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CUGUEN
Sous l'Occupation Nazie
Du 18 juin 1940 au 2 août 1944
Trois
mois de Terreur
Arrivée des Parachutistes
Le dimanche 7 mai 1944, vers 15 heures, trois sous-officiers allemands
se présentèrent à la Mairie. Il s'agissait de préparer
le cantonnement pour 250 officiers, sous-officiers et soldats qui allaient
arriver incessamment. Tout le reste de l'après midi, ce furent
visites d'appartements, écoles, granges, remises. Ne trouvant
pas les locaux nécessaires pour installer toutes ces troupes,
ils nous accusèrent de mauvaise volonté et menacèrent
de faire évacuer une partie du bourg et de prendre la place des
habitants.
Le lendemain matin, vers 6 heures, une auto arrête au café
joseph Hubert. Quatre officiers arrogants, accompagnés de trois
sous-officiers de la veille en descendent; ils me font appeler, et l'un
d'eux parlant assez correctement le français me dit que si le
cantonnement n'était pas prêt à neuf heures, tout
le village allait être expulsé ! " Toute porte doit
nous être ouverte, dit-il, si nous en trouvons de fermées,
nous avons des moyens de les ouvrir, y compris les grenades a main…
compris ! " Les sous-officiers se mirent à nouveau à
préparer le logement nécessaire.
Le soir même, la 2° compagnie de pionniers parachutistes U
4 arrivait en gare de Combourg. Tous les moyens de transport : Camions,
autos, chevaux, charrettes furent requis pour transporter hommes et
matériel de Combourg à Cuguen. Cela dura presque toute
la nuit.
Le lendemain, l'installation continua, de nouvelles charrettes furent
requises, et pendant un mois il fallut se soumettre à toutes
les exigences des soudards. Les écoles publiques furent occupées
et les classes furent installées dans le magasin de M. Baudour,
dans la salle de M. Pierre Goron et chez Mme Ruan à la Massue.
Une partie du matériel scolaire : cartes, livres, matériel
de cantine, etc…furent mis à l'abri (du moins noous le
croyions !) dans le grenier de la Mairie, dans les caves de l'école,
pour en éviter la disparition. La Kommandantur s'installa au
restaurant Adolphe Besnard, où, chaque jour, les autorités
municipale furent obligées de se rendre.
L'atelier de M. Bourdon Ernest fut réquisitionné et pendant
plus de quinze jours, des soldats fabriquèrent des caisses de
toutes grandeurs, employant du bois à profusion. Un groupe de
sous-officiers et soldats s'installa dans la maison et la boucherie
de M. Chabot, alors prisonnier en Allemagne et malgré nos vives
protestations et démarches, s'emparèrent de tout le matériel
de boucherie. A chaque instant, il fallait trouver des tables, meubles,
chaises et les transporter dans les maisons occupées par les
officiers et sous-officiers, au gré de leur fantaisie.
De plus, journellement, il fallait procurer de nombreuses charrettes
pour transporter caisses, matériel de toutes sortes, ravitaillement
etc… Souvent à 4 ou 5 heures du matin, ou 9 ou 10 heures
du soir, il fallait amener un certain nombre de charrettes sur la place,
et cela, immédiatement et avec fortes menaces. Pour les trouver,
il fallait généralement plusieurs heures ce qui mettait
les "haricots verts" en rogne.
Bientôt, ils se mirent à creuser des tranchées,
des abris, des trous pour mitrailleuses, aux environs du bourg. A la
Pinderie, ils creusèrent un fossé anti-chars en bordure
de la route, dans une prairie appartenant à M. Thebault Mathurin,
installèrent des postes d'observations dans les arbres. Sur la
route prés du pont, à la sortie de l'étang, ils
construisirent avec de gros pieds d'arbres profondément plantés
en terre et reliés par des fil de fer un barrage anti-chars.
Quelques jours après l'installation, le commandant interdit de
circuler après sept heures du soir, peu après ce fut l'interdiction
de sonner les cloches. Une plate-forme fut installée dans le
clocher pour y installer des mitrailleuses et surveiller les environs.
Les réquisitions de moyens de transport continuaient sans interruption.
Le 18 mai, jour de l'Ascension fut une journée des plus mouvementées.
Les cultivateurs et les propriétaires de bicyclettes durent amener
chevaux, charrettes, bicyclettes sur la place en vue d'un recensement
général; un groupe de charrettes durent transporter caisses
et matériel à Combourg. Ce jour là, l'aviation
fut très active; de nombreux appareils survolèrent la
région et à plusieurs reprises tournoyèrent dsur
le bourg pendant le recensement des voitures et bicyclettes. Quelques
soldats allemands tirèrent des coups de fusil dans la direction
des avions pendant que les officiers se cachaient. A certains moments,
nous avons craint une riposte, mais il n'en fut rien.
Sur la route de Cuguen à Combourg et à la Chapelle-aux-Filzméens,
des camions furent mitraillés, plusieurs voitures chargées
de matériel et de munitions furent incendiées; de nombreux
chevaux furent tués. Prés de Tréméheuc,
des motocyclistes allemands furent tués. Quelques cultivateurs
de Cuguen ne rentrèrent que dans la soirée, après
avoir fait de grands détours sous la mitraille et par de petites
routes.
Vers le 20 mai à 6 heures du matin, l'interprête et deus
soldats arrivent en trombe à la Mairie. L'interprête m'apostrophe
et me dit :
- "Ah ! Cette fois, vous allez encore dire que je vous em…
!
- Qu'y a-t-il encore ?
- Voilà, il va falloir planter des poteaux tous les 5 mètres
dans tous les terrains qui ont plus de 100 mètres de long et
100 mètres de large, où il n'y a pas d'arbres. Les propriétaires
fourniront les poteaux et les planteront à un mètre de
profondeur. C'est pour arrêter les parachutistes et les planeurs
de descendre ! Il faut commencer tout de suite et dans dix jours tous
les terrains doivent être remplis. Il sera payé une indemnité
de cent francs par poteau ".
Après cela, il s'en alla avec ses deux soldats, visita les terrains
environnants et revint à la Mairie donner les instructions nécessaires.
Vers midi, il ne fallait plus planter qu'à 10 mètres,
le lendemain à 20 mètres. Les ordres n'étaient
pas exécutés et chaque jour de nouvelles notes arrivaient..
Les boches devenaient furieux et menaçaient de prendre des sanctions.
Quelques poteaux furent plantés; certains étaient tout
juste bons à ramer des haricots ! Il fit recommencer et les boches
restèrent à surveiller et aidèrent à la
plantation.
Le 24 mai, une note fut envoyée aux maires de la région.
En voici le texte :
A
la Mairie de Cuguen
Par ordre de la kommandantur de Miniac, le maire ou le remplaçant
est prié de se tenir prêt à 12 heures, heure allemande,
le 26 – 5 – 44 pour une réunion dans la commune de
Bonnemain. En outre les Maires des environs de la commune de Bonnemain
se réuniront en même temps. Les Maires ou les remplaçants
doivent se présenter à Bonnemain, ci-dessus à l'heure
précise. Tous ceux qui n'exécuteront pas cet ordre seront
sévèrement punis. Les petites communes qui n'ont pas reçu
l'ordre doivent également assister à cette réunion.
Commandant de la place Signé : Illisible
Telle était la belle littérature allemande ! Le mieux
est cette dernière phrase :
"Si vous n'avez pas reçu d'ordre, vous devez vous rendre
à la réunion tout de même !
A cette réunion, furent renouvelés les ordres de plantation.
Le travail devait être terminé pour le 20 juin. Mesure
de poteaux : longueur 4 m 50; diamètre 15 cm. Mise des poteaux
: 60 mètres de distance. Les poteaux sont à rendre pointus
en haut et à enterrer à une profondeur de 1 m 50. pour
chaque poteau enterré jusqu'à la date commandée,
il sera versé 100 francs comme dédommagement pour le bois
et le travail. Si les travaux ne sont pas exécutés jusqu'à
la date commandée, leur exécution sera forcée sans
égards et sans paiement !
Signé : illisible, commandant
Finalement environ 130 poteaux furent plantés dans une douzaine
de parcelles de terrain, mais sans aucun paiement..
Depuis une dizaine de jours une partie de la compagnie allait s'installer
sur la route de Rochefort et ce fut à nouveau le transport des
bagages, vivres, caisses, munitions, matériel. La kommandantantur
restait toujours installée au restaurant Besnard.
Dans les premiers jours de juin, ce furent les préparatifs du
départ pour la région de Dinan.
Le
Débarquement
Semaine d'Epouvante
L'aviation alliée devenait de plus en plus active, la ligne de
chemin de fer était fréquemment bombardée. Le 21
mai un train fut mitraillé en gare de Combourg. Melle Desmery
Yvonne domiciliée avenue de Clichy à Paris qui se trouvait
dans le train fut rtuée ; quelques voyageurs furent blessés.
Toutes les nuits des escadrilles d'avions, de plus en plus nombreuses
ne cessaient de survoler la région.
Dans la nuit du 5 au 6 juin, ce fut un vacarme infernal. Le matin vers
6 H 15 heure solaire, trois soldats arrivent à la Mairie; un
seul parlait quelque peu le Français. Ordre de trouver 40 charrettes,
tous les camions, autos bicyclettes ! Je comprenais difficilement ce
qu'il disait. Il fit appeler Melle Bernicot, institutrice, ui comprenait
un peu d'allemand et lui répèta l'ordre de trouver tous
les moyens de transport dispponibles. Alors je demandai : Dans combien
de temps ? Pour faire quoi ?
- Tout de suite dit-il ! Grand besoin ! Donnez listes ! Puis presque
mystérieusement : Invasion, mais vous pas dire !
- Où lui dis-je
- Après une hésitation : Cherbourg !
Enfin c'était le débarquement tant attendu ! Il fallut
accompagner les soldats dans le bourg pour trouver les gens chargés
de prévenir les charretiers de venir immédiatement. Arrivés
au milieu du bourg, ils s'emparèrent de la camionnette de M.
Hénault, marchand de porcs. Les gens commençaient à
former des groupes, se demandant ce qui se passait. Je réussis
à dire à une personne : "Les Alliés sont débarqués".
Le boche qui m'avait défendu de dire s'approcha de moi d'un air
furibond : Vous avoir dit invasion ! Il ne me quitta plus d'une semelle,
m'accompagnant dans toutes les maisons et réclamant : "pferde"
(cheval) tout de suite ! Comme par hasard il n'y avait plus de chevaux
dans les écuries ! Toutes la journée, les soldats coururent
après les attelages, en raccrochant un de temps à autre,
qui parfois leur échappait, raflèrent quelques bicyclettes.
Le résultat de la journée fut plutôt maigre.
La nouvelle du débarquement s'était répandue comme
une traînée de poudre. Une grande espérance mêlée
de crainte et d'angoisse étreignait tout le monde. Est-ce bien
vrai ? Où sont-ils au juste ? Vont-ils réussir ? Quelques
personnes écoutaient furtivement la radio pour avoir confirmation
de la nouvelle. La journée se passa sans trop d'incidents.
7
Juin
Journée Tragique
La nuit fut relativement calme, chacun dormit peu, l'oreille à
l'écoute du moindre bruit ; dans le lointain, le ronflement des
avions était ininterrompu. De grand matin, tout le monde était
debout, mais personne ne pensait guère au travail.
Quelle nouvelle allait-on apprendre ? Les Alliés s'étaient-ils
maintenus ? Avaient-ils avancés ? Une sorte d'inquiétude,
d'angoisse semblait s'emparer de toute la population. La journée
s'annonçait mal. Des bruits insolites circulaient dans le bourg,
où je me rendis à plusieurs reprises dans la matinée,
mettant les gens en garde, les exhortant à la prudence et au
sang froid..
Rentré à la Mairie après 11 heures, je venais de
me remettre au travail. Un groupe de 7 ou 8 soldats allemands à
bicyclette venant de la direction de Bonnemain, monta la côte.
Un autre groupe s'emparait de la voiture de M. Georges, le boulanger,
et ne pouvait la mettre en marche. (Cette voiture devait servir quelques
heures plus tard à emmener ce que je possèdais, par les
soudards).
Vers 11 h 30, un coup de feu suivi de deux autres quelques instants
plus tard, puis des hurlements se firent entendre : Un soldat allemand
était abattu sous mes yeux par deux inconnus, en face de la fenêtre
de la Mairie. Cela dura quelques minutes : Je restai saisi, songeant
aux conséquences qui allaient pouvoir en résulter.
Je fermai la porte du couloir à clef, ainsi que celle d'entrée
de la Mairie, et j'attendis, guettant entre les deux fenêtres.
Au bout de quelques temps les Allemands entendant les cris du blessé
se mirent à courir dans toutes les directions, le fusil à
la main, cherchant dans les jardins, dans tous les coins et recoins.
Les deux inconnus avaient disparu. Je suivis des yeux les faits et gestes
des soldats qui à deux reprises vinrent frapper brutalement dans
la porte de la Mairie, me dissimulant dans les coins pour échapper
à leur vue . 15 à 20 minutes qui me semblèrent
un siècle se passèrent.
Ne voyant et n'entendant plus rien, je me décidai à sortir
et après avoir fermé les portes à clef, je m'en
allai chez moi, où ma femme qui avait entendu la scène,
était plus morte que vive. Un soldat était placé
au carrefour de la route. Voulant éloigner ma femme, car je m'attendais
à de terribles représailles, nous sortîmes de la
maison et j'entrai chez M. Esnault, où j'attendis sur le seuil
de la porte. J'étais décidé à rester quoi
qu'il arrive. Les Allemands furieux, révolver au poing étaient
allés au bureau de poste téléphoner à Combourg,
et vers midi (heure solaire), un camion transportant une vingtaine de
soldats et quelques officiers arriva à toute allure et s'arrêta
devant le café Joseph Hubert, où se trouvait le mort.
La
Kultur en Action
Bientôt,
j'entendis des cris et des coups sourds. Je montai la route et arrivé
chez moi, deux boches frappaient dans la porte hurlant : "Mairie
! Mairie !". Je dis : " Voilà ! ". Ils s'avancèrent
vers moi et me disant : "Allez prévenir la population que
tout le monde sans exception doit se rendre sur la place dans dix minutes
! Compris ! Raous ! "
Ils me prirent chacun par un bras, et en baragouinant me conduisirent
devant chez Joseph Hubert où étaient groupés officiers
et soldats qui m'entourèrent. C'était de véritables
tigres en furie. Ils m'intimèrent à nouveau l'ordre de
prévenir les gens, et … plus vite que ça !
Ils me suivirent deux par deux, allant dans toutes les maisons, bousculant
tout le monde sans ménagement, hurlant "Cathédrale
!", enfonçant à coups de bottes et de crosses, les
portes qu'ils trouvaient fermées, tirant des coups de fusils
sur les gens qui s'enfuyaient..
Quand j'eus terminé le tour du bourg, j'arrêtai chez M.
Baffet, un soldat était à la porte, deux à la maison.
J'entrai, et après avoir parlementé quelques instants,
je sortis. Le factionnaire me fit un signe, je voulus lui parler, il
me regarda, me montra l'église, et dit en me mettant en joue
: "Cathédrale ! tout de suite !"
Je me dirigeai alors vers la place où je fus surpris de ne voir
personne. A ce moment, M. Delalande, recteur, sortait de l'église,
accompagné de deux soldats qui le conduisaient au prés
du mort. Tout le monde était dans l'église où j'entrai
à mon tour.
Plus de deux cent personnes étaient déjà enfermées,
hommes, femmes, enfants, vieillards. Les hommes furent placés
d'un côté, les femmes et les enfants de l'autre, avec interdiction
de communiquer entre eux et de sortir. Une mitrailleuse fut braquée
dans le bas de l'église, tournée vers la foule; des sentinelles
étaient placées à chaque porte; des soldats revolvers
au poing montaient et descendaient l'église terrorisant tout
le monde. Chacun se demandait comment allait se terminer cette terrible
journée.
Dans le bourg, et aux environs, la fouille continuait, on entendait
le crépitement des fusils et des mitrailleuses. Plus de cent
coups furent tirés sur les gens qui se sauvaient et c'est miracle
que personne ne fut atteint sérieusement.
Interrogatoires
et Perquisitions
Des officiers et des interprêtes me firent appeler et m'interrogèrent
dans le bas de l'église, puis me firent sortir et m'emmenèrent
à la Mairie. Un triste spectacle m'attendait : toutes les portes
extérieures et intérieures étaient brisées.
Dans les pièces d'habitation des instituteurs et institutrices,
tout était bouleversé, les meubles ouverts et leur contenu
éparpillé. En pénétrant dans la Mairie,
je vis les registres bousculés, les archives éparses,
etc … Deux soldats sous la surveillance du lieutenant Poppner
continuèrent une fouille méticuleuse, tous les papiers
furent visités, pas un endroit ne fut laissé, à
l'exception d'un placard contenant de vieilles archives et dont le dessus,
seul (fort heureusement !) fut vérifié. Je n'étais
pas très rassuré, en effet, entre deux placards, il y
avait un intervalle d'une quinzaine de centimètres de large;
au fond se trouvait une carabine dissimulée sous des rouleaux
de vieilles affiches. Comme j'étais chargé d'ouvrir les
buffets, je tenais le battant pour recouvrir l'intervalle auquel il
ne fut pas touché. Enfin, la perquisition terminée, on
me fit sortir sur le palier et Poppner me dit : " Où est
l'instituteur ? Question qui fut traduite par l'interprète. –
Il est sorti dans la matinée avec sa femme et l'institutrice.
Resté seul un instant, je montai l'escalier : Même spectacle
qu'au rez de chaussée, tout brisé et en désordre.
Dans la chambre de Melle Bernicot, trois soldats assis devant un petit
meuble en fouillaient l'intérieur. Surpris de me voir là,
ils me firent comprendre de partir et continuèrent leur sinistre
besogne. Avant de sortir, sur le seuil de la porte, Poppner et l'interprète
me firent signe d'attendre. Poppner parlait à l'interprète
au garde à vous. Celui-ci me dit alors : "Camarade boum
! kapout ! Vous savoir qui a fait cela ! Vous payer ! – Je répondis
que je ne savais rien. Poppner reprit à parler en faisant des
gestes. L'interprète reprit alors : " Vous savoir, vous
dire ! Si le coupable n'est pas retrouvé à sept heures
ce soir, tout le village va sauter !- Je ne connais rien, je n'ai donc
rien à dire.- Retournez cathédrale ! Raous !
Arrivé sur la route, me voyant seul, je me dirigeai vers ma demeure.
Après avoir parcouru une quinzaine de mètres, j'entendis
: Com ! Com ir… j'eus le temps de voir que la porte de mon domicile
était enfoncée. Je fis donc demi-tour et remontai vers
le bourg. Poppner me fit entrer pour voir le mort et me dit : "
C'est un Français qui a fait ça ! " - Je répondis
: "Peut être, mais ce n'est pas certain ! " Un officier,
médecin sans doute, examinait le cadavre montrant les blessures
avec force gestes et explications auxquelles je ne comprenais rien.
On me signifia de m'en aller. Au dehors, des gens suivis par des soldats
s'en allaient vers l'église. De temps à autres, des coups
de fusil se faisaient entendre dans diverses directions. A part ces
bruits sinistres, le bourg semblait mort. Je rentrai dans l'église
où le nombre des enfermés avait bien augmenté.
Je vis alors dans le cœur Mme Lesciau* et Melle Bernicot qui avaient
été amenée là sans ménagement; quelques
temps après Mme Esnault et ma femme, entre deux soldats.
* Mme Lesciau, mariée au directeur de l'école, était
institutrice. Ils arrivèrent à Cuguen en septembre 1940
quand Mr Desvaux partit en retraite. A la fin de la guerre, ils furent
nommés à Saint-Marc-le-Blanc où ils finirent leur
carrière.
Des petits enfants demandent à boire. Il fut interdit d'aller
leur chercher du lait. Je réussis à passer les quelques
papiers que j'avais sur moi, et j'attendis la suite des évènements.
Bientôt on m'appela et l'on m'interrogea à nouveau, me
demandant :
- " Où sont les hommes ? Pourquoi ne sont-ils pas là
?
- Ils sont à travailler dans les champs, d'autres sont à
conduire votre matériel à Rochefort
- Pas tous !
Comptant les hommes à deux ou trois reprises, ils disaient :
Il en manque encore dix ! Dans quel but ? C'est ce que nous nous demandons
tous ! … Enfin, qui a tué ?
- Je répondis : Je l'ignore.
Voyant qu'il ne pouvaient rien obtenir, les brutes s'en allèrent
et nous restâmes à peu prés seuls, à l'exception
des sentinelles qui gardaient les portes.
Les
Représailles
Le temps passait, et l'inquiétude grandissait.
Enfin vers 16 heures, officiers et soldats rentrèrent, et dans
un silence impressionnant, un interprète donna connaissances
des sanctions ainsi conçues : Deux maisons, la Mairie-Ecole et
la maison d'en face vont brûler; la population doit nous aider
à retrouver le coupable ; s'il n'est pas retrouvé à
sept heures demain matin, le reste du village sera brûlé
!
De plus, toutes les bicyclettes doivent être amenées sur
place dans un délai de deux heures. Toutes maison ou sera retrouvée
une bicyclette sera incendiée. (Une centaine de bicyclettes furent
ainsi amenées, de gré ou de force). Maintenant, vous pouvez
rentrer chez vous. Tout le monde sortit alors, heureux d'être
enfin remis en liberté.
Incendies
Quelqu'un dit : " Le feu est chez les Renault !". C'était
la maison située en face de la Mairie, mais ce n'était
pas celle là qui brûlait. Après les terribles épreuves
que nous venions de vivre, je ne réalisais pas très bien
ce qui se passait. Je retournai alors sur mes pas, criant "Au feu,
allez chercher la pompe ! Arrivé au prés de la poste,
je vis les boches massés sur la place qui disaient : " Il
faut que ça brûle ! ". Je revins alors à la
réalité et je compris !
Déjà, dés en sortant de l'église, des hommes,
entre autres MM. Bourdon et Desouche avaient parlé d'aller chercher
la pompe, mais les brutes dirent : " Si vous y allez, on vous mitraille
! Je repris alors la direction de mon logis, et arrivé au prés
de chez M. Baudour, je rencontre Mme Lesciau, Melle Bernicot, institutrices,
et ma femme, toutes les trois en larmes qui me dirent : " Nos maisons
qui brûlent ! " C'est à ce moment que je vis la chose
affreuse, ma maison entière en feu, les flammes traversaient
la route. La Mairie et les logements des instituteurs brûlaient
également, les flammes sortaient par toutes les ouvertures, de
la cave au grenier, et commençaient à traverser la toiture,
de toutes parts.
Je voulus me diriger vers les maisons en feu, une sentinelle m'obligea
à rebrousser chemin. Ma femme et moi remontâmes tristement
vers le bourg; nous passâmes par la Rue de Paris et nous arrivâmes
enfin devant notre maison et la Mairie, dont il ne restait plus que
les murs. A l'intérieur, le feu finissait de détruire
ce qui s'y trouvait. Une chaleur intense se dégageait des décombres.
Tout fut anéanti : Archives de la Mairie, état-civil,
cadastre, linge, meubles, vêtements, souvenirs de famille. Il
ne nous restait que les habits dont nous étions vétus
!
Nous fûmes croisés par un petit groupe de soldats qui ricana
à notre passage.
L'ordre d'incendier avait été donné par le lieutenant
Poppner et le commandant de l'Unité de Combourg. Mais avant,
les maisons furent pillées, nous en avons des preuves indéniables.
Le boche s'était montré sous son vrai jour : Hypocrite,
tortionnaire, lâche, pillard, incendiaire !
La
" Race des Seigneurs " à l'œuvre
Craignant que les boches ne mettent à exécution leur menace
d'incendier le reste du bourg, chacun s'empressa de déménager
ce qu'il y avait de plus précieux pour le transporter à
l'abri dans les fermes et villages éloignés des routes.
Le soir, peu de gens restèrent dans le bourg. Après une
nuit à peu prés sans sommeil passée chez M. Baffet,
je me levai au point du jour.
Quelques Allemands plus ou moins ivres, déambulaient dans les
rues, d'autres sortaient des maisons, vides, de leurs habitants, emportant
des paquets, fruit de leur pillage, après une nuit d'orgie.
M. et Mme Lesciau et Melle Bernicot furent hébergés chez
M. Jean Boulmer aux Rieux et nous chez Melle Rosalie Baffet à
la Chénaie et chez Jahier au Boiserault, où nous restâmes
une quinzaine de jours.
Chaque matin, je revenais au bourg et je repartais, souvent tard dans
la soirée, surveillant et notant les faits et gestes des Allemands.
Le dimanche suivant, M. Costard, maire, fit publier et afficher la proclamation
suivante :
APPEL A LA POPULATION
Mes chers amis,
A la suite des tragiques événements qui se sont passés
cette semaine, et en prévision de ceux qui peuvent se produire
dans les jours à venir, je vous demande instamment à tous,
de rester calme, de conserver votre sang froid. Soyez extrêmement
prudents en actes comme en paroles. Evitez toute provocation inutile,
ce qui pourrait être fatal à tous !
Restez unis, solidaires, et tous ensemble, nous supporterons l'épreuve.
Comme toujours, dans les époques troublées, de faux bruits,
des nouvelles exagérées circulent. Ne les écoutez
pas. Avant de les répéter, renseignez vous. Ne circulez
pas sur les routes sans nécessité, évitez les attroupements;
reprenez dans la mesure du possible, vos occupations. Il faut que la
vie continue.
Courage, Espoir.
A Cuguen le 11 juin 1944
Le Maire, signe : Costard
Pendant ces journées, de nombreuses maisons furent pillées,
entre autres celles de MM Louvel, Jean Hubert, Lemetayer, Baffet, Rioffier,
Jourdan, Robidou, Garnier, etc…
Le dimanche 11 juin, dans la matinée, le sinistre Poppner revint
avec un groupe de ses soudards et s'en fut chez Jean Hubert, réquisitionna
diverses marchandises et ce qui restait de tabac. Les soldats montèrent
dans la chambre, prirent les derniers paquets de tabac et obligèrent
Jean Hubert à le transporter. En descendant l'escalier, une partie
du précieux chargement dégringola le long des marches.
Il fallut se mettre à genoux pour relever les paquets que les
boches ramassèrent en ricanant.
Nouvelles
Menaces
Dans la nuit du 12 au 13 juin, nouvelle alerte. Vers 10 heures du soir,
Poppner et 3 ou 4 acolytes en complet état d'ivresse pénétrèrent
dans l'église et sonnèrent le tocsin. Chacun se demandait
ce qui se passait et quelques personnes effrayées s'enfuirent.
Après cela, il s'en furent au presbytère, voulant emmener
le curé qui refusa de les suivre. Alors ils s'en allèrent.
Le lendemain, dans l'après-midi, ordre de trouver 20 attelages
et de les amener sur la place avant 16 heures. . A l'heure dite, pas
une voiture n'était présente. Ce furent alors de nouvelles
menaces : " Si à 7 heures ce soir, les 20 charrettes ne
sont pas arrivées, nous allons prendre des otages et trois maisons
vont être incendiées. A 7 heure, toujours rien.. Nouveau
délai jusqu'à 9 heures. A 10 heures, 19 charrettes étaient
là. A 11 heures du soir, le convoi prit la direction de Combourg,
fit un chargement de matériel et de munitions pour les conduire
à Dinan et revint le surlendemain sans trop d'incidents.
Vers
le Front de Normandie
Depuis le Débarquement, chaque soir, un peu avant la fuite du
jour et pendant la plus grande partie des nuits, ce fut le passage des
troupes se dirigeant vers le front de Normandie où la bataille
faisait rage. Armée hétéroclite avec tous les moyens
de transport possibles : camions, autos , charrettes attelées
de chevaux, charrettes à bras jusqu'à des poussettes d'enfants
! De temps à autres, des chevaux étaient pris, des attelages
réquisitionnés pour faire des transports dans la Manche
et jusqu'aux confins du Calvados. Cela dura jusqu'à la fin juillet..
Nouvelles
Notes
Le 12 juin arriva une note datée du 6 ainsi conçue :
" L'ordre qui a été donné le 19 avril 1944
de porter tous les postes récepteurs de T.S.F. à la Mairie,
ou de les évacuer pour la forteresse, entre tout de suite en
vigueur pour la zone élargie de la zone de combat. Ces appareils
sont à porter pour le 15 mai 1944 aux mairies des communes. Pour
le 15 mai, il faut nous faire savoir combien de postes récepteurs
ont été portés dans ces mairies.
Plus tard, on donnera l'ordre quand ces postes doivent être transférés
à la Platzkommandantur. "
Le Platzkommandant
Signé : Wolf, Commandant
Il ne fut pas répondu à cette note. Bien entendu, aucun
poste ne fut apporté et tous furent camouflé et mis à
l'abri.
Depuis déjà plusieurs semaines, le courant électrique
avait à peu prés disparu, Les nouvelles étaient
rares. De nombreuses personnes de la commune et même des communes
voisines se rendaient chez Pierre Claude à Launay qui possédait
un poste à accus, et là, on avait quelques nouvelles.
Le 25 juin, nouvelle note datée du 21 ainsi conçue :
Platzkommandantur.-Abt. Ia
" OBJET : Livraison des postes de T.S.F. Réf. Lettre du
6 juin 1944.
Par lettre du G.C. 44, nous avons donné l'ordre de nous faire
savoir combien de postes récepteurs ont été livrés
dans les mairies. Jusqu'à présent nous n'avons reçu
ces déclarations. Si les délais fixés dans l'avenir
par la Platzkommandantur ne sont pas respectés, je serai obligé
de considérer cela comme un sabotage et de prendre des mesures
en conséquences.
Tous les postes récepteurs doivent être livrés à
la Platzkommandantur pour le 28 juin 1944. "
Le Platzkommandant
Signé : Engelhardt, capitaine
A cette note, il fut répondu que tous les postes de la commune
avaient été apportés à la Mairie et avaient
été détruits lors de l'incendie de la Mairie.
A plusieurs reprises des notes avaient été reçues
donnant l'ordre de détruire tous les pigeons.
Voici le texte de la dernière :
J.S. Platzkommandantur, Abt. J.A.
" Saint-Servan, le 28 juin 1944.
A Sous-Préfecture de Saint-Malo.
Je vous prie encore une fois de rappeler à la population civile
qu'il est défendu d'avoir des pigeons, même dans les pigeonniers,
dans la zone côtière. "
Le Platzkommandant,
Signé : Engelhard, capitaine
Faits
Divers
Le 17 juin, la camionnette de M. Lemétayer fut prise par un groupe
de soldats et pendant quelques jours fut utilisée pour faire
des transports dans la région. Finalement, elle fut mitraillée
par les avions alliés et incendiée prés de Beauvoir
(Mont-Saint-Michel) vers le 30 juin.
Les avions survolaient sans cesse la région.
Le 18 juin fut une journée particulièrement mouvementée.
Dans la soirée, un avion américain tomba dans la cour
de M. Goron Hyacinthe au Clos-Botrel*, obstruant presque la porte d'entrée
de la maison. Le pilote, sain et sauf, fut fait prisonnier par les Allemands
en patrouille. Les Alliés progressaient lentement; les renforts
allemands arrivaient de toutes parts; la bataille était rude.
On entendait parfois le bruit du canon ; chacun espérait la victoire
prochaine.
Après quelques jours d'un calme relatif, les demandes d'attelage
se renouvelèrent, mais sans succès. Un jour, je me trouvais
à la Mairie qui venait d'être réinstallée
dans une classe de l'école des garçons, quand la porte
s'ouvrit brusquement. Trois officiers entrèrent et demandèrent
: " Auto, camion ! "
- Il n'y en a plus aucun dans le pays, répondis-je.
- L'un d'eux prit un carnet, le feuilleta et dit : Baudour, camion *
*!
Voilà quinze jours que des camarades à vous l'ont emmené.
· L'avion américain tombé au Clos-Botrel . Voir
Annexe 10
** Joseph Baudour et sa femme Madeleine, son frère Mathurin et
Roger Riollier (mécanicien), se rendirent au château de
Combourg, siège de la Kommandantur, pour récupérer
leur camion réquisitionné lors des travaux à Rochefort.
Après avoir essuyé un refus, Madeleine, sur les conseils
de Louis Hodebourg, un parent qui habitait en face du château,
revint à la charge avec une douzaine d'œufs : Ils purent
alors reprendre leur véhicule qu'ils s'empressèrent de
cacher sous une meule de foin, chez Jean Tiercelin à Ardennes.
Ils s'en allèrent. Le lendemain, je me trouvais dans le bourg.
Quelques allemands de passage m'apostrophèrent :
- Mossieu ! Où est le Maire ?
- Vos camarades ont brûlé la Mairie, le Maire a été
obligé de partir !
- Secrétaire ?
- Maison incendiée également, secrétaire parti
aussi !
- Qui les remplace ?
- Personne !
Les avions alliés ne cessaient de survoler la région et
bombardaient fréquemment la ligne de chemin de fer ; mitraillant
les quelques trains qui circulaient encore. Les habitants des environs
de la gare de Combourg évacuèrent. Le Pont de Littré
était spécialement visé. De nombreuses bombes tombèrent
aux environs, creusant d'énormes entonnoirs.
Le 8 juillet, la famille Chabot du village de Chevrotte, au cours d'un
bombardement, alla se réfugier dans un abri construit à
l'entrée du jardin. Une grosse bombe tomba en plein sur l'abri;
la famille entière composée du père, de la mère
et de quatre jeunes enfants fut anéantie.
Le 19 juillet, Mme Vigour, née Guénard fut tuée
d'une balle dans la tête au cours d'un mitraillage.
Le 7 juillet, une douzaine de cheminots allemands venant de la région
de Montreuil-sur-Ille arrivèrent au bourg et demandèrent
des billets de logement pour quelques jours. Personne ne leur en procura
et ils s'installèrent d'eux-mêmes chez les habitants. Ils
restèrent trois jours et ils s'en allèrent, les uns vers
La Boussac, les autres vers Bonnemain, sans avoir fait d'extravagance.
A partir du début de mai, de nombreux habitants de la région
malouine venaient se réfugier, avec quelques meubles et linges
dans notre commune. Ce nombre augmenta après le débarquement
et quelques centaines s'y trouvaient au moment de la Libération.
Le
Maquis de Broualan
Dés l'année 1943, des réfractaires de la région
Cancalaise et Malouine se réfugièrent au château
de Landal, ce qui devint plus tard le maquis de Broualan.
En avril 1944, les groupes FTP de la région malouine arrivèrent
sur le Bois de Buzot pour y former une plate-forme de harcèlement
et de liaison en vue du prochain débarquement des Alliés.
Les chefs de Saint-Malo : Jouan – Dehaigue – Marguerite
– Roland installèrent le nouveau maquis* qui devint rapidement
important et dont le centre fut le village de La Lopinière.
· Concernant ce maquis, nous recommandons la lecture des livres
de René Brune (Broualan) et de Patrick Amiot et Claude H. Galocher
(Dol) . Voir Annexe 11 quelques informations sur les dirigeants locaux,
prises dans ces 2 ouvrages
On construisit des cabanes, des chemins de rondins, divers abris, et
le maquis fut organisé aux confins de Broualan et Cuguen.. De
nombreux groupes y arrivèrent : Les Francs- Tireurs et Partisans
de Saint-Malo, Dol, Cancale, Miniac, Saint-Méloir, Pleurtuit,
Dinan, Ploubalay, etc… Des jeunes gens, parfois imprudents se
dirigèrent souvent ostensiblement vers Bizot.
Bientôt l'adjoint Lambert, du Premier Régiment de France,
originaire de Cuguen, en prend le commandement. Le Commandant Adam et
le capitaine Anger, du groupe d'Antrain viennent en aide et fournissent
des subsides pendant que "Loulou" veille et donne des instructions
par des émissaires et agents de liaison.
A la fin de juin, un groupe important de maquisards quitte Broualan
et se dirige vers la Mayenne. Ils furent d'ailleurs remplacés
par d'autres venus d'autres régions.
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