Alors
que la bataille de Midway avait marqué un tournant dans le conflit
du Pacifique, la fin de la campagne de Guadalcanal voit s’amorcer
le crépuscule de la marine japonaise. A aucun moment après
cette période elle ne possèdera l’initiative. Elle
se verra réduite à tenter de contrer la terrible machine
de guerre américaine qui sera pleinement en action en 1944. Si
la bataille des Mariannes, en juin de la même année, voit
la fin de l’aéronavale nippone, le baroud d’honneur
de la flotte combinée va se livrer lors du débarquement
américain dans les Philippines au mois d’octobre.
Par le nombre de navires engagés, elle devient la plus grande
bataille navale de l’histoire, rang jusqu’à lors
détenu par la bataille de la mer de Jutland, lors du premier
conflit mondial.
Le
débarquement américain a lieu sur l’île de
Leyte, au centre de l’archipel. Les troupes sont protégées
par la 7ème flotte de l’amiral Kinkaid et la puissante
3ème flotte de l’amiral Halsey.
Le général Mc Arthur tient ainsi la promesse qu’il
avait faite en quittant les Philippines devant l’invasion japonaise
en 1942 : "Je reviendrai !"
Le
principal souci des japonais consiste à éloigner les porte-avions
américains afin d’éviter toute attaque aérienne
sur les escadres nippones. Or, pour des porte-avions, le seul danger
ne peut venir que du ciel… L’amiral Ozawa aura donc pour
mission d’attirer la 3ème flotte aussi loin que possible
pour laisser le champ libre aux escadres d’unités lourdes
qui prendront en tenailles les forces américaines restées
sans vraie protection au large de Leyte. Pour ce faire, le groupe principal
de l’amiral Kurita passera par le détroit de San Bernardino
et celles des amiraux Nishimura et Shima se rejoindront pour passer
par le détroit de Surigao au sud. Ce plan, élaboré
par l’amiral Toyoda, porte le nom de plan Sho-Go (victoire).
Le
rapport de force reste malgré tout sans équivoque, les
japonais alignant 4 porte-avions et 7 cuirassés contre 34 porte-avions
et 12 cuirassés côté américain.
Dès
le 17 octobre, Kurita, basé à Lingga, au sud de Singapour,
est averti du plan Sho-Go. Le 18, il appareille pour Brunei sur l’île
de Bornéo avec toutes ses forces. Le surlendemain, l’escadre
d’Ozawa lève l’ancre de Oita, au sud du Japon, et
fait route pour se poster au Nord des Philippines.
Après avoir fait le plein de fuel, Kurita quitte Bornéo
le 21, non sans avoir confié à l’amiral Nishimura
le soin de passer le détroit de Surigao par la mer de Sulu. Pendant
ce temps, l’escadre de Shima quitte les îles Pescadores
(à l’ouest de Taiwan) pour passer le détroit en
même temps que Nishimura.
Kurita doit quant à lui longer l’île de Palawan et
traverser la mer de Sibuyan avant d’atteindre les forces américaines.
Le passage de Palawan
S’estimant encore loin des forces américaines, Kurita n’a
pas choisi une formation de combat : les destroyers qui sont sensés
protéger les cuirassés et les croiseurs d’attaques
sous-marines, sont pour moitié au centre du groupe.
Malheureusement pour l’amiral japonais, 2 sous-marins américains
(Darter et Dace) sont en poste et ne peuvent manquer l’occasion.
A 5h32, le Darter lance toutes ses torpilles (6 tubes avant et 4 tubes
arrière) et atteint les deux croiseurs lourds de tête :
le Takao et l’Atago. Le premier, gravement endommagé doit
faire demi-tour et ne regagnera Brunei qu’avec difficulté.
Plus grave est la perte de l’Atago qui coule en quelques minutes.
Navire amiral de Kurita, il entraîne avec lui la moitié
du service des transmissions.
A 5h54, le Dace procède de la même façon que le
Darter et coule le croiseur lourd Maya.
Ainsi, avant même d’avoir pu engager l’ennemi, les
forces de Kurita, bien que toujours redoutables, enregistrent un premier
revers.
Le
premier volet de la bataille du golfe de Leyte se referme alors que
Kurita, après avoir transféré son pavillon sur
le Yamato, poursuit sa route vers la mer de Sibuyan.
Dans
la mer de Sibuyan
Halsey
et sa 3ème flotte sont avertis depuis la nuit qu’une forte
escadre approche par l’Ouest. Il envoie donc des avions de reconnaissance
pour tenter de repérer les japonais et lancer ses appareils.
Dans le même temps, des patrouilles sont effectuées plus
au Sud pour surveiller toute approche par le détroit de Surigao.
Peu après 8h, l’escdare de Kurita est repérée
et, dans le même temps, les deux cuirassés de Nishimura
sont signalés en mer de Sulu.
Halsey ne tergiverse pas et ordonne l’attaque. Le Task Group 38.3,
plus proche de Kurita, devrait être le premier à lancer
ses appareils mais subit l’assaut aérien de forces japonaises
basées dans les îles.Ces derniers n’infligent que
peu de dommages mais un bombardier en piqué atteint le porte-avions
léger Princeton. A première vue, les dégâts
semblent mineurs. Ils vont cependant causer pourtant la perte du navire
qui devra être coulé en fin d’après-midi.
Malgré tout les avions américains sont sur l’objectif
et vont harceler l’escadre de Kurita toute la journée.
L’absence de couverture aérienne va cruellement se faire
sentir. Vers 15h Kurita fait demi-tour avant de recevoir de Tokyo l’ordre
de reprendre sa route. Plusieurs navires, dont le Yamato, subissent
des avaries. L'autre géant, le Mushashi, atteint par 19 torpilles
et 17 bombes, brûle pendant toute la journée et chavire
au coucher du soleil. A la fin de la journée, Kurita n’a
perdu qu’un cuirassé et deux croiseurs lourds (trop endommagé
le Myoko fait demi-tour) ce qui tient du miracle mais s’explique
facilement : les aviateurs américains se sont acharnés
sur le Musashi, négligeant les autres bâtiments. Ainsi,
à l’aube d’une bataille décisive, l’escadre
de Kurita reste une menace réelle.
Le
détroit de Surigao
Après avoir essuyé sans trop de dommages les attaques
aériennes de la journée, Nishimura, contrairement au plan
initial, décide de forcer l’allure et de ne pas attendre
le renfort de Shima qui suit à 40 miles. Il diminue ainsi ses
chances de franchir le détroit ou tout au moins de résister
aux forces américaines.
Le
groupe de bombardement de la 7ème flotte, sous les ordres du
vice-amiral Oldendorf a monté un véritable traquenard,
utilisant le nombre pour bloquer le détroit :
Dans un premier temps, 49 vedettes lance-torpilles vont signaler l’arrivée
des navires ennemis avant de les attaquer. Viennent ensuite les flottilles
de destroyers qui, de part et d’autre du détroit attaqueront
à la torpille à 10 minutes d’intervalle.
La phase finale du plan voit l’ouverture du feu des cuirassés
et des croiseurs placés en deux lignes parallèles interdisant
tout passage. Le feu concentré de leur artillerie est largement
en mesure de venir à bout des rescapés des attaques précédentes.
Par comble d’ironie, 5 des 6 cuirassés d’Oldendorf
sont les survivants de Pearl Harbor : premiers à subir les assauts
japonais, ils sont à nouveau présents pour achever la
marine nippone.
Nishimura
pénètre dans le détroit à 2h50 le 25 octobre,
ne se doutant en aucun cas de ce qui l’attend. Les vedettes lance-torpilles
passent aussitôt à l’attaque mais sont prises sous
le feu des navires japonais qui les ont vues. Bien que n’ayant
marqué aucun coup au but, elles ont fortement désorganisé
la formation nippone. Profitant du désordre qui règne
au sein de l’escadre, les destroyers américains lancent
une première attaque à 3h et coulent 2 destroyers et atteignent
gravement le cuirassé Fuso. Le cuirassé Yamashiro est
pour sa part plus légèrement endommagé. Une seconde
attaque aura raison du Fuso qui explose et coule en quelques minutes.
Nishimura réalise peu de temps après que le Fuso ne suit
plus et, le croyant engagé dans la mêlée, réduit
sa vitesse à 5 nœuds pour l’attendre. Une nouvelle
torpille atteint le Yamashiro, le privant de l’usage de 4 de ses
6 tourelles.
Bien
que ne filant qu’à 5 nœuds, Nishimura se rapproche
de la ligne de croiseurs américains qui ouvrent le tir à
3h51, suivis de peu par les cuirassés. En 10 minutes, chaque
navire américain va tirer en 60 et 100 salves, prenant le Yamashiro
sous un déluge de feu. Réalisant qu’il n’a
pas la moindre chance, l’amiral japonais infléchit sa course
vers le sud et augmente sa vitesse à 15 nœuds. Cette manœuvre
offre son flanc aux torpilles américaines et le navire coule
à 4h19. Le croiseur lourd Mogami qui avait entamé un demi-tour,
se retrouve sur la route de l’escadre de Shima et entre en collision
avec le Nachi. Le sort semble s’acharner sur le Mogami, déjà
victime d’une collision lors de la bataille de Midway. Cette fois-ci,
les dommages subis vont lui être fatals : attaqué par l’aviation
américaine dès les premières lueurs du jour, incapable
de se dérober, le navire sera finalement coulé par un
destroyer.
Cette
bataille restera dans l’histoire comme le dernier engagement au
canon et voit une victoire écrasante de la marine américaine.
La
bataille de Samar et Cap Engaño
Alors
que la force Sud japonaise est anéantie, l’amiral Halsey
analyse la situation : plus de problème concernant le détroit
se Surigao, le groupe Kurita , aux dires des aviateurs, a subi d’importants
dommages : "1 cuirassé de 63.000 tonnes coulé, un
autre a subi de grands dommages, 3 cuirassés brûlent, un
autre a chaviré". Par mesure de sécurité,
il prévoit la création de la Task-Force 34 (4 cuirassés,
7 croiseurs, 18 destroyers) pour garder l'entrée nord du golfe
de Leyte et télégraphie cette idée à Kinkaid.
Il protège ainsi le détroit de San Bernardino et les groupes
de soutien sans diminuer sa force de frappe.
Reconsidérant
par la suite la composition de l’escadre de Kurita (toujours d'après
les rapports des attaques), et son but premier étant les porte-avions
japonais, il abandonne la création de la TF 34 et met le cap
au Nord avec toute sa flotte sans prévenir Kinkaid.
On est ici en droit de se demander pourquoi Halsey n’a pas signalé
à Kinkaid qu’il abandonnait son plan initial.
Ce dernier aurait alors pris des mesures en conséquence. Notre
but n’est bien évidemment pas d’analyser la conduite
de tel ou tel amiral ni même de refaire l’histoire mais
la question a fait couler tellement d’encre que nous devions le
signaler.
Peu
avant 7h, un avion de reconnaissance signale qu’il est pris sous
le feu d’une formation japonaise. L’angoisse grandit côté
américain quand l’appareil signale que la flotte nippone
comprend croiseurs et cuirassés. Il faut en effet savoir que
les forces américaines se composent de 6 porte-avions d’escorte,
simples navires marchands dotés d’un pont d’envol
et de 7 destroyers. C’est un véritable rouleau compresseur
qui file sur le Task Unit 77.4.3, appelé Taffy III, et qui va
écrire une des pages les plus glorieuses de la seconde guerre
mondiale.
Kinkaid est totalement pris au dépourvu, persuadé que
la Task Force 34 garde toujours l’entrée du détroit
de San Bernardino. L’amiral Clifton Sprague ordonne à ses
navires de se positionner pour lancer leurs appareils alors que le Yamato
ouvre le feu à plus de 30.000 mètres, imité par
les autres cuirassés. En quelques minutes les salves encadrent
de très près les porte-avions américains et Sprague
demande à ses destroyers de lâcher un écran de fumée,
seule protection possible. Pendant un quart d’heure, une averse
va venir en aide à Taffy III, et Kinakid, prévenu de l’attaque
demande à Oldendorf, toujours au Sud, de hâter le réapprovisionnement.
Lui seul dispose d’unités lourdes à proximité,
Halsey filant pleine vapeur vers l’escadre d’Ozawa depuis
plusieurs heures.
Sprague
demande alors à ses destroyers d’attaquer à la torpille.
Jamais au cours de la guerre une action n'aura montré autant
de bravoure.
Le
Hoel reçoit 20 obus de gros calibre mais sa seconde attaque a
touché le croiseur lourd Kumano qui prend feu et ne participera
pas à la suite de l'engagement.
Le
Johnston est atteint par 3 obus de 355mm et plusieurs de 152mm. Le cuirassé
Kongo, attaqué à la torpille parvient à esquiver
et écrase le Hoel sous un déluge de feu.
Le
Samuel B. Roberts reçoit une salve qui crée une déchirure
de 10 m dans sa coque.
Le
Johnston, touché le premier, restera à flots pendant 2
heures, encerclé par les navires japonais qui le criblent d'obus....
et répondant à leur tir!
Le
Hoel lance ses dernières torpilles (il sombrera peu après)
contre le croiseur lourd Haguro. Le Heermann l’imite, rate sa
cible, vise alors les cuirassés mais sans les atteindre et parvient
miraculeusement à éviter leur tir.
Le
White Plains, le Kitkun Bay, le Fanshaw Bay offrent un spectacle de
désolation alors que le Gambier Bay coule lentement en proie
des flammes.
Kinkaid
envoie un premier message à Halsey, lui signalant la présence
de cuirassés japonais.
Les
destroyers ne se sont pas sacrifiés en vain : tant bien que mal,
les porte-avions peuvent lancer leurs appareils et attaquer la formation
japonaise désorganisée.
Les
frappes aériennes vont jouer un rôle considérable
dans le déroulement de la bataille : 3 croiseurs lourds japonais,
atteints par des bombes et des torpilles vont couler, diminuant d’autant
la puissance de feu de Kurita. Ce dernier a perdu son service de transmissions
lors du passage de Palawan, comme nous l’avons vu précédemment.
La farouche opposition américaine le fait douter et, plus le
temps passe, plus il craint un retour des cuirassés de la 3ème
flotte et finit par faire demi-tour.
En
effet, durant la bataille, Kinkaid ne cesse d’envoyer à
Halsey des messages de plus en plus alarmants et de plus en plus détaillés.
Nimitz,
courroucé par l’attitude de Halsey, lancera sur les ondes
un message connu du monde entier :
"Où sont les cuirassés rapides de la 3ème
flotte ?"
La
mort dans l’âme , Halsey ordonne à ses cuirassés
de faire demi-tour mais il est bien trop tard. Si Kurita a perdu une
occasion unique d’écraser la flotte américaine,
il peut toutefois passer le détroit de San Bernardino sans être
inquiété. Quant aux puissants cuirassés rapides,
ils auront fait 300 miles aller et autant au retour pour rien. Conçus
pour porter à la flotte japonaise les coups les plus durs, ils
n’ont pas tiré le moindre coup de canon. Cet épisode
reste connu sous le nom de "Charge du taureau", Halsey se
prénommant William (Bill) et surnommé Bull (taureau) pour
son impétuosité.
Il
ne faut toutefois pas omettre qu’Halsey voulait se débarrasser
de la menace latente des porte-avions japonais. En ce sens, l’engagement
de Cap Engaño va anéantir les vestiges de la flotte combinée.
Ozawa se bat à 4 contre 11, cas d’autant plus désespéré
que ses appareils ont été lancés la veille pour
compléter l’attaque contre les navires américains.
Il présente donc des coques vides à la force de frappe
aérienne de l’ennemi, parmi lesquelles le dernier survivant
de Pearl Harbor, le porte-avions Zuikaku. Quatre vagues d’assaut
vont sans cesse harceler la flotte nippone, n’ayant à subir
que le tir nourri de la défense anti-aérienne. Certes,
tous les porte-avions japonais sont envoyés par le fond mais
Ozawa a rempli sa mission, laissant la voie libre à Kurita et
ses unités lourdes. Lorsque les cuirassés rapides vont
faire demi-tour pour tenter d’intercepter la force japonaise,
les porte-avions de la 3ème flotte vont poursuivre leur pilonnage
avant qu’un groupe de croiseurs ne soit détaché
pour poursuivre les navires endommagés.
La
bataille du Golfe de Leyte, qui marque le dernier vrai sursaut de la
marine japonaise se solde par une victoire indiscutable bien que les
américains aient frôlé la catastrophe au large de
Samar. Elle introduit également une nouvelle ère, le porte-avions
d’escorte St Lô, qui avait échappé aux obus
de l’escadre de Kurita, est coulé par un avion en milieu
de matinée : l’épopée kamikaze vient de commencer.