La Milice
Par Daniel Laurent et Roger Lenevette

La Milice française a été créée par une loi mise en application le 30 janvier 1943. C'est à l'origine un mouvement politique, dirigé par Pierre Laval (1883-1945, Premier Ministre de Pétain, fusillé en 1945) qui en est le chef officiel, et commandé par Joseph Darnand (1897-1945, nommé SS. Sturmbahnführer en 1943, fusillé en 1945), qui en est le Secrétaire Général. Jamais dans l'histoire Française contemporaine, une unité n'aura été autant honnie.

Au contraire des Volontaires de la LVF et des Waffen-SS qui ne furent engagés que sur le front de l'Est et en Allemagne, les miliciens se rendirent coupables de nombreux crimes, d'exécutions sommaires, d'arrestations de juifs et de résistants et d'actions militaires contre la résistance.

La Milice trouve son origine d’abord dans la Légion des Combattants, créée le 29 août 1940 en zone libre, les Allemands l’ayant immédiatement interdite en zone occupée. Cette Légion est principalement composée d’anciens combattants soutenants le régime de Pétain et sa Révolution Nationale. En 1942, elle compte environ 1,5 millions de membres, y compris ceux en Afrique du nord et autres colonies françaises.


Joseph Darnand :

Aimé Joseph Darnand est né le 16 mars 1897 à Coligny dans l'Ain. Il est d'ascendance modeste, famille paysanne catholique et d'esprit traditionaliste.
Il entre en octobre 1911 comme élève en classe de 6° A au Collège Lamartine à Bellay. Il en sort 18 mois plus tard en mars 1913 alors qu'il est en 4° A. Il est un élève moyen, n'a pas de disposition éclatante pour les études et la pension coûte cher.
A 16 ans, il entre en apprentissage chez un ébéniste de Bourg, M. Dumarchy.

Lorsque la Guerre éclate en 1914, Darnand tente de s'engager. Il est refusé parce qu'il ne pèse pas assez. Il en pleure de colère. Le 8 janvier 1916, il est incorporé au 35ème Régiment d'Infanterie. Nommé caporal en avril 1917, puis sergent le 1er juin. Affecté au 366ème d'infanterie, il monte au front en octobre. Volontaire pour toutes les patrouilles et tous les coups de main, il fait preuve de bravoure le 30 novembre 1917 et reçoit sa première citation.

Quand la guerre se termine, Darnand est Adjudant et titulaire de six Citations dont deux à l'Ordre de l'Armée, de la Médaille Militaire, de la Croix de Guerre Belge. Il a été blessé deux fois.
Il voudrait rester dans l'armée et préparer St Maixent. Il s'en ouvre à ses supérieurs mais ceux ci le lanternent et finissent par lui dire qu'il passera au choix. L'Armée de Papa ne prise pas les Plébéiens.

Le 30 septembre 1919, il se rengage pour deux ans, est envoyé au Levant et affecté au 17ème R.T.A. En Syrie, il comprend qu'il ne sera jamais nommé sous-lieutenant. D'autres ,oui. Pas lui…
Il part en permission libérable le 26 juillet 1921. Cet échec est le grand tournant de sa vie.

Démobilisé, il rentre à Bourg et se fait embaucher comme chef manutentionnaire à la fabrique de meubles Descher. Le 25 février 1922, il épouse la nièce de M. Descher qui lui donnera deux enfants : Une fille qui décédera en bas âge et un fils, Philippe. En juin 1922, avec sa femme, il s'établit à Maillat (Ain) et travaille dans une exploitation forestière.

En 1923, il entre comme vendeur décorateur à la fabrique de meuble Chaleyssin à Lyon. Travailleur tenace et volontaire, mais d'une intelligence de second ordre selon M. Chaleyssin
C'est à Lyon que Darnand adhère à "Action Française".
A la messe commémorative de la mort de Louis XVI le 21 janvier 1927, l'Association Marius Plateau dispose à Nice de deux porte drapeaux : Joseph Darnand et Félix Agnely. Ils ont le même nombre de citations. Ils deviennent des amis que la mort frappera mais ne détruira pas.

Par l'intermédiaire d'Agnely, Darnand fera la connaissance de celui qui deviendra son bras droit, son homme lige, Marcel Gombert.
Darnand devient le chef des "Camelots du Roi" de Nice puis de Provence.

Il monte une société qui prospérera en 1929. tout en gardant son entreprise, il devient directeur des autobus du littoral qu'il abandonne en 1936 pour causes économiques. Darnand n'est pas un homme d'argent. D'origine modeste, il voulait arriver, ce qui est naturel. Il est arrivé, son affaire marche bien. Patron, il est paternaliste. Social, il n'est pas mauvais homme.

Monarchiste, il s'abrite derrière ses médailles.
Mais il a besoin de se dépenser, de se battre. La politique, les femmes, le rugby. La politique pour lui, c'est le recommencement des copains.
En amitié, il est d'une fidélité d'homme des bois. Il a l'esprit de bande. Il couvre et couvrira les sottises, les crimes, à la condition que ce soit des hommes à lui qui soient dans le coup. Avec cela, il a le respect des galons. Pourtant il sait que les gens qui lui font bonne mine sont les mêmes que ceux qui l'ont empêché de devenir officier.

En 1934, il est membre des Croix-de-Feu. Il adhère à la Cagoule peu après et en devient le responsable de la région Sud-Est. Il fait alors la connaissance de Jean Filliol. Il adhère au Parti populaire français (PPF). Le démantèlement de la Cagoule se poursuivant, il est arrêté en juillet 1938. Ses avocats sont Xavier Vallat et Robert Castille. En prison, il reçoit la visite de Jean Bassompierre qui devient son ami. Bénéficiant d'un non-lieu, il est libéré en décembre.

En 1939-40, il rejoint un bataillon de chasseurs alpins (au corps franc de la 29ème D.I), enfin devenu Lieutenant. Après avoir ramené le corps de son chef et ami, le capitaine Agnely, de derrière les lignes ennemies, Darnand fut nommé "premier soldat de France" et devient officier de la légion d'honneur.
Pendant toute la retraite, Darnand a combattu avec son corps franc à l'arrière garde de la 29ème Division d'infanterie. Il y a montré ses habituelles qualités exceptionnelles de combattant. Sa conduite lui vaut une huitième Citation du Général Gérodias. Harassé, à bout de force, le lieutenant Darnand est surpris et fait prisonnier à la Motte-Bouvron, en Sologne le 19 juin.

Des 200 hommes du corps franc qui l'accompagnaient, il en reste 80. Le baroudeur s’évade du camp de Pithiviers en août 1940 avec la complicité de Marcel Gombert. Il rencontre Pétain a plusieurs reprises fin 1940, ce qui lui permet d'obtenir la direction pour les Alpes-Maritimes de la Légion française des combattants, qui se réunit pour la première fois le 9 octobre 1940 et remporte un vif succès.

C’est donc un héros des 2 guerres, au grand prestige, qui va créer le S.O.L. et le conduire vers la Milice et, de là, vers le désastre, la honte et le peloton d’exécution.


Le S.O.L :

En 1941, pour donner un peu de muscle a cette Légion, Joseph Darnand, à cette époque responsable uniquement des Alpes Maritimes, crée le Service d’Ordre Légionnaire, S.O.L. Son intention est de regrouper les plus jeunes et les plus motivés défenseurs de la "Révolution Nationale" de Pétain.

Il met en place son organisation, son programme, ses rapports avec la Légion des combattants. La première investiture se fera aux arènes de Cimiez a Nice.

Dés le début, le S.O.L sera bien plus qu'un simple service d'ordre et sa doctrine se précisera peu à peu : "Le S.O.L. sera le fer de lance des combats des forces révolutionnaires de ce pays contre ceux que leurs intérêts entraînent au maintien d'un ordre de choses que nous voulons abolir."

Durant l'hiver 1941-1942 Darnand déterminera les 21 points du S.O.L. Théoriquement le S.O.L deviendra partie intégrante de Légion des Combattants et par-là même une troupe de choc de réserve.

Soutenu par l’amiral François Darlan (1881-1942, premier ministre de Pétain, assassine à Alger) et Pierre Pucheu (1899-1944, ministre de l’intérieur, fusillé), le S.O.L. devient officiel le 12 janvier 1942 et Darnand est nommé Inspecteur Général à Vichy. Le mouvement est également interdit en zone occupée. Début 1942, le S.O.L. compte environ 20 000 membres, la plupart d'entre eux anti-Allemands mais défenseurs de la "Révolution Nationale" et également anti-Gaullistes et anticommunistes.
L’évolution du S.O.L. est accélérée par le retour de Laval au pouvoir en avril 42 et par le débarquement des forces alliées en Afrique du Nord. Un certain nombre de S.O.L. ont participés à des combats contre les Américains, y compris dans la phalange Africaine.


Création de la Milice :

En janvier 1943, la Milice française s’est donc substituée au S.O.L., dont l’uniforme sera globalement conservé, ainsi que les 21 points fondamentaux de l’organisation :

1. Contre l'égoïsme bourgeois. Pour la solidarité française,
2. Contre le scepticisme. Pour la foi,
3. Contre l'apathie. Pour l'enthousiasme,
4. Contre la routine. Pour l'esprit d'initiative,
5. Contre l'influence. Pour le mérite,
6. Contre l'individualisme. Pour la société,
7. Contre l'ancienneté. Pour la valeur,
8. Contre l'anarchie. Pour la discipline,
9. Contre l'égalitarisme. Pour la hiérarchie,
10. Contre la vaine liberté. Pour les vraies libertés,
11. Contre la démagogie. Pour la vérité,
12. Contre la démocratie. Pour l'autorité,
13. Contre le trust. Pour le métier,
14. Contre le capitalisme international. Pour le corporatisme français,
15. Contre la tutelle de l'argent, Pour la primauté du travail,
16. Contre la condition prolétarienne. Pour la justice sociale,
17. Contre la dissidence gaulliste. Pour l'unité française,
18. Contre le bolchevisme. Pour le nationalisme,
19. Contre la lèpre juive. Pour la pureté française,
20. Contre la franc-maçonnerie païenne. Pour la civilisation chrétienne,
21. Contre l'oubli des crimes. Pour le châtiment des coupables.


La Milice se voit confiée 3 responsabilités : Vigilance, propagande et sécurité.

Dans le climat de guerre civile qui se développe en France à cette époque, le futur de la Milice en tant qu’auxiliaire de la police Allemande est évident.

Darnand, Secrétaire Général, est d'abord aidé par Pierre Cance (1907-1988, Sturmbannführer Waffen-SS en 44) puis par Francis Bout de l'An (1908-1977) quand Cance joint les Waffen-SS en octobre 43.


La Franc-Garde :

Le 2 juin 1943, la Franc-Garde est créée au sein de la Milice. Ce groupe est permanent, à la différence des Miliciens "à temps partiel" ou bénévoles et est principalement orienté vers la sécurité et la police. Le commandant Jean de Vaugelas est à leur tête (1913 – 1954, décédé en Argentine. Accident de voiture ? Exécuté par le SDECE ? Personne ne sait vraiment et la polémique dure toujours. Nommé SS Sturmbahnführer en 44).

Les effectifs généralement cités sont de 30 000 miliciens dont environ 12 000 francs-gardes. Alors que les miliciens de base sont surtout des militants politiques, se contentant de jouer les indicateurs ou les assistants de la Gestapo dans la chasse aux résistants et aux juifs, les francs-gardes sont armés et combattent la Résistance. Ce sont eux qui commettront la quasi-totalité des exactions sanglantes attribuées à la Milice, exécutions sommaires et tortures de résistants, crimes gratuits comme les assassinats de Georges Mandel, Hélène et Victor Bash, Jean Zay et autres non-combattants.

Il est coutumier de dire que, avant de devenir les chasseurs, ces miliciens ont d’abord été des cibles : Jusqu'en novembre 43, la Franc-Garde ne recevra aucune arme. La résistance exécute plusieurs douzaines d'entre eux avant que Darnand leur donne l'ordre et les moyens de se battre. Cette question des armes et de la revanche suite aux exécutions serait primordiale dans l’évolution de la Milice. Elle aurait transformé ce mouvement en force de police auxiliaire souvent brutale et accusée par ses adversaires des pires crimes.

Cependant, même si une sorte de légitime désir de revanche pourrait être éventuellement retenu à décharge, l’échelle de valeurs quant aux exactions commises est claire. Ce ne fut pas oeil pour oeil, dent pour dent, mais 300 yeux pour un oeil, 300 dents pour une dent. De plus, la simple lecture des statuts de la Milice et de ses 21 points laisse peu de doute quant au but final : L’engagement au côté des Nazis, avec tout ce que cela peut signifier.

Ce problème d'armement ne sera résolu que seulement fin 43, après plusieurs discussions entre Darnand et les SS : La Milice encouragera le recrutement de Waffen-SS pour le front de l’Est et, en échange, les SS fourniront à la Milice des armes légères.
Environ 200 Miliciens ont joint les Waffen-SS dont Pierre Cance, Noël de Tissot, Léon Gauthier et Henri Fenet.

Le 30 décembre, 1943, Darnand devient secrétaire général au maintien de l'ordre. Il sera nommé secrétaire d’état a l’intérieur le 13 juin 1944, au paroxysme de ce que beaucoup d'historiens appellent la guerre civile.
Le 27 janvier 1944, la Milice est autorisée dans la région nord, l'ancienne zone occupée. Darnand, occupé par ces charges gouvernementales, délégue la gestion de la Milice à Francis Bout de l'An. Pour l’aider à organiser cette force, Jean Bassompierre (1914 - 1948, fusillé) et François Gaucher (1910 - 1990) sont rappellés du front de l’est et nommes inspecteurs.

En 1944, environ 30 000 hommes et femmes sont membres de la Milice. 10 a 12 000 sont membres des Francs-Gardes.
Darnand Secrétaire Général au Maintien de l'Ordre, cela va être l'invasion de l'administration, des rouages de l'Etat et de la France elle-même par la Milice La Bande à "Jo", la porte ouverte s'installe aux leviers de commande.

Directeur de Cabinet de Darnand : Raymond Clémoz, officier de marine marchande.
Chef de Cabinet : Emile Coutret, l'avocat de Darnand à Nice.
Délégué Général du Maintien de l'Ordre en Zone Nord : Max Knipping.
Secrétaire Général à la Milice : Bout de l'An
Chef du 2ème Service : Jean Degans
Chef du Service de Sécurité : Marcel Gomberg.
Service Financier : Fontaine
Aux Effectifs : Carus
Directeur de la propagande : Maurice Bertheux ex-professeur au Lycée d'Annecy.
Darnand manque d'hommes pour encadrer la Milice en cours d'extension. Il fait rappeler du Front de l’Est Jean Bassompierre et François Gaucher. Bassompierre est nommé Inspecteur Général et Gaucher Délégué Général en Zone Sud.


La Milice en action :

La Franc-Garde sera engagée dans plusieurs opérations contre les Maquis : Glières, Limousin, Bourgogne, Bretagne, etc avec des résultats contrastés, dépendant principalement de la qualification des officiers locaux. En fait ils n'ont pas été préparés pour des ces actions de type policier et leurs résultats seront vivement critiqués dans les deux camps.

Les Francs-Gardes forment la grande majorité de ces Français qui ont fait couler le sang français sur le sol de France. Les autres unités engagées aux cotés des Allemands et ayant perpétrés le même genre d’exactions sont presque négligeables en nombre : Le sinistre Bezen Perrot en Bretagne (De 60 à 80 membres), une section de la Division Brandebourg (180 membres) plus la Phalange africaine (Environ 200) qui, si elle n’a pas commis d’exactions a néanmoins combattu contre des troupes alliées où se trouvait des Français en Tunisie.

Ces combats furent très durs, sauvages même. La Milice et la Résistance ont souvent les mêmes symptômes et travers : Des groupes organisés dans une lutte fratricide qui n’ont pas la déontologie d’une armée reconnue comme telle par les conventions internationales.
Au-delà de leurs combats sauvages contre la Résistance, les Miliciens se sont également rendus coupables de l’assassinat de plusieurs personnalités non-combattantes, mais soupçonnées d’opposition a Pétain : Hélène et Victor Bash, Jean Zay, Georges Mandel, etc

Un témoignage, celui du préfet de la Corrèze, M. Pierre Trouillé. Cela se passe à Tulle le 21 juin 1944, alors que la 2.Pz.SS Das Reich, arrivée la veille est en train de quitter la ville non sans avoir pendu 80 civils. Pierre Trouillé écrit :
"Comme je me dirige vers la sortie de l'usine, un grand SD au visage agréable se présente à moi : "Michel, fils de Française et de Bavarrois.
Je vous ai aidé tout à l'heure dans vos efforts en intercédant auprés de mes camarades obsédés par la haine du Français. Mais des Français à notre service sont pires qu'eux. Tenez, allez faire un tour au laboratoire de la manu, vous y verrez des choses instructives". Piqué de curiosité, je vais vers le bâtiment qu'il me désigne. Des hommes attendent là, l'air hébété devant une salle du laboratoire.
L'expérience est dans la pièce. J'entre pour voir trois miliciens âgés au plus de vingt ans verser de l'acide sur les plaies du visage d'un homme qu'ils viennent de frapper à coups de nerf de bœuf…Je les insulte, ils ricanent, mais lâchent leur victime. Hélas! Je suis impuissant à leur arracher les suspects qu'ils prétendent devoir interroger."


Le cas n'est nullement exceptionnel. Après le départ des Allemands et de leurs complices, on trouvera dans des fosses communes des centaines et des centaines de corps, disloqués, les jambes cassées, les bras cassés, les yeux crevés, brûlés à l'acide sulfurique.

Qui sont les tortionnaires de la Milice ? Ils appartiennent à tous les milieux : de la pègre bien sûr ; des traîne-savates ; des ratés hargneux comme Dehan ; des bons bourgeois et des fils de famille.

Mais plutôt que de vous faire ici une longue et pénible liste des multiples exactions sanglantes commises par la Milice dans les régions où elle fut active, concentrons-nous sur une région que nous connaissons mieux, la Bretagne qui, si elle a été à la pointe de la Résistance, a par contrecoup été à la pointe de la répression :
Un colonel allemand dit de la Résistance Bretonne : "Les Terroristes sont partout, dans les cinémas, les rues, les campagnes les plus reculées. Bientôt, nous les découvrirons dans nos valises où ils dissimulent parfois des machines infernales. Ils assassinent nos Soldats, nos officiers, nos généraux mêmes, comme le 17 juin sur la route de Guingamp à Brest."

En avril, Darnand a dépêché en Bretagne le chef Di Costanzo et 250 Franc-Gardes. A ces hommes s'ajoutera en juillet une centaine venue de Paris. Une cinquantaine de miliciens de Rennes participera aussi aux opérations.

Harcelés sans cesse depuis 1943, les Allemands mènent la vie dure aux maquis bretons. Ils emploient contre eux des Ukrainiens et quelques Polonais de l’armée Vlassof et l'une de ses plus affreuses bandes qui sévissent à leur service et à leur gage : Le Bezen Perrot.

En Ille et Vilaine, les miliciens de Di Constanzo participent à des opérations à Rennes, à Fougères, à Talensac, à Saint Hilaire des Landes, à Broualan, à La Lapinière, à St Rémy du Plain où huit personnes sont fusillées, à la Roche aux Merles, à Mordelles, à Mézière, à St Aubin d'Aubigné.

Dans les Côtes du Nord, ils opèrent à Loguivy-Plougres (onze suspects seront déportés en Allemagne), à Perros-Guirec, à Plouguenast, à Trébican, à Loudéac, à St Nicolas du Pelem, à Bourbriac.
Dans le Morbihan à Questembert et à Ploërmel avec la Milice Perrot, à Allaire dont le notaire M. René Le Mauff, arrêté le 29 mai, conduit au siège de la Milice Française à Rennes, meurt sous la torture ; à Josselin où à partir de juillet sévira un Sonderkommando Spécial composé d'agents du S.D. et de Miliciens.

Dans le Finistère à Plonevez du Faou.
Regardons de plus prés quelques-unes unes de ces opérations.
(Ames sensibles s’abstenir).

Le 7 juillet 1944, cent cinquante miliciens de la Milice Française venus de Rennes perquisitionnent à Broualan. Ils tuent deux personnes. Ils pillent puis incendient la ferme Léonard exploitée par une femme âgée de soixante six ans, dont les deux fils sont prisonniers en Allemagne, sous le prétexte que la ferme servait habituellement de repaire aux Terroristes.

Le 8 juillet 1944 à la Roche aux Merles en Vieux Vy sur Couesnon, des miliciens arrivés en voiture arrêtent et torturent pendant des heures sous les yeux de plusieurs témoins, un jeune homme Yvonnick Laurent. Mis torse nu et couché à terre, Yvonnick Laurent est flagellé au moyen d'une corde à nœuds que les miliciens trempent dans un seau d'eau. Le malheureux poussent des cris déchirants, mais refuse de répondre aux questions que ses tortionnaires lui posent. Les miliciens le font monter dans leur voiture et repartent. Le lendemain soir le cadavre de Yvonnick Laurent, tué d'une rafale de mitraillette, est découvert dissimulé sous des fagots dans une ancienne carrière, à quelques kilomètres de là.

Le 16 juin, un cultivateur de Sencerie en Brice, M. Pierre Regnier, est arrêté dans sa ferme par des miliciens commandés par l'Inspecteur de la Milice Paul Vieilly. Il est roué de coups. Comme il refuse de parler, les miliciens le conduisent au siège de la milice à Rennes où l'interrogatoire reprend. Entièrement nu, Pierre Regnier est frappé pendant deux heures, sans un instant de répit à coups de matraques, de ceinturons, et de crosses de revolver. Pierre Regnier supplie ses bourreaux de le tuer. Ils lui répondent : "Nous ne te tuerons pas, tu accoucheras d'abord et tu crèveras quand même".
Reconnu et formellement accusé par la mère d'un jeune résistant de Fougères, Mme Garnier, dont il avait torturé le fils, Paul Vieilly dira devant le Tribunal Militaire de Paris en séance Publique le 20 décembre 1961 : "Je sais que j'ai été violent".

Le 27 juillet au village de Hévert, des Allemands et des miliciens en civil surprennent un groupe de jeunes réfractaires du S.T.O. Une fusillade éclate. Quatre jeunes gens sont faits prisonniers. Ils sont aussitôt passés par les armes par un peloton mixte de miliciens et d'Allemands devant un mur de la ferme de Monsieur Thébault.

Le 19 juin, un jeune homme de Talensac, André Leclerc est arrêté et emmené à Rennes par les miliciens. Entendu le 19 avril 1945 par l'adjudant chef de gendarmerie "Quinquenel", commandant la brigade de Montfort sur Meu. A propos des circonstances de la mort de son fils M. Leclerc dira :
"Mon fils a été arrêté par deux miliciens "Schwaller" capitaine et un autre inconnu de moi. Il a été arrêté le 17 juin 1944 à 21 heures et emmené en moto par deux hommes à Rennes au Camp de la Croix Rouge. A minuit le même jour, il a été ramené à Talensac chez Villoury. Il avait été martyrisé et ne tenait plus debout. Ils le prenaient par les cheveux et disaient à Villoury :
"Voilà votre chef, on le tient "
. Le mardi 21 juin 1944, vers 10 heures, M. le Maire de Talensac est venu m'avertir que mon fils avait voulu s'évader et que les miliciens l'avaient tué. Lui-même tenait cette version d'un agent de police de Rennes qui était venu lui apporter cette mauvaise nouvelle.
Je suis allé à Rennes en compagnie de mon frère, et après maintes démarches, j'ai su qu'il se trouvait à la morgue.
Là, j'ai vu mon fils. Il avait le nez et la figure tout tuméfié, sous la gorge il portait des traces de piqûres, il avait la mâchoire brisée et portait la trace d'un coup de poignard d'un côté de la bouche.
Je n'ai pas vu le corps, mais j'ai entendu dire qu'il avait une jambe abîmée, j'ai également entendu dire qu'il avait la verge éclatée. La nuit suivante de l'arrestation de mon fils, Villoury et Gloux, tous les deux de Talensac ont été arrêtés et relâchés quinze jours plus tard après avoir subis de mauvais traitements."


Le 29 juin à Talensac, une trentaine de miliciens surprennent un groupe de maquisards. Deux sont tués les armes à la main au cours de l'accrochage. Deux autres se réfugient dans le café de Mme Guéguen. Les miliciens encerclent le café et y mettent le feu. Les deux malheureux sont brûlés vifs.
Le 4 juillet à Loudéac, trois miliciens et un détachement d'Allemands attaquent un groupe de maquisards dont sept sont tués, mais c'est au moins un combat.

Le 10 juin, quatre Résistants dont un garçon de seize ans, Albert Trégaro, sont faits prisonniers dans un accrochage avec des miliciens et des Allemands. Ils sont emprisonnés à St Marcel où on les attache sur un tas de fumier. Transportés ensuite au camp de la milice à Saint-Martin-sur-Oust, ils sont martyrisés puis fusillés par les miliciens de Sérignac.

Le 26 juillet, vers cinq heures du matin, des miliciens en uniforme se présentent au château de Trélan en Préchâtel, demeure de M. Duclos. Ils enfoncent la porte et se précipitent dans la chambre de M. Duclos à qui ils ordonnent de s'habiller. Ils lui passent les menottes et lui reprochent de donner asile à des terroristes. Ils le somment de dire leurs noms ce à quoi il se refuse. Il est alors frappé à coups de poing et de ceinturons. Sa gouvernante Mlle Le Guet est frappée avec le manche d'un fouet et avec un casse-tête trouvé au château.
Vers midi, M. Duclos et Mlle Le Guet ainsi que deux autres suspects, les époux Bouet sont conduits par les miliciens au Château d'Apigné en Le Rheu. (Ille et Vilaine). Là les sévices recommencent. M. Duclos est jeté nu dans une cave et est contraint de rester trois heures les bras en croix avec une bouteille d'un litre dans chaque main. Cet exercice est ponctué de questions et de coups. Puis les miliciens mis en gaieté s'amusent à allumer des roseaux et à les éteindre sur son corps.
Torturée, Mlle Le guet meurt deux jours plus tard, le 28, au château d'Apigné.

Entre temps, le 27, profitant de ce que M. Duclos est entre leurs mains à Apigné, les miliciens retournent au château de Trélan en Préchâtel qu'ils pillent. Le 2 août, M. Duclos et les époux Bouet sont autorisés à regagner leurs domiciles.
Le 14 juillet, quatre miliciens dont deux portent des vêtements civils se font passer pour des résistants en compagnie de deux autres en tenues de parachutistes britanniques. Ils se présentent chez M. René Piquet au Bois-Mainguy en Sérent. Ils lui montrent une liste sur laquelle figure son nom et l'indiquant comme chef de dépôts d'armes et d'essence. Ils lui expliquent que leur chef, le capitaine parachutiste Marienne a été tué la veille à Plemelec dans le Morbihan, qu'ils ont trouvé sur lui la liste des dépôts d'armes et de munitions et qu'ils devaient enlever le jour même.

M. Piquet appartient à la Résistance. Mis en confiance, il part avec ses assassins. On retrouve son corps disloqué dans un fourré le 24 juillet. Selon le témoignage de M. Joseph Emeraud, cultivateur en Bois Mainguy en Sérent, qui lui aussi, a été emmené par les miliciens puis relâché, M. René Piquet fut martyrisé jusqu'à ce que mort s'en suive. Ses bourreaux lui cassent les membres et lui décollent la tête à coups de pelle. Hurlant de douleur, René Piquet supplie ses tortionnaires de l'achever d'une balle. Ils refusent. Les coups de pelle éteignent le dernier tressaillement. La mort délivre le malheureux.

Le 15 juillet, le Sonderkommando spécial arrête à Josselin un résistant, Philippe Nicolas et deux parachutistes de Gavres. Les trois hommes après avoir subi des tortures épouvantables sont abattus le 17. Les corps seront retrouvés le lendemain dans la Lande de Talhoutet-Loguen prés de Moriac.

Début juillet, le maquis lance une attaque prés de Bourbriac dans les Côtes du Nord. En représailles, le 9, une grande opération de ratissage a lieu sur les territoires des communes de Peumerit-Quintin, Canihuel, Trémargat, Sainte Tréphine et le Haut Corday. Y participent deux unités de SS , la Gestapo de Rennes avec le capitaine Roëder, un escadron monté de l'armée Vlassof, une section de la milice Perrot et une trentaine d'hommes de la milice française sous le commandement de fait d'un sous officier allemand, le Feldwebel Max Jacob.
Ce sont les Allemands et les cavaliers de l'armée Vlassof qui ratissent. Miliciens Perrot et miliciens de la Milice Française suivent avec des camionnettes où sont mis les prisonniers. A Sainte Tréphine, les renégats russes et caucasiens, après un accrochage capturent deux blessés. Autre accrochage à Canihuel. Des suspects sont arrêtés.

Parmi ceux ci à Sainte Tréphine, se trouve un bossu. Il est frappé à coups de poings et coups de crosses par le milicien Georges Hilemann, dit "La Rafale" et quelques autres qui lui disent : "Vas-tu te tenir droit, fumier ?" . Le curé de Sainte Tréphine tente de s'interposer et est giflé par un milicien.
Une partie des captifs est conduite à l'école publique d'Uzel. Ils y sont affreusement torturés par les miliciens du Bezen Perrot et par des gestapistes. Le 14 juillet la receveuse des PTT et le maire d'Uzel assistent à l'embarquement des malheureux, pieds et poings liés dans des camionnettes qui partent pour une destination inconnue.

On sait aujourd'hui où les Allemands et les nazis bretons emmenaient leurs victimes. Ils les conduisirent dans la forêt de Lorges. C'est là que fut découvert le charnier : Trente huit corps enfouis à fleur de terre, disloqués, tordus, membres brisés, mâchoires fracturées, thorax enfoncés. L'un de ces martyrs avait les lèvres cousues avec du fil de fer.

D'autres captifs, surveillés ceux là par des miliciens de la milice française, sont emmenés à Bourbriac dans une maison qui appartient à Mme Souriman. Des Allemands en uniforme et des membres de la Gestapo les accueillent avec le sourire, cravaches aux poings. Les hurlements commencent.
Pour le Milicien Daigre dit "L'œil de Verre" (Que nous connaissons déjà), tout cela est du temps perdu. Il dit au Feldwebel Max Jacob : "Pourquoi les garder plusieurs jours ? On aurait mieux fait de les crever tout de suite".

Les interrogatoires sont faits par la Gestapo et par des miliciens de la Milice Française. Daigre, la plupart du temps en état d'ébriété, vocifère.
Il ne parle pas Allemand, mais pour faire impression, il fait semblant. Entre deux coups de trique, il insulte et menace ses victimes dans un sabir composé de Français et de quelques mots à Consonance germanique. Il dit : "On crèvera tous, on vous fera ch..r vos tripes."
Gourdins, nerfs de bœuf, cravaches, coups de règles sur les testicules, tout est bon.

Un captif blessé, une balle dans l'épaule depuis dix jours implore d'être examiné par un médecin. Une prétention si extravagante provoque l'hilarité de ses tortionnaires.

Le 16 juillet, le supplice s'achève. Sept des captifs de Bourbriac sont chargés dans une camionnette. Le chef de la Gestapo Roëder, ses adjoints et des miliciens de la milice française prennent place dans deux voitures. Le convoi se rend à une dépression de terrain marécageuse prés de Garzonval. Ce qui suit a été rapporté par un témoin impuissant qui de loin assiste à la scène :
Allemands et miliciens font descendre les captifs qui ne peuvent marcher seuls, qui ne peuvent plus tenir debout. Ils les amènent au bord de la dépression où ils les tuent l'un après l'autre d'une balle dans la nuque. Voici les noms de ces martyrs : Corbel, Maillard, Secardin, Danguy, Torqueau et les frères Le Berre.
En Bretagne comme partout ailleurs, les rapports de la milice avec la gendarmerie sont très mauvais. Les gendarmes ont des yeux pour voir et ils reçoivent des plaintes et les confidences des habitants du pays. Di Constanzo accuse les gendarmes de lâcheté, d’imbécillité et de trahison.

Le 27 juin, des miliciens incendient la caserne de gendarmerie de Plouguenast. Un mois plus tard, jour pour jour, 200 miliciens prennent d'assaut la gendarmerie de Saint Aubin d'Aubigné.
Des opérations identiques ont eu lieu en Gironde, dans le Lot et Garonne, le Lot, les Basses Pyrénées, en Haute Garonne, dans l'Aude, l'Ariège, l’Hérault, dans le Massif Central, le Loiret, l'Eure et Loir, l'Yonne, le Vercors, le Vaucluse, les Bouches du Rhône, les Basses Alpes.


La retraite :

En août 44, une partie de la France est déjà libérée, l'autre partie est dans un état de semi-insurrection. Les risques sont extrêmement sérieux pour les miliciens et leurs familles. Il est clair qu’ils seront les premiers dans la ligne de mire de la Résistance. Darnand décide de les regrouper en Alsace où ils séjourneront au camp du Struthof. L’ordre du départ a été transmis dés le 12 juin.

L’exode commence le 16 août. Dans le Sud, les miliciens doivent se regrouper à Bordeaux, Poitiers, Toulouse, Montpellier, Marseille, Vichy, Limoges, Clermont-Ferrand, Lyon et Dijon. En zone Nord, c’est à Paris, Lille et Reims qu’ils doivent se rendre. La saga de ce mouvement de douzaines de convois de miliciens est un cauchemar : de manière permanente sous la menace des attaques de la Résistance, voyageants avec des femmes, des enfants et des vieillards dans des véhicules improvisés et souvent défaillants, bon nombre d'entre eux n'atteindront jamais l'Allemagne. L'improvisation est la devise quotidienne. Ils ont même dû quasiment attaquer quelques bureaux du Trésor Public pour obtenir les fonds nécessaires pour la nourriture et le carburant. Le plus rude voyage fut celui de la colonne de Limoges. Le Limousin est en état d’insurrection, les maquis FTP du Colonel Guingoin contrôlent presque toutes les routes. Dirigée par le commandant de Vaugelas lui-même, la colonne mettra huit jours pour faire les 80 km séparants Limoges de Guéret, après avoir forcé une dizaine d’embuscades et subit un siège en règle. Mais ils parviendront quand même à rejoindre l’Alsace via Vichy et Belfort.

Par contre la colonne de Montpellier connut un dur échec. 600 miliciens et membres de leur famille, dont ceux de Perpignan qui viennent d’arriver, devaient se diriger sur Avignon mais reçoivent l’information que le pont sur le Rhône est détruit. Ils font donc demi-tour, hésitent, pense se réfugier en Espagne puis, finalement, décident de se disperser puis d’aller se fondre dans la nature. Grave erreur, la plupart d’entre eux seront arrêtés. Ayant fait leur jonction a Belfort, les convois rescapés se rendent à Mulhouse le 7 septembre puis au camp de Struthof. Environ 6 000 miliciens, dont de nombreux Francs-Gardes et 4 000 membres de leurs familles arriveront en Alsace.

De là, ils se replient en Allemagne ou ils rejoignent Ulm le 22 septembre. Environ 1 500 d’entre eux rejoindront la Division Charlemagne sur le front de l’Est via Wildfleken. La plupart des autres, avec Darnand, vont combattre les partisans en Italie du Nord dans l’éphémère République de Salo de Mussolini. Ils livreront leur dernier combat les 24 et 25 avril 1945 à Tirano, encerclés par les partisans italiens, seront fait prisonniers et remis aux autorités françaises.

Nombre d'entre eux ont été arrêtés après la guerre et habituellement condamnés à de lourdes peines. De nombreux miliciens ont été sommairement exécutés durant l’épuration sauvage, comme les 75 passés par les armes après un simulacre de procès le 24 août 1944 au Grand-Bornand (Savoie). Cet acte est certes répréhensible mais il faut se remettre dans le contexte de l’époque : combien des camarades des résistants de l’AS et des FTP qui les ont fusillés avaient été arrêtés, torturés puis massacrés par la Franc-Garde ?

D’autres, dont Darnand, jugés par des tribunaux légaux et condamnés à mort. Il semblerait que les miliciens de la dernière heure ont été généralement moins sanctionnés.
Quelques-uns des miliciens qui étaient restés en Allemagne auront plus de chance : Roger Poisson, milicien depuis début 44, se "procure" de véritables documents de travailleur STO, des ordres de mission allemands qu’il leur distribue avec quelque argent. Ils se dirigent tous vers l’ouest, déchirent le document allemand dès qu’ils arrivent en vue des lignes américaines et rentrent en France avec les STO et prisonniers de guerre libérés.

Pour l’Histoire, ces hommes resteront sans doute les plus honnis de tous les collaborateurs.

Sources :
Histoire de la Milice 1918-1945, Jacques Delperrié de Bayac, Librairie Arthème Fayard, 1969.
Histoire de la Collaboration, Dominique Wenner, Editions Pygmalion, 2000
Les Années 40, Edition Tallandier, Hachette
Le S.O.L, Jean Paul Cointet, Magazine Batailles N°15
Les souvenirs et archives de Roger Lenevette et de ses camarades
Plus divers sites web, merci Google

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