisé Franzousky Pope par les Soviétiques.

Un retour en France parfois difficile

L’éclatement de l’unité suite aux aléas des combats de partisans fait que les Français sont rattrapés par l’avance victorieuse de l’Armée rouge à des dates et emplacements différents courant janvier-février 1945 ce qui complique singulièrement leur rapatriement vers la France. L’ambiance de méfiance mutuelle qui commence à s’installer entre Soviétiques et Alliés occidentaux dès la fin des combats en mai 1945 n’améliore pas les choses.

Les parcours sont variés, traversant l’Europe dans tous les sens au milieu des cohortes de personnes déplacées errant à l’époque en Europe centrale. Environ la moitié des combattants français sont rapatriés à partir de Budapest par des avions américains. Pour d’autres, c’est le bateau dans le port d’Odessa, avec des « internés » de Hongrie qui ne les ont pas rejoints au combat mais qui s’activent pour des embarquements clandestins, ayant choisi de rentrer en France avec leur amies hongroises. Chacun sa prise de guerre, la gloire pour certains, des belles pour les autres.

André Ringenbach arrive en France le 15 mai 1945, Raymond Vié le 31 juillet par exemple. Dès l’arrivée en France, les volontaires regagnent tous immédiatement leurs foyers quittés cinq ans auparavant pour la plupart d’entre eux. Les mauvaises surprises sont le lot de certains.

Georges de Lannurien est chargé de rendre compte aux autorités militaires et d’officialiser son unité sur le plan administratif avant de la dissoudre. Ce travail n’est pas simple, son unité étant complètement inconnue malgré la citation à l’ordre de l’armée qui lui fut décernée par Charles de Gaulle en décembre 1944 (13).

C’est cependant par une décision ministérielle du 22 juin 1945, soit avant le retour des derniers volontaires, qu’est officiellement créée la Compagnie du Capitaine de Lannurien. Selon Georges de Lannurien, son travail est facilité par l’intervention en haut lieu de son camarade de promotion Alain de Boissieu, futur gendre de Charles de Gaulle et à l’époque membre de son cabinet.

Des Français plus célèbres en Slovaquie que chez eux

La sympathie dont les Français bénéficient de la part des civils slovaques et le respect que leurs camarades soviétiques et slovaques leur témoignent durant la guerre ne disparaissent pas avec la paix et leur départ.

Aujourd’hui encore, les tombes des Français morts en Slovaquie sont toujours fleuries, leur souvenir n’est affecté d’aucune réserve. D’innombrables publications les ont célébrés et les célèbrent encore. En U. R. S. S. (URSS) même, grâce à la fidélité de leurs camarades de combat soviétiques, les partisans Français ont été et sont fréquemment cités.

Cette reconnaissance slovaque a eu raison des aléas de la guerre froide : les volontaires ont été invités en Slovaquie en 1949, pour un séjour d'un mois dans une station thermale, et le gouvernement tchécoslovaque a érigé en 1956 un imposant monument en leur mémoire à Strecno, lieu de leurs premiers combats. Tous les ans, lors de la célébration de l’anniversaire de l’Insurrection Nationale, des cérémonies et dépôts de gerbes y ont lieu sous l’œil vigilant d’une garde d’honneur de l’armée slovaque et les vétérans français sont invités.

Les plaques apposées ailleurs en l’honneur du commandant de l’unité sont nombreuses, le capitaine de Lannurien étant là-bas Georgesovi Barazerovi de Lannurienovi comme indiqué sur une plaque inaugurée pour le cinquantenaire en juillet 1994 et due à Štefana Pelikána, célèbre artiste slovaque, date à laquelle fut aussi mis en service par les Postes Slovaques un timbre libellé NA VECNÚ SLÁVU SYNOM FRANCÚZSKA (À la gloire éternelle des fils de France) dessiné par le même artiste.

Noms de francais gravés sur le monument de Strecno (collection Lannurien)

Les résistants de la dernière chance

Le titre du livre de recherche et d’hommage aux Français de Bohus Chnoupek, qui devint ministre des Affaires étrangères de la République tchécoslovaque, est parfaitement adapté au cas de ces hommes : plutôt confortablement à l’abri en Hongrie, libérés des contraintes imposées par les Allemands dans leurs camps, ils savent que l’Armée rouge approche comme un rouleau compresseur, que les Alliés occidentaux ont chassés l’Afrika Korps d’Afrique du Nord, que le CEFI Français est déjà en Italie, bref que le Reich n’a plus d’autre alternative que la retraite et, malgré tout, ils choisissent de reprendre les armes et tirent leurs premiers coups de feu en Slovaquie le 28 août 1944, soit après le débarquement de Normandie, après celui de Provence et après la Libération de Paris !

C’était vraiment leur dernière chance de se battre. Cette chance, ils la cherchent, l’espèrent, depuis des années, probablement depuis l’humiliation de juin 1940. Ils la tiennent, enfin, et ne la laisseront pas s’échapper !
C’est dans les Carpates, peu importe. Ils auraient trouvé une unité de la Wehrmacht en Patagonie Orientale, cela aurait tout aussi bien fait leur affaire. Cette rage qui les habite fait penser à un titre de livre qui les concerne, il s’agit de nos soldats de 1940 : Comme des Lions (14).

Ces lions là, ils ont passé quelques années au zoo, au cirque, enchaînés et fouettés puis, par un beau matin de l’été 1944, ils brisent leurs chaînes et dévorent leurs dompteurs. S’il avait eu le temps de s’occuper de cette affaire, Adolf Hitler y aurait peut-être vu une de ces « lois de la nature » qu’il affectionnait, celle du plus fort. Mais, dans le cas de Georges de Lannurien et de ses hommes, la force était morale, dépassant largement les concepts classiques de patriotisme, de sens du devoir et de l’honneur militaire.

L’Insurrection Nationale à laquelle ils ont participé fut très bénéfique à la Slovaquie malgré son échec partiel.
En effet, elle a permis à ce petit pays aligné officiellement sur les nazis de retrouver son honneur et de ne pas être en situation de « vaincu coupable » à la fin de la guerre. L’insurrection fut à la fois la Résistance et les Français Libres de la nation slovaque.
Il n’est donc pas surprenant que leur reconnaissance envers ces « brigades internationales » dure toujours.

Aux côtés des combattants slovaques, il y eu en effet des Français, des Belges, des Russes, des Polonais, des Ukrainiens, des Biélorusses, des Yougoslaves, des Tchèques, des Hongrois, une mission militaire britannique (SOE), une américaine, et d’autres nationalités, certaines sources en dénombrent 24. Ironie de l’Histoire, certains, « en face », parlaient de Croisade Européenne pour définir leurs propres combats.

 

Notes :
[1] Claude Girard, La médaille des évadés, Farac.org.
[2] Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Prisonniers de la liberté. L'Odyssée de 218 évadés par l'URSS. 1940-1941, Paris, Gallimard, 2004. L’auteur faisait partie de ce groupe d’évadés.
[3] Georges de Lannurien signale en particulier R. de Dampierre, chef de la mission, Ch. De Charmasse, chargé d’affaires, colonel A. Hallier, attaché militaire, J.-L. Lehmann, attaché commercial qui rejoignit les volontaires et fut tué au combat en octobre 1944, Mlle A.-M. Durand, secrétaire et M. Claudon, consul à Kolozsvar (RHA no.1, 1984, P. 74, note 6).
[4] I. Lagzi dans Réfugiés polonais et français en Hongrie, 1939-1945, raconte p. 667 cet épisode avec le ton d’un homme qui est visiblement francophile.
[5] Environ 45 000 hommes, sous le commandement de Ferdinand Catlos, ministre de la Défense, et comprenant la Brigade Pilfousek et deux divisions d’infanterie dont une motorisée. Suite aux pertes et au manque de motivation des troupes, les unités slovaques sont retirées du front en été 1944 et repliées en Italie en bataillons de travailleurs, selon Slovakia: Hitler's Slavic Wedge, 1938-1945 de Mark W. A. Axworthy sur Axis History.
[6] Voir texte de l’accord en annexe.
[7] Michel Bourel de la Roncière, promotion Saint-Cyr 1939-1940, est décédé à Paris le 30 septembre 2006.
[8] Bohus Chnoupek, Les Résistants de la dernière chance, des Français dans les maquis slovaques, Jacques Grancher, 1986.
[9] En mémoire du général Milan Stefanik, héros national slovaque, ancien officier de l’armée française, tué dans un accident d’avion en 1919.
[10] Selon le Lexicon der Wehrmacht http://www.lexikon-der-wehrmacht.de .
[11] Journal de marche de l’unité, 31 août 1944.
[12] Raymond Vié, interviewé par l’auteur, voir texte en annexe, novembre 2009.
[13] Voir texte de la citation en annexe.
[14] Comme des Lions, Dominique Lormier, Calmann-Lévy, 2005.

Bibliographie :
Dušan Halaj, L?ubomír Moncol?, Ján Stanislav, Francuzi v Slovenskom Narodnom Povstani, (Les Français dans l’insurrection nationale slovaque), Banská Bystrica, Bratislava, 2003, traduction française par l’Amicale des Combattants Volontaires Français de Slovaquie.
Bohus Chnoupek, Les Résistants de la dernière chance, des français dans les maquis slovaques, Jacques Grancher, 1986.
I. Lagzi, Refugiés polonais et français en Hongrie, 1939-1945 in Études historiques hongroises, Académie Kiado, Budapest, 1985.
Colonel Georges de Lannurien, Les Combattants français en Slovaquie (août 1944-février 1945), Revue Historique des Armées, Paris, 1984.
André Ringenbach, Six années pour la patrie, 1939-1945, à compte d’auteur, Rouen, 1967.
Georges Hautecler, Évasions réussies, Éditions Soledi, Bruxelles, 1966.
René Picard, L’ennemi retrouvé, à compte d’auteur, Conflans-Sainte-Honorine, 1953.

Remerciements :
En premier lieu, je tiens à remercier chaleureusement Monsieur Raymond Vié, ancien combattant du groupe de Lannurien, qui a pris la peine de répondre à mes questions et de me confier son témoignage. Je souhaiterais également remercier Philippe Monnier sans qui cet article n’aurait pas vu le jour, Vincent Dupont pour qui Vincennes n’a plus de secrets, Prosper Vandenbroucke pour ses informations sur les combattants belges et Krisztián Bene pour ses envois de Hongrie

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