La guerre franco-thaïlandaise
Par Fabrice Thery

Béranger capitaine de vaiseau, commandant la Motte-Picquet

La bataille de Koh Chang

La guerre franco-siamoise (1940-1941) demeure un conflit assez mal connu et peu évoqué de la seconde guerre mondiale.
Elle s’est déroulée dans la péninsule indochinoise et a opposé la récente Thaïlande, soutenue par les japonais à l'État français.
Elle ne précède que de quelques mois le déclenchement de la guerre du Pacifique avec l’attaque surprise sur Pearl Harbor.

Du Siam à la Thaïlande.

Depuis 1925, le Royaume du Siam est dirigé par Prajadhipok, septième Roi de la dynastie Chakri et monarque absolu. Couronné à la mort de son frère, c’est un homme sans envergure qui n’est guère prêt à affronter d’importantes responsabilités ni à mener de grandes réformes. Son règne s’avère très court et sera certainement le plus controversé, dans l'histoire de la dynastie.
Le Siam de l’entre-deux guerre souhaite de profonds changements politiques, économiques et sociaux que n’envisage que timidement son roi. Les nombreuses hésitations et les fréquents revirements du jeune roi font monter la contestation dans le royaume.
Le 24 juin 1932, après un coup d’état qui se déroule sans effusion de sang, les insurgés laissent le roi Prajadhipok provisoirement au pouvoir en lui imposant toutefois d’adopter une monarchie constitutionnelle. Parmi les conspirateurs on trouve alors le lieutenant-colonel Plaek Pibulsonggram, ancien élève des écoles militaires françaises. Cet officier dur et opiniâtre, plus connu sous le nom de Phibun, va rapidement s’arroger de hautes responsabilités. Il sera à l’origine de l’abdication du roi le 2 mars 1935 en faveur de son fils Ananda Mahidol. Ce très jeune homme, qui à cette époque, fait son éducation en Suisse, ne sera en fait jamais couronné.
Il ne retournera à Bangkok qu’après la fin de la seconde guerre mondiale. Phibun, devenu entre-temps Major Général s’est imposé comme l’homme providentiel dont le pays avait besoin. Il devient premier ministre en 1938. C’est un homme qui se révèle brutal et fervent admirateur de Benito Mussolini.

Il impose un régime autoritaire puis dictatoriel et n’hésite pas à faire exécuter ses opposants.
Il prône un nationalisme ouvertement impérialiste, s’inspirant d’une doctrine « panthaïe » incarnée par l’idéologue Luang Vichiter Vadhakarn. Pour montrer au monde le renouveau de son pays, Phibun change son nom, qui de Siam devient Prathet Thai, "pays des Thaïs" ou Thaïlande. Le nom de Prathet Thai ne sera réellement déclaré officiel que le 11 mai 1949. Ce choix xénophobe sous-entend une unité de tous les peuples de langue thaï, qui inclue les Lao du laos et les Shan de Birmanie. Le slogan de son régime sera d’ailleurs la "Thaïlande aux Thais". Très vite, il incite le nouveau gouvernement à revendiquer le rattachement à la couronne de tous les territoires habités par des peuples de race ou de langue thaïe, ainsi que les terres sur lesquelles le roi de Siam aurait jadis exercé de prétendus droits de suzeraineté. Le royaume Khmer et les principautés ou sultanats du nord de la Malaisie sous contrôle britannique sont principalement visés. Il rêve également de récupérer les territoires rattachés au Cambodge et abandonnés à la France durant le règne du roi Chulalongkorn (provinces de Melou Prei et de Tonlé Repou en 1904, et provinces de Battambang, de Sisophon et de Siem Reap en 1907). Il considère également comme une humiliation le rattachement du Laos en 1904, à l’Indochine française.

Les revendications territoriales.

Juste avant la seconde guerre mondiale, des négociations cordiales entre Phibun et la France sont entamées au sujet des frontières séparant l’Indochine et le Siam. Mais le premier ministre thaïlandais entreprend parallèlement depuis 1938 une profonde réorganisation de l’Armée tout en menant d’intelligentes et polies négociations avec Paris. Mais le gouvernement Daladier n’est pas disposé à céder sur tous les points revendiqués. Il s’engage tout de même à procéder rapidement à quelques modifications mineures des frontières séparant la Thaïlande etl'Indochine française en échange d’un pacte d’amitié et de non agression qui est signé le 12 juin 1940. Mais sur le terrain ces concessions tardent à être mises en pratique.

L’incident de Lang Son, 22 au 26 septembre 1940.

Avec l’invasion de la France en mai 1940 et la défaite de ses armées, la Thaïlande profite de l’affaiblissement français pour se montrer plus ferme et exigeante dans ses revendications territoriales. Le cabinet de Bangkok s’est jusque là montré très prudent dans ses relations avec les puissances coloniales anglaise et française qui exercent leur souveraineté aux frontières du royaume. La montée en puissance de Tokyo et l’effondrement des occidentaux sous les coups allemands puis japonais, vont permettre aux généraux siamois d’allier l’audace à l’arrogance. Ceux-ci saisissent aussitôt l’occasion de faire pression sur une France chancelante dont l’affaiblissement rend le maintien du contrôle sur l’Indochine hasardeux et difficile.
Le 11 septembre 1940, le gouvernement de Vichy reçoit une note officielle du premier ministre, Phibun Songram. Dans celle-ci, il demande une lettre d’assurance, aux termes de laquelle, dans l’éventualité d’un changement de la souveraineté française, la France restituerait à la Thaïlande les territoires du Laos et du Cambodge. Vichy y oppose une fin de non recevoir dès le 18 septembre. Les japonais eux aussi profitent de l’effondrement français pour agir. Depuis plusieurs mois, ils empiètent sur le territoire tonkinois pour combattre les chinois et s’installent en force dans les eaux territoriales. Les exigences japonaises se font toujours plus pressantes dans une Indochine française, livrée à elle-même. Seul le Gouverneur Général de l'Indochine, le Vice Amiral d'Escadre Jean Decoux, leur oppose une résistance opiniâtre mais ses messages d’avertissement à destination du gouvernement en métropole sont ignorés.
La tension monte à la frontière chinoise mais Vichy semble préférer négocier et céder aux exigences japonaises.
L’Amiral Decoux, frustré, écrit au gouvernement :
- « il vaut mieux perdre l’Indochine en la défendant qu’en la trahissant ».
Mais Vichy pense la crise stoppée, suite à une proposition de compromis entérinée le 30 août dont les modalités d’accord doivent être signés avant la fin du mois de Septembre. Le Gouverneur Général désapprouve complètement les concessions du gouvernement français. Il n’ignore pas que les japonais ont des vues sur Lang Son, considéré stratégiquement parlant comme "verrou de la Chine".


Au Japon, le gouvernement de Fumimaro Konoe, avec l'approbation de l'empereur Showa (Hiro Hito), décide parallèlement aux négociations, d’établir un plan secret afin d'occuper militairement l'Indochine. Afin de ne pas éveiller les soupçons français, le Quartier Général impérial joue dans un premier temps la carte de la diplomatie. le 22 septembre 1940, le représentant du Japon, le Général Nishihara, signe la convention de Hanoï avec l’Amiral Decoux, contraint par Vichy. Celle-ci prévoit la mise a disposition de l'armée japonaise de 3 terrains d'aviation au Tonkin, Le droit pour le Japon d'entretenir 6000 hommes de troupe au nord du fleuve rouge, le transit éventuel au Tonkin de forces japonaises (maximum 25 000 hommes) en direction du Yunnan et le transfert, suivant des modalités à fixer, de la division japonaise du Kwang Si, massé à la frontière, et son embarquement.
Le soir même, contre toute attente, le traité fraîchement signé et violé. Les 30000 hommes de la 5ème division japonaise du Kwang, commandés par le Général Akihito Nakamura, franchissent sans préavis la frontière du Tonkin en trois points et attaquent nos garnisons de la province de Lang Son (Nakamura prétextera plus tard n’avoir été informé que tardivement de la signature de la convention et après son attaque). Cette unité fait partie de l’Armée du Général Ando (Armée de Canton), en difficulté car prise dans la nasse des armées chinoises du Sud.
C’est une division aguerrie, bien équipée, appuyée par des unités d’artillerie et des chars de léger et moyen tonnage.
La division dispose également d’un important support aérien fourni par les chasseurs Nakajima Ki-27 « Nate » de la 84 Dukuristu Hikô Chutai du Commandant Tsunao Nagano et les bombardiers Kawasaki Ki-48 « Lily » de la 82 Dukuristu Hikô Chutai, basés à Nanning. L’offensive porte sur une zone frontalière d’une cinquantaine de kilomètres de large et la manœuvre par l’Est et par l’Ouest vise à encercler puis à s’emparer de Lang Son.

5ème Division d’Infanterie japonaise :

9° Brigade d’Infanterie

11° et 41° Régiment d’Infanterie

21° Brigade d’Infanterie

21° et 42° Regiment d’Infanterie

Appui et soutien

5° Régiment d’Artilerie de Montagne
5° Régiment de Cavalerie
5° Régiment du Génie
5° Régiment de Transport


Dans le secteur investi, les unités françaises sont peu nombreuses. Elles sont commandées par le Général Mennerat et se composent principalement de 5 Bataillons d’Infanterie appartenant au 3ème Régiment de Tirailleurs Tonkinois, au 9ème Régiment d’Infanterie Coloniale et au 5ème Régiment Etranger d’Infanterie. Soit un total de 5000 hommes, ne disposant pour tout appui que de quelques chars antiques Renault FT17, de quelques canons de 75mm modèle 1897 et d’une batterie de 155mm. Vers 22 heures, la colonne japonaise la plus au Nord s’empare de Bi Nhi, sur la frontière et fonce sur That Khé qui n’est défendu que par une Compagnie.
Au centre, la colonne traverse la frontière à Nam Quam, désorganisant au passage deux compagnies du 2ème Bataillon du 3ème RTT. L’effort se fait ensuite vers le Sud en direction du Poste de Dong Dang. La colonne la plus au Sud écrase les défenseurs du poste de Chima puis attaque Loc Bihn, à 20 km au Sud Est de Lang Son. Les débris d’une compagnie du II/3°RTT parviennent à se replier vers le Sud pour défendre Na Tzuong où viennent en renfort des éléments du I/9° RIC. La progression se fait ensuite vers Lang Son après avoir coupé la voie ferrée menant à Hanoï. Les français, surpris par l’assaut nocturne, ont des réactions disparates. Les Légionnaires du II/5°REI se battent courageusement mais il n'en est malheureusement pas de même pour les unités indochinoises qui ont tendance à se débander devant l'avance japonaise. De nombreux déserteurs se joignent à l’envahisseur.


Le 23 septembre, malgré les protestations officielles de Vichy, l’ « ennemi » accentue sa pression vers Lang Son dont il s’approche dans l’après-midi. De maigres réserves ont été envoyées d’urgence vers le la ville dont des renforts aériens. Face à l’aviation japonaise, les français ne peuvent opposer que l’EO 1/595 du capitaine Mayeau. Cette Escadrille est équipée d’appareils désuets, principalement des Potez 25 TOE et des Potez 29 qui sont surclassés par les chasseurs nippons. Dès le début de l’invasion, quatre Potez 25 et un Potez 29 sont envoyés à Lang Son. Le 23, ils effectuent quatre sorties de reconnaissance pour localiser l’ennemi et régler des tirs d’artillerie. En représailles, à 10h10, cinq bombardiers légers KI-48 bombardent le terrain de Lang Son. Ils y détruisent un Potez 25 et en endommagent un second. Les derniers appareils sont repliés sur Tong juste à temps car Lang Son connaît cinq autres raids dans la journée. A partir du 24, l’EO 1/595 reçoit l’appui de trois Morane MS406 de l’EC2/595, commandés par l’Adjudant-chef Tivollier.
Lors d’une sortie le même jour, les chasseurs français affrontent pour la première fois en combat aérien l’aviation japonaise en interceptant trois Ki-27. Ce combat ne donnera aucun résultat malgré la revendication d’une victoire japonaise par le Sergent Nitsuro Kobayashi.
Au sol, le IV/3°RTT tente une poussée pour reprendre Dong Dang, mais elle est enrayée par une rencontre imprévue avec la colonne centrale qui progresse déjà vers Khan Khé. La contre-attaque tourne rapidement à la débandade. Les Tonkinois s’enfuient par dizaine laissant seuls les cadres coloniaux. Plus au nord, dans le 2ème Territoire Militaire, le poste de That Khé est contraint au repli.
Seul le poste de Na Cham résiste aux assauts japonais mais devant la poussée acharnée de l'adversaire, les défenseurs se retirent en ordre et échappent à l’encerclement. Dans la soirée du 24, les troupes françaises et japonaises sont au contact autour de Lang Son. Le général Martin à Hanoï donne l'ordre impératif de résister sur place. Dans la nuit, le dispositif défensif est remanié pour s'adapter à la situation, devenue critique.
A partir du 25 septembre, l’aviation n’est plus en mesure d’intervenir au profit des troupes françaises. Lors d’une mission de reconnaissance, le Potez 25 du Capitaine Mayeau est abattu par deux chasseurs japonais malgré l’intervention de deux MS406. Mayeau est grièvement blessé et son mitrailleur, le Commandant Schertzer, patron du Groupe Aérien Mixte 595 est tué.
Les japonais, au Sud du Fleuve Song Ky Kong, profitent de la confusion générale pour atteindre sans grandes difficultés les faubourgs de leur objectif, par le Sud-Est. Après une forte préparation d’artillerie, la colonne centrale écrase le I/3RTT à Ky Lua, aux portes Nord de Lang Son. A la Roche Percée, poste de commandement de la position fortifiée, un coup au but frappe le colonel Louât de Bort et anéantit son état-major. Le Général Mennerat et ses hommes sont bientôt assaillis de toutes parts. Les combats, pendant lesquels s’illustre le 2ème Bataillon du 5ème REI (Commandant Marcelin) sont sanglants et sans pitié. Les troupes japonaises massacrent les officiers et les soldats français de la garnison, ainsi que de nombreux civils. Mennerat fait savoir à Hanoï que sans support aérien et appui d’artillerie, la ville de Lang Son, isolée, devient intenable. A 10h40, le Général Martin autorise des négociations locales afin de faire cesser les combats. Le Général Mennerat rencontre à Ky Lua deux officiers japonais qui lui délivrent un véritable ultimatum, rejetant sur les troupes françaises la responsabilité des combats. Un délai de deux heures est donné pendant lequel les Japonais s'infiltrent dans les positions défensives de la place. A 16h30, la reddition de la garnison est signée.
Les troupes françaises rendent leurs armes. Lang Son est tombée. En tro
is jours de combat, 824 militaires français ont été tués et blessés. Parmi eux se trouve Le lieutenant-colonel Louvet, première victime des japonais. Persuadé de pouvoir négocier avec l’envahisseur, il est abattu alors qu'il se trouve à la tête d'un détachement motorisé en se rendant à Dong Dang, pour tenter de parlementer. 2500 soldats ont également été fait prisonniers. Afin d’éviter une percée japonaise au Sud de la ville, des nouveaux Dataillons français se mettent en ligne pour barrer la route allant de Lang son à Lang Giai et lang Nac. Leur mission est d’interdire l’accès au delta du fleuve Rouge.
Les hostilités cessent le 25 septembre sur ordre d’Hiro Hito. Les japonais restitueront les prisonniers français rapidement et un message de l'empereur du Japon sera même lu par le Général Nishihara, exprimant son "sincère et regret profond pour l'incident tragique de Lang Son". Néanmoins, pendant les combats sur la frontière chinoise, des navires d'escadre japonais et des transports se sont approchés de la côte, dans le Golfe de Tonkin. Abord du destroyer Nenohi, le Général Nishihara, qui a participé aux négociations du 22 septembre, compte bien conformément aux accords, débarquer à Haïphong. Mais il se voit opposer un refus obstiné de Vichy qui envoie un émissaire sur le croiseur Sendaï pour négocier, tout en avertissant que les défenses côtières ont reçu l’ordre d'ouvrir le feu contre toute tentative de débarquement. La tension monte et Nishihara fait décoller ses avions pour faire une démonstration de puissance aérienne et mener des reconnaissances sur les installations portuaires. Malgré le cessez le feu, les forces japonaises se préparent à débarquer mais ils se méfient des défenses de Haïphong et se mettent en formation plus au Sud, à l'abri de la presqu'île de Do. Le débarquement a lieu à 03h30, le 26 septembre, sur les plages de Dong Tac, au Sud d'Haïphong. Accompagnés d’une douzaine de chars, les fantassins se mettent immédiatement en route pour s’emparer de la ville et du port. A 06h30, la marine nippone bombarde Haïphong, tuant 37 civils. Le commandement français, conscient de la disproportion des forces en présence, donne l'ordre de ne pas s'opposer militairement à l'avance japonaise.
Peu après, la ville est investie par 4500 japonais et les hostilités cessent définitivement le 26 septembre au soir.
Le 29 septembre, Nishihara est remplacé à Haïphong par le Général Sumita qui apparaît plus diplomate et sait flatter l’amour propre des français.

Flotte expéditionnaire japonaise

Croiseur léger (CL-15) Sendaï, Classe Naka, (Capt. Toshio Shimazaki )
Destroyer Nenohi , Classe Hatsuharu, (Lt. Cmdr. Sakuji Matsumoto)
Destroyer Wakaba, Classe Hatsuharu, (Lt. Cmdr. Masutoshi Yasunami)
Destroyer Hatshushimo, Classe Hatsuharu, (Lt. Cmdr. Shuichi Hamanaka)
Porte Hydravions Kamikawa Maru, (Captain Yamada Michiyuki)
Porte Avions Hiryu, (Capt. Ichibei Yokokawa)

Force de débarquement sur Haïphong (Major Gen. Takuma Nishimura )

Groupe d’infanterie expéditionnaire en Indochine (Major Gen. Takeshi Sakurada)
2° régiment d’infanterie de la Garde Impériale (Col. Kunio Osonoe)
14° Régiment de Chars de Combat
Unités antiaériennes et de transmissions

Les 30000 hommes de la division du Kwang Si seront évacués d’Indochine entre octobre et novembre 1940. Ils auront l’occasion de s’illustrer ultérieurement en Malaisie et à Singapour, en 1941-42. La région conquise par l'armée japonaise, sera restituée symboliquement aux troupes françaises et elles pourront réimplanter une garnison à Lang Son. A la mi-octobre, tous les prisonniers français seront rendus, excepté 200 légionnaires du 5°REI, d’origine allemande.
L'Armée du Général Ando a délibérément négligé les accords du 22 septembre pour précipiter et faciliter le transit par le Tonkin de ses troupes en difficulté en Chine du Sud. Il est d’ailleurs relevé de son commandement pour son indiscipline. Mais la chute de Lang Son est l’occasion rêvée qui permet aux japonais en position de force, d’obtenir de nombreuses concessions. Les français sont contraints de les autoriser à s’installer militairement en Indochine. L’Amiral Decoux doit céder le port de Haïphong où stationneront 900 japonais, les territoires avoisinant la région de Lang Son et devra laisser une garnison de 600 hommes se mettre en place à Hanoï.
Les japonais se voient en outre accorder la libre disposition des aérodromes de Giam Lam, Phu Tho et Phu Lang Thuong, ainsi que le libre survol de l’espace aérien compris dans la zone délimitée par le parallèle de Yen Bay, le fleuve Rouge et le Song Thai Binh, jusqu’à la mer. En dédommagement, le Japon se déclare co-défenseur du pays et cède à l’Armée française une aide en armement obsolète et des mortiers de 50mm, prises de guerre faites aux nationalistes chinois.
L'occupation par l'armée japonaise va durer trois mois pendant lesquels de nombreux chefs de cantons et fonctionnaires, ainsi que des émigrés partisans du prince Cuong-Dé, collaboreront avec l'envahisseur. Les autorités françaises en arrêteront un grand nombre après le départ de l’envahisseur et les traduiront en cours martiale. Mais la présence japonaise aura semé les premières graines de la révolte nationaliste. Le plus célèbre de l’époque, Tran Trung Lap, se rebelle dans la région de Lang Son où il forme une unité de 3000 hommes, pour la plupart déserteurs des unités indochinoises, défaites par les Japonais.
Leurs armes proviennent des stocks français saisis par l’ennemi. L’Armée mate vite cette insurrection et isole les fuyards dans les montagnes. Après une embuscade qui décime ses forces, Tran Trung Lap est capturé. Il est exécuté à Lang Son en décembre 1940.

Conséquence de la défaite française.

Dans la toute nouvelle Thaïlande voisine, la défaite rapide des français face à l’invasion nippone convainc définitivement le régime de Phibun qu’un affrontement militaire pour récupérer les territoires convoités, tournerait à l’avantage de son pays. Bangkok va profiter de cette situation pour réitérer vivement sa demande par trois fois entre le 25 Septembre et le 06 Octobre. Agacé, le gouvernement de Vichy rejette définitivement ces revendications, le 14 Octobre. Les thaïlandais dénoncent le pacte d’amitié et de non-agression, conclu le 12 juin 1940 avec Paris. Le prétexte avancé est que la France n’accepte pas de reconnaître à la Thaïlande des frontières naturelles indispensables au peuple thaï en cas d’attaque. En réalité, la récente défaite française donne des ailes aux revendications du gouvernement thaï et celui-ci confirme rapidement les désirs d’expansion du «Royaume de l’éléphant blanc». Dès la fin de 1940, le Siam, qui revendique la souveraineté sur tous les territoires situés à l'Est du Mékong, masse ses troupes aux frontières du Cambodge, et commence une série de provocations et d'incursions sur le territoire du Protectorat. L’administration coloniale se trouve à cette époque privée d’aide et de renforts mais les forces françaises réagissent toutefois avec vigueur. Il s'établit peu à peu un véritable état de guerre. En Thaïlande, le ministre de la propagande Luang Wichitwathakan mène une campagne anti-française par radio et par voix de presse qui a pour but de soulever la population locale. On tente d’avancer que les Khmers du Cambodge appartiennent à la race thaï, de faire étalage des territoires arrachés à la Thaïlande par un empire colonial français toujours plus avide de possessions.
Peu de temps après, les relations diplomatiques entre les deux pays sont empoisonnées par un incident bien vite monté en épingle par Bangkok. Près de Saimoon, des militaires français, en patrouille sur le Mékong laotien, auraient saisi des pièces de soie en contrôlant une pirogue thaïlandaise. Les relations se dégradent et la tension monte encore, suite à des incursions de l’aviation thaïlandaise dans l’espace aérien indochinois. On constate rapidement une concentration de troupes thaïlandaises aux frontières du Cambodge et du Laos. Vichy est informé le 05 novembre par l’Amiral Decoux, des incursions sur le territoire du Protectorat.
En retour, il reçoit l’ordre de ne plus laisser aucune initiative siamoise sans réponse.
Phibun inspiré par le fascisme européen, entretient le culte de la personnalité, ses portraits sont présents partout, tandis que ceux de l’ancien roi sont interdits. Son mépris pour les chinois l’a poussé à s’allier aux japonais. Son ministre, Luang Wichitwathakan compare même les Chinois du Siam aux Juifs d'Allemagne. En moins de trois ans, il a réussi un tour de force en redressant l’économie de son pays et en se dotant d’une armée puissante. Il est désormais décidé à imposer sa volonté à la France et n’exclue plus d’avoir recours à la force.

L’armée siamoise en 1940.

Depuis 1937, Phibun Songgram a entrepris de moderniser profondément l’Armée du Siam. Il a doté son pays d’un outil de défense moderne et efficace. Les forces thaïlandaises en temps de paix représentent environ 60000 hommes bien entraînés, équipés de matériel provenant principalement des Etats-Unis. 300000 hommes supplémentaires peuvent être mobilisés rapidement si le contexte l’exige. Elles disposent d’un soutien blindé correct, soit une centaine de chars et tankettes britanniques Vickers, ainsi que de 20 chars légers Ha-Go japonais.
L'armée de l'air thaïlandaise dispose d'appareils modernes et en nombre bien plus important que l'armée de l'air française en Indochine. L’aviation début 1937 a abandonné ses vieux biplans Breguet 14B2 et se bombardiers BT.2/TO.1 Boripatra (biplans de fabrication locale, dessiné en 1927 par le commandant en chef des forces aériennes thaï, le Lieutenant Colonel Luang Vejayanrangsrit). Elle est maintenant équipée de 36 biplans type Vought V93s Corsair, (chasseur biplace, produits sous licence depuis 1934), de 12 Curtiss Hawk I et II, 24 Curtiss Hawk III (Modèle 68B), de Boeing P12 100E, de 12 chasseurs monoplans Curtiss Hawk 75N, 25 Mitshubishi KI-30 Nagoya japonais, de 9 bombardiers Glen Martin B-10 (139WSM) et de 20 Avro 504N d’entraînement. L’ensemble représente plus de 150 appareils qui procurent à la Thaïlande, une écrasante suprématie aérienne et en fait la seconde puissance aérienne en Asie. La Marine dans le golfe de Siam, dispose de deux gardes-côtes de 2265 tonnes, de construction japonaise et armés de quatre pièces de 203mm sous tourelles, de deux canonnières cuirassées de 900 tonnes, armées de deux pièces de 152mm. Elle aligne également 13 torpilleurs (dont sept construits en Italie), quatre sous-marins, deux avisos et deux dragueurs.

Gardes côtes (canonnières cuirassées) :
Ayuthia, Dombhuri et Sri Ayuddaya

Torpilleurs :
Trat, Phuket, Pattani, Surasdra, Chandhaburi
Rayong, Chumporn, Chomburi, Songkla et Phra-Ruang

Avisos :
Maikron et Tahchin

Mouilleurs de mines :
Bangrachan et Nonsaraï

Sous-marins :
Maichanu, Wirun, Sindamudar et Prichunboon

L’armée française d’Indochine.

Côté français, dans l’ensemble de l’Indochine, les Forces françaises comptent environ 50000 hommes dont 12000 européens et 38000 tirailleurs tonkinois, annamites, cambodgiens, laotiens, Moï et Thôs. Plus de la moitié des effectifs sont stationnés aux frontières du Tonkin car les troupes japonaises présentes sur place multiplient les provocations et le secteur ne peut être laissé sans surveillance. Il faut maintenant surveiller étroitement les 1800Km de frontière avec la Thaïlande avec des effectifs et des moyens très insuffisants. L’armement en dotation ne correspond plus aux conditions de la guerre moderne. L’infanterie se résume à 14 bataillons d’inégale valeur. On y trouve 1400 officiers et 4900 sous officiers, dont 2000 indochinois. La troupe autochtone est adéquate pour faire la police mais elle n’est pas aguerrie au combat et montre bien peu d'allant. L’artillerie dispose d’une centaine de canons dont une majorité de 75mm et quelques 65 et 80mm de montagne, répartis en 4 groupes. L’artillerie lourde est presque inexistante et aligne quelques 105mm et deux 120mm de Bange, datant d’avant la première guerre. Le nombre de pièces de DCA est symbolique. L’appui blindé est insuffisant et se résume à peine 6 chars légers FT17 en état de marche sur 24. Quant à l’aviation, elle aligne sur tout le territoire, une centaine d’appareils en grande partie périmés. Le chasseur le plus moderne demeure le Morane Saulnier MS406, dont une vingtaine est en état de voler, mais la maintenance en pièces est délicate. Les stocks de munitions sont très insuffisants et l’approvisionnement est difficile. Seule la marine, malgré son nombre de bâtiments restreint peut prétendre jouer un rôle important dans la défense ou l’intervention. La métropole ne peut pas grand-chose pour améliorer la situation. A l’été 40, le gouvernement de l’Indochine fait appel aux Etats-Unis pour acheter les armes et surtout les avions nécessaires à la défense de son vaste territoire.
Les américains y sont farouchement opposés mais ils continuent leurs livraisons à l’Armée Thaïlandaise. La seule action concrète des USA est de mettre un embargo total sur le pétrole et le fer à destination du Japon, après l’agression du Tonkin. En octobre 1940, suite à une mission aux USA menée par le Général Catroux, ils jugent enfin opportun de mettre un embargo sur l’armement et s’opposent à la livraison de 10 bombardiers commandés par Bangkok. Le geste demeurera néanmoins insignifiant puisque le nouvel allié japonais s’empressera de fournir 63 bombardiers et chasseurs à l’aviation thaïlandaise, courant décembre 1940. Dans l’ombre, les services secrets anglo-saxons s’activent pour la création du Thaï Séri (les Thaïs libres), organisation clandestine anti-japonaise.


Début de la guerre Franco Siamoise.

Malgré l’état de guerre, il n’y a pas d’affrontements majeurs entre les deux armées pendant les deux derniers mois de 1940.
Les deux camps préparent leurs plans. L’amiral aimerait mener une action offensive qui lui permettrait de s’emparer de Chanthaburi, ville située à 40km à l’Ouest du Cambodge. Mais faute de moyen, il lui faut se contenter d’établir un dispositif renforcé à vocation défensive, au poste frontalier de Poipet et de disséminer ses faibles effectifs tout le long de la frontière, sur des points d’appuis parfois distants de 40 kilomètres !
Vers la mi-novembre, les Thaïlandais se font plus agressifs, et multiplient leurs incursions en territoire cambodgien tout en évitant l’affrontement direct.

Fin novembre, L’Armée Française est occupée à mater en Cochinchine, une révolte paysanne fomentée par les réseaux clandestins créés par Tran Van Giau. Les thaïlandais en profitent pour déclencher une série d’incidents. Le 26 novembre, ils prétendent que les français ont tenté de bombarder Nakhon Panon. La tension s’accroît nettement et l’aviation thaïlandaise mènent des raids de représailles sur les villes de Thakhek et Savannakhet, au laos. Trois jours plus tard, une barge blindée française est attaquée au canon de 37mm près de Thakhek. Informé des tensions frontalières, le ministre des colonies, l’Amiral Platon donne son accord au Gouverneur Decoux pour qu’il lance des opérations de représailles suite aux provocations thaïlandaises. Les plans des futures opérations sont alors confiés au Général Martin. Dès le 1er décembre, la Thaïlande continue son intimidation. Ses Curtiss bombardent une nouvelle fois Takhek et dans l’après midi, un navire auxiliaire de la Marine Nationale, le Béryl, est la cible d’une attaque aérienne, sa manœuvre rapide lui permet d’éviter 14 bombes. Le lendemain, c’est une nouvelle barge blindée qui est prise pour cible par les canons de 37 ennemis, près de Nong Khaï. Deux soldats français sont tués et 6 autres sont blessés.

La semaine suivante, une série d’accrochages à lieu dans le secteur de Ventiane au laos. Le 8 des Vought Corsairs thaïlandais bombardent les batteries d’artillerie française du Mékong puis la ville de Ventiane dans l’après-midi. L’artillerie ennemie s’en prend également à la localité de Savannakhet. Après une semaine d’accalmie. Les provocations reprennent au niveau du poste frontière de Poipet qui est pris pour cible le 19 décembre par l’artillerie. Le même jour, un groupe de combat du régiment de Tirailleur du Cambodge surprend et décime lors d’une embuscade une patrouille thaïlandaise. L’ennemi abandonne sur le terrain 26 morts et blessés. Le lendemain de Noël, un accrochage a lieu à Poipet entre un détachement de reconnaissance thaïlandais et une patrouille motocycliste française. Celle-ci ne déplore qu’un blessé contre 15 chez l’assaillant. Malgré une tension grandissante entre les deux protagonistes, le front demeure assez calme jusqu’à la fin de l’année 1940. Sur un terrain qu’elles ne maîtrisent pas, les patrouilles des deux adversaires se rencontrent parfois bien involontairement et des accrochages sporadiques ont alors lieu. L’aviation thaïlandaise a la maîtrise incontestée du ciel et bombarde de jour le Laos à Takhek, Packsé et Vientiane puis les villes cambodgiennes de Sisophon, Battambang, Stung Treng, Mongkol Borey et Siemréap, sans être importunée par la chasse française. L’aviation française tente des raids de nuit en représailles sur les centres thaïlandais de Oudorn, Sakol Nakorn, Aranya, Lakhon, Prachinburi, Makhorn Phanom, Waddhana et Sisaket, mais les dégâts causés sont peu probants. L’amiral Decoux reconnaîtra que l’aviation thaïlandaise possède des pilotes chevronnés même si ceux-ci craignent l’obscurité et ne bombardent que de jour. Pendant cette période, les Français perdent officiellement 2 chasseurs MS-406 et un Farman 221. Les Siamois reconnaissent pour leur part la perte de 5 appareils, 13 aviateurs tués et 5 blessés.

Conquêtes territoriales thaïlandaises.

L’armée thaïlandaise ronge son frein. Elle est désireuse de monter sa puissance aux observateurs nippons. En décembre, elle en fait une démonstration en occupant Pak-Lay et le Bassac (Champasak), au Nord-Ouest du Laos, puis elle tente un coup de main sur le poste frontière de Poipet, le 2 janvier 1941. Lors de cette attaque, les soldats assassinent le journaliste hollandais Hubert Rermans qu’ils prennent par mégarde pour l’officier français commandant le poste. L’assaillant incendie le poste de la garde indigène alors que ses défenseurs se replient sans essuyer d’autres pertes. Cet incident va déclencher une série de combats terrestres dans la région. Decoux, à l’annonce de la nouvelle ne tient plus en place. Il opte pour la proposition du plan, offensif du Général Martin et souhaite frapper l’ennemi rapidement. Mais pour mener à bien une guerre de mouvement, il faut disposer de moyens de transport suffisants.

Le commandement français organise une version exotique des taxis de la Marne et réquisitionne des camions civils, des attelages de buffles pour tracter les canons et des centaines de cyclo-pousse avec leurs conducteurs qui vont emmener environ 10000 soldats combattre à la frontière cambodgienne. Le 3 janvier, 400 thaïlandais attaquent le poste de Komrieng à l'aube, sur la route de Pailin (Cambodge). Le poste, défendu par 70 hommes du I/5° REI est protégé par quatre bunkers. L’ennemi attaque 3 fois de suite mais n'arrive pas à prendre la position. Il doit se replier à 15h30, quand un détachement motorisé de Cochinchine arrive en renfort. On relève sur le terrain les corps de 50 thaïlandais dont 4 officiers.
Le 4, les français tentent un coup de main contre le Poste thaïlandais de Chup Bayoum. Quatre soldats thaïlandais sont tués et trois autres blessés. Le lendemain l’activité ennemie s’intensifie sur la frontière avec le Cambodge. De nombreuses escarmouches ont lieu mais partout, Les thaïlandais sont repoussés au delà de la frontière et poursuivis par les français. Les soldats coloniaux attaquent le poste de Kompong Sala, tenu par les fusilliers marins thaïlandais. Ceux doivent se replier, laissant le village aux mains des français. Un aspirant thaïlandais, cloué au lit par la Malaria est capturé. Une contre attaque repousse les coloniaux qui évacuent le village après l’avoir incendié. Cinq soldats français ont été tués dans l’affrontement. Dans l’après-midi, l'aviation thaïlandaise bombarde Krabei au Cambodge, tuant un légionnaire et en blessant 9 autres. Au Nord Cambodge, près de Poipet, une patrouille thaïlandaise infiltrée dans le secteur de Sway Chek est détruite dans une embuscade tendue par le Corps Franc du 11e Régiment d'Infanterie Coloniale. Le 6 janvier dans la nuit, les thaïlandais attaquent le poste de Kim Kébao. En représailles, le peloton motocycliste du détachement motorisé de l’Annam exécute des tirs au fusil mitrailleur contre le poste de gendarmerie, de l’autre côté du Mékong.

A compter du 7 janvier 1941, les thaïlandais, délaissant le Laos jugé trop bien protégé par le Mékong, déclenchent leur attaque principale contre le Cambodge. Ils ont prévu de progresser sur 2 axes. L'armée Burapha doit prendre la RC1 (route coloniale 1), qui mène à Battambang, et l'armée Isaan doit attaquer par le Nord, à Samrong. Le but est de pousser les français à retraiter dans la région de Sisophon, secteur difficile à ravitailler durant la saison sèche. Une diversion doit être effectuée simultanément par la Division Chantabury, qui doit attaquer Pailin où se trouve le I/5°REI. Une autre doit avoir lieu plus au nord, à Say Chek. L'offensive débute par une attaque menée par l'armée Burathan contre le poste de Poipet, sur la RC1. Leur soutien aérien brise toute résistance et le fort tombe en fin de journée. Les troupes françaises sont forcées de retraitent sur la RC1. Au nord du Cambodge l'armée Isaan s’avance vers Samrong.
Dans la nuit du 8 au 9 janvier, l'artillerie française effectue des tirs de barrage pour tenter de désorganiser l'offensive ennemie. Dans le même temps, les Potez bombardent les aérodromes d'Ubon et de Sisaket, situés en territoire thaïlandais. Mais la poussée sur la RC1 ne faiblit pas. Du 9 au 11 janvier, les forces thaïlandaises s’emparent de Yang Dang Khum et de Phum Preav. Leur aviation bombarde Samrong.
Au sud Laos, près de Paské, l'Armée Isaan passe à l'offensive et attaque la RC10 (route coloniale 10), le 12 janvier. Elle prend le poste de Vang Tao après de violents combats. Les français se replient sur Ban Dou. Au moment où la situation militaire devient très délicate pour la France, le gouvernement japonais émet une protestation auprès de l'administration de Vichy, le 14 janvier. Selon lui, les français auraient tenté de provoquer une intervention anglo-saxonne en Indochine, pour les aider contre la Thaïlande.
La France dément avoir fait une telle tentative.
Sur la RC10, l’Armée Isaan continue sa progression. Malgré de violents combats, elle s’empare de Ban Dou. Tout le dispositif français se replie sur le Fleuve Pasqué.

La contre attaque française sur Yang dang Kum et Phum Preav.

L’Amiral Decoux ne veut plus reculer. Il souhaite contre-attaquer vivement sur la RC1 et déboucher en territoire ennemi, où il pourrait se ravitailler plus facilement. Il va confier la pointe de l’effort au 5°REI, l’unité la plus valeureuse et aguerrie dont il dispose. L’objectif est de contre-attaquer le 16 janvier à Yang Dang Kum et à Phum Preav. Mais à Bangkok, on est informé du plan de l’Etat-major français et une nouvelle offensive est préparée pour la même date. Les combats les plus meurtriers de la guerre franco-siamoise vont avoir lieu.

Dans la nuit du 15, les bataillons du 3°RTT commencent un mouvement sur l’aile française pour aller se positionner sur les arrières des thaïlandais. Mais les unités sans point de repère se perdent et finissent par se heurter à des points de résistance qu’elles ne peuvent réduire.

C’est la confusion chez les deux adversaires qui ont déclenchés leur offensive en même temps. Les tonkinois ne tiennent pas le terrain, l’attaque devant Yang Dang Khum est un désastre. Hâtivement préparée, mal conduite, celle ci est contrée immédiatement par les thaïlandais qui ont eu vent des intentions françaises. Préparés en conséquence, ceux-ci ont parfois même attaqué avant que les tirailleurs n'arrivent sur leurs positions de départ.
Le III/5°REI, pivot de l’attaque, tente d’emporter la décision à Phum Preav.
Le 16, en début de matinée, il accroche sévèrement les thaïlandais qui surpris, doivent se replier. Mais deux bataillons reviennent bientôt à la charge, appuyés par leurs chars. Les légionnaires sont stoppés dans leur progression. Une de leur section se fait anéantir mais ils attaquent courageusement les blindés à la grenade. Ils doivent néanmoins décrocher, après en avoir détruit plusieurs.
L’appui précis des canons français antichars de 25mm arrête l’élan ennemi. L’assaut des chars est repoussé, les thaïlandais rompent le contact. Les hommes du 5°REI s’organisent sur le terrain pour résister à une nouvelle attaque de blindés.
Ils déplorent déjà 50 tués et blessés dans leurs rangs. Après avoir constaté l’échec de son offensive, le commandement français ordonne en fin de journée aux unités engagées de se replier sur leurs bases de départ afin de pouvoir assurer la défense de Sisophon. Le III/5°REI se replie alors sur Phum Thot. Paradoxalement le commandement siamois est parvenu aux mêmes conclusions et prescrit à ses troupes de reculer de plusieurs kilomètres afin de se mettre sur des positions défensives ! Les pertes des 2 cotés sont lourdes et les 2 armées se retirent sur un échec français.
Le 17 janvier, le 3°RTT mis en déroute la veille à Yang Dang Khum, profite de l'absence de poursuite des thaïlandais, pour venir reprendre sur le champ de bataille, le matériel abandonné lors de sa retraite. A Bangkok, malgré le repli thaïlandais, on publie de triomphants communiqués de victoire. Le Général Phibun Songkhram pose fièrement avec un fanion de la légion étrangère capturé à Phum Preav.


La bataille Navale de Kho Chang.

* Note : ce sujet ayant déjà été brillamment évoqué il n’en sera fait ici qu’un bref rappel. La bataille Navale de Kho Chang.





Le 16 janvier 1941, une petite escadre française composée du croiseur Lamotte-Picquet et des avisos Dumont-d’Urville, Amiral Charner, Tahure et Marne, commandée par le Capitaine de Vaisseau Bérenger croise au large des côtes siamoises. Leur mission, ordonnée par l’Amiral Decoux, doit simuler un débarquement dans le secteur de Chanthaburi, dans le cadre de l’offensive sur Battambang. Le 17, un avion d’observation de la marine découvre la flotte thaïlandaise au mouillage dans la baie de Kho Chang. Malgré son infériorité numérique, l’escadre française entame le combat avec la flotte thaïlandaise. Trente minutes plus tard, 3 torpilleurs (Songkla, Cholburi et trat) ont été envoyés par le fond, et le Lamotte Piquet endommage irrémédiablement le garde-côtes Dombury puis le Sri Ayuddaya. La marine thaïlandaise vient de perdre 40% de sa puissance en quelques heures de combat et pas un navire français n’a été atteint. La propagande du pouvoir en place à Bangkok, aura malgré tout l’audace d’annoncer sa grande victoire, dans le plus grand combat naval de la guerre mondiale ! Le 19 janvier 1941, alors que les avants gardes terrestres thaïlandaises arrivent sur Mung Cao, dans le Sud Laos, l'Escadre du Lamotte-Picquet arrive à Saigon sous les ovations de la foule. Les journalistes sont invités pour constater que les navires sont intacts, contrairement aux affirmations de Radio Bangkok qui clame que les 5 navires français ont été détruits.

 

La « médiation » du Japon.

Avec la déroute navale qui a anéanti sa puissance maritime, Phibun Songkhram comprend que la situation militaire va devenir délicate si les français parviennent à se renforcer. S’appuyant sur sa victoire terrestre, il entrevoit alors la possibilité d’un armistice. Dès le 20 janvier, le gouvernement japonais présente à M. Arsène Henry, ambassadeur de France au Japon, une offre de « médiation » dans le conflit qui oppose la France de Vichy à la Thaïlande en Indochine. Selon l'ambassadeur, cette médiation « dont les termes comminatoires ne laissaient aucun doute sur son caractère d’ultimatum" est faite alors qu'une flotte japonaise croise au large du Cap Saint Jacques, au Sud de l'Indochine. Pour autant, un cessez le feu n’est pas conclu et le 24, la bataille aérienne s’achève par le bombardement de l’aéroport français d’Angkor, atteint par un raid de bombardiers thaïlandais.
Dès le 25 septembre, les japonais montrent de très sérieux signes d’agacement et menacent la France. L'administration de Vichy est forcée d'accepter la médiation japonaise, sous la pression. Le message de l’ambassadeur est sans équivoque :

- « Sommes saisis nouvelle offre médiation japonaise que nous ne pouvons refuser actuellement sans risquer grave danger de devenir suspects aux yeux du Gaimusho, de collusion avec pays anglo-saxons. Cette médiation présente le risque pour nous comme pour la Thaïlande d’encourager une intervention du Japon qui pourrait s’étendre à d’autres domaines. En présence de ce risque une entente directe qui serait conclue avant que les arrangements afférents à la médiation aient revêtu un caractère définitif serait d’autant plus souhaitable. »

L’accord, valable pour quinze jours, comprend, outre le préambule reconnaissant la médiation japonaise, dix articles déterminant les points de repli des troupes au contact, les zones limites des mouvements de navires et d’avions, l’arrêt de la propagande hostile et le respect réciproque des personnes et des biens. Un ultimatum impose d’abord aux deux belligérants un armistice provisoire, proclamé le 28. Le même jour, Des pourparlers commencent, sur le cuirassé japonais Natori, ancré dans le port de Saigon, entre les représentants français et les représentant thaïlandais, sous l'arbitrage de représentants officiels japonais. Le 30 janvier, l’accord d'armistice définitif entre la France et la Thaïlande, est signé à Saigon à 20 heures, sur le cuirassé Natori. Celui-ci règle l'arrêt des combats, en attendant la signature d'un traité de paix, qui doit être négocié dans quelques jours à Tokyo.

Conséquence de la guerre franco-siamoise.

Les négociations de paix entre la France de Vichy et la Thaïlande se déroulent à Tokyo, à partir du 7 février 1941. La délégation française est menée par René Robin, ancien Gouverneur Général de l’Indochine, qui s’est rendu au Japon pour y conduire les pourparlers économiques qui débutent, au même moment, dans la capitale japonaise. Il est assisté du directeur du cabinet civil de l’amiral Decoux, Georges Gautier. La suspension d’armes est prolongée jusqu'au 7 mars. La Thaïlande présente des exigences, bien supérieures à ce qu'elle réclamait à la fin de 1940. A l’origine elle ne briguait que deux provinces du Laos. A la conférence de paix, ses ambitions portent pratiquement sur l’intégralité du Laos et du Cambodge.
La France, après étude, se dit insatisfaite et repousse le 18 février, le plan de paix proposé par le Japon, dans le règlement du conflit avec la Thaïlande. Elle repousse ce projet une seconde fois pour les mêmes raisons, le 24 février, mais M. Matsuoka menace de rompre les accords du 30 Août 1940, ainsi que les négociations économiques qui sont en cours, en parallèle.
Le 11 mars, sous la pression japonaise, la délégation française est contrainte d'accepter le second plan de médiation japonais.

Le texte comprend notamment la mention suivante :

- « L’Indochine ne devra contracter avec une tierce puissance aucun accord ou entente qui prévoit une coopération politique, économique ou militaire, de nature à s’opposer au Japon.
L’Indochine perd les territoires de Paklay et de Bassac, la province cambodgienne de Battambang et la partie nord des provinces de Siemreap et de Kompong-Thom, soit une superficie totale de 70 000 kilomètres carrés. En guise de compensation, elle recevra une indemnité de 6 millions de piastres, échelonnée sur 6 ans. »

Pendant la même période, la Thaïlande et l'URSS échangent des notes, établissant une relation diplomatique et préparant un accord commercial. Finalement le 9 mai, la France, sous contrainte japonaise, signe un traité définitif de paix, par lequel elle abandonne finalement les provinces de Battambang et Siem Réap (littéralement "loi siamoise") et de Kompong-Thom prises au Cambodge, de Champasak et Sayaburi, prises au Laos. Vichy, consent à la violation du traité de protection franco-cambodgien et permet ainsi l’amputation de près de 25% du territoire du Cambodge. Ce traité sera suivi d’un autre entre la France et le Laos le 21 août.

Conclusion.

Militairement, la guerre franco-siamoise se solde par un match nul avec avantage à la Thaïlande. Ceux-ci ont été vainqueurs dans les combats terrestres mais ont été mis en déroute en combat naval. L'armée française déplore un total de 321 tués, dont 15 sont des officiers. Après le 28 janvier, elle compte 178 disparus (6 officiers, 14 sous-officiers, et 158 hommes enrôlés). Les Thaïlandais ont capturé 222 hommes (17 Nord-africains, 80 Français, et 125 Indochinois). L'Armée de Terre thaïlandaise dénombre un total de 54 tués et 307 blessés. 41 marins ont également été tués, et 67 ont été blessés. À la bataille de Koh Chang, 36 marins ont été tués, dont 20 sur le Dombury, 14 sur le Songkla, et 2 sur le Chomburi. L'Armée de l'Air thaïlandaise a, quant à elle, perdu 13 hommes.
Le nombre de soldats thaïlandais capturé par les Français s’élève à 21. Environ 30% des avions français ont été rendus inutilisables vers la fin de la guerre. Principalement en raison de dommages mineurs subis lors de raids aériens. L'Armée de l'Air admet la perte d'un Farman F221 et deux Morane-Saulnier MS.406, détruits au sol, mais il est probable que ses pertes soient plus importantes. En effet, Au cours de sa première expérience de combat, l'Armée de l'Air Royale thaïlandaise prétend avoir abattu cinq avions français en l'air et en avoir détruit dix-sept au sol, pour la perte de trois de ses propres avions dans le ciel et de cinq à dix détruits dans des raids aériens français sur les terrains d'aviation thaïs.

Fin juillet 1941, l’armée impériale japonaise fait son entrée dans la capitale cambodgienne. Elle n’hésite pas, le 8 décembre à débarquer en Thaïlande Lorsqu'elle constate que le premier ministre thaï Plaek Pibulsonggram (Phibun), contrairement à ses déclarations verbales, n’est guère disposé à soutenir une invasion japonaise en Malaisie. Le coup de force des japonais aboutit à un cessez-le-feu en moins de 24 heures. Constatant l'avance fulgurante de leurs troupes dans le cadre de la Bataille de Malaisie, le gouvernement thaïlandais décide de se ranger aux côtés du Japon. Le 21 décembre 1941, la Thaïlande signe un traité d'alliance avec le Japon.




Sources :
Historia Magazine N°15 (février 1968)
The Franco-Siamese War of 1941 [Archive] - Military Photos
Indochina Expedition order of battle - Wikipedia, the free encyclopedia
7 Janvier 1941 - La seconde guerre mondiale au jour le jour
http://aerostories2.free.fr/acrobat/events/langson.pdf
ANAI - Site Officiel de l'Association Nationale des Anciens et Amis de l'Indochine et du Souvenir Indochinois
Indo-Chine: une histoire coloniale ... - Google Books
Second World War Books: History Page
Le 5ème REI durant la Guerre franco-thaïlandaise: 1940-1941. - Page 1
http://airforce.thaiembdc.org/rtaf/history_st17.jpg
http://www.admp.org/revuespdf/201/uneguerreoubliee.pdf
http://thaimilitary.files.wordpress.com/2008/12/rtaf-ki-30-nagoya.jpg

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