Il
est parfois dit que la prestigieuse escadrille Normandie-Niemen fut
la seule unité de la France Combattante à se battre sur
le front de l’Est. C’est inexact, une unité bien
moins connue, mais tout autant valeureuse, formée de Français
évadés des camps de prisonniers de guerre ou des camps
du STO (Service du travail obligatoire), livra combat en Slovaquie au
cours de l’insurrection de fin 1944, aux côtés de
partisans soviétiques et d’unités slovaques. Leurs
aventures, parfois rocambolesques, souvent dramatiques, méritent
d’être racontées, ces hommes ayant été
deux fois volontaires, une fois pour s’évader et une fois
pour retourner au combat contre la Wehrmacht fort loin de leur pays
natal et dans des conditions très difficiles.
Les
KG (Kriegsgefangenen), les prisonniers de guerre
A la suite du désastre militaire de 1940, aggravé par
la phrase du Maréchal Pétain radiodiffusée le 17
juin à 12h20
« C'est le cœur serré que je vous dis aujourd'hui
qu'il faut cesser le combat », environ 1 800 000 soldats français
sont fait prisonniers, 1 580 000 sont transférés en Allemagne.
Ils sont encore 940 000 en 1944-45 et 37 000 ne rentreront jamais, morts
en captivité. Tournant en rond dans leurs stalags et oflags,
certains rêvent de s’évader. Environ 70 000 réussissent
« la belle » (mais nombre d’entre eux sont repris)
et au 1er janvier 1996 39 260 d’entre eux avaient obtenu la médaille
des évadés (1). Les travailleurs forcés se comptent
aussi par centaines de milliers, mais ils sont concentrés dans
les villes et les usines tandis que les soldats sont disséminés
dans tous les secteurs de l'économie et de la société
allemande.
Les tentatives d’évasion, en solitaire ou en groupe, sont
toutes incroyables et les conditions dans lesquelles elles sont entreprises
nécessitent toujours des improvisations de type « système
D » et de soigneux préparatifs.
Le cas d’André Ringenbach, qui s’est évadé
cinq fois avant de réussir, est tout à fait significatif
:
Première évasion, septembre 1941 : « volontaire
» pour un kommando d’arrachage de pommes de terre, André
s’enfuit de nuit avec son ami Albert de la baraque ou ils sont
cantonnés en descendant à l’aide de draps noués
les quatre mètres de hauteur qui les séparent du sol.
Ils marchent ensuite vers une gare de triage et réussissent à
s’introduire par une lucarne dans un wagon de sacs de blé
sans endommager le plombage de la porte, le tout avant l’aube.
Mauvais choix, le train les emmène à un entrepôt
où les wagons, dont le leur, sont déchargés. Deux
mois de baraque disciplinaire et 21 jours de cellule sont le prix à
payer pour ce premier essai.
Seconde évasion, 9 mars 1943 : tentative en solitaire, mal préparée,
André est repris quelques heures après.
Bilan : un passage à tabac et l’envoi dans un kommando
disciplinaire à Vienne.
Troisième évasion, 17 janvier 1944 : André, qui
a réussi à travailler dans un kommando hors du camp, part
avec son ami Toto, réussit à aller en train jusqu’a
la frontière austro-hongroise et à franchir la frontière
mais est arrêté et interné à Balatonboglar
en Hongrie. Son idée est de gagner la Yougoslavie et les maquis
de Tito. Mais l’invasion de la Hongrie par les Allemands fait
capoter son plan et il reste interné.
Quatrième évasion, 1er août 1944 : volontaire pour
la Slovaquie, sa première tentative de passage de la frontière
tourne mal et il est arrêté à nouveau.
Cinquième évasion, septembre 1944 : André, qui
a décidément de la suite dans les idées, remets
çà et cette fois-ci réussit à franchir la
frontière sans encombre. Les maquis de Slovaquie l’attendent.
Les espoirs sont les mêmes pour presque tous : rentrer en France,
et pour certains tout simplement retrouver leurs familles, et pour d’autres
reprendre le combat, et, en fait, souvent les deux, passer d’abord
à la maison puis aller vers Londres ou tout lieu où se
trouvent des FFL. Mais la route est longue pour y parvenir, et nombreux
sont les kilomètres à franchir en territoires allemands
ou occupés. En fonction des lieux de détention, les routes
les plus incroyables sont empruntées, comme celle des 218 français
qui s'évadent en direction de l'U. R. S. S. (ou URSS) avant juin
1941 et restent prisonniers dans les geôles staliniennes avant
d’être enfin traités en alliés après
le déclenchement de Barbarossa. Ils sont alors autorisés
à rejoindre Londres et la France Libre. Vingt d’entres
eux mourront au combat et sept deviendront Compagnons de la Libération
(2).
Le
refuge hongrois
La Hongrie a longtemps conservé un statut un peu à part
dans les forces de l’Axe. Quelques conflits frontaliers rapidement
stoppés grâce à la médiation allemande permettent
au régent Horthy d’agrandir le pays aux frontières
de 1919, aux dépens de la Roumanie, de la Slovaquie et de la
Yougoslavie, mais l’engagement hongrois dans l’agression
de l’U. R. S. S. (ou URSS) reste modeste. Malgré des mesures
de discriminations, les Juifs échappent d’abord aux déportations
de la « Solution finale ». La Hongrie n’a jamais déclaré
la guerre à la France et Vichy y maintient une légation
où exercent des fonctionnaires fort peu pétainistes comme
ils le montreront par la suite (3).
Pour les évadés de Pologne, d’Autriche et de l’Est
de l’Allemagne, la Hongrie est presque un point de passage obligé
car elle est sur la route menant vers le Sud, via la Yougoslavie et
la Roumanie, donc vers la possibilité de sortir de la zone sous
contrôle allemand, le voyage vers l’Ouest, vers la France,
étant jugé impossible.
De plus, la légation, profitant habilement des bonnes dispositions
hongroises envers les Français, permet l’établissement
d’un statut très libre pour les « belligérants
internés » français rendant possible leurs déplacements
dans le pays, leur procurant une situation matérielle favorable
et permettant l’établissement de nombreux liens amicaux
avec la population magyare. Au début 1944, il y a environ 1 000
évadés français en Hongrie et nombre d’entre
eux travaillent à des fonctions très avantageuses, enseignants,
artistes et cadres. Leur nombre augmentant, un « camp »
est installé en 1942 à … l’hôtel Savoy
de Balatonboglar, au bord du célèbre lac, puis étendu
à l’hôtel Nemzetti et la villa Fleiner. Certains
« internés » vont faire du ski en Transylvanie et,
pour le 14 juillet 1943, l’attaché militaire français
à Budapest, le colonel Hallier, réussit l’exploit
d’obtenir l’accord du ministre de la Défense hongrois
quant à l’organisation d’un défilé
de soldats français à Balatonboglar avec drapeaux tricolores
et hymne national, le tout en présence d’une délégation
militaire hongroise au garde-à-vous ! (4)
Ce statut très particulier a bien évidemment diminué
le nombre de volontaires pour la poursuite du dangereux voyage vers
le Sud ! Tout change le 19 mars 1944 lorsque le Reich envahit la Hongrie.
La
poudrière slovaque
Suite aux accords de Munich (septembre 1938), la Tchécoslovaquie
est démantelée : les Sudètes, en grande partie
peuplées de germanophones, sont rattachées au Reich tandis
que la Slovaquie, sous l’influence active et pesante de Hitler
et de sa Gestapo, proclament leur indépendance le 13 mars 1939
3. À la déclaration de guerre de septembre 1939, le gouvernement
slovaque, dirigé par Mgr Joseph Tiso du Parti Populaire Slovaque,
déclare à son tour la guerre à la Pologne, à
l'Angleterre et à la France, s’alignant totalement sur
la politique nazie.
Une grande partie de la population slovaque accepte passivement cette
situation qui lui permet de se dégager de la tutelle tchèque,
d'éviter une occupation par la Wehrmacht ou une annexion par
la Hongrie et qui assure même certains avantages économiques,
au moins durant les deux premières années du conflit.
Mais la situation commence à changer avec l'agression contre
l’U. R. S. S. (ou l'URSS) le 21 juin 1941. Complètement
soumise à l'Allemagne sur le plan de sa politique extérieure,
la Slovaquie est obligée d'envoyer plusieurs divisions combattre
sur le front de l'Est, mesure très impopulaire (5).
Une certaine solidarité slave fait évoluer l'opinion peu
à peu en 1942-1943 tandis que s'écroule le mythe de l'invincibilité
allemande (la nouvelle de la chute de Stalingrad le 2 février
1943 y contribue). Le régime de Tiso est de plus en plus isolé
par rapport à la population et la résistance intérieure
devient de plus en plus active tandis que l’opposition se développe
au sein de l’armée, de la gendarmerie et des fonctionnaires.
De nombreux officiers sont favorables à un renversement d’alliance
mais des divergences d’ordre politique existent, certains pensant
intégrer l’Armée rouge, d’autres préférant
une action indépendante de l’armée slovaque, ceci
expliquant le manque de cohésion dont font preuve les trois divisions
présentes sur le sol slovaque lors de l’insurrection, l’impulsion
venant davantage des Partisans.
Le président Edvard Beneš, en exil à Londres avec
le gouvernement tchécoslovaque, est en contact permanent avec
ces opposants via des émissaires clandestins. Signalons les accords
pris entre la France Libre et le gouvernement Beneš qui rendent
caduque la signature française des accords de Munich. La lettre
officielle française est signée Général
Charles de Gaulle, Président du Comité National Français
et datée du 29 septembre 1942, date anniversaire de la honte
de Munich (6).
Le mouvement des partisans commence à s'organiser dans diverses
régions montagneuses du pays.
Les résistants se retrouvent au sein d'un Conseil national slovaque
et commencent à créer dans les diverses régions
du pays un réseau de comités nationaux, les Narodny Vibor,
souvent sous l’impulsion du Parti communiste slovaque, interdit
et clandestin, qui est réactivé par le retour d’exil
en 1943 du leader communiste Karol Schmidke.
La résistance slovaque bénéficie de l'envoi d’officiers
soviétiques formés à la guérilla qui sont
parachutés dans les montagnes au début de 1944. Aucunes
troupes allemandes ne sont stationnées en Slovaquie et le gouvernement
de Joseph Tiso est impuissant, ses formations guardistes, sorte de milice
pronazie, se révélant incapables de contrôler la
situation.
Le mouvement prend bientôt une telle ampleur qu'il commence à
devenir dangereux pour le Reich. Trois grandes villes, Cracovie, Budapest
et Vienne se trouvent à moins de 100 kms de la frontière
slovaque tandis que les communications entre l’Autriche et la
Hongrie, d’une part, et entre la Bohème-Moravie et le sud
de la Pologne, donc vers la partie sud du front ukrainien, d’autre
part, passent par la Slovaquie. La Wehrmacht doit absolument conserver
ces voies de communication essentielles.
La
cavalerie bretonne au galop dans les Carpates
Le 6 juillet 1942, après quelques infructueuses tentatives, deux
jeunes Saint-cyriens, officiers de cavalerie, s’évadent
de l’Oflag VIII G en Basse-Silésie. Les lieutenants Georges
Barazer de Lannurien et Michel Bourel de la Roncière (7), issus
de la vieille noblesse bretonne, ont hérités du caractère
têtu de leurs ancêtres. Ils ont respectivement 27 et 24
ans et n’ont qu’une seule et unique idée en tête
: reprendre le combat. Rien ne les arrêtera et de Lannurien reconnaîtra
plus tard que « leur inconscience leur a parfois tenu lieu de
courage ».
Leur objectif est de gagner la Turquie et, de là, les FFL. Ils
sont arrêtés dès le 14 juillet (!) en Slovaquie,
à 300 mètres de la frontière hongroise. Ils bénéficient
cependant de conditions de détention farfelues mais souples et
nouent à Trnava des contacts amicaux avec des opposants slovaques.
Ils en profitent pour s’échapper en novembre et, sont de
nouveau arrêtés mais à la frontière roumano-hongroise.
Après les habituels périples qui les conduisent de prisons
en forteresses, ils se retrouvent au « camp » de Balatonboglar
suite à une efficace intervention de l’attaché militaire
français. De décembre 1942 à juin 1944, ils font
fonction de responsables administratifs des évadés au
sein de la légation française, rencontrant ainsi de nombreux
compatriotes.
Tenus informés de l’évolution de la situation en
Slovaquie par leurs amis de Trnava et le chargé d’affaires
slovaque à Budapest, M. Krno, ils décident d’agir.
Fin juin 1944, de la Roncière fait un premier voyage en Slovaquie
et en revient avec l’assurance que l’armée slovaque
pourrait prendre en charge des Français. Ils se lancent alors
dans le recrutement et, fin juillet, sont rejoint par le lieutenant
Poupet, l’aspirant Tomasi et une vingtaine de sous-officiers et
de soldats.
Le groupe s’organise et table sur la possibilité de recruter
environ 400 hommes parmi les évadés français présents
en Hongrie, chiffre jamais atteint. Nos deux cavaliers décident
alors de se partager la tâche : Lannurien prend le commandement
de l’unité et de la Roncière se charge du recrutement
et du dangereux convoyage des volontaires français de Budapest
à la zone de rassemblement en Slovaquie.
Un nouveau voyage le 2 août apporte quelques déceptions
: la révolte de l’armée n’est pas imminente
et le temps presse, la situation du groupe est instable et risquée.
Cependant, Ludia Zejczova, que nos deux cavaliers connaissent depuis
1942, a le contact avec les maquis de la vallée du Turiec. Le
sort en est jeté : les volontaires français rejoindront
les Partisans.
Une
frontière de plus vers les combats
Le premier détachement français arrive le 14 août
dans la vallée de Kantor via Turciansky Svaty Martin (Saint-Martin
du Turriec) après un périple hasardeux.
De la Roncière n’est pas du voyage et poursuit sa tâche
de recrutement et de « convoyage » avec l’aide de
Ludia Zejczova en Slovaquie et A. Acherey en Hongrie où, suite
à l’invasion allemande de mars 44, la sécurité
est de plus en plus difficile à assurer.
Très rapidement, d’autres volontaires arrivent, dont l’aspirant
Tomasi. Les effectifs sont de 99 hommes au 28 août, date du premier
engagement, puis de 145 le 2 septembre. Le maximum, 197 Français,
est atteint fin octobre 1944.
Mais l’armée et la police hongroise ont renforcé
les contrôles sur la frontière slovaque. De la Roncière
est arrêté à son 11ème passage. Il tente
de s’évader mais est blessé d’un coup de baïonnette
au poumon. Après un séjour à l’hôpital
et à la forteresse de Komarom, il s’évade (encore
!) et réussit à rejoindre Bucarest déjà
aux mains de l’Armée rouge.
Deux autres officiers arrivent le 12 septembre, les lieutenants J. L.
Lehmann et J. P. Geyssely. En cours de route, ils font halte aux usines
Skoda à Dubnica en Hongrie. Environ 400 Français requis
du STO y travaillent. Malgré les interventions de certains cadres
issus des Chantiers de Jeunesse, 54 d’entre eux se joignent aux
volontaires, dont deux officiers, le capitaine G. Forestier et l’aspirant
P. Donnadieu.
Notons également la présence d’évadés
belges parmi les volontaires : Henri Dervaux, Gérard Dozo, Gaston
Hubrechts, Alphonse Lehert et Albert Leroy. Ils sont rejoints par des
compatriotes vraisemblablement évadés de camps de travail
: Robert De Maertelere (tué à Strecno), Louis Pirson,
Roger Van der Heyden (mort au combat) et Albert Froidure.
Ces périlleux passages de frontières et voyages dans des
zones surveillées par la Gestapo seraient mortellement dangereux
sans de solides complicités locales. De nombreux Slovaques sont
ainsi tour à tour convoyeurs ou fournisseurs d’abris sûrs,
certains y laissant leur vie. L’ouvrage de Monsieur Bohus Chnoupek
(8) leur rend un hommage mérité : le boulanger de Sered,
la Dame Blanche, Vlado, Ladislav Dzurany (qui servira plus tard d’interprète
à la Brigade Foch et sera décoré de la Croix de
guerre avec palmes à titre posthume), Ludia Zejczova et d’autres
modestes héros sans lesquels l’aventure des volontaires
français n’aurait pas été possible.
Constitution
de la Brigade Stefanik
C’est le 12 août 1944 qu’est créée dans
la vallée de Kantor une bien étrange unité. La
région de Turiec, de par son terrain montagneux, est propice
à la constitution de maquis et dés fin 1943, des volontaires
slovaques, mais aussi des évadés de diverses nationalités,
surtout slaves, plongent dans la clandestinité et s’organisent
dans les forêts avec le soutien de militaires, gendarmes et civils
de la résistance slovaque en plein développement. Alors
que ces partisans sont en cours de formation et d’organisation,
un premier groupe de parachutistes soviétiques est lâché
sur la zone les 26 et 27 juillet 1944 sous le commandement du lieutenant-colonel
Petr Alexjevic Velicko de l’Armée rouge. Le contact est
rapidement établi avec les partisans et, d’un commun accord,
ils se regroupent en direction de Kantor à partir du 8 août.
Le 12 août donc voit la naissance de la 1ère brigade de
partisans tchécoslovaques, baptisée « Général
M.R. Stefanik (9) », comptant environ 340 combattants à
ses débuts, sous les ordres de Velicko et disposant d’un
contact radio avec le quartier général des partisans ukrainiens
basé à Kiev. Le contact est également établi
avec les autorités de la résistance slovaque dès
le 13 août par une visite du lieutenant-colonel Jan Golian, chef
du comité militaire qui prépare l’insurrection.
Née du rassemblement de volontaires de nationalités diverses
et variées, la Brigade Stefanik présente toutes les caractéristiques
de ce cosmopolitisme tant haï par les nazis. « Il ne manque
plus qu’il arrive des Français dans ce ramassis de sous-hommes
! » aurait pu dire Goebbels.
Les
Français arrivent le 15 août 1944.
Le premier groupe, dont Georges de Lannurien, 7 hommes propres, habillés
en civil et sans armes, suscite de la méfiance chez les partisans
hirsutes armés jusqu’aux dents. Ils passent la nuit à
la belle étoile en attendant le retour de Velicko. Grâce
à l’interprète Vladimir Iersov, personnage étonnant,
professeur de musique et Russe blanc ancien officier du Tsar, les deux
soldats se comprennent rapidement et Velicko accepte ce renfort inattendu.
Barazer de Lanurien réussit à imposer ces quelques conditions
:
Les Français sont regroupés dans leur propre unité
ne rendant compte qu’au chef de la Brigade.
Ils sont équipés et armés par la Brigade.
Ils ne sont pas engagés contre les Hongrois.
Ils seront dirigés vers les forces françaises dès
l’arrivée des forces régulières soviétiques.
Leur arrivée sera signalée à la Mission Militaire
Française à Moscou.
L’attitude des premiers volontaires impressionne les partisans
et les fait rapidement accepter : discipline, compétence pour
monter leur cantonnement, organisation, il est visible qu’il s’agit
de soldats et pas de « bleus ».
Le 23 août, ils reçoivent de la radio de Kiev la confirmation
que les autorités militaires françaises et soviétiques
expriment leur accord au sujet de l’Unité française
et que le lieutenant de Lannurien est considéré comme
le chef des Français se trouvant en Slovaquie et nommé
capitaine à titre temporaire.
L’unité connaît plusieurs appellations au cours de
sa courte existence : Groupe français, Compagnie française,
Légion de Combattants, Brigade Foch et enfin, à la grande
surprise de son chef, elle est officiellement désignée
comme Compagnie du capitaine de Lannurien après la guerre.
Déclenchement de l’Insurrection Nationale
Slovaque
L’Insurrection Nationale Slovaque éclate le 29 août
1944. Le 30 août 1944, le Conseil National Slovaque s'adresse
à la nation par la station de radio « Slovaquie libre »
et appelle le peuple à résister.
En quelques jours, une armée forte de quelque 30 000 hommes,
composée de nombreux éléments de la police et de
l'armée slovaques, mais aussi renforcée par près
de 15 000 partisans se forme et libère une très grande
partie du pays. Toute la partie centrale autour de Banska Bystrica,
soit une superficie équivalant à deux départements
français, échappe au gouvernement de Bratislava et passe
sous l'autorité de la Résistance en septembre 1944. Une
brigade tchécoslovaque formée et entraînée
en URSS est parachutée au centre de la Slovaquie à la
fin de septembre.
Cependant les Allemands et le gouvernement pronazi de Mgr. Tiso, sont
restés maîtres de Bratislava et de toute la région
des plaines. Le général SS Berger, commandant des SS et
de la Gestapo en Slovaquie, qui est surpris de l'ampleur de l'insurrection
mais qui sait que les troupes slovaques insurgées sont inexpérimentées,
s'efforce dès le 29 août, de remonter la vallée
du Vah en direction de la capitale du mouvement insurrectionnel.
Après de violents combats de chars et des attaques de l'aviation,
l'armée allemande réussit à s'emparer d'Handlova,
Turcianske, Martin et Telgart, puis, après un court répit,
fin septembre, sur l'ordre personnel de Himmler, l'offensive allemande
reprend avec l'appui d'autres formations envoyées en renfort
: il dispose de près de 45 000 hommes et envoie la 19ème
division de Gebirgsjäger SS de la Moravie vers Zilina, la 86ème
division de Pologne vers Kezmarok, la 20ème division Waffen-SS
du sud-ouest vers Trnava et la 108ème division de Kosice vers
Spisska Nova Ves.
La situation des insurgés ne tarde pas à devenir intenable.
À la fin octobre, le général Viest, qui commande
l'insurrection en remplacement du général Golian tué
au combat, donne l'ordre à toutes les unités slovaques
de se disperser, de passer dans la clandestinité ou de chercher
à rejoindre l'armée soviétique. C’est la
fin de l’Insurrection mais les combats continuent avec les partisans.
Le
cas de la Panzerdivision Tatra
En août 1944 a lieu la création de la Panzerdivision Tatra,
composée de troupes hétéroclites telles que des
unités d’instruction et divers groupes de services de chars
et réservistes de la Heer. Le nom «Tatra » se réfère
à une chaîne de montagnes, les Tatras qui s’étendent
de part et d’autre de la frontière polono-slovaque.
Elle est appelée à combattre sous le commandement du Generalleutnant
Friedrich-Wilhelm von Löper dans les Petites Carpates dans le secteur
de Malacky en Slovaquie en remplacement de la 178ème Panzer-Division
et est chargée de la répression contre l'insurrection
et, plus tard, chargée de la répression contre les partisans
en Moravie du Sud. Le 29 août 1944, a lieu le premier engagement
de l’unité à Cadca au nord-ouest de la Slovaquie,
puis on la retrouve le 31 août à la bataille de Strecno,
où se trouvent les Français.
De septembre à décembre, les unités de la Panzerdivision
Tatra sont disséminées et chaque groupe continue la lutte
anti-partisans dans les Petites Carpates et en particulier à
Vrutky (10-21 septembre) et Zilina. En décembre 1944, après
l'écrasement de l’insurrection à Banská Bystrica,
la division blindée revient dans sa zone de formation et est
renommée Division Tatras (10).
Les
combats de la Brigade Foch
Ces batailles, de par la disposition du terrain et le cruel et permanent
manque de moyens de communication, sont embrouillées, complexes.
Nous en rendons compte ici de manière très synthétique
essentiellement au travers du Journal de marche de l’unité,
d’une sécheresse de bon aloi, les sources d’origine
slovaque ayant tendance à enjoliver les exploits de Georges de
Lannurien et de ses hommes, ce qui est sympathique mais peu conforme
au besoin d’exactitude.
Les combats des volontaires français se déroulent en 2
phases :
- Combats « conventionnels » dans le cadre de l’Insurrection
Nationale du 28 août à fin octobre 1944.
- Guérilla de Partisans, nécessitant une dispersion de
l’unité, de novembre 1944 à janvier 1945.
Batailles
« à la régulière »
Strecno -Vrutky
Dès le 28 août, les volontaires français occupent
la gare de Vrutky, important nœud ferroviaire, et les points essentiels
de la ville, faisant prisonniers quelques allemands et coupant ainsi
la circulation vers Bratislava.
Un déraillement organisé dans le tunnel de Strecno, tout
proche, complète l’opération. Un poste de garde
dans une gare voisine est attaqué par surprise et 11 soldats
allemands sont également capturés avec toutes leurs armes
et leur matériel.
Le 29, le groupe français est envoyé à la rescousse
de partisans slovaques aux prises avec l’ennemi à Varin.
Les combats se terminent par une chasse à l’homme, les
survivants allemands se noyant en tentant de passer la rivière
Váh. Le dernier poste allemand de Varin tombe dans la nuit, ce
qui vaut une légère blessure à la tête au
sergent Peyras.
Bataille
de Strecno : S = infanterie slovaque, F = compagnie française,
BS = Bataillon Souvoroff
Le 30, les Français sont incorporés dans le dispositif
de bouclage de la voie ferrée de Strecno et deux pièces
de 88 sont mises à leur disposition. C’est ce jour que
le capitaine de Lannurien réussit à débarrasser
son unité du commissaire politique qu’on lui avait attribué
et à faire nommer Vladimir Iersov traducteur officiel.
Les deux premiers chars allemands, des Tigres probablement de la division
Tatra, se présentent le 31 au matin. Leurs tirs dispersent les
artilleurs slovaques, le lieutenant Poupet les remplace avec quelques
volontaires, détruisant un char mais est grièvement blessé.
Le soldat Jurmande immobilise l’autre char mais les attaques de
l’infanterie allemande menacent d’encercler les Français.
L’unité recule sur ordre vers 13h30.
Le 2 septembre, l’unité doit repousser vers Strecno des
Allemands infiltrés sur la rive de la rivière Váh
mais sont arrêtés par des soldats camouflés sur
les crêtes qui bloquent aussi des sections slovaques. Peyras est
en difficulté, Tomasi est tué, les pertes sont lourdes.
Le recul se fait sous le feu des Stukas, le moral des Français
est bas, ils se sont sentis isolés, de Lannurien et Picard doivent
compenser le manque de radio par des incessants aller-retour d’une
section à l’autre sans même savoir où sont
les Slovaques et les Soviétiques qui pourtant se battent à
proximité.
La compagnie est ensuite envoyée à l’attaque de
Priekopa avec un bataillon soviétique et une compagnie slovaque.
Le combat s’engage à l’avantage des Slovaques et
des Français qui repoussent les Allemands à l’intérieur
de la ville, mais au prix de pertes sérieuses, 12 blessés
et 4 morts dont l’adjudant-chef Feunette. Mais pour réussir,
le plan exige que le bataillon Souvoroff encercle Priekopa par la droite.
Une fois de plus, le manque cruel de moyens de transmissions fait échouer
l’opération, les ordres ayant été transmis
trop tard et sans précisions.
Les volontaires français sont alors repliés sur Trebostovo
en réserve et exploitent ce repos pour se réorganiser,
intégrer des nouveaux arrivés et percevoir des véhicules
en nombre suffisant pour transporter tous les volontaires qui deviennent
« Légionnaires ». Georges de Lannurien doit aussi
jouer les diplomates entre le colonel Velicko et le général
Golian, commandant des forces tchécoslovaques, les deux officiers
se disputant le commandement de la « Légion des Combattants
», les deux états-majors rivalisant d’invitations
en faveur des Français et de paroles enthousiastes. Le chef de
la nouvelle Légion en profite pour armer ses hommes jusqu’aux
dents avec du matériel américain et allemand issus des
stocks soviétiques et slovaques.
Le
groupe des combattants français embarque sur ses véhicules
le 12 septembre 1944 a Strecno (collection Lannurien)
Svaty Kriz
L’unité est envoyée avec la Brigade Stefanik le
21 septembre vers Martin-Banska Bystrica. La région est peuplée
de Schwab, minorité germanophone qui attend la Wehrmacht. Trois
compagnies d’infanterie et deux batteries d’artillerie slovaques
y sont en situation précaire, les Allemands s’infiltrant
dans les vallées.
Sur ordre du colonel Velicko, des combattants slovaques sont adjoints
aux Français, de Lannurien n’en n’acceptant que soixante
sous les ordres du sous-lieutenant Maco, un ancien de la Légion
tchécoslovaque en France.
Le scénario de Priekopa se reproduit alors autour du bourg de
Janova Lehota : le capitaine Forestier attaque le 24 septembre vers
18h15 avec deux sections, sa droite protégée par la section
Peyras qui est accrochée par des éléments ennemis
mais les repousse. Forestier investit la ville mais, sans renfort, doit
se retirer à la nuit aux abords.
Une tentative plus conséquente a lieu le lendemain avec tout
le bataillon français et le bataillon soviétique Souvoroff.
Malgré l’échec de la préparation d’artillerie
(perte de liaison avec leurs observatoires), les Français avancent
au prix de sérieuses pertes (2 tués, 5 blessés)
mais l’appui attendu sur la droite fait défaut et l’attaque
est interrompue sur ordre de la brigade. Une fois de plus, ce sont les
problèmes de communication qui ont raison des volontaires.
En ligne de défense autour de Svaty Kriz le 26 septembre, le
bataillon français est attaqué en soirée par de
fortes unités allemandes équipées de blindés.
Les Slovaques et les Soviétiques se replient mais les Français,
pas ou mal prévenus, se retrouvent « en l’air »
et ne doivent qu’à l’initiative de leur chef d’éviter,
de justesse, l’encerclement.
La brigade Stefanik est retirée du front le 28 septembre et regroupée
sur Detva ou elle restera en reformation une dizaine de jours.
Krupina
Du 10 au 19 octobre ont lieu dans la zone de Krupina les derniers combats
des Français dans le cadre de l’Insurrection Nationale
slovaque. Le territoire libéré rétrécit,
les nouvelles alarmantes se multiplient, les renseignements sont fantaisistes
et les communications pires que jamais.
Les Français vont se battre plus d’une semaine dans des
zones déjà patrouillées par les forces allemandes,
faisant croire aux Allemands qu’ils sont partout et nulle part,
générant de leur part une grande consommation d’artillerie
sur des zones vides. Des isolés rejoignent le bataillon Foch
qui multiplie les actions meurtrières de sa propre initiative.
Mais, en cherchant quelques heures de repos à Senohrad, village
théoriquement calme, le bataillon se trouve attaqué par
des blindés allemands et dispersé avec de lourdes pertes
dont celle du lieutenant Lehmann.
Toute résistance organisée cesse le 25 octobre, c’est
la fin de l’éphémère Slovaquie Libre.
Detva,
octobre 1944. De gauche à droite : capitaine Forestier, lieutenant
Geyssely, capitaine de Lannurien, professeur Iersov, commissaire colonel
Rapkov, lieutenant Lehman, capitaine X., chef d’E.M. de la brigade
(collection Lannurien)
Guérilla
de Partisans
Novembre, mois de survie
La brigade donne un ordre de regroupement vers Jasena. Les éléments
slovaques et soviétiques précédent les Français
qui, dispersés à Senohrad, cherchent à se regrouper
en route, mais en vain : la section Geyssely est restée en Slovaquie
du Sud et le capitaine Forestier, disparu avec quelques hommes, est
fait prisonnier et fusillé avec deux autres Français par
les SS a Kreminca. Les Slovaques disparaissent en cours de route, se
fondant dans la population civile comme les membres de l’armée
régulière slovaque. Ils reprendront le combat quelques
mois plus tard.
Menant des combats d’arrière-garde, le bataillon, ou du
moins les éléments regroupés autour de Georges
de Lannurien, avance avec difficulté, pourchassé par les
SS aidés des Guardians slovaques. La dysenterie et les pieds
gelés affectent les hommes qui manquent de nourriture et de médicaments.
Ayant perdu le contact avec l’état-major du Colonel Velicko,
de Lannurien est contraint de faire éclater son effectif en groupes
de six hommes pour avoir plus de chances d’atteindre Kosice. Passant
par les hauteurs, dans la neige, avançant péniblement,
devant leur survie au courage des paysans slovaques qui les guident
et les nourrissent, les Français atteignent la Slovaquie du Sud
début décembre.
Partisans
De début décembre 1944 jusqu’au 14 janvier 1945,
de Lannurien et ses hommes mènent la vie des partisans dans la
région de Sloven–Lucenec. L’Armée rouge avance
dans les plaines hongroises et le Bataillon Foch se livre sans répit
à des opérations d’embuscades le long des routes
slovaques où circulent aussi bien des troupes allemandes montant
au front que des fuyards en retraite.
Ces hommes, faits prisonniers en 1940, ont la satisfaction de faire
des prisonniers à leur tour, Hongrois en retraite. Mais ne sachant
qu’en faire, ils les libèrent après les avoir délestés
de leurs armes, leur matériel et … des vaches et moutons
qu’ils convoyaient.
Le premier contact avec une patrouille de renseignement soviétique
est pris le 14 janvier. Quelques heures plus tard, à Ozdin, ils
rencontrent un bataillon de l’Armée rouge. C’est
la fin de leur longue marche.
Comme
un poisson dans l'eau
La totalité des témoignages français disponibles
s’accordent pour louer la générosité et l’amitié
dont les Slovaques ont fait preuve à l’égard des
combattants français. Le capitaine de Lannurien est pris au dépourvu
lorsque, dès après les premiers combats de son unité
à Strecno, des comptes-rendus dithyrambiques circulent immédiatement
et dans lesquels « les actes d’héroïsme les
plus invraisemblables furent attribués à nos soldats »
(11).
L’amicale hospitalité des Slovaques se manifeste aussi
dans les temps de disette : « Nous n’avions pour assurer
le ravitaillement que l’aide de la population qui malgré
la menace de sévères représailles nous a toujours
soutenu au maximum de leurs moyens en nourriture » (12).
La presse des autorités de l’Insurrection Nationale n’est
pas en reste et Le Combattant, organe de l’armée tchécoslovaque
opérant depuis Banska Bystrica ainsi que La voix de la nation,
publié à partir de Zvolen, et CAS, organe central du Parti
Démocrate en Slovaquie ouvrent leurs colonnes aux Français
tant qu’ils sont en mesure de faire tourner leurs rotatives.
Aux cotés d’entretiens de volontaires français et
de comptes-rendus de leurs combats, on trouve dans cette presse des
remerciements émanant des hommes du capitaine de Lannurien :
« La légion française qui combat en Slovaquie a
reçu dans tous les villages et villes un accueil si chaleureux
qu’elle saisit la première occasion pour exprimer par cette
voie l’émotion sincère et la reconnaissance des
tous les hommes de la légion » (La Voix de la Nation, 22
septembre 1944).
Il faut noter que la bonne tenue de l’unité participe également
à sa réputation. Contrairement aux agissements de la soldatesque
qui a infesté l’Europe centrale pendant des siècles,
les Français ne volent pas, ne réquisitionnent pas, ne
se mêlent pas des règlements de comptes politiques. S’ils
ne sont pas insensibles aux charmes de la population féminine
slovaque, ils ne violent pas, disposant de techniques caractéristiques
de la culture française pour obtenir de pacifiques redditions
sans conditions.
Au sujet des éventuels problèmes politiques, leur influence
au sein de la Brigade Stefanski est d’ailleurs très réduite.
Les cadres soviétiques comme les Slovaques s’intéressent
essentiellement à la combativité des volontaires qui,
tous, sont considérés uniquement comme des « antifascistes
». Les Français ont même un aumônier amicalement
baptisé Franzousky Pope par les Soviétiques.
Un
retour en France parfois difficile
L’éclatement de l’unité suite aux aléas
des combats de partisans fait que les Français sont rattrapés
par l’avance victorieuse de l’Armée rouge à
des dates et emplacements différents courant janvier-février
1945 ce qui complique singulièrement leur rapatriement vers la
France. L’ambiance de méfiance mutuelle qui commence à
s’installer entre Soviétiques et Alliés occidentaux
dès la fin des combats en mai 1945 n’améliore pas
les choses.
Les parcours sont variés, traversant l’Europe dans tous
les sens au milieu des cohortes de personnes déplacées
errant à l’époque en Europe centrale. Environ la
moitié des combattants français sont rapatriés
à partir de Budapest par des avions américains. Pour d’autres,
c’est le bateau dans le port d’Odessa, avec des «
internés » de Hongrie qui ne les ont pas rejoints au combat
mais qui s’activent pour des embarquements clandestins, ayant
choisi de rentrer en France avec leur amies hongroises. Chacun sa prise
de guerre, la gloire pour certains, des belles pour les autres.
André Ringenbach arrive en France le 15 mai 1945, Raymond Vié
le 31 juillet par exemple. Dès l’arrivée en France,
les volontaires regagnent tous immédiatement leurs foyers quittés
cinq ans auparavant pour la plupart d’entre eux. Les mauvaises
surprises sont le lot de certains.
Georges de Lannurien est chargé de rendre compte aux autorités
militaires et d’officialiser son unité sur le plan administratif
avant de la dissoudre. Ce travail n’est pas simple, son unité
étant complètement inconnue malgré la citation
à l’ordre de l’armée qui lui fut décernée
par Charles de Gaulle en décembre 1944 (13).
C’est cependant par une décision ministérielle du
22 juin 1945, soit avant le retour des derniers volontaires, qu’est
officiellement créée la Compagnie du Capitaine de Lannurien.
Selon Georges de Lannurien, son travail est facilité par l’intervention
en haut lieu de son camarade de promotion Alain de Boissieu, futur gendre
de Charles de Gaulle et à l’époque membre de son
cabinet.
Des
Français plus célèbres en Slovaquie que chez eux
La sympathie dont les Français bénéficient de la
part des civils slovaques et le respect que leurs camarades soviétiques
et slovaques leur témoignent durant la guerre ne disparaissent
pas avec la paix et leur départ.
Aujourd’hui encore, les tombes des Français morts en Slovaquie
sont toujours fleuries, leur souvenir n’est affecté d’aucune
réserve. D’innombrables publications les ont célébrés
et les célèbrent encore. En U. R. S. S. (URSS) même,
grâce à la fidélité de leurs camarades de
combat soviétiques, les partisans Français ont été
et sont fréquemment cités.
Cette reconnaissance slovaque a eu raison des aléas de la guerre
froide : les volontaires ont été invités en Slovaquie
en 1949, pour un séjour d'un mois dans une station thermale,
et le gouvernement tchécoslovaque a érigé en 1956
un imposant monument en leur mémoire à Strecno, lieu de
leurs premiers combats. Tous les ans, lors de la célébration
de l’anniversaire de l’Insurrection Nationale, des cérémonies
et dépôts de gerbes y ont lieu sous l’œil vigilant
d’une garde d’honneur de l’armée slovaque et
les vétérans français sont invités.
Les plaques apposées ailleurs en l’honneur du commandant
de l’unité sont nombreuses, le capitaine de Lannurien étant
là-bas Georgesovi Barazerovi de Lannurienovi comme indiqué
sur une plaque inaugurée pour le cinquantenaire en juillet 1994
et due à Štefana Pelikána, célèbre
artiste slovaque, date à laquelle fut aussi mis en service par
les Postes Slovaques un timbre libellé NA VECNÚ SLÁVU
SYNOM FRANCÚZSKA (À la gloire éternelle des fils
de France) dessiné par le même artiste.
Noms de
francais gravés sur le monument de Strecno (collection Lannurien)
Les
résistants de la dernière chance
Le titre du livre de recherche et d’hommage aux Français
de Bohus Chnoupek, qui devint ministre des Affaires étrangères
de la République tchécoslovaque, est parfaitement adapté
au cas de ces hommes : plutôt confortablement à l’abri
en Hongrie, libérés des contraintes imposées par
les Allemands dans leurs camps, ils savent que l’Armée
rouge approche comme un rouleau compresseur, que les Alliés occidentaux
ont chassés l’Afrika Korps d’Afrique du Nord, que
le CEFI Français est déjà en Italie, bref que le
Reich n’a plus d’autre alternative que la retraite et, malgré
tout, ils choisissent de reprendre les armes et tirent leurs premiers
coups de feu en Slovaquie le 28 août 1944, soit après le
débarquement de Normandie, après celui de Provence et
après la Libération de Paris !
C’était vraiment leur dernière chance de se battre.
Cette chance, ils la cherchent, l’espèrent, depuis des
années, probablement depuis l’humiliation de juin 1940.
Ils la tiennent, enfin, et ne la laisseront pas s’échapper
!
C’est dans les Carpates, peu importe. Ils auraient trouvé
une unité de la Wehrmacht en Patagonie Orientale, cela aurait
tout aussi bien fait leur affaire. Cette rage qui les habite fait penser
à un titre de livre qui les concerne, il s’agit de nos
soldats de 1940 : Comme des Lions (14).
Ces lions là, ils ont passé quelques années au
zoo, au cirque, enchaînés et fouettés puis, par
un beau matin de l’été 1944, ils brisent leurs chaînes
et dévorent leurs dompteurs. S’il avait eu le temps de
s’occuper de cette affaire, Adolf Hitler y aurait peut-être
vu une de ces « lois de la nature » qu’il affectionnait,
celle du plus fort. Mais, dans le cas de Georges de Lannurien et de
ses hommes, la force était morale, dépassant largement
les concepts classiques de patriotisme, de sens du devoir et de l’honneur
militaire.
L’Insurrection Nationale à laquelle ils ont participé
fut très bénéfique à la Slovaquie malgré
son échec partiel.
En effet, elle a permis à ce petit pays aligné officiellement
sur les nazis de retrouver son honneur et de ne pas être en situation
de « vaincu coupable » à la fin de la guerre. L’insurrection
fut à la fois la Résistance et les Français Libres
de la nation slovaque.
Il n’est donc pas surprenant que leur reconnaissance envers ces
« brigades internationales » dure toujours.
Aux côtés des combattants slovaques, il y eu en effet des
Français, des Belges, des Russes, des Polonais, des Ukrainiens,
des Biélorusses, des Yougoslaves, des Tchèques, des Hongrois,
une mission militaire britannique (SOE), une américaine, et d’autres
nationalités, certaines sources en dénombrent 24. Ironie
de l’Histoire, certains, « en face », parlaient de
Croisade Européenne pour définir leurs propres combats.
Notes
:
[1] Claude Girard, La médaille des évadés, Farac.org.
[2] Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Prisonniers de la liberté.
L'Odyssée de 218 évadés par l'URSS. 1940-1941,
Paris, Gallimard, 2004. L’auteur faisait partie de ce groupe d’évadés.
[3] Georges de Lannurien signale en particulier R. de Dampierre, chef
de la mission, Ch. De Charmasse, chargé d’affaires, colonel
A. Hallier, attaché militaire, J.-L. Lehmann, attaché
commercial qui rejoignit les volontaires et fut tué au combat
en octobre 1944, Mlle A.-M. Durand, secrétaire et M. Claudon,
consul à Kolozsvar (RHA no.1, 1984, P. 74, note 6).
[4] I. Lagzi dans Réfugiés polonais et français
en Hongrie, 1939-1945, raconte p. 667 cet épisode avec le ton
d’un homme qui est visiblement francophile.
[5] Environ 45 000 hommes, sous le commandement de Ferdinand Catlos,
ministre de la Défense, et comprenant la Brigade Pilfousek et
deux divisions d’infanterie dont une motorisée. Suite aux
pertes et au manque de motivation des troupes, les unités slovaques
sont retirées du front en été 1944 et repliées
en Italie en bataillons de travailleurs, selon Slovakia: Hitler's Slavic
Wedge, 1938-1945 de Mark W. A. Axworthy sur Axis History.
[6] Voir texte de l’accord en annexe.
[7] Michel Bourel de la Roncière, promotion Saint-Cyr 1939-1940,
est décédé à Paris le 30 septembre 2006.
[8] Bohus Chnoupek, Les Résistants de la dernière chance,
des Français dans les maquis slovaques, Jacques Grancher, 1986.
[9] En mémoire du général Milan Stefanik, héros
national slovaque, ancien officier de l’armée française,
tué dans un accident d’avion en 1919.
[10] Selon le Lexicon der Wehrmacht http://www.lexikon-der-wehrmacht.de
.
[11] Journal de marche de l’unité, 31 août 1944.
[12] Raymond Vié, interviewé par l’auteur, voir
texte en annexe, novembre 2009.
[13] Voir texte de la citation en annexe.
[14] Comme des Lions, Dominique Lormier, Calmann-Lévy, 2005.
Bibliographie
:
Dušan Halaj, L?ubomír Moncol?, Ján Stanislav, Francuzi
v Slovenskom Narodnom Povstani, (Les Français dans l’insurrection
nationale slovaque), Banská Bystrica, Bratislava, 2003, traduction
française par l’Amicale des Combattants Volontaires Français
de Slovaquie.
Bohus Chnoupek, Les Résistants de la dernière chance,
des français dans les maquis slovaques, Jacques Grancher, 1986.
I. Lagzi, Refugiés polonais et français en Hongrie, 1939-1945
in Études historiques hongroises, Académie Kiado, Budapest,
1985.
Colonel Georges de Lannurien, Les Combattants français en Slovaquie
(août 1944-février 1945), Revue Historique des Armées,
Paris, 1984.
André Ringenbach, Six années pour la patrie, 1939-1945,
à compte d’auteur, Rouen, 1967.
Georges Hautecler, Évasions réussies, Éditions
Soledi, Bruxelles, 1966.
René Picard, L’ennemi retrouvé, à compte
d’auteur, Conflans-Sainte-Honorine, 1953.
Remerciements
:
En premier lieu, je tiens à remercier chaleureusement Monsieur
Raymond Vié, ancien combattant du groupe de Lannurien, qui a
pris la peine de répondre à mes questions et de me confier
son témoignage. Je souhaiterais également remercier Philippe
Monnier sans qui cet article n’aurait pas vu le jour, Vincent
Dupont pour qui Vincennes n’a plus de secrets, Prosper Vandenbroucke
pour ses informations sur les combattants belges et Krisztián
Bene pour ses envois de Hongrie