Louis Jacquemart
1ère Cie du maquis Bayard à Saulieu

Mon entrée au Maquis Bayard

Après un départ manqué pour l'Angleterre, à bord d'un bateau de pêche de Douarnenez (Finistère) me voici à Saulieu (Côte- d'Or) depuis les premiers jours de Janvier 1944, où je travaille pour un quidam dont j'al fait la connaissance, à Paris, chez mon ancien patron qui lui construisait des scies circulaires, destinées à faire du bois-gazo.

Cette petite société est en partie créée pour recevoir des réfractaires au S.T.O, commme moi, dans l'attente de mieux faire.

Voici maintenant si mois que J'abats, charrie, fend, tronçonne et casse à la hachette, des tonnes de bois, pour les charger dans les wagons d'un train en gare de Saulieu ; sachant que ce train ne doit pas arriver à sa destination.

Les Allemands deviennent suspicieux à notre égard et nouo devons nous tenir sur nos gardes (je possède de faux papiers).

Depuis mon arrivée, j'ai fait la connaissance de certaines personnes, qui en confidence, sachant très bien ce que je fais ici, me conseillent de me tenir prêt à toute éventualité.
Pour une raison inconnue nous ne travaillons pas depuis deux jours ; subodorant un évènement inhabituel, nous nous sommes regroupés à six ayant le même objectif, dans une petite maison, pour dormir

La date fatidique vient d'arriver, nous venons d'être reveillés brutalement au milieu de la nuit, par huit hommes, armés de mitraillettes et commandés par le lieutenant Tahar Dib (mon contact) qui nous donne l'ordre de les suivre.

Tous sont en chaussettes, nous faisons de même, pour traverser la ville jusqu'à un endroit isolé, où nous nous rechaussons. Nous repartons, à pieds, sur la route pour une direction qui m'est inconnue. La nuit est d'un noir d'encre et c'est en se tenant par nos ceintures, marchant l'un derrière l'autre, que nous pénétrons dans la forêt.

J'ignore depuis combien de temps nous marchons parmi les arbres ? L'obscurtté est presque totale. Il n'y a pas de chemin tracé, seul Tahar possède une lampe électrique qu'il utilise rarement et uniquement en projetant, de temps en temps, un flash devant lui afin de trouver ses repères. Soudain,nous nous arrêtons, butant les uns contre les autres.

Nous les nouveaux, au millieu du groupe, n'avons pas entendu Tahar prononcer le mot de passe à mi voix. Nous sommes arrivés au premier poste de garde, où nous entr'apercevons, trois gars armés qui nous laissent passer après avoir reçu les consignes d'usages.

Après avoir marché encore un moment, passé un autre poste de garde, nous débouchons sur le camp.

Là, nous sommes attendus par le responsable de ce maquis le Capitaine Guillier(Robert) et par cinq ou six hommes à qui nous sommes présenté. L'accueil est chaleureux, un ersatz café bien chaud, nous est servi ainsi qu'un morceau de boeuf gros sel sur une tranche de pain (jamais je n'ai retrouvé le goût de cette viande, là, au milieu de la nuit et des bois, elle avait quelque chose d'exceptionnel).
Nous sommes éclairés par une lampe tempête tenue par l'un des hommes qui évite de projeter le rai de lumiére n'importe où, il nous est donc difficile de voir aux alentours, nous devinons quelques masses compactes qui doivent être des abris. Nous en saurons plus demain matin.
Pour l'instant, les nouveaux, sommes séparés et chacun de nous va rejoindre un groupe, pour passer le reste de la nuit
Je suis mené vers un des abris, où, toujours dans l'obscurité, je devine quelques formes allongées, qui, après quelques grognements, me font une place pour me coucher, sur le sol il y a de la paille et une couverture sur lesquelles je me couche. Mon guide disparaît après m'avolr souhaité une bonne nuit. Fatigué, j'ai du mal à m'endormlr. De quoi sera fait demain ?

Ma premiére nuit au maquis s'est assez bien passée, j'ai sommeillé car je n'ai pas eu chaud, à part ça, pas un bruit, si ce n'est celui que fait la paille lorsque les dormeurs bougent. Heureusement, pas un ne ronfle. Je ne vais pas tarder à faire leur connaissance car le jour se lève, je le vois à travers les cloisons de la cabane, qui me semble être faite de branches et de feuillage entrelacés.

Maintenant les dormeurs commencent à s'agiter, des têtes et des bras sortent de dessous les couvertures où ils se tenaient bien au chaud.

Les corps s'étirent, quelques bâillements, puis, les premières questions, toujours les mêmes dans ces cas là. Qui es tu ? D'où viens-tu ? Que fais tu ?

Nous nous présentons, en gardant un certain anonymat. Tous sont de la Côte-d'Or, je suis le seul parisien et un peu la bête curieuse, aussi, je ne suis pas mécontent d'entendre un coup de cloche annonçant l'heure du café.

Le jour est levé, je vais prendre contact avec le camp.


Aujourd'hui, je deviens maquisard

Ma première iournée au maquis Bayard

Arrivés dans la nuit, nous les nouveaux, après le café et la levée des couleurs, nous occupons notre première joumée à la construction de notre abri avec les matériaux trouvé sur place. Je vous fais grâce des détails (j'y reviendrais si vous le désirez).

La construction achevée, Il nous faut lui donner un nom. Notre chef de groupe surnommé Tarzan, et en souvenir d'une BD tirée du roman de E.R. Burroughs, dans laquelle j'admirais les dessins de Hall Foster et Burne Hogarth, je propose de peindre une panthère noire, sur la porte de notre cabane. Proposition acceptée, je l'exécute.

Le camp est composé d'une douzaine de cabanes disséminées sous les arbres, dont l'une occupée par le capitaine Robert, sert de PC. (elle sera modifiée avec un parachute après réception d'armes).

La plus grande est réservée à l'infirmerie où le toubib procédera à l'amputation d'une jambe (le blessé ne survivra pas).

Un grand auvent de branchages abrite la cuisine, tenue par un des frères Millot.
Répartis en deux endroits, six gros tonneaux nous fournissent l'eau nécessaire à nos ablutions sommaires ainsi que pour nous désaltérer.

L'eau et la nourriture nous sont apportées par un résistant de l'extérieur, qui nous approvisionne régulièrement avec son char tiré par un cheval.

Poste de garde au maquis Bayard

Ce soir je suis de garde, avec deux camarades sur l'un des postes disséminés sur les points névralgiques donnant accès au camp. Notre poste se trouve en bordure d'une route, là nous passerons douze heures à guetter, chacun à notre tour, nous repartissant le temps de faction en période de deux heures.
Nous emportons avec nous de quoi subvenir a nos besoins, eau et repas froids, ainsi que des vêtements chauds car la température n'est pas toujours clémente, la nuit, dans les bois.
Depuis hier, il y a devant notre abri, une grosse moto bycylindre, elle a été subtilisée à l'escorte de Pétain et Laval fuyant en Allemagne.
L 'aube va bientôt se lever, la relève ne va pas tarder. Je tiens ma dernière faction pendant que mes deux compagnons dorment paisiblement sous un abri de branchage et de fougère.
La dernière faction est toujours la plus pénible, car vous avez du abréger votre sommeil. C'est à ce moment que les heures semblent les plus longues, avec tous ces bruits, indéfinissables, de la faune invisible de la forêt qui nous tiennent en alerte permanente.
Le moindre frottement, le moindre bruissement dans les arbres, prend une ampleur démesurée qui nous fait croire au pire.
Enfin, pour moi, cela se termine, une dernière fois mon regard scrute la route sur laquelle je découvre, au loin, un véhicule en stationnement, d'où sort quelques silhouettes furtives, qui maintenant marchent dans ma direction en cherchant à se camoufler le plus possible. Elles sont comme dans un halo, Je ne distingue pas qui elles peuvent être. Pour moi, une chose est sûre, si elles se cachent ce ne peut être pour notre bien... après avoir réveillé mes compagnons, je me mets en position de tir pendant que l'un d'eux part alerter la base.
les silhouettes progressent très lentement, je ne reconnais pas l'uniforme porté par les Allemands de la région... elles marchent maintenant dans le fossé longeant la route et se trouvent dans la ligne de tir de mon FM. Je ne sais quoi faire pour l'instant, elles sont encore trop loin pour un tir efficace, je ne vois pas assez, j'ignore à qui j'ai affaire.
Pendant ce temps, mon compagnon, parti donner l'alerte, a rencontré la patrouille guidée par un adjudant, celui-ci possède une paire de jumelles qu'il braque dans la dlrection des inconnus. Toujours en position de tir... j'attends le verdict.
l'adjudant vient de s'agenouiller près de moi, je sens sa main sur mon épaule, Il va me donner le signal quand les inconnus remonte sur la route et font demi tour, lentement ils repartent comme ils étaient venus.
Que cherchaient-ils ? Pourquoi tant de précautions ?
Je cherche à comprendre et reste pantois lorsque l'adjudant nous révèle ce qu'il a pu voir dans ses jumelles. "Des gendarmes, les gendamres de Saulieu".
Je suis toujours allongé à terre, le doigt sur la détente du FM et rétrospectivement, je pense à ce que j'aurais pu faire.
J'aimerais rencontrer un jour ces gendarmes, pour savoir ce qu'ils cherchaient, et leur dire la chance qu'ils ont eu.

 

Peu de chose

Un groupe vient de rentrer au camp après un accrochage sévère avec les Allemands. Il y a un tué et plusieurs blessés chez nous dont un très grave qu'il faut opérer d'urgence

La cabane de l'infirmerie. construite face à la mienne est plus grande et plus haute que les autres, afin que le toubib puisses s'y tenir debout en cas de nécessité, heureusement car aujourd'hui c'est le cas.
Les camarades de mon groupe sont occupés à diverses tâches, je suis seul dehors assis à table avec mon FM démonté devant moi pour graissage. lorsque l'assistant du toubib sort et me tend un paquet en me demandant d'aller l'enterrer un peu plus loin, sans plus d'explications.
Ce paquet fait d'un morceau de sac à patates, est beaucoup plus long que large et je le sens humide sur mes mains... Que peut-il bien contenir. La curiosité est la plus forte, je déroule le morceau de sac et reste un moment pétrifié devant ce que je vois... La surprise est telle que je ne sais que faire. Je n'ose pas bouger, comme si mes gestes pouvaient blesser cette chose que je tiens dans mains tremblantes et qui est...la jambe d'un camarade.
Lentement je reviens à la réalilé, muni d'une pelle je me prépare à exécuter ma funeste tâche. A peine me suis-je éloigné de quelques mètres que le toubib me rappelle: "Reviens, il est mort, nous l'enterrerons dignement... en entier".

 

Parachutage d'armes à Bayard

Cette nuit nous sommes une vingtaine à sortir du maquis pour nous rendre sur l'aire de parachutage,
Il doit avoir lieu sur un grand pré entouré d'arbres, à l'orée de deux bois situés à quelques kilomètres de notre camp de base,
Il nous faut traverser deux routes principales pour y parvenir, la prudence est donc de mise.
Deux charrettes tirées, par des chevaux, nous attendent sur place avec leur chargement de paille, ils nous serviront, plus tard, pour le transport des matériels parachutés.
Nous délimitons la zone de largage, en disposant des bottes de paille, que nous enflammerons le moment venu, afin de guider le pilote
Des guetteurs sont postés tout autour, et fiévreusement nous attendons.
L'avion tant espéré a du retard, nous devons patienter, le temps nous paraît interminable.
Enfin, un ronronnement lointain nous met en alerte. Le bruit se rapproche, mais est-ce bien notre avion ? Tous les regards scrutent le ciel. Nous attendons que le responsable de cette opération nous donne le signal de la mise à feu de la paille.
L'avion vient de passer puis s'éloigne, la déception nous envahit, mais après quelques minutes nous l'entendons revenir dans notre direction. Aussitôt le signal de mise à feu nous est donné.
L'avion repasse très bas au dessus du terrain, puis s'éloigne de nouveau, un instant de désespoir flotte dans l'air, suivi d'un grand soulagement lorsque nous apercevons le premier parachute descendre lentement vers le sol.
Nous attendons que tous aient atteri avant de nous précipiter pour les récupérer. Il en manque un. Le temps nous manquant, la rage au ventre, nous abandonnons nos recherches infructueuses dans la nuit. Après avoir dispersé les cendres et restes de paille brûlée, nous reprenons la direction du camp où nous arrivons sans encombre.
Là, nous sommes attendus par tous les camarades n'ayant pas participé à notre mission. Tous, n'avons qu'une hâte... ouvrir ces curieuses boites, pour découvrir ce que nous espérons tant... des armes.
Ces boîtes (containers) sont des tubes cylindriques d'environ 60 cm de diamètre sur 1,80m ( je n'ai pas mesuré). Une extrémité se termine par une collerette perforée déformable, ressemblant à celle des bouteilles de gaz, c'est elle qui absorbe le choc au moment de l'atterrissage. Avec un peu d'imagination ils me font penser à de très gros étuis dans lesquels sont conditionnés les cigares de qualité. Après une nuit sans sommeil, le chemin parcouru avec précaution et les émotions de l'attente, il n'est pas question pour nous d'aller dormir. Un café rapidement avalé nous redonne le tonus nécessaire, et c'est comme à Noël lorsque les enfants ouvrent les paquets recelant leurs joujoux... cela ne va pas assez vite.

Tous les containers sont maintenant ouverts et leurs contenus Inventoriés.
Il n'y a vraiment pas de quoi pavoiser, car excepté des explosifs en tous genres avec des détonateurs multiples, l'armement individuel est très très maigre. Pas d'armes lourdes, mortiers ou mitrailleuses... rien que quelques fusils à armement manuel canadiens munis d'une petite baïonnette ridicule ressemblant à un clou tordu (fichée dans un arbre elle nous servira de portemanteau) des mitrailleuses STEN en vente libre dans les magasins en Amérique trois FM BREN, des caisses de cartouches et chargeurs pour alimenter le tout.
Il y a aussi une dizaine d'uniformes anglais que nous partageons ét ant donné qu'il n'y en a pas pour tous. Demain ça sera cocasse de voir, au rassemblement, les gars habillés des uniformes dépareillés...

 

Gastronomie et chanson au maquis Bayard

Pour diverses raisons, les missions que nous entreprenons ne sont malheureusement pas toutes réussies. L'une particulièrement nous restera en travers de la gorge, car, pour nous simples exécutants, toutes les conditions paraissant idéales, nous n'attendons plus que le signal d'attaque lorsque l'ordre de repli nous est donné, sans autre explication. Ne comprenant pas, c'est très excité que nous rejoignons le camp. Là, excitation devient colère, nous n'avons rien mangé depuis des heures et notre retour n'étant pas prévu si tôt, le cuistot n'a rien envisagé pour le cas où...Le capitaine, mal inspiré, a la mauvaise idée de lui faire préparer des tartines à la moutarde à notre intention.
La tension monte de plus en plus, puis explose lorsque le cuistot nous prévient qu'il doit servir un plat plus substentiel au capitaine (je ne sais pas s'il l'a réclamé). Nous attendons que le cuistot (consentant) ait terminé son plat pour le lui arracher des mains d'un violent coup de pied.
Plus un bruit, nous sommes tous là, face au capitaine, pâle ce colère, qui a compris que devant lui se tenaient des gars déterminés... Ce soir il mangera une tartine à la moutarde...comme tout le monde. (Nous avons pris la précaution de ne pas agresser notre supérieur).
C'est à la suite de cet incident que nous composons notre petite chanson, satyrique, mais pas méchante.

Chanson satyrique et pas méchante
Ecrite par déception après une opération annulée.
Sur l'air "la artilleurs de Metz"

Depuis déjà des mois
Nous sommes dans le maquis
A jouer aux Iroquois
Et à manier l'fusil
Sans femme et sans tabac
De garde ou en prison
Nous voulons changer d'pas
Et voir d'autres horizons

Refrain
Nous voulons foutre le camp d'ici
Avec des armes ou bien des pioches
Pour expulser notre ennemi
Nous voulons foutre le camp d'ici

Nos charmants officiers
Sont toujours pleins d'ardeur
Pour faire des défilés
Ou pour cueillir des fleurs
Il leur faut des brassards
Pour aller au combat
Mais quand vient la bagarre
"Zuruk"on tourne le pas

Refrain
Nous voulons foutre le camp d'ici
Car nous sans peur et sans reproche
Aimant bien moins la fantaisie
Nous voulons foutre le camp d'ici

 

?????

Un groupe vient de rentrer au camp avec deux prisonniers, (gestapistes ou miliciens Français ?) En procédant à la fouille de leurs bagages, je découvre un étrange filet roulé en boule que nous nous passons de mains en mains, nous posant des questions sur son utilité. Après un moment de cogitation mes camarades se désintéressent de la chose qui leur parait sans intérêt. J'ai une petite idée derrière la tête que je veux approfondir. Je rentre dans ma cabane, et non sans mal, débrouille les mailles du filet qui se révèle être un maillot de corps !
Il est tricoté à grosses mailles avec un fil de coton (il me semble) d'environ 2,5 à 3 m/m de diamètre.
Malgré, ou a cause de son étrangeté... il me plait. Je l'enfile illico pour ne plus le quitter*
Pendant ce temps, les miliciens ont été interrogés par le capitaine qui n'a rien pu en tirer d'utile aujourd'bui, et comme il se fait tard, nous les enfermons dans l'enclos de barbelés servant de prison, où se trouvent déjà quelques soldats allemands qui ne semblent pas apprécier ces nouveaux compagnons.
La prison est située en droite ligne du drapeau autour duquel nous nous réunissons tous les jours pour la cérémonie du lever des couleurs. Nos prisonniers doivent y assister.
Ce matin ils nous offrent un bien curieux spectacle, les soldats traînent et obligent les miliciens gestapistes à saluer nos couleurs...
Les miliciens sont méconnaissables, leur visage est tuméfié, leur tête a doublé de volume. Nous comprenons alors à quoi correspondaient ces gémissements entendus cette nuit. Nous ne nous étions pas inquiétés, pensant que les soldats réglaient un différend entre eux... Ils ont fait ce que nous n'avions pas fait ... Châtier nos traîtres.
Trois parachutistes Anglais ou Canadiens ? basés dans un maquis de la région, viennent d'arriver pour transférer nos prisonniers. Ils sont arrivés à bord d'un curieux véhicule que nous ne connaissons pas... c'est une JEEP équipée de deux groupes de mitrailleuses jumelées VICKERS, une à l'avant l'autre à l'arrière. Les hommes sont armés d'un poignard, d'un revolver et d'une carabine US Ml à la crosse repliable ; inutile de dire que nous sommes tous en admiration et envieux de cet équipement... Pour moi c'est décidé, un [our je posséderai une telle carabine... Je me mets à rêver.
En voyant ces Anglais je pense que j'aurais pu faire partie des leurs. Je me revois un an plus tôt à Douarnenez (Finistère) où depuis quelque temps, nous étudions avec mon cousin Armand (marin pêcheur) les possibilités de rejoindre de Gaulle en Angleterre ... Mais cela est une autre histoire qui n'a rien à faire ici.
Non je ne suis pas en Angleterre, je suis dans un maquis en France où je vois et entends l'un des parachutistes, à genoux, poser des questions aux deux miliciens allongés sur le sol, les pieds nus. Les réponses ne doivent pas être satisfaisantes car de temps en temps, et d'un air détacbé il leur pique la plante des pieds avec son poignard. Ce doit être cela le flegme britannique !

* Ce maillot de corps était, parait-il, porté par certains commandos parachutistes Anglais ou Canadiens ? Ce type de sous-vêtement, porté à même la peau, pouvait passer inaperçu lors d'une fouille sommaire.

 

Destruction du fortin de Bar le Régulier
27 07 1944

Aujourd'hui nous devons détruire un petit fortin, tenu par quelques soldats allemands, qui sert de point d'observation et de liaison entre les différentes unités d'occupation de la région.
Cette action, qui entre dans le cadre des missions de harcèlement et d'immobilisation des troupes se rendant en renfort surles côles du débarquement, est surtout symbolique, et nous avons besoin d'otages pour un échange de prisonniers. Nous devons l'exécuter en évitant l'accrochage, en souplesse, faire des prisonniers mais pas de victimes. Notre premier travail consiste à isoler le fortin de toutes liaisons avec l'extérieur ; pour ce faire il nous faut couper les fils téléphoniques reliés à notre objectif. Le fortin est construit, avec des pierres et des troncs d'arbres, sur un monticule au milieu d'un terrain découvert, il domine les environs qu'un guetteur scrute avec des jumelles de temps en temps C'est en rampant dans les fossés que nous nous dirigeons, à deux,vers le poteau sur lequel mon camarade grimpera pour couper les fils alors que j'assurerai sa protection avec mon FM.

Non sans difficultés nous atteignons notre but, mon camarade monte au sommet du poteau cisaille en main, prêt à sectionnerle premier fil, quand un bruit de moteur lui fait stopper son geste. Il n'a pas le temps de redescendre sans être remarqué, il doit rester là haut, il l'a très bien compris. Maintenant il chante, faisant semblant de procéder à une vérification. Pendant ce temps j'ai pu me tapir derrière un buisson et avec mon FM je tiens en enfilade la route d'où arrive le véhicule ; c'est une Adler décapotable dans laquelle se trouvent quatres soldats. Le chauffeur intrigué et sur la défensive ralenti en apercevant mon camarade puis passe lentement devant nous.
Je n'ai pas été repéré, maintenant je les tiens tous dans l'oeilleton de mon arme à environ six mètres, quelles proies faciles ! Mon doigt sur la détente a déjà passé la première bossette, la vie de quatre hommes est là, c'est à moi d'en décider, il suffit d'une légère pression de mon index, que la gâchette recule d'un millimètre, pour que...non il n'en est pas question, je ne dois pas provoquer l'accrochage. Là haut, mon acolyte doit prier tous les saints pour que je ne fasse pas d'impair, il continue de chanter(c'est beaucoup dire) et fait un signe, amical, de la main aux Allemands qui, rassurés, lui répondent, accélèrent et disparaissent.
Les fils sont coupés, quelle trouille nous avons eu. Nous nous congratulons, il nous faut maintenant rejoindre notre groupe au plus vite afin de terminer le gros du travail.
Nous avons amené avec nous l'un de nos prisonniers afin qu'il nous serve d'interprète, surtout pour son uniforme. Il a très bien compris ce que nous attendions de lui "faire comprendre à ses compatriotes, que nous les avons isolé, qu'ils n'ont aucune chance de s'enfuir et qu'il serait regrettable, pour eux,de nous opposer de la résistance". Nous avons encerclé le fortin, le prisonnier s'avance en terrain découvert., Il sait que l'un de nous parle l'allemand et qu'il n'a aucune chance de nous tromper, il est notre prisonnier depuis la veille, jamais il n'a subi de sévices de notre pert. C'est ce qu'il va dire aux autres afin de les convaincre.
5era t'il assez persuasif ? Quelle va être leur réaction ? il est entre deux feux, il faut y aller.
Le guetteur ne doit pas être à son poste, ou bien l'uniforme de notre Interprète le laisse confiant car celul-ci a déjà parcouru une quinzaine de mètres sans provoquer la moindre réaction. Ce silence n'est pas fait pour le rassurer, aussi se met-il à gueuler afin que ses compatriotes daignent s'intéresser à lui. Enfin une silhouette apparaît et un dialogue s'établit, puiS nous voyons les occupants du fortin, sortir, les uns après les autres, les mains sur la tête.
Nous investissons le fortln. Après avoir récupéré tout ce qui pouvait nous être utile, notre groupe reJoint la base pendant que nous restons à deux pour disposer les explosifs. Je ne suis pas un expert en la matière, je ne fais donc que suivre les Instructions de mon partenaire.
Tout en surveillant les alentours, je malaxe les bâtons de plastic et les place aux endroits conseillés. Je m'étonne de voir mon partenaire coller les explosifs dans les angles de la bâtisse, sans plus de minutie, je pense que la déflagration s'effectuera dans le vide, sans grandes conséquences pour la construction.
Il me détrompe et m'explique, que le Plastic exerce sa poussée, uniquement du côté où s'oppose une résistance, il n'est donc pas nécessaire d'en faire plus. Je ne vais pas tarder à savoir si ses dires sont exacts.
Le gros du travail est terminé, iI nous reste le plus délicat avant de l'exécuter nous étudions soigneusement notre itinéraire de repli et le débarrassons des obstacles risquant d'entraver notre retraite, qui devra se faire très rapidement, le processus de mise à feu ne pouvant être interrompu. Maintenant il nous faut mettre les détonateurs et allumeurs, ces derniers ressemblent à des crayons en métal dans lesquels se trouve une ampoule qui une fois cassée libère un acide.

Selon le type d'allumeur choisi, cet acide met un temps plus ou moins long pour ronger la paroi qui le sépare d'une préparation détonante, entraÎnant la réaction explosive du Plastic. (ouf mes explications seront certainement critiquées par des "puristes pinailleurs" ayant beaucoup lu !)
Pour casser les ampoules, mon expert mord à pleines dens une extrémité des crayons allumeurs, avant de les insérer dans chaque pain de Plastic. Machinalement je tourne la tête, craignant à chaque fois de voir la sienne exploser.
Le dernier crayon vient d'être introduit, nous partons à toutes jambes à travers le terrain découvert et nous affalons derrière un muret repéré à l'avance, où nous assistons au spectade organisé par nos soins.
Mon copain saboteur avait raison dans ses explications, le Plastic réagit bien comme prévu, les infrastructures du fortin sont détruites.
Mission accomplie, nous reJoignons notre base.
Louis Jacquemart alias Guy Kervarec (Bibi)


Alors que nous ne réclamions qu'un échange de prisonniers (19 soldats Allemands contre 19 Français) les Allemands nous menacèrent de poursuivre leurs destructions par Saulieu et 19 villages pris au hasard, sans autres avertissements!
Sous la pression des maires et curés de la région, ainsi que de certains habitants craignant la perte de leurs biens, nous cédons et remettons nos prisonniers "sains et saufs" sans contrepartie.
Soixante et un ans plus tard, je me pose toujours la même question. Que se serait-il passé, si j'avais perdu mon sang-froid et abattu les soldats dans leur véhicule ?
Aurais je porté la responsabilité de la destruction de Bar et de Manlay ? Cela aurait donné une raison aux Allemands, mais moi, me croyant responsable, je l'aurais certainement mal vécu.

 

Coup de pot.... d'échappement

Les troupes régulières, débarquées sur les côtes de Provence, ne sont plus très éloignées de Dijon, il est donc prévu que nous participions à la libération de cette ville.
Il est également prévu que nous y installions le nouveau préfet, Mr Jean Bouhey, commissaire de la République pour la Bourgogne et Franche-Comté.
Aujourd'hui celui ci doit rejoindre notre maquis, escorté par quelques gars de chez nous. Pour ce faire, nous devons surveiller son itinéraire, des guetteurs sont positionnés sur tout le parcours et doivent, en cas de danger, tirer deux coups de feu, afin d'alerter les camarades prêts à intervenir.
Ordre est donné de tirer sur tout véhicule se présentant après ce signal.
Depuis quelques jours, un gars d'une trentaine d'années nous a rejoint avec son FM français. Le considérant plus aguerri que nous, le capitaine l'a donc désigné pour tenir le point le plus stratégique de l'opération d'aujourd'hui
Il est installé au bord de la route, à trente ou quarante mètres de la sortie d'un virage, quand le signal retenti... deux détonations...un véhicule débouche...première rafale de FM trop courte... deuxième, dans le pare-brise, le tireur lève la tête pour apprécier son travail et c'est là qu'il reconnaît la traction Citroën du préfet.
Celui-ci a pris une balle dans la tête, sa secrétaire et son chauffeur sont également blessés, heureusement, tous s'en sortiront. Notre tireur est désespéré, il répète sans cesse "J'ai respecté les consignes. j'ai entendu le signal, deux coups de feu". Il a raison, d'autres que lui les ont entendu. Ce n'est que quelques jours plus tard que nous éluciderons le mystère.
Personne n'a tiré, les détonations provenaient tout simplement du pot d'échappement de la voiture du préfet, elles ont eu lieu au moment où le chauffeur rétrogradait en abordant le virage.
Manque de pot... nous n'avions pas choisi le bon signal.

Louis Jacquemart alias Guy Kervarec (Bibi)
Vous pouvez trouver la photographie de Mr Jean Bouhey
dans le CD rom "Résistance et Libération, l'exemple du Morvan"
Université de Bourgogne Dertech Editions/Multimédia


Après l'entrée à Dijon le 11 septembre 1944, nous avons le libre choix pour la suite des événements ! Certains rentrent dans leurs foyers.
Le maquis Bayard devenant "Bataillon de choc Bayard" unité régulière, j'y signe un engagement pour la durée de la guerre à l'Allemagne.
Suite à un court passage par Gendrey (Jura) où nous recevons nos uniformes, papiers militaires, médailles d'identité N° 1097 BAY, nous sommes envoyés en permission pour quelques jours. A notre retour, nous participons à des combats en Alsace ; puis bizarrement, la dissolution de notre unité nous est annoncée !
Nous devinons un désaccord entre les commandements français et alliés. Ces derniers ne désirant pas la participation des troupes françaises à la suite des combats, nous refusant même la fourniture de matériels.
Que devons et pouvons nous faire ? Nous avons signé un engagement pour la durée de la guerre, il nous faut le respecter.
Certains de nous se font incorporer dans diverses unités actuellement sur place ! Pour ma part, j'opte pour le 1er Commando lourd, 5ème compagnie du Bataillon de choc. Six ou sept camarades me suivent, je suis leur caporal, ils veulent rester avec moi ?
Le 1er Commando, commandé par le capitaine Fournier est une unité d'armes lourdes, mortiers, mitrailleuses lourdes, canons anti-chars plus une section de voltigeurs ! C'est le rôle qui m'est alloué. Un peu originale et indépendante, cette unité est composée de gens de toutes convictions politiques, de différentes religions et catégories sociales ! L'un de nos instructeurs est un dirigeant du mouvement anarchiste espagnol, haut gradé dans l'armée républicaine ! Un camarade a un pied bot (blessé, malgré son handicape, il se fera voler ses chaussures orthopédiques à l'hôpital.) Nous aurons même un de nos prisonniers, Yougoslave, qui restera parmi nous, jouant de la guitare et faisant de menus travaux jusqu'a la fin des hostilités.
Manquant parfois de matériels ou d'essence, mal approvisionnés, nous allons les vo... emprunter aux Américains qui eux en regorgent.
Parti d'Algérie avec 21 Jeeps, il n'en reste que 5 ou 6 en état de rouler quelques jours après l'armistice ! Afin d'éviter la dissolution de notre unité, nous avons caché cet état des choses aux autorités militaires qui viennent de nous aviser d'un contrôle prochain.
Le jour de l'inspection nous sommes obligé de cacher un véhicule, car nous en avons 22 ! Un de trop ! Pour camoufler leurs origines, nous les avons tous repeint et j'ai peint l'insigne du bataillon en trois couleurs, sur leurs deux cotés.
A mon avis, je pense que quelques GI's ont du, mal digérer la farce.
Pour connaître la suite et plus de détails sur les événements précédant l'armistice, reportez vous au livre de Raymond Muelle "Le 1er Bataillon de choc".

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