La guerre contre les Zoulous : la bataille de Rorke's Drift
Par Frédéric Ortolland


Lieutenant John Rouse Merriott Chard

1. Présentation

A. Rappel de la situation

En 1874 Lord Carnavon, qui avait réussi à mettre en place l’idée de fédération au Canada, pense qu’il est possible de réitérer la chose en Afrique du Sud. Sir Bartle Frere y est alors envoyé en tant que Haut Commissaire pour assurer cette réalisation. Mais parmi les obstacles à ce projet se trouvent 2 Etats indépendants : La South African Republic ou Transvaal Republic et le royaume du Zululand.

Le roi du Zululand était Cetshwayo, fils de Mpande, lui-même demi-frère du célèbre Shaka, considéré comme le père de la nation Zouloue. Ambitieux, il fit croître son armée et adopta les méthodes de son oncle. Il commença à équiper ses hommes de fusils. Il chassa les missionnaires européens de ses terres et on suppose qu’il intrigua auprès d’autres tribus locales pour les pousser à se rebeller contre les Boers du Transvaal.

En 1877 Sir Theophilus Shepstone, considéré par Cetshwayo comme un ami du fait de son soutien lors des innombrables querelles frontalières avec le Transvaal, finit par annexer ce dernier et par en devenir administrateur.

Frere était persuadé qu’il devait réduire les Zoulous pour accéder au rêve de dominion britannique sur l’Afrique du Sud.
Le 11 décembre 1878, après plusieurs incidents plus ou moins provoqués, Frere posa un ultimatum inacceptable à Cetshwayo : la démobilisation de son armée avant le 31 du même mois. Pas de réponse de la part des Zoulous. Un délai fut accordé jusqu’au 11 janvier, toujours sans réponse.
L’Angleterre se considéra alors comme en guerre contre les Zoulous.

Le commandant de l’armée britannique dans le secteur, le lieutenant-général Sir Frederic Thesiger, 2e baron Chelmsford, avait prévu un plan d’invasion du Zululand dont le but principal était l’occupation du kraal (camp) royal à Ulundi par 3 axes d’approche. Chelmsford choisit d’accompagner la colonne centrale qui traversa la rivière Buffalo, frontière entre le Natal et le Zululand, le 11 janvier 1879 à Rorke’s Drift.

B. La mission de Rorke’s Drift

Il n’est pas étonnant qu’un commerçant s’installât à un endroit aussi bien situé pour faciliter le transport. C’est ce que fit Jim Rorke. Situé sur une des principales routes reliant le Natal au Zululand, une bande de grès y garantissait que le gué soit toujours utilisable, sauf dans le cas des inondations les plus sévères. Irlandais de naissance, Rorke avait acheté le terrain dans les années 1840. Il y bâtît 2 bâtiments de pierres au toit de chaume, une maison et un magasin, ainsi qu’un enclos de pierre ou kraal à environ 800m au sud-est du gué, côté Natal.

Le magasin mesurait 6,5 sur 26,5m ; maison 6 sur 20m. Rorke avait apparemment un sens de l’aménagement particulier, la plupart des pièces de la maison ouvrant directement sur l’intérieur, sans portes de communication intérieure, fenêtres ou corridor central.
Les bâtiments étaient installés sur un plateau d’1,5m de hauteur, à l’ombre de la colline Shiyane, « le sourcil » en zoulou dont les pentes commençaient à 350m au sud-est des bâtiments.

Rorke mourut au début des années 1870 et sa veuve vendit le domaine à une mission scandinave qui y installa le révérend Otto Witt, un missionnaire suédois. Witt reconvertit le magasin en chapelle mais ne fit pas d’autres modifications significatives.

La distance séparant le mur ouest de la maison au mur est du kraal était d’une centaine de mètres. Le coin du plateau où étaient installés les bâtiments tombait sur un replat rocailleux qui s’étendait sur une dizaine de mètres en face, soit au nord, et qui courait au-delà du kraal dont le mur nord était appuyé sur le rebord. A la base de ce replat se trouvaient de nombreux arbres et broussailles. La zone comprise entre l’arrière de la mission et la Shiyane était relativement dégagée, bien qu’on trouvât une cuisine et quelques fours au sud de la chapelle.

Avant de traverser la Buffalo, Chelmsford avait fait réquisitionner la mission et converti la chapelle en entrepôt et la maison en hôpital de campagne. Il avait aussi fait installer 2 ferries permettant de traverser la rivière le long de câbles tendus entre les 2 rives. Il n’avait pas cependant jugé nécessaire de fortifier l’endroit. Ainsi, aucune tranchée ne fut creusée et aucun champ de tir dégagé.

C. La garnison britannique

Le commandant en chef du poste de Rorke’s Drift était le major Henry Spalding, un homme du Matériel, qui commandait aussi le dernier dépôt situé à Helpmakaar, à 13km au sud.

Le coeur de la garnison était constitué de la Cie B du 2e bataillon du 24e RI (2e Warwickshires) du lieutenant Gonville Bromhead. Bromhead était surnommé « Gonny » ou « Le ballot sourdingue » (en anglais « the deaf duffer ») par ses hommes qui tendaient à lui reprocher leur situation à Rorke’s Drift du fait de ses problèmes d’audition. Le 24e RI étant basé à Brecon, il comportait proportion de Gallois très importante dans ses rangs. Néanmoins, on y trouvait aussi des Anglais, des Ecossais et des Irlandais, ce qui tord le coup à l’un des mythes de la bataille qui veut que seuls des Gallois aient défendu le poste.

Le chirurgien James Henry Reynolds était en charge de l’hôpital, installé dans ce qui avait été la résidence d’Otto Witt. L’endroit n’était pas des plus pratiques mais Reynolds faisait avec ce qui lui était proposé. Les 2 pièces principales avaient été transformées en salles d’opérations et la véranda en dispensaire. Ses 36 patients étaient installés dans les 7 chambres situées à l’ouest et à l’arrière du bâtiment. Quatre de ses chambres seulement communiquaient avec l’extérieur et toutes n’avaient pas de fenêtres. Les patients étaient allongés à même le sol, sur des matelas de pailles. Seuls 3 patients étaient réellement blessés, dont un Zoulou capturé, le reste étant victime de fièvres ou de chutes.

Un groupe important de soldats (leur nombre exact n’est pas déterminé, on l’estime entre 200 et 300) du Natal Native Contingent, sous les ordres du capitaine George Stephenson, traînaient leurs guêtres dans les parages. Mal entraînés et mal équipés, si quelques-uns avaient de vieux fusils, la majorité n’avait à sa disposition que des sagaies.

Un petit détachement de la 5e Compagnie des Royal Engineers, se trouvait également présent, dirigé par le lieutenant John Rouse Merriot Chard. Sa mission consistait principalement à entretenir ponts et routes en état, l’imposante colonne de Chelmsford ayant considérablement mis à mal la piste et ses quelques infrastructures. Il devait aussi installer une redoute près du gué, dont il avait déjà tracé les structures sur le sol.

La carte de Chard

2. Matinée du 22 janvier

Alors que le camp s’éveillait, personne ne s’attendait à beaucoup d’action pour la journée. Les semaines précédentes avaient été pour le moins chaotiques du fait du passage de la colonne centrale de Lord Chelmsford mais elle avait fini par franchir le gué et s’était dirigée vers le camp intermédiaire d’Isandlwana.
En dehors d’un flux constant de chariot de retour pour le réapprovisionnement, les seules troupes à arriver avaient été 150 hommes du Natal Native Horse, 300 du Natal Native Contingent et une petite batterie de lance-fusées. Elles étaient sous le commandement du colonel Durnford et étaient arrivées la veille. Considérées comme des réserves, elles devaient rejoindre la garnison principale au camp intermédiaire et avaient bivouaquées sur la rive zouloue de la rivière Buffalo. Elles étaient reparties à l’aube.

Le major Spalding, était inquiet de ne pas voir arriver la relève qu’il attendait depuis déjà plusieurs jours. Elle aurait permis et à sa centaine d’hommes de Bromhead de rejoindre leur unité.

La veille Chard avait reçu pour consigne d’envoyer son détachement à Isandlwana, sans qu’il soit clair s’il devait s’y rendre ou non lui-même. Afin de clarifier la situation, il demanda à Spalding l’autorisation de s’y rendre pour confirmation, autorisation qui lui fut accordée.
Avant 9h00, Chard avait quitté les lieux pour Isandlwana, où la rumeur bruissait quant à la présence de guerriers Zoulous aux alentours. Trois colonnes avaient été aperçues à l’Est. L’une d’entre elle se dirigeait vers l’Ouest, les 2 autres avaient disparu en direction du Nord-Est. Chard apprit que ses hommes devaient rejoindre la colonne principale mais que lui-même devait retourner stationner à Rorke’s Drift.
Sur le chemin du retour il croisa Durnford et lui indiqua la direction du camp. Il fut de retour avant midi.
Chard informa Spalding de ce qu’il avait appris mais il fut décidé que rien ne menaçait immédiatement le gué. Spalding désirait se rendre à Helpmakaar dans l’après-midi pour voir ce qui retenait la relève tant attendue. Il devait revenir dans la soirée. Le prochain officier apte à prendre le commandement de la garnison était Chard.

Juste après midi, il sembla à d’aucuns que des coups feu étaient tirés au loin vers l’Est. Cela fut confirmé peu après par le son caractéristique des canons de campagne d’une brigade d’artillerie.

3. Après-midi du 22 janvier

Au loin, les tirs avaient cessé. Le major Spalding était parti à Helpmakaar et tout était calme à Rorke’s Drift. Le lieutenant Chard rejoignit son camp près du gué et entreprit de s’occuper de sa correspondance. En milieu d’après-midi, il entendit des cris et vit 2 hommes à cheval apparemment très agités se jeter à l’eau. Il s’agissait des lieutenants Vane et Adendorff du Natal Native qui amenaient avec eux la terrible nouvelle du massacre de la colonne centrale à Isandlwana. Trois impis (régiments) zoulous s’étaient lancés à la poursuite des fugitifs jusqu’à quelques kilomètres en aval du gué. Ils avaient traversé la Buffalo et se dirigeaient maintenant vers la mission.

Chard était atterré. Rien n’avait été entrepris pour fortifier la position. Tenter de la défendre contre une attaque massive zouloue semblait sans espoir mais une tentative de fuite aurait sans doute été pire. Le temps d’atteler les bêtes et de charger les blessés, l’ennemi pouvait arriver. Et quand bien même, le convoi aurait probablement été intercepté bien avant d’avoir rejoint Hempelkaar. Il ordonna à son sergent de récupérer eau et matériel et de le rejoindre au camp de base.

Lorsqu’il arriva, il vit que Bromhead, mis au courant par un autre cavalier venu par un chemin différent, avait anticipé un ordre d’évacuation et commencé à charger quelques malades. Il s’était interrompu lorsque les 2 cavaliers du NCC lui avaient appris que Chard comptait se défendre sur place. Vane était reparti en direction d’Hempelkaar. Adendorff promit de rester, mais il semble qu’il se soit enfui un peu plus tard (1).

Chard doutait encore que sa décision fût la bonne mais l’assistant commissaire (Assistant Commissary) James Dalton, du Train, un sergent-major à la retraite d’une considérable expérience, le conforta dans son opinion que toute tentative de fuite équivalait à un suicide. Chard ordonna définitivement la défense du camp.

Le seul périmètre incluant l’hôpital allait considérablement étendre la ligne des défenseurs mais aucune autre option ne semblait envisageable. L’entrepôt était rempli de boîtes de biscuits et de sacs de farine et Dalton suggéra qu’on les utilise pour former un mur défensif. Les boîtes de biscuits mesuraient une soixantaine de cm et pesaient 50kg. Les sacs de farine pesaient le double.
Les hommes se mirent immédiatement à entasser boîtes et sacs entre l’hôpital et l’entrepôt. Les 2 chariots que Bromhead avait fait atteler à la hâte furent intégrés dans la ligne, l’espace entre la caisse et le sol comblé par des boîtes et l’intérieur rempli de sacs.

De l’autre côté, la distance à parcourir était beaucoup plus importante, mais elle fut comblée, de l’hôpital au kraal. L’espace entre ce dernier et l’entrepôt fut lui aussi protégé. En définitive, le mur de protection ainsi construit mesurait près de 250m de long.

L’entrepôt n’avait ni portes ni fenêtres sur l’arrière mais une porte sur le côté Est, qui fut comblée par des sacs de farine.

Malgré tous ces efforts, il demeurait beaucoup d’endroits d’où les Zoulous pouvaient s’approcher bien trop près des défenseurs. Le fossé de drainage situé derrière l’hôpital et l’ancien kraal de pierres situé à quelques mètres du nouveau leur permettait de se mettre à couvert. Mais le point faible de la défense était la zone arborée et broussailleuse qui s’étendait le long du replat rocailleux au nord du périmètre. Si cela ne suffisait pas, un mur de pierres d’1m50 se trouvait en parallèle au replat, à moins de 10m des remparts improvisés.

Soudain, une clameur s’éleva au moment où une centaine des Natal Native Horses du général Durnsford chevauchèrent jusqu’au lieutenant Vause pour lui demander quels étaient leurs ordres. Ils avaient attient Isandlwana après la bataille et s’étaient enfuis via « le sentier des fugitifs » (Fugitives’ Drif). Chard leur ordonna de surveiller le plateau qui s’étendait sous la colline Shiyane et de retenir les Zoulous aussi longtemps que possible avant de se retirer vers la mission. Chard avait désormais à sa disposition 350 hommes et il lui sembla que ses chances de tenir bon s’étaient améliorées.

L’inclusion de l’hôpital dans le périmètre défensif en était le point faible, avec ses 4 portes donnant sur l’extérieur, à l’ouest et sur l’arrière du bâtiment. Dans chacune des chambres occupées par des patients, 2 hommes furent postés. Ils barricadèrent les portes avec les meubles d’Otto Witt et des sacs de farine et bloquèrent les fenêtres-trop hautes pour tirer-avec des matelas. A contrario, ils creusèrent des meurtrières dans les murs à l’aide de leurs baïonnettes. Tout patient pouvant tirer se vit confier un fusil.

Peu après le déjeuner, le chirurgien Reynolds, Otto Witt, le chapelain George Smith et le soldat Wall avaient grimpé la Shiyane pour tenter de comprendre ce qui motivait les coups de feu entendus au loin. S’ils pouvaient voir le sommet du mont Isandlwana, les 4 hommes ne pouvaient pas voir le camp lui-même. Lorsque Reynolds s’aperçut d’une agitation inhabituelle dans le campement, il redescendit, laissant ses 3 camarades au sommet de la colline. Peu après, Smith, qui avait une longue-vue, vit un large groupe de Zoulous à environ 6km en aval le long de la Buffalo. Ils coururent en hurlant prévenir la garnison qui était encore en train d’installer son système de barricade. Witt décida de quitter les lieux vers Hempelkaar, emmenant avec lui un blessé.

Le mur arrière était terminé, mais il manquait encore un rang à celui de l’avant. L’assistant commissaire Dalton se mit à faire distribuer les munitions.

Soudain, les Natal Native Horses s’enfuirent sans prévenir en direction d’Hempelkaar, suivis par le lt Vause qui cria que les hommes refusaient de lui obéir. Les Zoulous n’étaient pas encore en vue mais plusieurs coups de feu se dirent entendre plus loin sur la piste, alors que les fuyards entraient dans la zone de l’impi « régiment » qui tentait de contourner la mission par l ‘ouest de la Shiyane. Immédiatement après les hommes du Natal Native Contingent, officiers et sous-officiers britanniques inclus, abandonnèrent leurs postes à leur tour. Furieux d’un tel comportement, les soldats encore en place les agonirent d’injures, certains leur tirant même dessus, tuant le caporal Bill Anderson d’une balle dans le dos.
Quoi qu’il en soit, Chard venait de perdre près de 60% de ses effectifs en une poignée de minutes! Il ne lui restait plus qu’un peu plus de 150 hommes, dont 134 réguliers. Plus d’une trentaine étaient à l’hôpital et seuls 81 hommes de la Cie B constituaient une force sur laquelle il pouvait réellement s’appuyer. Le périmètre de défense tel que conçu n’était désormais plus tenable en l’état et l’hôpital devait être évacué.

Chard ordonna à quelques hommes d’ériger un nouveau mur partant du coin nord de l’hôpital vers le front du périmètre. Ce mur était à peine terminé qu’une sentinelle postée sur le toit avertit de l’arrivée des Zoulous. C’est à cet instant que le sergent Henry Gallagher aurait dit « Les voilà, autant que de brins d’herbes et aussi noirs que l’enfer ! » (« Here they come, thick as grass and as black as hell !»)

Trois impis Zoulous s’approchaient depuis l’arrière de la Shiyane : le uThulwana, le uDloko et le inDluyengwe. Ils avaient formé une des « cornes » de l’attaque à Isandlwana(2) et n’avaient pas participé au combat. Le troisième avait infligé plusieurs pertes à ceux qui tentaient de s’enfuir par « le sentier des fugitifs ». Les 3 régiments s’étaient rejoints le long de la Buffalo qu’ils eurent quelques difficultés à traverser et s’étaient mis en mouvement vers Rorke’s Drift, soit près de 3000 hommes. Ils se reposèrent un peu avant de reprendre leur route, ce qui leur coûta certainement la victoire. Sans cet arrêt, les Britanniques n’auraient jamais eu le temps de monter leur barricade improvisée.

Environ 500 à 700 hommes de l’impi inDluyengwe furent les premiers à engager la garnison, contournant la Shiyane et attaquant par le Sud.
Ils se mirent en ligne à environ 600m des barricades hurlant leur cri de guerre « Usuthu ! Usuthu ! ».

Il était 16h30. La bataille de Rorke’s Drift venait de commencer.

4. La bataille de Roke’s Drift : 22-23 janvier

Les Zoulous chargèrent férocement jusqu’à ce que, à environ 400m de distance, une salve meurtrière se déclenche. Même ainsi, certains guerriers parvinrent à une cinquantaine de mètres de la barricade avant que la charge ne se dissolve. Les Zoulous comprirent vite que le manque de couvert allait leur coûter cher et entreprirent de virer sur la gauche, vers le devant de l’hôpital, ou arbres et buisson pourraient les protéger. De là, ils chargèrent en hurlant et un combat désespéré s’ensuivit. Les guerriers qui parvinrent à grimper les sacs de farines et boîtes de munitions en vinrent au corps à corps avec les soldats qui utilisèrent leurs baïonnettes (3) faute d’avoir eu le temps de recharger. Après qu’une vague eût été repoussée, une autre se lançait à l’assaut. Les Zoulous montaient sur les cadavres de leurs camarades pour franchir la barricade. Pendant près de 2 heures, les Britanniques repoussèrent les charges ennemies l’une après l’autre.

Le replat rocheux situé devant le périmètre était autant un avantage qu’un inconvénient. S’il donnait aux défenseurs l’avantage de la hauteur sur la position, il donnait aux attaquants celui d’une couverture leur permettant de tirer quasiment à bout-portant.

A l’intérieur de l’hôpital, la situation était tout autant périlleuse. Les meurtrières percées à la hâte dans les murs ne permettant qu’un champ de tir limité, les Zoulous purent s’y adosser et se lancer dans la destruction des portes.
Cinq patients se trouvaient dans la chambre centrale du côté ouest, avec 2 soldats, John et Joseph Williams. John Williams se mit à percer un trou dans le mur qui les séparaient de la pièce d’à côté. Cette opération prit un certain temps et John Williams ne put sauver que 2 patients avant que la porte ne soit brisée et tous les occupants de la pièce massacrés. Les survivants rejoignirent le soldat Hook dans une autre pièce sans porte de sortie avec 9 autres patients. Williams se mit alors à percer à nouveau un mur de séparation. Lorsqu’il y parvient, une nouvelle menace s’était ajoutée : l’ennemi avait mis le feu au toit de chaume du bâtiment. Dans cette pièce, elle aussi sans porte de sortie, se trouvaient le soldat Waters et 2 patients. Hook protégeait le trou dans le mur pendant que Williams se chargeait d’en percer un troisième ( !). Lorsque l’issue fut percée, Waters refusa de quitter les lieux et se réfugia dans une armoire (4). Deux soldats nommés Jones se trouvaient dans la dernière pièce avant la sortie, sous la forme d’une fenêtre qui ouvrait sur ce qui était désormais un no man’s land.

Chard avait du en effet abandonner la défense du mur nord et s’était replié dans le « dernier carré », devant l’entrepôt. Vingt-cinq mètres séparaient l’hôpital en feu de Chard et ses hommes. Il faisait nuit maintenant. Les Zoulous se tenaient le long du périmètre extérieur mais ne pouvaient le franchir du fait des tirs en provenance du dernier carré.

Lorsque les premiers patients franchirent la fenêtre pour atterrir dans la cour, le caporal William Allen et le soldat Frederick Hitch s’élancèrent courageusement à leur rescousse, couverts par leurs camarades qui tentèrent de leur mieux de faire baisser la tête aux Zoulous accrochés à la barricade. La plupart des hommes parvinrent à l’abri du dernier carré.

Après que la nouvelle du massacre d’Isandlwana ait atteint Helpmekaar, le major Spalding se mit en route avec 200 hommes. Menacés d’être encerclés à quelques km de la mission, Spalding se dit que Rorke’s Drift avait succombé et se retira pour préparer la ville à un assaut.

Le périmètre de défense s’était considérablement réduit. Bromhead et une douzaine d’hommes tentaient d’en défendre les arrières mais ils furent pris sous un feu intense. Le caporal Schiess, un Suisse servant dans le Natal Native Contingent, sauta par dessus la barricade et tua trois Zoulous qui les harcelaient (5).

Chard réunit quelques hommes pour construire à la hâte une redoute sur le flanc gauche du kraal à l’aide de sacs de farine. La redoute finit par atteindre 2 à 2m40 avec suffisamment de place pour les blessés et quelques hommes pour tirer sur les assaillants. Il fit aussi poster quelques hommes sur le toit de l’entrepôt qui se mirent à harceler l’ennemi qui tentaient de percer par le sud et incidemment à rejeter les sagaies enflammées qui menaçaient d’enflammer le bâtiment.

Plusieurs vagues d’assaut furent lancées par des Zoulous surgissant brusquement des ténèbres contre les hommes défendant le kraal, aux silhouettes parfaitement dessinées du fait de l’incendie de l’hôpital. Finalement, après plusieurs charges et contre-charges, les défenseurs durent abandonner le kraal et rejoindre le dernier carré.

A minuit, après près de 8h d’assaut, le carnage ne semblait pas vouloir prendre fin. Les hommes avaient tiré tellement de coups de feu que les pièces métalliques de leurs armes devenaient brûlantes. Les cas d’enrayement devinrent de plus en plus fréquents. Les yeux brûlaient, les gorges étaient asséchées.

Bien après 2h, les charges zouloues s’espacèrent mais coups feus et volées de sagaies continuèrent à être échangés dans les ténèbres.

5. Le 23 janvier

Aux premiers signes de l’aube, les survivants tentèrent de repérer l’ennemi. Celui-ci avait disparu. Chard envoya plusieurs hommes en patrouille. Quelques survivants de l’hôpital ou d’ailleurs, qui avaient réussi à profiter de l’obscurité pour rester à couvert purent être récupérés. Les Britanniques avaient perdu 15 tués, une dizaine de blessés sévères et plusieurs blessés légers.

Quatre cent cadavres entouraient le camp et plusieurs dizaines furent découverts plus tard dans le secteur.(6)

A 7h l’angoisse étreignit les défenseurs lorsqu’ils virent les Zoulous réapparaître à l’ouest de la Shiyane. Chard fit immédiatement revenir toutes les patrouilles. Les munitions allaient bientôt devenir rare, les survivants étaient épuisés. Un assaut de grande ampleur ne laisserait aucune chance aux Britanniques. Mais les Zoulous aussi étaient épuisés. Ils avaient quitté Ulundi à 130km 6 jours auparavant. Dans les dernières 24h, ils avaient parcouru plus de 20km pour rejoindre Rorke’s Drift où ils s’étaient battus pendant plus de 10h. Beaucoup n’avaient pas mangé depuis 2 jours. Après un moment, les guerriers se levèrent et firent un large détour pour redescendre en aval de la rivière.

Peu après 8h, une sentinelle fit savoir qu’une troupe d’importance se rapprochait en provenance de la vallée de la Bashee, au Zululand. Impossible de savoir de qui il s’agissait et la tension monta d’un cran chez les Britanniques. Les hommes hurlèrent de joie lorsque l’infanterie montée du major Francis Russell fut en vue. Peu après Lord Chelmsford et le reste de ses hommes arrivaient à leur tour.

Epuisés, plusieurs des défenseurs de la garnison s’adossèrent contre les barricades pour s’endormir sur le champ.

 

Lieutenant Gonville Bromhead

(1) Adendorff fut inscrit sur la liste des présents à Rorke’s Drift par Chard mais il certains indices semblent indiquer qu’il s’est enfui. Il fut arrêté plus tard à Pietermaritzburg pour désertion face à l’ennemi. De lourds soupçons pèsent sur sa fuite à Isandlwana puisqu’il est arrivé la première piste coupée par l’ennemi. Il n’existe pas de traces d’un éventuel procès, peut-être du fait de son inscription au tableau de présence à Rorke’s Drift.
(2) La tactique classique d’assaut zouloue s’appelait « les cornes du buffle ». Deux colonnes (les cornes) faisaient de part et d’autre de l’objectif un mouvement tournant pour le prendre de flanc et à revers pendant que « la poitrine » le fixait sur place.
(3) Il semble que les intenses exercices de combat à la baïonnette menés par les soldats britanniques aient montré leur efficacité à Rorke’s Drift. Les témoins racontent que les Zoulous tentaient d’éviter au maximum ce type de corps à corps dont l’issue ne leur était pas favorable dans la plupart des cas. De fait, très peu de soldats furent blessés ou tués par une arme tranchante.
(4) Le soldat Walters, bien que blessé, parviendra à profiter de l’obscurité en couvrant sa tunique rouge d’un lainage noir et à se réfugier dans le fossé de drainage.
(5) Le caporal Scheiss sera le premier soldat non régulier de l’armée britannique à recevoir la Victoria Cross.
(6) Les pertes totales zouloues sont estimées entre 500 et 700.

Sources : http://mysite.wanadoo-members.co.uk/historyfile/zulu_origins.htm
http://mysite.wanadoo-members.co.uk/historyfile/zulu_defence.htm
http://mysite.wanadoo-members.co.uk/historyfile/zulu_defenders.htm
http://www.militaryhistoryonline.com/19thcentury/rorkesdrift/default.aspx

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